Parmi les Pseudomonas, P. aeruginosa représente entre 60 et 80 % des souches isolées en clinique, mais d’autres espèces peuvent se rencontrer : P. putida, P. fluorescens, P. cepacia, P. pseudoalcaligenes, P. paucimobilis, P. acidovorans… Les phénomènes conduisant à l’isolement de P. aeruginosa en milieu hospitalier favorisent également l’essaimage des autres Pseudomonas.
Cependant ces derniers ont des potentialités métaboliques différentes et un pouvoir pathogène moindre que le B. pyocyanique. Aussi ces Pseudomonas ont-ils une moindre importance en pathologie humaine. Leur isolement est souvent fonction de l’écologie locale et le plus souvent limitée aux services à hauts risques infectieux. Il faut aussi retenir que ces germes sont souvent multirésistants aux agents antibactériens. Ils peuvent se développer à partir de multiples substrats hydrocarbonés simples ou complexes. En raison de leur pouvoir pathogène spécifique, deux espèces se placent tout à fait à part : P. mallei, agent de la morve et P. pseudomallei, ou B. de Whitmore, agent de la mélioïdose.
I – PSEUDOMONAS MALLEI : LA MORVE
La morve est une maladie qui touche essentiellement les équidés et qui est connue depuis l’antiquité. P. mallei est un parasite obligatoire des muqueuses des animaux ou de l’homme. Du point de vue bactériologique ce germe est toujours immobile et accumule du poly-bêta-hydroxybutyrate. La morve est une maladie grave transmissible à l’homme. Maladie disparue des pays développés grâce aux progrès de la médecine vétérinaire, elle subsiste encore en Asie et en Afrique. Le dépistage des animaux atteints se fait grâce à une injection intradermique de malléine dont la positivité entraîne l’abattage du cheptel infecté.
II – PSEUDOMONAS PSEUDOMALLEI : LA MÉLIOÏDOSE
Whitmore et Karischnaswami ont décrit en 1912 à Rangoon en Birmanie une maladie proche de la morve qu’ils appelèrent mélioïdose. P. pseudomallei ou B. de Whitmore se trouve dans l’eau et les sols humides.
Ce germe a longtemps été considéré comme caractéristique des zones humides de Sud-Est Asiatique, où l’humidité liée à une température élevée (40-43°C) des eaux de rizière réalise des conditions optimales de croissance. Cependant il s’avère que ce germe est ubiquitaire. Son isolement a été réalisé en France ainsi que dans plusieurs pays des zones inter-tropicales : il est donc présent dans une zone comprise entre les vingtièmes parallèles Nord et Sud. Une meilleure connaissance de cette affection a été acquise à la suite des guerres d’Indochine puis du Vietnam. La transmission du B. de Whitmore peut se faire par ingestion d’eau contaminée, pénétration à travers la peau excoriée (plaies, griffures, blessures), contamination par voie aérienne par des poussières mobilisées par le vent ou aérosols créés par le souffle des pales d’hélicoptères. Cette maladie a été observée également en France (épidémies chez des animaux du Jardin des Plantes et dans un élevage en Mayenne).
Du point de vue clinique, la mélioïdose est une infection suppurative échappant à une description générale simple en raison de la diversité des formes et des localisations. On rencontre des formes aiguës septicopyohémiques avec localisations secondaires, mais également des formes subaiguës plus fréquentes et des formes chroniques. Contractée essentiellement dans les régions du Sud-est asiatique, tout au moins dans les cas récemment rapportés, la mélioïdose peut survenir longtemps après la contamination, en particulier chez les sujets immunodéprimés, elle doit être évoquée lors de fièvres chez des sujets migrants en provenance de ces régions. Des abcès spléniques ont été décrits, la ceftazidime paraîtrait la plus active.
Le diagnostic bactériologique est effectué à partir de divers prélèvements (sang, pus, crachats). Le germe peut être cultivé sur divers milieux. Le diagnostic différentiel se fera avec P. cepacia, P. stutzeri, P. mallei. Le pouvoir pathogène expérimental est réalisé chez le hamster ou le cobaye : après inoculation par voie intra-péritonéale on observe une péritonite purulente, une périorchite (signe de Straus), des suppurations polyviscérales et en premier lieu pulmonaires.
III – LES AUTRES ESPÈCES DE PSEUDOMONAS D’INTÉRÊT MÉDICAL :
Le genre Pseudomonas comprend beaucoup d’autres espèces qui peuvent être isolées chez l’homme ou chez l’animal mais également chez les plantes. La limite entre les Pseudomonas phytopathogènes et ceux d’intérêt médical est assez imprécise dans certains cas.
A – Habitat et pouvoir pathogène naturel :
En raison de leurs exigences nutritives très modestes, les Pseudomonas peuvent survivre et se multiplier durant des mois dans un environnement humide : eau du robinet, eau distillée, écoulements d’éviers, surfaces humides, barboteurs, nébulisateurs. L’habitat habituel de ces germes est l’eau ainsi que le sol et les végétaux. Certaines souches psychrophiles provoquent la détérioration de denrées alimentaires ou de produits biologiques conservés au froid (P’. fluorescens st P. putida par exemple).
Inversement P. cepacia ou P. pseudoalcaligenes sont relativement résistants à la chaleur et peuvent se retrouver dans des eaux tièdes ou chaudes.
En milieu hospitalier la contamination des eaux, dans la diversité de leurs usages, est très souvent occulte et il faut souligner que des densités bactériennes de l’ordre de 107 germes/ml ne s’accompagnent pas de trouble visible à l’oeil nu d’une solution aqueuse. Dans l’environnement hospitalier les Pseudomonas contaminent le plus souvent les solutions d’antiseptiques, plus actifs sur les germes à Gram positif que sur les bacilles à Gram négatif, ainsi que les solutions aqueuses.
L’utilisation de ces solutions contaminées est responsable de la survenue d’infection chez des malades aux défenses immunitaires effondrées dans des services à hauts risques infectieux (réanimation, onco-hématologie, service de brûlés et de chirurgie cardio-vasculaire).
L’expression clinique d’une infection causée par ces germes opportunistes très peu pathogènes par eux-mêmes, dépendra essentiellement du terrain. Chez ces malades les surinfections locales peuvent entraîner des bactériennes simples, mais aussi des septicémies véritables avec localisations secondaires, par exemple des endocardites dans lesquelles les possibilités de diagnostic et de traitement antibiotique s’avèrent en général limitées.
B – Écologie et signification des différentes espèces de Pseudomonas :
P. fluorescens et P. putida isolés pour la première fois en 1886 de pourritures diverses, ont comme principal habitat le sol, l’eau, les plantes et les denrées alimentaires avariées. Les eaux en milieu hospitalier sont souvent contaminées par P. fluorescens, espèce qui se trouve également très fréquemment dans les eaux douées naturelles même potables. P. fluorescens et P. putida peuvent se trouver dans la flore de l’oro-pharynx. P. putida s’isole en petite quantité, avec une fréquence égale au tiers de celle de P. aeruginosa et P. maltophilia, d’objets et de matériels hospitaliers. Ces deux espèces psychrophiles peuvent également contaminer le sang utilisé en transfusion qui peut être souillé lors du prélèvement ou par l’intermédiaire du matériel de perfusion mal stérilisé ou des flacons. Du point de vue de la bactériologie clinique P. fluorescens et P. putida sont avant tout des bactéries pathogènes opportunistes pour l’homme. Leur virulence est bien sûr quasiment nulle chez un individu sain. L’interprétation lors d’isolement de ces bactéries, unique ou répété, ne se fera qu’en fonction du contexte clinique. Les symptômes d’une septicémie survenant au décours d’une transfusion ou d’une perfusion de liquides contaminés s’expliquent par la présence d’une endotoxine semblable à celles des autres bacilles à Gram négatif.
P. stutzeri décrit pour la première fois en 1895 est isolé à partir du sol, d’engrais, de paille, d’humus, d’eaux stagnantes, de cosmétiques pour les yeux. Cette espèce peut se rencontrer dans divers produits pathologiques d’origine humaine sans que l’on puisse y rattacher de circonstances épidémiologiques particulières.
P. mendocina a été isolé du sol, de l’eau et d’urines. Il n’a pas été impliqué comme agent causal dans des infections humaines.
P. cepacia (Syn., Pseudomonas multivorans, Stanier) isolé pour la première fois en 1950 d’un bulbe d’oignon est remarquable par la variété et le nombre de substrats qu’il peut utiliser comme source d’énergie et de carbone.
P. cepacia a été décrit à l’origine en 1950 comme un germe phytopathogène mais depuis ces dernières années son isolement lors de contamination ou d’infection hospitalières est plus fréquent.
Neuf sérotypes 0 et 7 sérotypes H sont décrits. Largement distribué dans la nature, il a été isolé du sol, des eaux de rivière, du lait cru ou pasteurisé, d’oeufs de canard salés importés de Taiwan aux U.S.A., de produits cosmétiques contaminés par l’eau du robinet.
L’environnement hospitalier permet d’isoler fréquemment P. cepacia : instruments, nébulisateurs, humidificateurs, appareils d’hémodialyse, bronchoscopes, sondes urinaires, cathéters, solutions anesthésiques, solutions antiseptiques à base d’ammoniums quaternaires, de cétrimide, de polyvidone iodée, de chlorhexidine qui contaminent la peau et les instruments, de solutés isotoniques injectables de chlorure de sodium, de solutions pharmaceutiques à base d’antibiotiques, d’albumine, de corticoïdes, d’eaux de diverses origines (eau du robinet, eau distillée d’origine commerciale ou préparée dans les pharmacies des hôpitaux, eau de bain-marié utilisée pour réchauffer le sang avant transfusion).
Chez des malades hospitalisés, P. cepacia peut être isolé : d’abcès, de plaies infectées, de lésions hyperkératosiques macérées d’orteils chez des soldats, d’arthrites aiguës (après injection de méthyl-prédnisolone contaminée), d’infections pulmonaires ou d’infections urinaires (après manoeuvre instrumentale ou acte chirurgical), de péritonites. Etes infections plus sévères, bactériémies transitoires ou septicémies, sont rencontrées chez les malades aux défenses immunitaires altérées. Des endocardites sont apparues chez des malades porteurs de prothèses cardiaques ou ayant des antécédents cardiaques, et occasionnellement des héroïnomanes. P. cepacia peut être responsable de complications infectieuses en chirurgie cardiaque. La grande diversité de substrats utilisés par P. cepacia est responsable de la variété des sources potentielles de contamination et d’infection.
Cependant, il paraît avoir une faible virulence et un pouvoir invasif limité chez l’homme sain. Il se rencontre dans les surinfections de la mucoviscidose.
P. putrefaciens possède les caractères des Pseudomonas ; cependant des auteurs proposent de lui attribuer le nom d’Alteromonas putrefaciens car certaines souches possèdent un flagelle latéral en plus du flagelle polaire habituel. La majorité des souches peut croître à 30°C, certaines ne poussent pas à 35°C et certaines sont psychrophiles. La particularité essentielle de ce germe est de produire de l’H2S sur les milieux usuels pour Entérobactéries et ceci amène souvent des confusions avec Salmonella ou Proteus. P. putrefaciens se trouve dans le sol, les eaux douées et salées, les saumures et se distribue largement dans la nature. Il est isolé dans les produits alimentaires (morue, volaille, lait, oeufs). P. putrefaciens est responsable d’altérations putrides du beurre, de la production d’H2S dans les filets de harengs, de la décoloration verdâtre de la viande. En bactériologie médicale, cette espèce est isolée dans de nombreux produits pathologiques mais se comporte rarement comme un germe opportuniste bien qu’il ait pu être associé à des septicémies, des otites et des suppurations d’ulcère de jambe chez des diabétiques.
P. alcaligenes et P. pseudoalcaligenes ont été décrits en 1928 et en 1966. Ces deux espèces, très proches, ont été isolées d’eaux, de piscines, de lait contaminé et de divers produits pathologiques humains. Leur incidence en pathologie humaine est extrêmement faible, et seuls quelques cas isolés de contamination ou de surinfection ont été décrits.
P. diminuta et P. vesicularis sont deux espèces assez rares décrites l’une en 1954 l’autre en 1971. Ces Pseudomonas sont caractérisés par leurs exigences en biotine, acide pantothénique, cyanocobalamine et en outre, en cystéine pour P. diminuta. Isolés également de l’eau et de quelques produits pathologiques, leur rôle comme agents opportunistes ou pathogènes est incertain et leur isolement rare.
P. acidovorans et P. testosteroni sont deux espèces proches par le haut degré d’homologie existant entre leurs acides nucléiques. Leurs caractères biochimiques sont très voisins et en majorité négatifs. P. acidovorans a été isolé à partir d’urines, de sang, de pus, du tractus respiratoire chez l’homme et les animaux. Son rôle en pathologie humaine est discutable. P. testosteroni est responsable de rares cas de bactériémie.
D’autres espèces de Pseudomonas sont rarement rencontrées en bactériologie médicale. Ce sont essentiellement des souches issues de l’environnement. Elles posent souvent des problèmes de diagnostic différentiel.
P. pickettii décrit en 1973, a été isolé dans divers produits pathologiques.
P. paucimobilis s’apparente aux Xanthomonas. Il a été isolé dans des hémocultures, des LCR, des urines, des crachats, des frottis vaginaux et peut se mettre en évidence fréquemment dans les eaux de l’environnement naturel ou hospitalier.
C – Diagnostic bactériologique :
Pour identifier ces Pseudomonas d’intérêt médical, le bactériologiste peut emprunter plusieurs voies en s’adressant soit à des méthodes traditionnelles, soit à des galeries miniaturisées prêtes à l’emploi. Cependant il est bon de se rappeler qu’une orientation correcte du diagnostic doit se faire dès le départ en prêtant une attention particulière à la morphologie du bacille et notamment à la détermination du type de ciliature qui est polaire dans le genre Pseudomonas, monotriche ou multitriche. La coloration des flagelles, grâce aux méthodes de Rhodes ou de Leifson, est d’une utilité évidente. La morphologie des colonies est importante. Par exemple, les colonies plissées « rough » sont caractéristiques, pour un oeil averti, de P. stutzeri. La production de pigment sur les milieux A et B de King, la pigmentation jaune ou rosé des colonies de certaines espèces sur gélose nutritive sont des éléments d’orientation.
Enfin, la réaction de l’oxydase est importante ainsi que la détermination du type respiratoire en gélose profonde ne contenant pas de nitrates.
Les méthodes conventionnelles font appel aux caractères d’identification classiques des germes aérobies stricts (les méthodes usuelles pour les entérobactéries étant inadaptées) : ADH, LDC ; hydrolyse de glycosides : esculine, ONPG ; cultures à 4°C et à 41°C ; bouillon nitrate ; gélose profonde nitrate ; recherche d’activités enzymatiques (gélatinase, amylase, tween 80 estérase, lécithinase, DNase) ; accumulation de l’acide poly-bêta-hydroxybutyrique ; recherche de la production d’H2S, recherche d’une tétrathionate réductase. Les caractères complémentaires sont basés :
– soit sur l’étude des substrats carbonés utilisables comme seule source d’énergie et de carbone (auxanogramme en milieu liquide M 63 : lactate, acétamide, arginine, glucose, maltose, tréhalose, mannitol, inositol, additionnés de facteur de croissance : méthionine),
– soit sur l’étude de l’oxydation de sucres conduisant à la production d’acide dans les milieux (glucose, fructose, mannose, lactose, maltose, mannitol…). D’autres tests biochimiques adaptés aux Pseudomonas, comme l’étude du clivage des diphénols, sont décrits dans les ouvrages spécialisés. Le tableau ci-après indique une clé d’orientation schématique et rapide pour l’identification de quelques Pseudomonas fréquents.
Des galeries d’identification miniaturisées commodes à l’emploi sont actuellement disponibles (Galerie Pseudomonas-Diagnostics-Pasteur, Oxi-Ferm Tube-Roche, Flow NF Tek, Galerie API 20 NE). Elles permettent une identification en 24 à 48 heures alors que les méthodes traditionnelles nécessitent 2 à 4 jours.
D – Sensibilité aux antibiotiques :
La recherche de la sensibilité de ces Pseudomonas aux antibiotiques, outre son intérêt en bactériologie médicale permet d’apporter une aide au diagnostic bactériologique en évitant des confusions entre certaines espèces de Pseudomonas. Par exemple il est aisé d’orienter le diagnostic différentiel entre X. maltophilia et P. cepacia en rappelant que le premier est résistant à la novobiocine et sensible à la colistine et que pour P. cepacia c’est l’inverse.
La sensibilité de ces espèces de Pseudomonas est parfois paradoxale bien que présentant des caractères voisins de ceux de P. aeruginosa ; les données concernant ce dernier ne sont pas toujours applicables aux autres Pseudomonas. La sensibilité aux aminosides est variables selon les espèces, la quasi totalité des souches de P. cepacia, X. maltophilia, P. acidovorans sont résistantes.
La colistine est active sur ces Pseudomonas sauf sur P. cepacia, P. pickettii, P. pseudomallei. Malgré la multirésistance habituelle de ces bactéries, avec les nouvelles pénicillines (carboxypénicillines) et les céphalosporines de troisième génération (excepté la cefsulodine), sont apparues de nouvelles possibilités thérapeutiques. Il est utile de souligner que certaines espèces de Pseudomonas possèdent une sensibilité à des antibiotiques inactifs sur P. aeruginosa comme le triméthoprime-sulfaméthoxazole.