Les Borrelia sont responsables des borrélioses, nommées habituellement fièvres récurrentes. Il s’agit de maladies transmises par des arthropodes hématophages. En fonction de l’arthropode vecteur, on distingue classiquement deux groupes de borrélioses :
– les borrélioses transmises par les poux,
– les borrélioses transmises par les tiques.
Ce genre bactérien connaît un regain d’intérêt depuis l’isolement de
B. burgdorferi, agent de la maladie dite de Lyme et des affections apparentées.
A – Fièvres récurrentes :
Elles sont connues depuis Hippocrate. C’est au XIXe siècle que furent individualisées cliniquement les fièvres récurrentes et que l’on isola un agent pathogène : un spirochète sanguicole.
C’est au début du XXe siècle que furent mis en évidence les agents vecteurs : le pou d’abord, les tiques ensuite. En 1907, les spirochètes responsables de ces fièvres ont été dénommés Borrelia, en hommage au bactériologiste français A. Borrel.
B – Maladie de Lyme et affections apparentées :
B.burgdorferi est responsable de plusieurs affections :
– Erythema chronicum migrons ou érythème de Lipschûtz (E.C.M.).
– Maladie dite de Lyme.
– Acrodermatite chronique atrophiante ou maladie de Pick-Herxheimer (A.C.A.).
– Méningo-radiculo-névrite de Garin-Bujadoux-Bannwarth.
– Lymphadenosis benigna cutis (L.A.B.C.) : lymphocytome cutané bénin.
Les étapes historiques marquantes sont les suivantes :
1909 : première description d’E.C.M. par Afzelius.
1913 : établissement par Lipschiitz des critères d’E.C.M. et du rôle vecteur des tiques du genre Ixodes.
1920 à 1945 : premières descriptions des autres affections.
1955 : démonstration expérimentale de l’étiologie infectieuse.
1970 : description du premier cas d’E.C.M. dans l’état du Wisconsin aux U.S.A.
1975 : enquête de Steere parmi les habitants des localités de Lyme souffrant d’arthrites rhumatoïdes se greffant sur un E.C.M.
1978 : mise en évidence du rôle du vecteur Ixodes dammini par Steere et coll.
1982 : isolement de l’agent pathogène dans les tiques prélevées à Shelter Island dans l’état de New York par Burgdorfer ; découverte similaire en Suisse chez Ixodes ricinus.
1983 : isolement de l’agent pathogène dans des prélèvements humains par Steere et coll.
I – HABITAT – ÉPIDÉMIOLOGIE :
Les Borrelia appartiennent à l’ordre des Spirochaetales et à la famille des Spirochaetaceoe.
Le genre Borrelia comprend une vingtaine d’espèces dont les principales caractéristiques épidémiologiques sont mentionnées dans le tableau I.
A – Vecteurs :
Leur répartition conditionne l’aire de répartition géographique des borrélioses.
Toutes les espèces de Borrelia sont transmises par des arthropodes. Ces vecteurs hématophages sont soit des poux, soit des tiques.
La transmission de B. burgdorferi s’effectue essentiellement par des arthropodes : les acariens (famille des Ixodidae) et dans une moindre mesure par des insectes (famille des Culicidae et des Tabanidae).
1. Poux :
Ce sont des insectes anoploures. La seule espèce intéressante en pathologie médicale est Pediculus humanus.
Tous les stades (larves, nymphes, adultes) sont hématophages. Le pou se contamine en piquant un sujet malade. Le spirochète en cause est Borrelia recurrentis.
Dans le pou, B. recurrentis ne se trouve que dans l’hémolymphe et il n’envahit ni les glandes salivaires ni l’intestin ; c’est pourquoi la piqûre n’est jamais infestante pour l’homme et la contamination n’est possible que lors de l’écrasement du pou (épouillage, grattage). Les germes peuvent alors traverser activement la peau et les muqueuses.
2. Tiques :
II existe une spécificité entre l’espèce du vecteur et l’espèce de Borrelia infestante.
Il s’agit :
– soit d’acariens argasidés : les omithodores ou Ornithodoros.
L’omithodore s’infecte en piquant un animal infecté et les Borrelia ingérés disséminent dans tous ses tissus. L’infection peut alors se transmettre à un organisme sain par piqûre, par le liquide coxal rejeté à la fin du repas sanguin
– soit d’acariens ixodidés : Ixodes.
Borrelia burgdorferi est localisé au niveau de l’intestin moyen de la tique. La transmission à l’homme se fait par la tique durant son repas sanguin ; il existe aussi probablement une transmission par la salive et par les régurgitations des sécrétions intestinales.
Ixodes ricinus semble être, en Europe, la principale tique vectrice. En U.R.S.S., I. persulcatus a été incriminé comme vecteur de la maladie.
B – Réservoirs :
B. burgdorferi est la seule espèce capable d’infecter les mammifères et les oiseaux ; de nombreuses espèces animales sauvages constituent ainsi des réservoirs potentiels de B. burgdorferi. En Amérique du Nord, les principaux réservoirs sont des souris (Peromyscus) et les cervidés. En Europe, les réservoirs sont les campagnols, les mulots, les cervidés, les renards et les sangliers. Les animaux domestiques peuvtent aussi servir de réservoir.
C – Répartition géographique :
Elle est résumée globalement à l’échelle mondiale dans le tableau 1 qui indique pour chaque grand type de borréliose le(s) agent(s) pathogène(s), leur(s) vecteur(s), leur(s) réservoir(s), le type de contamination ainsi que les zones infectées.
La figure 1 schématise l’aire de répartition des tiques en Europe. Il existe une spécificité étroite entre le parasite vecteur (/. ricinus) et l’agent pathogène de la borréliose de Lyme.
II – POUVOIR PATHOGÈNE NATUREL :
A – Les fièvres récurrentes humaines :
Schématiquement le tableau clinique typique associe, après une phase d’invasion silencieuse d’une semaine ou plus :
– une fièvre de 39 à 40°C de survenue brutale ;
– un syndrome algique diffus ;
– un syndrome hépato-splénique avec un ictère, des troubles digestifs, une hépatomégalie modérée, une splénomégalie nette ;
– un syndrome neuro-méningé avec des vertiges fréquents, des céphalées très intenses. A la ponction lombaire le liquide céphalo-rachidien est limpide avec une hyperlymphocytose. La centrifugation peut révéler des Borreha dans le culot ;
– un syndrome cutanéo-muqueux avec une peau sèche (par différence avec le paludisme), une langue humide recouverte d’un enduit moutarde caractéristique, fréquemment un rash cutané, un épistaxis.
Ce tableau dure quelques jours puis il se produit une défervescence thermique brutale accompagnée d’une crise sudorale et urinaire. Cette phase apyrétique dure une semaine puis la même symptomatologie réapparait (récurrence). Le nombre,de récurrences varie entre 3 et 10 en moyenne selon l’espèce Borrelia.
On distingue 5 grands types de fièvres récurrentes qui possèdent des particularités cliniques propres (tableau I).
B – Affections causées par B. burgdorferi :
On peut distinguer schématiquement trois grands stades évolutifs de la maladie :
1. Stade primaire :
II est caractérisé par une lésion dermatologique typique, YErythema Chronicum Migrons (E.C.M.) ou érythème de Lipschiitz. Celui-ci survient quelques jours après la morsure de tique, sous la forme d’un érythème papuleux d’extension progressive et centré par la piqûre. Il peut s’accompagner de fièvre, céphalées, asthénie, adénopathies, arthralgies. Parfois le tableau est plus inquiétant (atteintes neurologique, hépatique, articulaire).
2. Stade secondaire :
Les manifestations du stade secondaire peuvent survenir quelques semaines voire quelques mois après l’E.C.M. Elles peuvent être soit isolées, soit associées entre elles.
a/ Manifestations cutanées :
Les lésions ressemblent à l’E.C.M. initial, mais sont généralement plus petites.
b/ Manifestations cardiaques :
II s’agit généralement de troubles de la conduction auriculo-ventriculaire, mais des myocardites et des péricardites peuvent aussi être observées. Ces manifestations rétrocèdent le plus souvent spontanément en quelques jours à quelques semaines.
c/ Manifestations articulaires :
Elles se caractérisent par de brefs épisodes d’oligo-arthrites asymétriques touchant préférentiellement les grosses articulations (genou).
d/ Manifestations neurologiques :
Elles peuvent inaugurer le tableau clinique en dehors de la survenue d’un E.C.M., associant de façon variable une méningite lymphocytaire, une névrite crânienne (paralysie faciale essentiellement) et une méningo-radiculite souvent asymétrique et très douloureuse.
Ce tableau est proche de celui de la méningo-radiculite décrite par Garin, Bujadoux et Bannwarth.
Certains tableaux sont dominés par les manifestations centrales : accident vasculaire cérébral, encéphalite démyélinisante, troubles comateux majeurs.
3. Stade tertiaire :
Les manifestations tardives sont caractérisées par leur chronicité.
a/ Manifestations articulaires
Elles se présentent sous la forme d’oligo-arthrites inflammatoires des grosses articulations, évoluant par poussées pendant des années et pouvant entraîner des lésions ostéo-cartilagineuses.
b/ Acrodermatite chronique atrophiante (ACA) ou maladie de Pick-Herxheimer
Affection surtout féminine, l’ACA est une dermatose chronique d’évolution progressive, aboutissant spontanément à une atrophie inflammatoire des téguments.
Elle peut se compliquer de tumeurs cutanées bénignes à type lymphocytome cutané bénin, de tumeurs malignes (lymphome B).
III – PHYSIOPATHOLOGIE :
A. Fièvres récurrentes :
Peu d’éléments en sont connus. Le point important est le mécanisme des récurrences : durant son passage dans l’organisme humain, le spirochète présente des variations antigéniques successives responsables de l’absence de production d’anticorps spécifiques, chacune de ces variations antigéniques entraînant une récurrence. Chez B. hermsii, ces variations sont codées par des plasmides linéaires.
B. Affections dues à B. burgdorferi :
B. burgdorferi par contre, ne présente pas de variations antigéniques majeures.
Les antigènes ou les facteurs de virulence éventuels, spécifiquement responsables de l’expression du pouvoir pathogène, sont mal connus pour l’instant. Deux plasmides et deux protéines de surface, OspA et OspB de 31 kDa et 34 kDa respectivement, semblent être associés à la virulence. De plus, une activité « endotoxin-like » due à un lipopolysaccharide a été mise en évidence. Des corrélations significatives ont pu être établies avec certains groupes HLA (DR2).
L’étude de l’ADN et des protéines de structure des souches européennes et américaines a révélé l’existence de protéines antigéniques différentes entre ces deux groupes de souches. Cette notion pourrait expliquer l’existence de deux types de tableaux cliniques. On s’oriente actuellement vers la reconnaissance de l’existence de deux sous-espèces de B. burgdorferi.
IV – DIAGNOSTIC BACTÉRIOLOGIQUE :
A – Affections dues à B. burgdorferi :
1. Prélèvements :
L’agent pathogène peut être recherché dans le liquide céphalo-rachidien, les lésions cutanées, le sang périphérique ; mais il s’agit d’un germe extrêmement fragile.
2. Examen direct :
L’étude peut se faire à l’aide d’un microscope à fond noir ou après coloration (Giemsa le plus souvent, ou argentique de réalisation délicate).
On examinera les culots de centnfugation du liquide céphalo-rachidien, les coupes tissulaires.
3. Pouvoir pathogène expérimental :
II n’est pas utilisé à des fins diagnostiques, mais constitue à l’heure actuelle un modèle pour l’étude de la physiopathologie de ces infections. Les animaux les plus utilisés sont le lapin, le cobaye et le hamster.
4. Culture :
Pour la culture de B. burgdorferi on utilise actuellement le milieu liquide de Barbour-Stoener et Kelly modifié (BSK II, Barbour et coll. 1984) incubé à 33°C.
L’inoculation se fait en surface et on recherche une éventuelle croissance en microaérophilie en prélevant toutes les semaines pendant plusieurs mois.
La composition complexe de ce milieu BSK II fait appel à des produits chimiques et microbiologiques, dont la qualité et la marque sont fondamentales pour la réussite des cultures.
5. Morphologie – Structure :
Ce sont des spirochètes de 10 à 30 µm de long sur 0,2 à 0,3 µm de diamètre. Us présentent 5 à 7 spires en moyenne, irrégulières et peu serrées, ils sont mobiles selon des mouvements de rotation et de translation associés.
Sur le plan structural, ils sont entourés d’une enveloppe souple externe. Le cytoplasme est entouré d’une membrane pariéto-cytoplasmique contenant le peptidoglycane.
6. Diagnostic sérologique :
La culture est délicate et ses résultats tardifs. Le diagnostic biologique de ces affections est actuellement essentiellement sérologique. B. burgdorferi est la seule espèce de Borrelia pour laquelle le diagnostic sérologique soit possible.
L’interprétation de cette sérologie fait l’objet de nombreuses discussions.
Deux techniques sont utilisées couramment : l’IFI et l’ELISA.
– L’immunofluorescence (IFI), technique la plus utilisée en Europe, est réalisée à l’aide d’un antigène constitué d’une culture de B. burgdorferi fixée sur lame selon une technique classique comparable au FTA.
– Les tests ELISA décrits par Russell et coll. et par Magnarelli et coll. en 1984, utilisent un antigène soluble obtenu à partir d’une culture traitée par les ultrasons dans le premier cas et une suspension de spirochètes inactivés dans le deuxième. La révélation des réactions antigène-anticorps se fait avec des sérums anti-immunoglobulines humaines marquées à la phosphatase alcaline ou à la peroxydase.
Les seuils de positivité varient selon les laboratoires, mais on peut considérer comme significatifs :
– En IFI IgG 1/64e (1/256 pour certains auteurs)
IgM 1732e
– En ELISA IgG 1/200e
Des réactions croisées faussement positives existent avec Treponema pallidum et rarement avec Leptospira. Dans ces affections, le contexte clinique bien différent permet aisément le diagnostic différentiel. Notons d’autre part que chez quelques sujets ayant une sérologie MNI positive on observe 30 % de résultats faussement positifs.
Une meilleure approche du diagnostic sérologique est apporté par l’étude du sérum ou/et du L.C.R. en Westem-blot. Cette technique d’immunoblot consiste à révéler, grâce à une réaction immunoperoxydasique, les anticorps dirigés contre les antigènes de Borrelia séparés par électrophorèse en gel de polyacrylamide et transférés sur nitrocellulose. Les anticorps IgM et IgG détectés dans le sérum des malades varient selon les stades de la maladie. Il faut évaluer le nombre d’antigènes révélés et leur importance relative pour donner une interprétation. Le Western blot est plus sensible que l’IFI et contribue à améliorer le diagnostic, notamment des formes neurologiques.
D’autres tests sont utilisables (hémagglutination passive et immunocapture pour les IgM).
Il est intéressant d’étudier le taux de positivité et l’évolution des anticorps IgG et IgM selon les différentes affections (Tableau II et Figure 2). En cas d’ECM compliqué, les anticorps restent élevés à distance de la piqûre tandis que pour un ECM « simple » on observe une négativation au bout d’un certain temps. Peut-on en déduire qu’un taux élevé et persistant doive fait craindre la survenue de complications ?
Le tableau II montre que le taux de positivité du sérodiagnostic est beaucoup plus élevé en cas de complications que lors d’un ECM. La figure 2 montre des IgM élevées dans l’ECM (phase précoce) puis décroissantes dans les atteintes neurologiques et cardiaques (phase tardive). Inversement les IgG sont basses pendant l’ECM et croissent pour être maximales quand l’arthrite s’installe. S’agit-il d’une simple évolution chronologique ou bien est-ce le reflet d’une gravité de la maladie ?
7. Nouveaux moyens de diagnostic :
Les méthodes de détection génotypiques par amplification génique in vitro (polymerase chain reaction) semblent être un outil prometteur pouvant se substituer efficacement à la culture pour le diagnostic de ces infections à partir de divers produits biologiques. Des progrès restent à faire pour vulgariser ces méthodes.
B – Fièvres récurrentes :
Pour ces borrélioses, le diagnostic est essentiellement microscopique.
Il peut être efficacement étayé par un pouvoir pathogène expérimental. On inocule par voie intra-musculaire ou intra-péritonéale le sang ou le broyât tissulaire infecté. L’animal le plus sensible est la souris Swiss et le rat nouveau-nés. On peut également utiliser le cobaye et le lapin. Si le prélèvement est positif, l’animal fait une maladie proche de celle de l’homme et cela dans un délai inférieur à 15 jours. On réalisera des frottis sanguins tous les 3 jours afin de rechercher après coloration de Giemsa les spirochètes.
Il n’existe pas de sérologie. La confrontation clinique et épidémiologique est prépondérante.
En ce qui concerne la culture, le milieu de Kelly ou le milieu BSK II sont utilisables, mais ne permettent la croissance que de certaines espèces : B. hermsii, B. parkeri, B. turicatae, B. hispanica, B. recurrentis.
V – TRAITEMENT – PROPHYLAXIE :
Les Borrelia sont des germes très sensibles aux antibiotiques. On utilise de préférence pour les formes non compliquées une bêta-lactamine (ampicilline, amoxicilline, 2 g/j pendant 10 jours) ou un macrolide ou une cycline.
La ceftriaxone (IV, 2 g/j 15 j à 3 semaines) est recommandée et semble la plus efficace pour traiter les formes compliquées, en particulier neurologiques.
Dans les infections à B. burgdorferi, il semble qu’un traitement précoce diminue notablement le risque de survenue de manifestations tardives et raccourcit la durée d’évolution des ECM ainsi que la survenue d’atteintes cardiaques et articulaires.
On se méfiera d’un traitement trop énergique pouvant entraîner une réaction de Jarisch-Herxheimer.
En ce qui concerne la prévention, l’éradication des vecteurs est difficilement réalisable ; les mesures prophylactiques individuelles sont efficaces. Il n’existe pas à l’heure actuelle de vaccin.