Clostridium difficile est l’agent étiologique des colites pseudo-membraneuses (CPM) ; il est également responsable de nombreux cas de diarrhées ou de colites consécutifs à une antibiothérapie. Ces pathologies sont dues à la production et à l’action de deux toxines dans le côlon : une entérotoxine et une cytotoxine.
C. difficile a été isolé en 1935 par Hall et O’Toole à partir de selles de nouveau-nés. En 1971 George et Symonds ont montré la présence dans l’intestin, au cours des colites pseudo-membraneuses, d’une toxine neutralisée par un sérum anû-Clostridium sordellii. Bartiett et coll. en 1978 isolent C. difficile dans cette pathologie et font le lien entre cette espèce et la toxine produite. En 1981, cette même équipe, ainsi que celle de Wilkins, montre que certaines souches de C. difficile sécrètent deux toxines : une cytotoxine (ou toxine B) et une entérotoxine (ou toxine A).
I – CLASSIFICATION :
C. difficile appartient au groupe III des Clostridium.
C. difficile a un GC % de 28, voisin de celui des principales espèces de Clostridium.
II – HABITAT :
L’intestin de l’homme ainsi que celui de nombreuses espèces animales peut héberger C. difficile. Chez l’homme, le taux de colonisation varie selon l’âge : 20 à 70 % des enfants sains de moins de 1 an, seulement 3 % des adultes sains. Mais chez ces derniers, la fréquence du portage peut être influencé par divers facteurs : antibiothérapie, pathologie digestive, hospitalisation. Dans les selles des malades, C. difficile peut être présent en nombre élevé : 106 à 108/gramme de selles.
C. difficile est capable de survivre plusieurs mois dans l’environnement grâce à ses spores qui résistent aux désinfectants.
III – PHYSIOPATHOLOGIE :
Les diarrhées, les colites et les colites pseudo-membraneuses associées à C. difficile sont des affections qui s’observent généralement en milieu hospitalier.
La survenue de diarrhées ou de colites chez un adulte fait suite :
– à une contamination exogène par C. difficile
– à un déséquilibre de la flore intestinale par une antibiothérapie.
Tous les antibiotiques donnés per os ou par voie parentérale peuvent induire cette affection, plus particulièrement ceux incomplètement résorbés par voie orale et/ou ayant un cycle entéro-hépatique. Les antibiotiques les plus fréquemment mis en cause sont les aminopénicillines, les céphalosporines et la clindamycine.
Il ne s’agit pas d’une surinfection ; C. difficile reste, dans la majorité des cas, sensible in vitro à l’antibiotique responsable. C. difficile sporulerait dans le côlon avec régénération de la forme végétative quand le taux d’antibiotique dans la lumière colique est relativement bas. La flore intestinale du côlon, exerçant son effet de barrière, inhibe normalement la croissance de C. difficile, et ce n’est qu’à la faveur d’un déséquilibre, au décours d’une antibiothérapie, que C. difficile se multiplie et produit ses toxines.
L’observation de CPM lors de l’utilisation de certains anticancéreux (methotrexate, 5 fluoro-uracile…) est possible (atteinte de la flore ou toxicité digestive ?).
Malgré la présence de C. difficile dans leur flore intestinale, les enfants de moins de 2 ans n’ont jamais de CPM, sauf circonstances favorisantes. Chez les nourrissons des souches non toxinogènes sont surtout isolées.
Les deux toxines produites par C. difficile provoquent une lésion inflammatoire de la paroi colique. Lorsque les lésions et l’inflammation ne sont pas trop sévères, le seul symptôme observé est la diarrhée. Si les lésions sont plus étendues, une biopsie du côlon met en évidence une muqueuse congestive recouverte par une
pseudo-membrane, c’est à dire de plaques isolées ou confluentes de couleur crème ou jaune-verte ; elles sont constituées d’une couche de fibrine et de mucine incluant des leucocytes.
Pour des raisons inconnues, ces toxines n’ont aucun effet sur la muqueuse colique des jeunes enfants, ainsi que sur celle des patients atteints de mucoviscidose (absence de récepteurs sur les entérocytes ?).
IV – POUVOIR PATHOGÈNE :
C. difficile provoque diverses pathologies intestinales allant du portage asymptomatique à la colite pseudo-membraneuse.
Les troubles digestifs apparaissent en moyenne moins d’une semaine après le début du traitement, voire 4 ou 6 semaines après son arrêt.
Il serait responsable de 15 à 25 % des diarrhées associées à une antibiothérapie.
Les formes cliniques sont diverses : diarrhées banales ou diarrhées sévères, associées ou non à une colite.
La CPM est évoquée devant les symptômes suivants : selles liquides, muqueuses, abondantes, coliques abdominales, fièvre, hyperleucocytose, hypocholestérolémie. Le diagnostic clinique de colite pseudo-membraneuse est évoqué lors d’une observation endoscopique de pseudo-membranes sur la paroi colique.
La CPM peut évoluer vers des complications rares, mais sévères : des mégacôlons toxiques, des perforations, des péritonites. Les manifestations extra-digestives sont inhabituelles.
V – CARACTÈRES BACTÉRIOLOGIQUES :
A – Caractères morphologiques :
C. difficile est un bacille à Gram positif, anaérobie strict, donnant des spores ovales subterminales déformantes. La majorité des bactéries isolées de produits pathologiques sont mobiles grâce à une ciliature péritriche.
Chez quelques souches, des fimbriae ou une capsule ont été mis en évidence, mais leur rôle dans la pathogénicité reste discuté. Leurs propriétés d’adhésion restent à confirmer.
B – Caractères culturaux :
L’incubation de toute culture se fait à 37°C en atmosphère anaérobie.
Dans un bouillon constitué de peptones, d’extraits de levure et de glucose (bouillon PGY ou TGY), un trouble homogène est obtenu en 24 h avec un sédiment abondant.
Sur gélose au sang, les colonies sont circulaires, plates ou légèrement bombées, opaques, grisâtres, ou blanchâtres, sans zone d’hémolyse.
La sporulation est obtenue en culture après plus de 48 heures et elle est favorisée par la présence de taurocholate de sodium à 0,1 %.
C – Caractères biochimiques :
— Métabolisme protéique : pas de digestion du lait, hydrolyse de la gélatine
— Absence de nitrate réductase et d’uréase.
— Métabolisme glucidique : fermentation du glucose, du fructose, du mannitol et du mannose, hydrolyse de l’esculine.
En bouillon PGY, production des acides gras volatils suivants : acide acétique, isobutyrique, butyrique, isovalérique, valérique, isocaproïque, formique, lactique.
— Métabolisme lipidique : pas de lipase, pas de phospholipase C.
D – Toxines :
C. difficile produit deux toxines :
— la toxine A (308 kDa) appelée entérotoxine est environ 1 000 fois moins cytopathogène sur les cultures cellulaires que la toxine B, cette toxine donne un test positif dans l’anse iléale de lapin, elle donne une nécrose hémorragique sévère et une sécrétion liquidienne;
— la toxine B ou cytotoxine (270 kDa) provoque un arrondissement cellulaire sur les cellules en culture, un test de l’anse iléale négatif mais une ulcération hémorragique du caecum de hamster.
L’effet cytotoxique sur les cellules semble identique pour les deux toxines avec une désorganisation et une condensation des filaments d’actine du cytosquelette, suggérant un mécanisme d’action commun. Une fixation sur des récepteurs différents expliquerait la diversité des effets. La destruction de la bordure en brosse de l’intestin par la toxine A précéderait l’action de la toxine B.
La production des 2 toxines n’est pas liée à la sporulation et semble être co-régulée, les 2 gènes correspondants qui ont été clones, sont contigus sur le chromosome bactérien et possèdent le même promoteur.
VI – DIAGNOSTIC BACTÉRIOLOGIQUE :
II repose sur l’isolement de C. difficile dans les selles et la mise en évidence d’une activité toxique de la souche ou du filtrat de selles.
A – Prélèvement :
Les selles doivent être fraîchement émises ou conservées à -20°C.
B – Culture :
Les selles sont diluées ou ensemencées directement sur milieu CCFA (ce milieu est le milieu sélectif et spécifique de George à base de céfoxitine, cyclosérine, de fructose et d’agar). Les boîtes sont incubées en anaérobiose à 37°C durant 24 à 48 heures. Les colonies fermentent le fructose et donnent une coloration jaune, elles ont un aspect typique, avec margination filamenteuse irrégulière.
L’identification fait appel aux caractères biochimiques décrits ci-dessus. Certaines galeries commercialisées peuvent aider le diagnostic (API An-ident System, APIZYM Micro-system, Rapid ID ANA System…).
Le diagnostic peut être complété par une étude des produits de fermentation du glucose analysés en chromatographie en phase gazeuse (le pic d’acide isocaproïque est caractéristique).
Des marqueurs épidémiologiques ont été proposés (phénotypes de résistance aux antibiotiques, sensibilité à des bactériophages ou des bactériocines, analyse des profils protéiques ou d’ADN après digestion par des enzymes de restriction, sérotypie).
C – Recherche des toxines :
Les toxines sont recherchées, soit dans le surnageant de culture, soit dans les surnageants centrifugés de selles après une filtration stérilisante.
Test de cytotoxicité en culture cellulaire (méthode de référence)
La toxine B est mise en évidence grâce à son effet cytotoxique puissant sur beaucoup de lignées cellulaires (Me Coy, Vero, MRC-5…). Les filtrats de selles peuvent avoir un effet toxique non spécifique et l’effet cytotoxique doit être neutralisé par un sérum antitoxine de C. sordellii ou anti-toxine B.
Autres méthodes :
— Contre-immunoélectrophorèse et agglutination de particules de latex sensibilisées : ces méthodes sont discutées (réactions croisées avec d’autres espèces bactériennes, pas de distinction entre souches toxinogènes et non toxinogènes)
— Plusieurs méthodes ELISA ont été décrites mais leur utilisation est encore partielle de même, un test rapide « Dot immunobinding assay » (C. diff-CUBE, Difco) est proposé.
— L’utilisation de la technique d’amplification génique (PCR) n’en est qu’à son début.
VII – TRAITEMENT :
Le traitement des diarrhées ou des colites à C. difficile débute par l’interruption de l’antibiothérapie et par la correction des troubles hydro-électrolytiques.
Dans les formes sévères de diarrhées et de colites, il faut adjoindre la prise orale de vancomycine ou de métronidazole : antibiotiques dont les concentrations élevées dans les selles inhibent le développement de C. difficile. L’ensemble des symptômes disparaît en 5 ou 7 jours.
Il faut noter la fréquence élevée de rechutes dans les semaines qui suivent l’arrêt des troubles digestifs (25 à 50 % selon les études). Des thérapeutiques de relais au traitement ont été proposées : cholestyramine (résine chélatant les 2 toxines) ou prise de Saccharomyces boulardii (restaurant l’effet de barrière).
La prophylaxie semble simple en apparence, mais en milieu hospitalier C. difficile peut se comporter comme un véritable opportuniste pouvant conduire à des épidémies par contamination entre malades.