Érysipelothrix Rhusiopathiae

HISTORIQUE :

E. rhusiopathiae a été isolé par Koch en 1878 et décrit par Pasteur et Thuillier en 1882 comme étant la bactérie responsable de la maladie rouge du porc, maladie transmissible contre laquelle ils préparent un vaccin vivant atténué. Rosenbach, en 1884, a isolé chez l’Homme, à partir de lésions cutanées, une bactérie identifiée comme celle décrite par Pasteur et Thuillier. La maladie humaine a été décrite par Baker à la fin du siècle. La mise au point du sérum anti-rouget dès 1891 et de vaccins avec des bactéries vivantes virulentes ou atténuées ont été, avant l’ère des antibiotiques, des moyens de lutte très efficaces contre la maladie chez l’animal (le porc plus particulièrement).

I – CARACTÈRES GÉNÉRAUX DU GENRE :

Érysipelothrix RhusiopathiaeE. rhusiopathiae est la seule espèce du genre Erysipelothrix. Il s’agit d’un bacille fin, droit ou légèrement incurvé, de taille variable : 0,2-0,4 x 2,5 [im de long pour la forme « courte », mais pouvant se présenter sous forme de longs filaments de plusieurs dizaines de µm. Les bactéries sont non sporulées, non capsulées, immobiles, à Gram positif, aéro-anaérobies facultatives et négatives pour les tests catalase et oxydase. Elles présentent une faible activité fermentative.

Ce genre génétiquement homogène (G+C plOO entre 36-38) fait partie des bactéries à Gram positif non sporulées de forme régulière comme d’autres genres, Lactobacillus, Listeria, pouvant être rencontrés chez l’homme.

II – HABITAT ET ÉPIDÉMIOLOGIE :

E. rhusiopathiae est une bactérie ubiquitaire largement distribuée dans la nature.

Elle peut être isolée chez les mammifères, les oiseaux et les poissons. Le porc (30 à 50 % de porteurs sains) est probablement l’espèce la plus fréquemment touchée (rouget du porc), mais des épizooties peuvent aussi atteindre d’autres espèces animales, mammifères domestiques et sauvages, oiseaux d’élevage. Chez les poissons, la bactérie peut être isolée dans le mucus recouvrant la surface du corps, mais ne provoque pas d’infection.

La bactérie est aussi présente dans l’eau et le sol où elle semble persister plusieurs années, performance remarquable pour une bactérie non sporulée et en fait une bactérie « tellurique ». De même, la bactérie persiste plusieurs années dans les cadavres d’animaux et plusieurs mois dans les viandes fumées et salées.

La contamination humaine survient après contact avec des animaux infectés. La maladie est avant tout professionnelle, lors de manipulation d’animaux ou de carcasses de porcs, de volailles, de poissons et donc observée chez des vétérinaires, bouchers, employés d’abattoirs, mais aussi éleveurs et pêcheurs. La porte d’entrée cutanée, au niveau des mains, est la plus fréquente. Les portes d’entrée buccale et digestive sont beaucoup plus rares.

III – POUVOIR PATHOGÈNE NATUREL :

E. rhusiopathiae est l’agent du rouget du porc, maladie aiguë septicémique avec des manifestations cutanées et articulaires ou subaiguë et chronique avec des localisations à l’endocarde et aux articulations.

Chez l’homme, la forme la plus fréquente est la forme cutanée localisée ou érysipéloïde de Baker et Rosenbach. Après une incubation courte de 2-3 jours, le point d’inoculation (petite plaie, excoriation) est le siège d’une zone érythémateuse, chaude, sensible, prurigineuse, donnant une impression de tension et de brûlure. Cette zone s’étend progressivement, donnant un placard rouge vineux, légèrement en relief, mais plus clair et affaissé en son centre, bordé par un bourrelet périphérique plus violacé. La lésion localisée à la main peut concerner toute la face dorsale de la main et est accompagnée d’adénopathies épitrochléennes et axillaires. Il n’y a jamais de suppuration et la guérison spontanée peut être observée en quelques semaines.

Les formes septicémiques sont rares, survenant d’emblée ou après une forme cutanée. Elles sont le plus souvent associées à une endocardite ou à une arthrite septique et surviennent chez des sujets prédisposés. Les autres localisations (pulmonaires, méningées, pleurales) sont rares également.

Certains produits élaborés par E. rhusiopathiae sont susceptibles de jouer un rôle dans la virulence du germe tels que hyaluronidase et neuraminidase.

IV – DIAGNOSTIC BACTÉRIOLOGIQUE :

Le diagnostic direct sera envisagé, le diagnostic indirect ayant un intérêt limité.

A – Les produits pathologiques :

L’hémoculture est le prélèvement essentiel lors de septicémie. Dans la forme cutanée, s’il y a une phlyctène, on ensemence le liquide ; si la lésion est sèche, la bactérie est localisée au niveau du bourrelet dans les couches dermo-épidermiques et l’isolement du germe est difficile. Pour avoir les meilleures chances d’isoler la bactérie, il faut réaliser un prélèvement au bistouri au niveau du bourrelet (côte de melon, sans faire saigner).

Le germe peut aussi être isolé à partir du liquide articulaire ou du LCR chez l’homme.

Chez les animaux vivants, l’isolement se fait à partir d’hémocultures. A partir d’animaux morts, il faut utiliser des milieux d’enrichissement supplémentés avec des antibiotiques ou des inhibiteurs des autres bactéries.

B – Examen direct :

L’examen microscopique est rarement positif sur la biopsie cutanée. En culture, E. rhusiopathiae est un bacille droit ou légèrement incurvé, à Gram positif, immobile, non capsulé, non sporulé. De grandes variations de taille sont observées : 0,2-0,3 x 1 à 5 )J.m dans les cultures jeunes et filaments de plusieurs dizaines de µm dans les cultures âgées. Sous forme de longs filaments, il prend l’aspect de touffes de

cheveux (d’où une partie de son nom : thrix).

C – Culture :

La culture est favorisée par la présence de glucose ou de sérum et par un pH légèrement alcalin. E. rhusiopathiae est aéro-anaérobie facultatif, plus volontiers micro-aérophile lors de l’isolement.

Il existe une forme S et une forme R. La forme S correspond aux formes courtes et donne des colonies fines (1 mm en 24-48 heures), lisses, bombées, brillantes, transparentes, à bords nets, devenant opaques après plusieurs jours. Les longs filaments correspondent à la forme R qui donne des colonies plates, opaques, à surface mate et rugueuse, à bords irréguliers (colonies de Bacillus anthracis en miniature). La dissociation des colonies dans les deux sens peut être observée.

Sur gélose au sang les colonies provoquent une hémolyse de type alpha parfois intense, mais l’hémolyse n’est jamais de type bêta.

La température optimale de culture est de 30-37°C, mais la culture est possible entre 5 et 42°C.

Le germe pousse lentement et faiblement en milieu usuel, sa croissance est favorisée par l’addition de sang, de sérum, d’ascite ou de glucose.

D – Identification – Pouvoir pathogène expérimental :

Dépourvu d’oxydase et de catalase, ce genre bactérien a une faible activité métabolique.

Le glucose et le lactose sont acidifiés sans production de gaz ; le rhamnose, le saccharose, le mannitol et l’esculine ne sont pas modifiés. Il n’y a pas de production d’indole en eau peptonée et les nitrates ne sont pas transformés.

La bactérie dépourvue d’uréase, produit lentement de l’H2S sur milieu au sous-acétate de plomb ou sur milieu de Kligler-Hajna. En gélatine sur piqûre profonde, la culture de E. rhusiopathiae donne une image en cure-pipe caractéristique, sans liquéfaction de la gélatine (à 22-25°C).

Deux espèces, la souris et le pigeon sont particulièrement sensibles à l’infection expérimentale.

Chez la souris l’injection par voie intrapéritonéale ou sous-cutanée de 0,1 ml d’une culture de 24 heures provoque la mort en 24-48 heures. La bactérie est retrouvée au niveau de tous les organes (foie, rate… et est particulièrement visible sur les décalques de rein) et dans le sang du coeur.

E – Diagnostic différentiel :

E. rhusiopathiae est une bactérie rarement rencontrée en bactériologie médicale courante. Le diagnostic différentiel n’en mérite que plus d’attention. Plusieurs espèces de bacilles à Gram positif non sporulés doivent être envisagés (Corynebacterium, Lactobacillus, Listeria) et même cocci à Gram positif (Streptococcus). Un tableau présentant les principaux caractères différentiels entre ces espèces se trouve au chapitre « Listeria ». Les caractères à prendre en compte, outre la morphologie et le type respiratoire sont : la catalase, l’oxydase, les températures de croissance, la culture sur milieux enrichis ou non, l’hydrolyse de l’esculine, la production d’H2S, la mobilité, la culture en milieu acide (MRS), le métabolisme glucidolytique et protéoly tique.

Le pouvoir pathogène expérimental chez la souris éventuellement avec un test de protection par le sérum spécifique peut compléter l’identification et le diagnostic différentiel.

F – Classification – Sérotypes :

Des antigènes thermolabiles spécifiques d’espèce et thermostables spécifiques de type ont été identifiés. Les antigènes spécifiques de type sont de nature polysaccharidique et permettent de définir 22 sérotypes (sérovars). Les sérotypes 1 et 2 sont les plus fréquents.

Il existe au moins un antigène de groupe et, chez certaines souches, un antigène vaccinant et un antigène hémagglutinant ont été décrits.

V – TRAITEMENT ET PROPHYLAXIE :

Le traitement repose sur l’antibiothérapie ; la pénicilline est l’antibiotique de choix. Les souches sont sensibles aux tétracyclines, aux macrolides, au chloramphénicol, à la streptomycine.

Dans les formes sévères (septicémie, endocardites) une assocation est recommandée : pénicilline G / streptomycine ou ampicilline / gentamicine. Le traitement doit être prolongé plus d’un mois ; les rechutes ne sont pas exceptionnelles.

La prophylaxie se limite aux précautions à observer par ceux qui, par leur profession sont en contact avec des animaux malades ou porteurs de germes ou avec des produits d’origine animale susceptibles d’être contaminés par le bacille du rouget.