Isolée pour la première fois par Escherich en 1885, Escherichia coli est l’espèce bactérienne qui a été la plus étudiée par les fondamentalistes pour des travaux de physiologie et de génétique. Cette bactérie est connue depuis longtemps comme commensale du tube digestif et pathogène pour l’appareil urinaire. Au cours des dernières décennies, le rôle de certaines catégories de E. coli dans les syndromes diarrhéiques a été précisé et les mécanismes de ce pouvoir pathogène ont été analysés.
I – HABITAT :
E. coli est une espèce commensale du tube digestif de l’homme et des animaux.
Dans l’intestin, E. coli est l’espèce aérobie quantitativement la plus importante, présente à raison de 10^ 109 corps bactériens par gramme de selles. Cette population bactérienne ne représente qu’environ 1 %o de celle des anaérobies (voir encadré sur la flore du tube digestif).
La recherche de E. coli dans l’eau d’alimentation (colimétrie) est faite pour apprécier sa potabilité. La présence de E. coli dans l’eau est le témoin d’une contamination fécale récente et la rend impropre à la consommation.
II – POUVOIR PATHOGÈNE :
A – Pouvoir pathogène pour l’homme :
1. Infections intestinales :
L’existence de diarrhées à E. coli est connue depuis 1940.
Ces diarrhées sont dues à des souches de sérotypes particuliers qui provoquent soit des cas sporadiques, soit des petites épidémies.
Les différents syndromes cliniques sont dus à des E. coli différents dont nous préciserons plus loin le support de la virulence. On reconnaît aujourd’hui 4 types de souches responsables de diarrhées :
a/ Les souches entéropathogènes ou « Entero-Pathogenic E. coli » (E.P.E.C.) :
Elles étaient responsables, dans les années 50, de diarrhées infantiles graves ou toxicoses survenant par épidémies dans des crèches ou des maternités. Ces souches encore appelées E. coli G.E.I. (des gastro-entérites infantiles) sont plus rarement rencontrées aujourd’hui, elles sont alors isolées de cas sporadiques. Elles appartiennent à des sérotypes particuliers : OUI, 026, 055, 086, 0125, 0119, 0127, 0126,0128 et, plus rarement en Europe, 0124,0114 et 0142.
b/ Les souches entérotoxinogènes ou « Entero-Toxigenic E. coli » (E.T.E.C) :
Elles sont responsables de diarrhées très liquides survenant dans les pays en développement. Ces diarrhées s’observent principalement chez les voyageurs (Turista). Elles sont souvent épidémiques chez les enfants de ces pays.
c/ Les souches entéro-invasives ou « Entero-Invasive E. coli « (E.I.E.C.) :
Elles sont isolées de syndromes dysentériques tant chez l’adulte que chez l’enfant.
La présence de leucocytes dans les selles est le témoignage du processus invasif.
d/ Les souches entéro-hémorragiques ou « Entero-Hemorrhagic-Colitis E. coli « (E.H.E.C.) :
Ces souches ont été décrites en Amérique du Nord où elles ont été responsables d’épidémies de diarrhée aqueuse puis hémorragique. Elles appartiennent à un sérotype particulier 0157. Un produit alimentaire contaminé peut être à l’origine de la diffusion de l’épidémie. Ces souches sont aussi responsables du syndrome hémolytique-urémique.
2. Infections extra-intestinales :
a/ Infections urinaires :
La majorité des infections urinaires de la femme jeune observées en pratique médicale de ville est due à E. coli. Les souches provenant de la flore fécale contaminent les urines par voie ascendante. C’est la classique « colibacillose ».
b/ Méningites néo-natales :
Un tiers d’entre elles sont dues à E. coli. La plupart des souches en cause possèdent un antigène polysaccharidique de type Kl dont la composition est proche de l’antigène capsulaire de N. meningitidis de type B.
c/ Suppurations diverses :
Les E. coli de la flore fécale peuvent être en cause dans des péritonites, des cholécystites, des salpingites et des suppurations post-opératoires.
Toutes ces infections, si elles sont insuffisamment traitées, peuvent être à l’origine de septicémies.
B – Pouvoir pathogène pour l’animal :
Certaines souches de E. coli productrices de toxines ou possédant des propriétés invasives sont particulièrement pathogènes pour les animaux et provoquent des diarrhées chez les veaux ou les porcelets. Ces diarrhées sont, par leur fréquence et la mortalité qu’elles entraînent, causes de pertes économiques importantes.
III – PHYSIOPATHOLOGIE :
Au cours des dernières décennies, des progrès importants ont été faits dans la compréhension des mécanismes contribuant à la virulence de certaines catégories de E. coli.
A – E.T.E.C :
Pour être pathogènes, ces souches doivent à la fois posséder des adhésines et produire des entérotoxines.
1. Les adhésines ou antigènes d’adhésion :
Ce sont des structures filamenteuses (appeleées pili oufimbriae) de nature protéique, qui entourent les corps bactériens à la manière d’une fourrure. Elles permettent aux bactéries d’adhérer spécifiquement aux bordures en brosse des entérocytes de la partie haute de l’intestin grêle. Les souches qui les possèdent peuvent alors s’y maintenir malgré les mouvements péristaltiques.
Ces adhésines confèrent aux bactéries la propriété d’hémagglutiner les globules rouges. Cette hémagglutination est mannose-résistante ; elle persiste en présence de mannose contrairement à celle due aux pili communs.
Les adhésines sont antigéniques. Au moyen d’immun-sérums on peut en distinguer plusieurs types :
– CFA/I, CFA/II et CFA/III (Colonization Factor Antigen) ont été décrits chez des souches responsables de diarrhées souvent cholériformes.
– K 88 est présent chez des souches responsables de diarrhées du porcelet.
– K 99 est trouvé chez des souches de diarrhées du veau ou de l’agneau.
Ces différentes adhésines sont codées par des plasmides transférables qui peuvent porter simultanément les gènes codant la production d’entérotoxines.
2. Les entérotoxines :
Les souches d’E.T.E.C.peuvent produire deux types d’entérotoxines mises en évidence par leur « pouvoir de dilater l’anse de lapin ligaturée », par l’accumulation de liquide qu’elles provoquent lorsqu’elles sont injectées dans l’intestin grêle.
– L’entérotoxine LT, thermolabile
C’est une protéine, inactivée par un chauffage à 60°C. Elle est mise en évidence par son pouvoir cytopathogène sur les cellules Y 1 de surrénale de souris ou sur les cellules d’ovaire de hamster chinois (CHO).
Sa structure et son mécanisme d’action sont très voisins de ceux de la toxine de Vibrio cholerae. La sous-unité A1 stimule l’adénylate-cyclase en augmentant la concentration d’AMP cyclique des entérocytes. La sous-unité B est responsable de sa fixation qui élève la concentration d’AMP cyclique intra-entérocytaire à un récepteur membranaire, le ganglioside Gml.
– L’entérotoxine ST, thermostable
Elle est moins bien connue et plusieurs formes de l’entérotoxine ST existent. Elle est mise en évidence par l’accumulation de liquide après injection dans l’estomac du souriceau nouveau-né (test de Dean). Elle stimule l’activité guanylate-cyclase en augmentant le GMP cyclique des entérocytes.
En fonction des plasmides qu’elles hébergent, les souches d’E.T.E.C.produisent, soit l’une, soit les deux entérotoxines. La diarrhée est plus intense avec les souches qui produisent à la fois LT et ST qu’avec celles qui produisent uniquement ST.
B – E.I.K.C :
Ces souches pénètrent dans les cellules de la muqueuse intestinale où elles provoquent des ulcérations et des micro-abcès.
Le pouvoir invasif de ces souches peut être mis en évidence soit par le test de Sérény (kérato-conjonctivite après instillation d’une suspension bactérienne dans l’œil d’un cobaye), soit par leur aptitude à pénétrer dans des cellules HeLa en culture.
C – E.P.E.C :
Le mécanisme de leur pouvoir pathogène est mal connu. Ces souches ne produisent généralement ni entérotoxines ST, ni LT. Elles sont capables d’adhérer aux entérocytes par des mécanismes qui restent à préciser. Elles possèdent une toxine désignée comme Verotoxine (VT) parce qu’un surnageant d’une culture produit un effet cytotoxique irréversible sur des cellules Vero en culture. Les souches de E.H.E.C. produisent également une toxine VT, dont le rôle n’est pas clairement établi.
D – Souches d’infections urinaires :
Les souches responsables d’infections urinaires, en particulier celles isolées de pyélonéphrites, possèdent des facteurs de virulence particuliers. La présence de fimbriae (de type P, de type 1), de certains antigènes 0, de polysaccharides capsulaires (antigènes Kl), la production d’hémolysine, d’aérobactine, et la résistance au pouvoir bactéricide du sérum (par le complément) sont les facteurs principaux.
IV – CARACTÉRISATION D’UNE SOUCHE DE E. COLI :
A – Caractères culturaux et métaboliques :
E. coli se développe en 24 heures à 37°C sur les milieux géloses en donnant de colonies rondes, lisses, à bords réguliers, de 2 à 3 mm de diamètre, non pigmentées.
Sur les milieux lactoses, les colonies sont généralement lactose positif. Sur gélose au sang elles peuvent être hémolytiques.
— Les principaux caractères positifs sont :
– indole (+) (exceptions)
– ONPG (+) (exceptions)
– mannitol (+)
— Les caractères suivants sont positifs de façon moins constante : mobilité, LDC, ODC, sorbitol [les souches 0157:H7, E.H.E.C. sont le plus souvent sorbitol (-) et décarboxylases (+)], production de gaz lors de l’attaque du glucose.
— Sont toujours négatifs : inositol, urée, TDA, VP, gélatinase, citrate de Simmons.
Les souches de E. coli entéro-invasives ont souvent une faible activité métabolique.
B – Diagnostic différentiel :
— Trois autres espèces de Escherichia sont rarement rencontrées dans les prélèvements. Ce sont : E. hermanii, E.fergusonii et E. vulneris.
Les caractères ci-dessous permettent de distinguer les différents Escherichia. E. hermanii est sorbitol (-) comme E. coli 0157:H7 et possède une bêta-lactamase comme les Klebsiella.
Des souches de E. coli à la fois immobiles et agazogènes, antérieurement désignées comme Aïkalescens-Dispar, peuvent parfois poser des problèmes d’identification avec les Shigella. La recherche de la lysine-décarboxylase et le test au citrate de Christensen sont généralement positifs avec les E. coli, alors qu’ils sont toujours négatifs avec les Shigella.
C – Caractères antigéniques :
– Antigènes 0, somatiques ou lipopolysaccharidique. Il existe environ 160 antigènes 0 différents. Au moyen d’immun-sérums spécifiques, il est possible de classer sérologiquement les souches de E. coli dans les groupes 0. Cette sérotypie est la seule à être utilisée en routine pour reconnaître notamment les souches E.P.E.C..
– Antigènes K, capsulaires, polysaccharidiques. Environ 70 antigènes d’enveloppe différents ont été reconnus. Leur subdivision en antigènes L, A et B semble devoir être abandonnée. La majorité des souches responsables de méningites possèdent l’antigène K 1.
De ces antigènes capsulaires on rapproche les antigènes protéiques ou adhésines en rapport avec la présence de pili permettant l’adhérence aux bordures en brosse (K 88, K 99).
– Antigènes H ou flagellaires, protéiques. On en connaît 52 types. Ils ne sont présents que chez les souches mobiles.
V – DIAGNOSTIC BIOLOGIQUE D’UNE INFECTION A E. COU :
A – Infections intestinales :
Les selles doivent être ensemencées sur un milieu gélose non inhibiteur pour E. coli : Drigalski, Mac Conkey, éosine-bleu de méthylène.
– E.P.E.C.
Leur recherche ne se fait que chez les enfants de moins de 1 ou 2 ans. Leur présence est sans signification chez les individus plus âgés.
Après 18 heures d’incubation à 37°C, cinq colonies suspectes d’être un E. coli (lactose (+)) sont examinées à l’aide d’un sérum nonavalent, contenant des anticorps dirigés contre les 9 sérotypes les plus fréquents en Europe. La recherche de l’agglutination peut être faite en tube ou sur lame. Sur lame, pour être positive une agglutination doit être rapide et se faire en moins de 5 secondes. Une agglutination positive avec le sérum nonavalent n’a qu’une valeur d’orientation et doit être précisée en utilisant des sérums monovalents.
– E.T.E.C.
Leur caractérisation, comme celle des E.I.E.C., n’est pas faite en routine. Elle est faite par des laboratoires spécialisés lorsque les données cliniques et épidémiologiques suggèrent leur utilité.
– La recherche des antigènes d’adhésion CFA/I et CFA/II est faite à l’aide d’antisérums spécifiques.
– L’entérotoxine LT est recherchée par inoculation d’un surnageant de culture sur des cellules Y 1 ou CHO. Différentes méthodes plus simples sont en cours d’évaluation : agglutination de particules de latex sensibilisées, immunoprécipitation en gel à l’aide d’un antisérum de lapin (Biken-test).
– L’entérotoxine ST est détectée par inoculation intra-gastrique du surnageant au souriceau nouveau-né.
– Le milieu de Mac Conkey au sorbitol permet la détection des souches E. coli 0157:H7 qui en général n’attaquent pas le sorbitol.
B – Infections urinaires :
La recherche de germes se fait sur des urines prélevées au milieu du jet, ensemencées immédiatement ou conservées dans des conditions appropriées (+ 4°C ou milieu de transport).
La numération des bactéries permet de distinguer une infection urinaire authentique (nombre de bactéries supérieur à 105 /ml) d’une contamination par des bactéries urétrales lors de la miction (nombre de bactéries inférieur à K^/ml).
Ici l’emploi d’une gélose C.L.E.D (Cystine-Lactose-Electrolyte-Deficient) est recommandé, car il évite l’envahissement de la culture par un éventuel Protons contaminant.
C – Autres infections :
L’isolement d’un E. coli ne pose pas de problème technique particulier puisque cette bactérie se développe bien sur les milieux usuels.
VI – TRAITEMENT :
Infections intestinales :
Le traitement curatif d’une diarrhée aiguë est avant tout un traitement symptomatique par la réhydratation.
La diarrhée des voyageurs peut être prévenue par des mesures d’hygiène ou par la prise d’antibiotiques pour certains. Les fluoroquinolones ou le cotrimoxazole sont utilisés à titre curatif.
Autres infections :
Les souches de E. coli sont généralement sensibles aux antibiotiques actifs sur les bacilles Gram négatif : amino-pénicillines, céphalosporines, quinolones, aminosides, triméthoprime-sulfaméthoxazole. Néanmoins cette sensibilité doit toujours être vérifiée par un antibiogramme.
VII – LA FLORE INTESTINALE NORMALE :
Dans la flore colique le nombre de bactéries est d’environ 1010 bactéries par gramme de contenu intestinal.
La presque totalité de ces bactéries sont des anaérobies stricts : Eubacterium, Bacteroïdes, Peptococcus, Clostridium, ainsi qu’un grand nombre d’espèces qui ne sont pas répertoriées et sont désignées comme E.O.S. (Extremely Oxygen Sensitive).
Les bactéries aéro-anaérobies ne représentent qu’environ 1 %o de la flore totale.
Escherichia coli, l’espèce prédominante parmi les Enterobacteriaceae, n’est présente qu’à raison de 107 corps bactériens par gramme. D’autres Enterobacteriaceae peuvent être retrouvées en quantité bien moindre : Proteus, Klebsiella, Enterobacter, Serratia. Les autres espèces bactériennes sont présentes à des taux de l’ordre de 103 bactéries par gramme ou moins. Ce sont : les entérocoques, Staphylococcus aureus, P. aeruginosa. Quelques levures sont aussi présentes.
Deux événements sont susceptibles de modifier cet équilibre complexe et d’entraîner des troubles digestifs graves. Ce sont :
1. L’implantation dans l’intestin d’une espèce bactérienne pathogène qui ne s’y trouve pas à l’état physiologique : Salmonella, Shigella , E. coli entérotoxinogènes, Vibrio cholerae, etc…
2. La destruction par les antibiotiques de la majorité de la flore résidente physiologique ; cela permet la prolifération de l’une des espèces suivantes : S. aureus ou Clostridium difficile, P. aeruginosa…