I – PHYSIOLOGIE :
Les bactéries anaérobies strictes sont des bactéries hypersensibles à l’action de l’oxygène (anoxybiontiques). Elles produisent leur énergie et effectuent leurs réactions de biosynthèse en l’absence de cet accepteur d’électrons.
La plupart (exceptions) ne possèdent pas les enzymes classiques des systèmes dits respiratoires : cytochromes, catalase, peroxydase. Elles, produisent leur énergie au cours de processus fermentatifs.
Ces bactéries ne poussent pas en présence de 20 % d’oxygène donc en présence
d’air atmosphérique. Leur degré de sensibilité à l’oxygène est cependant très variable.
La plupart des anaérobies strictes ayant un intérêt en pathologie infectieuse sont des anaérobies modérées (tolérant de 0,1 à 5 % d’O2), d’autres ne tolèrent que des pressions d’oxygène inférieures à 0,1 % (bactéries EOS) (extremely oxygen sensitive bacteria). Les bactéries EOS étudiées chez l’homme de façon très récente, paraissent dénuées de tout pouvoir pathogène et sont des bactéries commensales du tube digestif et de la peau. Elles jouent sans doute un rôle important en raison de leurs potentialités métaboliques, et auraient dans le tube digestif un rôle de barrière vis-à-vis des autres bactéries pathogènes en favorisant l’équilibre de la flore intestinale. Leur étude et leur taxonomie ne rentrent pas dans le cadre de cet ouvrage.
II – MÉTHODES DE CULTURE ET D’IDENTIFICATION :
L’étude, la culture et l’identification des bactéries anaérobies ayant un intérêt médical demandent des milieux privés d’oxygène ou dans lesquels le potentiel redox est bas (rh). Les techniques habituelles de la bactériologie sont applicables à la culture et à l’identification des bactéries anaérobies strictes.
Les techniques pour éliminer l’oxygène sont variées :
– milieux liquides portés à ébullition pour chasser l’oxygène (régénération),
– action du vide et remplacement par un gaz inerte,
– milieux solides préréduits en atmosphère anaérobie CO2 5 %, H2 10 %, N2 qsp).
La culture est favorisée par la présence de substances réductrices à groupements thiols : thioglycolate, cystéine…
Le milieu étant privé d’oxygène, la culture et l’identification des bactéries anaérobies se poursuivent en évitant le contact avec l’oxygène de l’air ambiant :
– soit dans une verrerie adaptée réalisant le plus petit contact possible avec l’atmosphère : gélose profonde, tube de Veillon, flacons à étranglement pour hémoculture, milieux spéciaux commercialisés pour hémoculture anaérobie avec atmosphère inerte,
– soit par adsorption sur du pyrogallol alcalin (méthode ancienne),
– soit dans de petites enceintes hermétiques (mélange gazeux anaérobie), jarres anaérobies,
– soit par des moyens modernes et plus efficaces qui se développent de plus en plus dans les grands laboratoires : chambres anaérobies dites chambres de Fréter.
L’atmosphère anaérobie y est contrôlée : mélange ternaire CO2 5 %, H2 10 %, N2 qsp ; thermostatée à 37°C en présence de catalyseur (chlorure de palladium) pour éliminer les traces de O2. Toutes les opérations bactériologiques après le prélèvement (conservé à l’abri de l’air) y sont effectuées. L’atmosphère d’anaérobiose continue réalisée en chambre anaérobie permet certainement de traiter dans les meilleures conditions les prélèvements pour rechercher les anaérobies.
Le système en jarres anaérobies est le plus courant et le mieux adapté aux besoins d’un petit laboratoire. Cependant il faut ouvrir les jarres pour observer les cultures, les repiquer etc… d’où une mortalité importante des cultures. C’est pourquoi on prépare des poches en plastic transparent dans lesquelles on fait l’anaérobiose et qui permettent l’observation des boites sans rompre l’anaérobiose.
Les réactions d’identification des bactéries anaérobies strictes font appel aux fermentations classiques d’hydrates de carbone, à la mise en évidence de la production d’enzymes, à la détermination par chromatographie en phase gazeuse des produits finaux des métabolismes fermentaires (ac. acétique, propionique, iso-butyrique, butyrique, iso-valérique, valérique, iso-caproïque, caproïque, heptanoïque) réalisés à partir de milieux de cultures liquides anaérobies standardisés…
Le pouvoir pathogène expérimental sur le cobaye ou la souris permet de reproduire, dans le cas des anaérobies toxinogènes, une maladie animale caractéristique de la toxine élaborée par le germe. La neutralisation de l’effet de la toxine par un immunsérum spécifique permet le diagnostic du germe et du type de toxine, rendant ainsi possible dans certains cas d’instituer une sérothérapie spécifique.
III – CLASSIFICATION SCHÉMATIQUE DES BACTÉRIES ANAÉROBIES STRICTES (ayant un intérêt en Bactériologie Médicale) (Tableau I) :
A côté de nombreuses espèces saprophytes, deux groupes sont à l’origine de maladies chez l’homme (ni contagieuses, ni épidémiques) :
– les anaérobies sporulées,
– les anaérobies non sporulées.
A – Anaérobies sporulées. Bacilles telluriques :
Genre Clostridium. Bactéries présentes dans le sol et pouvant survivre grâce à leur spore thermorésistante
En pathologie on les rencontre :
– dans les gangrènes gazeuses,
– dans des intoxications et des affections où une toxine neurotrope détermine dans l’organisme des réactions tout à fait caractéristiques : tétanos, botulisme.
Clostridium perfringens peut être l’agent soit de gangrènes gazeuses, soit de septicémies, soit d’entérocolites.
B – Anaérobies non sporulées. Flore de Veillon :
La plupart des bactéries anaérobies strictes non sporulées font partie de la flore commensale et saprophyte de l’homme. Elles constituent la flore endogène dite de Veillon, par opposition à la flore précédente d’origine tellurique.
Ces bactéries sont abondantes dans :
– le tube digestif (majeure partie de la flore intestinale),
– cavité buccale, rhino-pharynx,
– partie supérieure de l’appareil respiratoire.
Elles peuvent déterminer, à l’occasion d’un affaiblissement des défenses de l’organisme ou en association avec d’autres germes, soit des infections putrides, soit des septicémies.
IV – CIRCONSTANCES DANS LESQUELLES ON DOIT RECHERCHER DES ANAÉROBIES (Tableau II) :
En dehors des intoxinations et toxi-infections alimentaires (botulisme et toxi-infection alimentaire à C. perfringens) et en dehors du tétanos, on recherchera des germes anaérobies :
– dans toute hémoculture (5 à 10 % peuvent contenir des anaérobies),
– dans toute suppuration fermée surtout lorsqu’elle dégage une odeur fétide,
– lorsque l’on constate du gaz au site de l’infection (crépitation, suspicion de myonécrose),
– dans toute infection secondaire à une morsure, une injection intramusculaire, à un traumatisme, à une intervention chirurgicale (chirurgie digestive, des voies génitales, orthopédique), à une thérapeutique par aminoside et/ou bêta-lactamines se révélant inefficace,
– dans toute infection située à proximité d’une muqueuse (anale, buccale, génitale),
– chaque fois que dans un prélèvement on trouve des germes à Gram (+) ou (-) à l’examen direct, mais que la culture aérobie est négative.
V – FACTEURS FAVORISANT LES INFECTIONS A ANAÉROBIES :
Le potentiel redox d’un tissu normal est de -0,1 à 0,2 V, valeur au dessus de laquelle la croissance d’un anaérobie n’est pas possible. La croissance d’un germe anaérobie n’est exponentielle que lorsque ce potentiel redox est plus faible (-0,5V).
Ce potentiel est abaissé par :
– le développement de bactéries anaérobies facultatives,
– un apport insuffisant de l’oxygène : dans les maladies vasculaires (artérite, diabète), traumatisme avec nécrose tissulaire, hématome, corps étranger, injection de certaines substances médicamenteuses à effet vaso-constricteur.
– un facteur diminuant la résistance de l’organisme et modifiant l’équilibre de la flore bactérienne (cancer, radiothérapie, immunodépresseurs, traitements antibiotiques inadaptés).
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