Les leptospiroses sont des zoonoses, transmissibles à l’homme, dues à des bactéries du genre Leptospira . La maladie avait été décrite par Weil comme un ictère infectieux à rechute. L’agent pathogène a été découvert par Inada au Japon en 1915.
I – CLASSIFICATION :
Les leptospires sont divisés en plus de 200 sérovars qui se distinguent uniquement par leurs propriétés antigéniques. En fonction des communautés antigéniques, les sérovars sont regroupés en sérogroupes (23).
Les sérogroupes les plus souvent rencontrés en France sont :
Icterohaemorrhagiae, puis Grippotyphosa, Canicola, Australis, Pomona, Ballum, Autumnalis et Bataviae.
II – HABITAT ET ÉPIDÉMIOLOGIE :
Les leptospires sont très répandues dans la nature. Elles ont une répartition mondiale.
Le réservoir est constitué par les animaux sauvages, surtout les rongeurs, qui sont porteurs sains de leptospires dans les reins et éliminent ces bactéries dans leurs urines.
Dans le milieu extérieur, les leptospires peuvent survivre et se multiplier si les conditions sont favorables : eaux stagnantes, pH légèrement alcalin, présence de composés organiques, de boues, de vases. Ces conditions sont réalisées dans les étangs, les marais, les égouts, les rizières, les mines.
La contamination. L’homme peut se contaminer par contact direct avec les animaux (rats, porcs, chevaux, bovins). La leptospirose est une maladie professionnelle des égoutiers, éleveurs, ouvriers d’abattoirs, bouchers, mineurs. La contamination indirecte est la plus fréquente (60 % des cas). Elle se fait par pénétration du germe dans une peau ramollie par un séjour prolongé dans l’eau. C’est souvent une maladie des loisirs au bord de l’eau douce : pêche, baignade, camping.
Une contamination cutanéo-muqueuse (conjonctivale ou pharyngée) ou digestive est possible.
En France métropolitaine, il existe un pic saisonnier très marqué en juillet et août.
Le nombre de cas déclaré est sûrement inférieur à l’incidence réelle de cette maladie.
De plus, dans bon nombre de cas, il est probable que le diagnostic de leptospirose n’est pas porté.
La relative fréquence des leptospiroses à l’île de la Réunion est à signaler.
III – CARACTÈRES BACTÉRIOLOGIQUES :
A – Morphologie et mobilité :
– C’est un micro-organisme flexible, hélicoïdal, mince, à division transversale,
– long de quelques u.m à 40 u.m (le plus souvent 6-20 p-m) sur 0,1 |J.m de largeur,
– les extrémités peuvent être courbées ou en crochet (biflexa ou interrogans),
– mobilité en rotation alternative, flexion, translation.
1. Examen au microscope optique :
Ces bactéries ne sont pas visibles au microscope à fond clair, mais sont visibles au microscope sa fond noir ou au microscope à contraste de phase , ou par des colorations spéciales :
– imprégnation argentique de Fontana-Tribondeau,
– Giemsa, Vago.
2. Examen en microscopie électronique :
On reconnaît différentes structures :
– Un cylindre protoplasmique limité par une membrane glucido-peptidique (figure 1),
– deux filaments axiaux indépendants, semblables à des flagelles, chacun inséré par une extrémité aux parités subterminales opposées du cylindre protoplasmique.
Leur structure est identique à celle des flagelles des bactéries à Gram négatif,
– une membrane externe enveloppant tout l’organisme,
– du matériel nucléaire, ribosomes et des structures lamellaires ressemblant à des mésosomes sont reconnues.
B – Vitalité :
Elle est importante malgré la relative fragilité du germe.
Survie prolongée – dans le sol, les eaux à pH alcalin (7,7),
– au froid,
– en lyophilisant,
– à la température du laboratoire en milieu de Reiter et Rame avec 20 % de sérum de lapin recouvert d’huile de vaseline.
La survie est de 2 à 3 jours dans les eaux d’égouts, de 18-20 heures en eau de mer.
C – Caractères culturaux :
Tous les leptospires peuvent être cultivés en milieu contenant du sérum. En général, ils poussent à 30°C en présence d’oxygène. Ils sont aérobies, mais la culture est favorisée par une atmosphère légèrement enrichie en CO^.
Les besoins nutritifs : les longues chaînes d’acides gras (24 carbones ou plus) sont nécessaires comme source de carbone et d’énergie. L’ammonium plutôt que les acides aminés apporte l’azote. Des purines, de la thiamine (vit. B1) et de la cyanocobalamine (vit. B12) sont nécessaires. Les ions Ca++ et Mg++ favorisent la croissance.
Une température de 29°C et un pH légèrement alcalin (7,2-7,6) sont les conditions optimales.
D – Substances élaborées :
– Pour certains : toxine. Une fraction glucido-lipido-polypeptidique à caractère d’endotoxine a été signalée (Patoc 1),
– certains sérovars produisent une hémolysine tels panama, australis et grippotyphosa,
– enzymes : estérase, oxydase, uréase, transaminase, amidase…
E – Antigènes :
II existerait trois antigènes :
– antigène H, protéique « flagellaire » du filament axial qui a un rôle dans la réaction d’agglutination-lyse,
– antigène 0, polyosidique, de la paroi « somatique » qui a un rôle dans l’immunité en induisant des anticorps à effet leptospiricide et protecteur,
– antigène de surface de nature inconnue, situé dans l’enveloppe et qui a un rôle dans l’agglutination-lyse.
Les souches, en présence d’immunsérum hétérologue, subissent des variations antigéniques.
L’espèce pathogène L. interrogans comprend 20 sérogroupes dont 16 reconnus par l’O.M.S., dont les sérogroupes :
– Icterohaemorrhagia;,
– Canicola,
– Autumnalis,
– Hebdomadis, Bataviae, Panama…
Les sérogroupes et sérovars figurent dans le tableau I.
Au sein de l’espèce L. biflexa, on reconnaît deux sérogroupes.
IV – POUVOIR PATHOGÈNE :
A – Pouvoir pathogène naturel :
La leptospirose ictéro-hémorragique ou maladie de Weil et Mathieu n’est pas la forme la plus fréquente. L’ictère manque dans 80 % des cas de leptospiroses et l’hépato-néphrite n’existe que dans les formes les plus graves, généralement dues à L. icterohoemorrhagioe.
Le syndrome fébrile débute brusquement 4 à 12 jours après la contamination (voir schéma). Il correspond à un stade septicémique qui dure 5 à 7 jours. Après une amélioration clinique, une rechute fébrile plus courte survient vers le 15e jour. Une défervescence est observée vers le 20-25e jour (figure 2).
Les autres signes évocateurs sont : un syndrome algique (myalgies), un syndrome méningé et une injection des conjonctives.
La mortalité en France concerne environ 10 % des cas. Elle est plus élevée Outre-mer.
Les formes cliniques des principaux sérogroupes rencontrés en France sont citées dans le tableau II. Le polymorphisme clinique est important.
B – Pouvoir pathogène expérimental :
Le jeune cobaye est l’animal de choix. Inoculé par voie intra-péritonéale avec du sang ou des urines d’un malade, l’animal devient fébrile en trois ou quatre jours. Puis apparaissent un ictère et des hémorragies. La mort de l’animal survient en moins de deux semaines. L’autopsie (dangereuse pour le manipulateur) permet de retrouver des leptospires en abondance dans le foie, les reins, le sang et l’urine.
V – DIAGNOSTIC BIOLOGIQUE D’UNE LEPTOSPIROSE :
A – Diagnostic direct :
L’intérêt des différents examens qui permettent de mettre en évidence les leptospires est présenté dans le tableau ci-dessous.
Dans les formes fulminantes où la mort se produit dans les premiers jours, le diagnostic ne peut être fait que par l’isolement du germe. L’amplification génique in vitro pour la détection dans les produits pathologiques est en cours de développement.
1. Recherche par cultures :
In vitro : la plupart des souches pathogènes peuvent être isolées sans trop grande difficulté à condition d’utiliser des prélèvements convenables, effectués avant toute antibiothérapie, et d’avoir débarrassé le produit pathologique des autres micro-organismes contaminateurs (dilution, 5-fluorouracil, filtration…).
Des conditions de travail strictes doivent être respectées :
-verrerie sans trace de détergents ou d’antiseptiques et lavée comme pour la virologie (culture de cellules). Le sérum utilisé doit être contrôlé pour son absence d’anticorps antileptospires etc.
– la température d’incubation est de 28-30°C.
– le pH 7,2-7,6.
– le choix d’un milieu de culture ; on peut avoir recours à différents types de milieux :
a/ Milieux liquides pour passage et entretien des souches
– Reiter et Ramme additionné de sérum de lapin,
– Vervoot, Korthof,
– Stuan plus récemment commercialisé (asparagine, glycérine, 10 % de sérum de lapin).
b/ Milieux géloses
– milieu solide de Noguchi, abandonné,
– milieu de Chang à demi-solide (bactotryptose, extrait de foie, sérum et hémoglobine de cheval),
– milieu de Cox et Larson intéressant,
c/ Milieux sans sérum
– milieu de Babudieri,
– milieu de Mailloux, de Shenberg chimiquement définis , d’où l’intérêt de ces milieux pour étude métabolique, préparation d’antigènes et de vaccins.
les cultures doivent être contrôlées très rigoureusement par recherche microscopique des leptospires au 6e, 15e, 21e, 30e jour, puis tous les 15 jours pendant deux mois par les techniques suivantes : microscopie à fond noir, technique par fluorescence, coloration argentique.
une fois cultivés, les leptospires doivent être identifiés et surtout classés en espèce :
L. interrogans : pathogènes, L. biflexa : saprophytes, grâce à des réactions biochimiques simples.
La souche isolée est examinée en agglutination-lyse :
– avec les immunsérums de groupe,
– puis avec les immunsérums de sérovars.
2. Inoculation à l’animal :
C’est un temps capital car c’est la méthode directe la plus sensible mais seuls certains sérovars déterminent une maladie mortelle pour le cobaye (L. icterohoemorrhagioe, L. autumnalis) , dans les autres cas il y a seulement une leptospirémie.
En plus du cobaye, le hamster peut être utile notamment pour L. canicola.
Les animaux doivent être choisis jeunes et de faible poids.
L’inoculation se fait par voie intra-péritonéale de 0,5 à 1 ml de produit pathologique.
Les animaux sont surveillés cliniquement, pesés, et la température prise 2 fois par jour. L’examen du liquide péritonéal est préconisé.
Post mortem (après décès spontané ou sacrifice au 21e jour), on pratique sans retard l’examen après autopsie. On cultive les tissus (foie, rein, rate) et on pratique un examen microscopique. Sur le sérum, un examen sérologique peut être pratiqué.
B – Diagnostic sérologique :
L’atteinte par les leptospires confère une immunité solide et durable. A partir du 8e jour, les anticorps sont généralement décelables, mais leur apparition peut être retardée si le malade a reçu une antibiothérapie précoce.
Le diagnostic indirect comporte deux groupes de techniques.
1. Réactions de dépistage qui sont :
a/ La réaction de fixation du Complément :
Réaction de groupe quel que soit l’antigène utilisé. Elle nécessite un bon antigène fait de suspension de leptospires merthiolatés et stabilisés.
b/ Les réactions macroscopiques :
– soit en tubes capillaires (technique de Stoenner)
– soit sur lame avec :
– antigènes formulés mélangés (technique de Galton)
– antigènes TR ou antigène thermorésistant (lecture en 4 minutes).
c/ La réaction d’hémagglutination :
Faite sur microplaques, c’est une réaction quantitative qui utilise des hématies de mouton sensibilisées par un antigène soluble (HA). L’antigène HA est une extraction alcoolique de Leptospira biflexa . La réaction d’hémagglutination est quantitative et est testée par microtitration.
d/ La réaction microscopique à l’aide de l’antigène biflexa Patoc (leptospire aquicole) :
Elle nécessite l’entretien permanent de la souche vivante et un bon microscope à fond noir. Le sérovar de L. biflexa donne souvent des réactions croisées avec le sérum de malades atteints de leptospirose.
Toutes ces réactions de dépistage peuvent être positives dès le 8e jour de la maladie, mais elles se négativent plus précocement que la technique d’agglutination-lyse.
2. Réactions de référence (de confirmation) :
C’est la réaction d’agglutination et de lyse (R.A.L.) avec lecture au microscope à fond noir pratiquée avec une grande gamme d’antigènes :
– soit le classique sérodiagnostic de Martin et Pettit,
– soit la variante C.D.C. qui nécessite un appareillage microscopique spécial.
La reaction consiste à mettre en présence des cultures de divers sérovars de leptospires (antigènes) et des dilutions de sérum du malade (1/10®, 17100e, 1/1 000e) avec un tube témoin culture sans sérum. Après 2 heures d’étuve, une goutte de chaque tube est examinée en fond noir. Si la réaction est positive, la présence d’anticorps se traduit au 1/100e par formation d’amas (agglutination) et au 1/1000par des érosions périphériques de ces amas (lyse).
Cette réaction connaît des erreurs :
– par défaut : sérum trop précoce, sérotype inhabituel, traitement précoce par antibiotiques ou corticoïdes,
– par excès : du fait de la persistance d’anticorps anciens, du fait de coagglutinations.
3. Autres réactions :
Des essais utilisant la technique ELISA ont été conduits afin de s’affranchir des deux facteurs limitant du RAL à savoir l’emploi de souches vivantes et de microscope à fond noir.
La technique ELISA serait moins sensible que la RAL, même si la séroconversion ELISA IgG-RAL est assez parallèle. La méthode ELISA IgM permettrait une détection plus précoce. Le Westem-blot a donné des résultats protmetteurs avec L. icterohaemorrhagiae.
VI – TRAITEMENT :
A – Prophylaxie :
C’est un problème mondial.
– Les mesures prophylactiques comportent à la fois la lutte contre les rongeurs et les animaux contaminés, la stérilisation des eaux stagnantes, surveillance des plans d’eau, la protection des sujets exposés (par bottes, gants…), des enquêtes sérologiques dans les élevages pour éliminer les porteurs.
– Les leptospiroses sont des maladies professionnelles reconnues comme telles.
– Les préparations vaccinantes doivent réunir les sérotyvars propres à la région et être polyvalentes. En France la vaccination humaine n’est recommandée que pour les professionnels exposés. Un vaccin utilisant une souche atténuée est à l’étude.
B – Curatif :
Les leptospires sont sensibles à la pénicilline, au chloramphénicol, aux tétracyclines et à la streptomycine. Les macrolides sont également efficaces.
Le traitement doit être prolongé 2 à 3 jours après retour à la normale de la température.
L’efficacité du traitement dépend de sa précocité ; son efficacité est douteuse quand les lésions d’hépatonéphrites sont constituées.
Le traitement se justifie seulement pour les leptospiroses sévères (ictérohémorragiques, d’Extrême Orient, japonaises et à L. canicola).
De nombreuses leptospiroses bénignes n’ont pas besoin de traitement. Des traitements adjuvants sont entrepris chaque fois qu’il est nécessaire de lutter contre le déficit hépatique et les signes hémorragiques. Un des problèmes majeurs reste le traitement de l’atteinte rénale qui peut nécessiter une épuration.