Les mycoplasmes sont la plus petite forme de vie autonome connue. Ce sont des eubactéries qui appartiennent au groupe des ténéricutes (bactéries sans paroi rigide).
Ces bactéries sont limitées par la seule membrane cytoplasmique ce qui leur confère des propriétés particulières et les met à part dans le monde bactérien (Tableau I).
HISTORIQUE ET CLASSIFICATION (Tableau H) :
Pour la première fois en 1898, Nocard et Roux isolent un germe nouveau dans un cas de péripneumonie des bovidés. Puis de nombreux autres microorganismes voisins ont été décrits sous le nom de « Pleuro pneumoniae like organisms » (PPLO).
Nowak propose en 1929 le nom de Mycoplasma pour regrouper ces germes sans paroi (myces : champignon — plasma : forme).
Décrit en 1937 par Dienes et Edsall, cultivé par Eaton en 1944 sur oeuf embryonné, Mycoplasma pneumoniae a été cultivé sur milieu artificiel par Chanock, Hayflick et Barile en 1961 prouvant ainsi le caractère bactérien de cet agent pathogène.
Depuis 1973, les mycoplasmes sont regroupés en une seule classe, celle des Mollicutes (mollis : mou – cutis : peau), dans l’ordre des Mycoplasmatales, seuls les genres Mycoplasma, Ureaplasma et Acholeplasma peuvent être isolés chez l’homme.
Chez l’animal et les plantes, d’autres espèces pourront également être trouvées : Spiroplasma, Anaeroplasma, Asteroleplasma.
Il faut noter que Thermoplasma, autrefois classé avec les mycoplasmes, est une archaebactérie qui possède un habitat particulier : tas de résidus de la combustion du charbon, siège d’une autocombustion, avec des conditions de cultures extrêmes (pH 1 à 4 et 37 à 65°C) en présence de sulfure de fer.
I – HABITAT :
Chez l’homme, les mycoplasmes et uréaplasmes peuvent être isolés des tractus génitaux et respiratoire.
M. ovale et M. salivarium sont des commensaux de la cavité bucco-pharyngée.
Par contre, M. pneumoniae ne fait pas partie de la flore normale et sa présence dans les voies aériennes est toujours pathologique.
M. hominis et U. urealyticum sont des hôtes normaux des voies génitales masculine et féminine et leur fréquence d’isolement est directement liée à l’activité sexuelle.
II – PHYSIOPATHOLOGIE :
Les mycoplasmes sont rarement présents à l’état libre dans l’organisme et ils s’attachent aux cellules de l’hôte, résistant ainsi aux flux des fluides biologiques dans la lumière des organes colonisés.
L’attachement se fait sur des récepteurs qui seraient, au moins en partie, de l’acide sialique pour M. pneumoniae.
Seules les souches adhérentes sont virulentes. Elles provoquent par exemple au niveau des cellules de la trachée, une ciliostase, puis une desquamation de l’épithélium (M- pneumoniae).
Parmi les facteurs favorisant la virulence, on retrouve :
– des produits terminaux du métabolisme cellulaire : l’eau oxygénée qui agit directement sur les membranes : l’ammoniaque produite en grande quantité par l’hydrolyse de l’urée (Ureaplasma) ou de l’arginine (M. hominis), provoquent des altérations cellulaires. De même le galactose produit par M. mycoïdes entraîne des hémorragies chez l’animal ;
– des toxines : M. neurolyticum produit une neurotoxine ; l’injection de M. fermentans ou de sa membrane en grande quantité à la souris produit un tableau comparable à une endotoxémie due aux bacilles à Gram négatif ;
– des enzymes : le mycoplasme, détourne à son profit le cholestérol et d’autres nutriments de la membrane de la cellule-hôte, créant ainsi une déplétion létale.
III – POUVOIR PATHOGÈNE DES MYCOPLASMATACEAE CHEZ L’HOMME :
A – Mycoplasma pneumoniae :
1. Localisations pulmonaires :
M. pneumoniae (ou agent d’Eaton) est responsable classiquement de la pneumonie atypique à agglutinines froides. M. pneumoniae transmis par voie aérienne sévit par petites épidémies pendant la saison froide et s’observe classiquement surtout chez l’enfant de plus de cinq ans, l’adolescent ou l’adulte jeune ; mais il peut provoquer des pneumopathies graves chez les sujets âgés ou immuno-déprimés. Ces atteintes n’ont rien de spécifique et en fait M. pneumoniae serait responsable de 10 % des pneumonies atypiques, confirmées radiolo- giquement.
Après une incubation relativement longue (moyenne 12-14 jours allant jusqu’à 35 jours), l’invasion est progressive et se traduit par un état fébrile avec frissons, céphalées, arthralgies… alors que le germe reste localisé à la trachée et respecte relativement l’intégrité du parenchyme. Cela provoque une toux tenace et sèche associée à un tableau clinique assez pauvre. La radiographie montre d’importantes anomalies souvent unilobaires (opacités non homogènes, épaississement des hiles…).
Des surinfections virales, ou bactériennes sont possibles. La guérison est lente caractérisée par une asthénie persistante, alors que les signes pulmonaires ont disparu.
2. Complications :
– manifestations cutanées éruptives (exanthèmes, syndrome de Stevens-Johnson…) rares,
– manifestations ORL, sanguines (anémie hémolytique), articulaires, pancréatiques, cardiaques (péricardites).
– manifestations neuro-méningées (syndrome de Guillain-Barré, méningites aseptiques…)
– les septicémies sont rares.
La plus grande prudence s’impose dans toutes les atteintes extra-pulmonaires dans lesquelles le diagnostic étiologique ne repose que sur la sérologie. En effet la bactérie n’est qu’exceptionnellement isolée en dehors de l’arbre respiratoire.
Les manifestations cliniques des infections à M. pneumoniae pourraient être dues à un phénomène immunologique par sensibilisation de l’individu. En particulier une parenté antigénique entre les glycolipides de la membrane cytoplasmique de la bactérie et ceux du tissu cérébral expliquerait la survenue de complications neurologiques en l’absence d’isolement du mycoplasme dans le LCR.
B – Mycoplasmes génitaux :
Etant donné que ce sont des commensaux des voies génitales, il est difficile de leur attribuer un rôle pathogène. Les autres étiologies (en particulier Chiamydia trachomatis) doivent être éliminées avant de rattacher un épisode infectieux à une infection à mycoplasme.
Cependant les mycoplasmes génitaux ont été impliqués dans de multiples atteintes.
1. Chez l’homme :
– urétrites non gonococciques (la présence de ï 104 UFC/ml dans le prélèvement serait considérée comme significative),
– prostatites, épididymites.
2. Chez la femme :
U. urealyticum et M. hominis sont isolés respectivement chez 60 % et 20 % des femmes en période d’activité génitale. Malgré le caractère commensal de ces bactéries, elles ont été mises en cause dans :
– des vaginites non spécifiques,
– des salpingites (et seraient alors cause de stérilité),
– les lièvres du post-partum (avec endométrites), au cours desquelles il est possible d’isoler ces deux germes dans les hémocultures. Dans la majorité des cas, cette bactériémie est transitoire et ces atteintes sont bénignes.
Chez la femme enceinte, la présence de mycoplasmes a été associée à des avortements prématurés, des hypotrophies, mais sans que les preuves indubitables de leur responsabilité aient été apportées.
Chez le nouveau-né, prématuré ou porteur de malformations, des infections nerveuses (avec présence de mycoplasmes dans le LCR ou les tissus cérébraux) et pulmonaires ont été rapportées.
U. urealyticum, en raison de son activité uréasique, a été rendu responsable de lithiases.
En fait il est très difficile d’affirmer le rôle pathogène des mycoplasmes génitaux même en cas d’isolement au cours d’un épisode infectieux. En effet, il peut toujours y avoir une contamination du prélèvement et ces bactéries étant fréquentes dans les voies génitales, elles pourraient surinfecter (ou coinfecter) une lésion due à un autre agent pathogène.
IV – CARACTÈRES BACTÉRIOLOGIQUES :
A – Morphologie :
Les mycoplasmes sont pléiomorphes (formes rondes, ovoïdes, filamenteuses ou en chapelet, sensibles aux agents physiques (force osmotique, pH, agents tensio-actifs, température) mais résistent bien à la congélation.
Ils sont faiblement colorés par le Giemsa et peuvent être observés en contraste de phase ou au microscope électronique.
B – Structure :
Le génome est de petite taille (ça. 5 x 108). La membrane cytoplasmique contient du cholestérol (sauf Acholeplasma) qui n’est pas métabolisé mais qui permet à la bactérie de réguler la fluidité de la membrane, des glycolipides (M. pneumoniae et M. genitalium) et des glycoprotéines qui jouent un rôle dans l’adhésion aux cellules eucaryotes.
C – Croissance :
Les mycoplasmes se multiplient par division binaire sans qu’il y ait synchronisation entre la réplication du génome et la séparation des cellules : il se forme des filaments qui se divisent par étranglement en forme coccoïde.
Le temps de génération varie d’une heure (mycoplasmes génitaux) à 6 heures (M. pneumoniae) et plus encore pour M. genitalium.
Sur milieu solide les colonies apparaissent en 48 heures (mycoplasmes génitaux), 5 jours (M. pneumoniae) ou 3 semaines (M. genitalium). La plupart des mycoplasmes forment des colonies en oeuf sur le plat (le centre de la colonie pénètre dans la gélose) mais M. pneumoniae forme des colonies mûriformes. Ces colonies ont un diamètre de 100 à 400 µm ; U. urealyticum forme de petites colonies en « oursin » de 20 à 80 um de diamètre.
D – Métabolisme :
Les mycoplasmes sont en général anaérobies facultatifs. Ils tirent leur énergie de la fermentation du glucose (M. pneumoniae, M. fermentons) ou de la dégradation de l’arginine en omithine (M. hominis et M. fermentons) ou de l’hydrolyse de l’urée (U. urealyticum).
Ils cultivent en atmosphère micro-aérophile sauf M. pneumoniae et M. genitalium qui nécessitent une aérobiose. Dans tous les cas le CO2 favorise la croissance.
Les mycoplasmes exigent des milieux riches avec de l’extrait de levure et du sérum. Ce dernier apporte le cholestérol nécessaire à la croissance.
Il existe très peu de caractères biochimiques permettant de différencier les souches de mycoplasmes : M. pneumoniae réduit le triphényï tétrazolium (TTZ) et produit une hémolysine qui agit sur les hématies de cobaye. Les mycoplasmes sont résistants naturellement aux antibiotiques qui inhibent la synthèse du peptidoglycane (B-lactamines, cyclosérine…).
E – Structure antigénique :
D’après la structure antigénique, on a distingué au sein des mycoplasmes quatre groupes :
– M. pneumoniae et M. genitalium,
– M. hominis, M. salivarium, M. ovale,
– M.fermentans
– U. urealyticum.
La connaissance de la structure antigénique des mycoplasmes a un triple intérêt :
– pour l’identification par inhibition de croissance et par inhibition métabolique,
– dans la perspective d’un diagnostic direct par recherche d’antigène directement dans les produits pathologiques(M. pneumoniae),
– pour les sérodiagnostics.
De multiples sérotypes d’U. urealyticum et de M. hominis ont été décrits. Chez M. hominis un antigène commun de 102 kDa a été décrit. Un seul sérotype de M. pneumoniae est connu. Cette bactérie possède des glycolipides dans sa membrane cytoplasmique qui sont des haptènes quand ils sont purifiés. Les anticorps dirigés contre ces glycolipides réagissent avec des structures analogues trouvées chez les plantes et dans le tissu cérébral humain.
rarement isolé, M. pneumoniae et M. genitalium ont des propriétés d’hémadsorption
V – DIAGNOSTIC BIOLOGIQUE :
A – Diagnostic direct :
1. Prélèvements :
Du fait des propriétés d’adhésion de ces bactéries, il faut recueillir le maximum de cellules épithéliales. Les prélèvements seront effectués à la phase aiguë de la maladie, si possible avant toute antibiothérapie,
– infections pulmonaires : expectorations du matin ou mieux brossages endobronchiques ou lavages alvéolaires,
– infections génitales : grattage urétral, prélèvement vaginal,
– autres prélèvements : les tissus ne seront pas broyés mais dilacérés au scalpel avant ensemencement. Le liquide céphalorachidien et le sang seront déposés dans un milieu liquide. La recherche de mycoplasmes génitaux peut être faite à partir d’un culot urinaire.
2. Transport et stockage :
L’idéal est de procéder à un ensemencement immédiat. A défaut on utilise un milieu de transport contenant de la pénicilline et de l’albumine bovine. Un stockage à 4°C permet de différer l’ensemencement d’une semaine.
3. Recherche directe :
La recherche des germes par immunofluorescence avec des anticorps monoclonaux est à l’étude et le développement de sondes oligonucléotidiques est en cours.
4. Cultures :
Etant donné les différences entre les caractères culturaux, la recherche de M. pneumoniae et de mycoplasmes génitaux n’est pas faite dans les mêmes conditions (tableau IV).
Si les caractères culturaux des mycoplasmes génitaux permettent un diagnostic d’espèce avec une bonne approximation, par contre pour affirmer les diagnostic de M. pneumoniae, il faudra rechercher des caractères complémentaires (hémolyse des globules rouges de cobaye, réduction du TTZ…).
Un diagnostic d’espèce pourra être porté avec précision en utilisant l’inhibition de croissance par un immunsérum homologue.
En pratique, la recherche de mycoplasmes génitaux est très aisée avec des techniques simples et il est actuellement inutile de développer d’autres moyens de diagnostic.
Par contre la recherche de M. pneumoniae est plus aléatoire et de faible sensibilité. Dans ce cas, il peut être intéressant de disposer de moyens diagnostics fiables et rapides pour la recherche de cet agent pathogène dont la fréquence est loin d’être négligeable. Actuellement on s’oriente plus vers des recherches directes dans les prélèvements par immunofluorescence directe mais surtout par sonde de DNA (hybridant avec le RNA ribosomal de M. pneumoniae) et plus récemment la recherche de DNA dans les prélèvements par réaction de polymérisation en chaîne (PCR).
B – Diagnostic indirect :
1. Mycoplasma pneumonies :
L’isolement de M. pneumoniae étant long et donnant des résultats inconstants, le diagnostic d’infection est souvent porté sur le résultat de la sérologie. Dans les manifestations extrapulmonaires des infections à M. pneumoniae, la sérologie est souvent le seul argument pour affirmer l’étiologie de l’atteinte observée.
a/Réaction de fixation du Complément :
C’est la technique courante, elle utilise l’antigène glycolipidique. Cette réaction peut être effectuée sur microplaques et automatisée.
La persistance des anticorps après une infection est mal connue, aussi un taux élevé unique doit être interprété avec prudence. Par contre, une séroconversion entre deux prélèvements effectués à 2-3 semaines d’intervalle est en faveur d’une infection à M. pneumoniae.
b/ Les autres techniques :
Les recherches d’anticorps par d’autres techniques est possible, mais de peu d’intérêt en pratique.
L’inhibition métabolique (inhibition de la réduction du TTZ) est délicate à mettre en oeuvre et donne des résultats tardifs.
D’autres techniques ont été proposées (immunofluorescence indirecte, hémagglutination, techniques ELISA).
Actuellement on s’oriente vers une sérologie plus spécifique qui met en oeuvre la protéine d’adhésion PI, qui joue un rôle dans la physiopathologie de l’infection. La recherche d’anticorps contre cette protéine peut être faite par inhibition de l’adhésion de M. pneumoniae aux hématies de mouton ou par une technique de « dot-ELISA ». peut y avoir des réactions croisées avec M. genitalium.
c/ La recherche d’agglutinines froides :
Elle est abandonnée car elle n’est pas spécifique : ces agglutinines ne sont présentes que dans la moitié des infections à M. pneumoniae et elles sont également présentes au cours d’infections virales.
2. Les mycoplasmes génitaux :
Des techniques sérologiques ont été proposées pour la recherche d’anticorps spécifiques dirigés contre M. hominis et U. urealyticum : l’inhibition métabolique ou ELISA.
La présence de multiples sérotypes complique cette recherche. Celle-ci est de peu d’intérêt dans les infections bénignes (urétrites) et elles ne pourraient servir que pour un diagnostic étiologique d’infections génitales hautes (salpingites, épididymites).
Mais étant donné la grande fréquence d’isolement de ces bactéries, une sérologie doit être interprétée avec prudence car le niveau d’immunisation de la population n’est pas connu.
VI – TRAITEMENT :
A – Préventif :
Les essais de vaccin contre M. pneumoniae en utilisant diverses fractions ont été étudiés et fournissent une protection partielle (germes atténués, formolés…).
Actuellement un espoir est apporté par l’utilisation de la protéine PI purifiée.
B – Curatif :
M. pneumoniae est régulièrement sensible aux cyclines et aux macrolides. Par contre, M. hominis est résistant à l’érythromycine et U. urealyticum aux lincosamides.
Par contre, ces deux espèces sont sensibles aux cyclines. Les fluoroquinolones sont peu actives. L’apparition de souches résistantes peut rendre intéressante la pratique d’un antibiogramme en milieu liquide (en recherchant une inhibition métabolique).
CONCLUSION :
Les mycoplasmes n’ont pas une place importante en pathologie humaine. Par contre, chez l’animal, les mycoplasmes ont un pouvoir pathogène important qui se traduit en particulier par une morbidité élevée dans les élevages.
La présence de mycoplasmes dans les milieux de cultures cellulaires est responsable d’effets cytopathogènes et parfois de la mort des cellules. Cette contamination, d’origine animale (lors de l’isolement des cellules) ou humaine (fautes d’asepsie) est difficile à éliminer.
L’importance économique et l’originalité de la structure des mycoplasmes font que ces bactéries sont actuellement très étudiées.
Elles sont de mieux en mieux connues et il est vraisemblable que leur taxonomie va évoluer dans les années à venir.