Le genre Pasteurella est ainsi désigné en hommage à Louis Pasteur dont les travaux sur le « choléra des poules », septicémie hémorragique décimant les élevages, aboutirent en 1880 à la première vaccination anti-bactérienne.
I – CLASSIFICATION :
Des travaux taxonomiques récents, basés sur des expériences d’hybridation ADN/ADN, aboutissent d’une part à classer comme Pasteurella des souches exigeantes en facteur V et d’autre part tendent à écarter du genre Pasteurella des espèces qui y étaient jusqu’à présent incluses : P. haemolytica, P. pneumotropica, P. aerogenes et P. ureae.
Le texte ci-dessous est consacré à l’espèce-type P. multocida. Les caractères de quelques espèces voisines qui sont des Pasteurella stricto sensu et peuvent être isolées chez l’homme (P. dagmatis, P. canis) seront signalés.
II – HABITAT ET ÉPIDÉMIOLOGIE :
Les Pasteurella sont des parasites obligatoires des muqueuses des cavités naturelles des vertébrés. Elles sont trouvées avec une grande fréquence dans la cavité buccale et dans la salive d’un grand nombre d’espèces animales : chiens, chats, chevaux, porcs, sangliers, etc.
Incapables de survivre longtemps dans le milieu extérieur, les Pasteurella sont généralement transmises à l’homme par un animal.
III – POUVOIR PATHOGÈNE :
A – Pour l’homme :
1. La pasteurellose d’inoculation :
La plus fréquente, elle est généralement consécutive à une morsure ou une griffade d’un chien ou d’un chat. Toutes les morsures ne sont pas le point de départ d’une pasteurellose d’inoculation, mais les inoculations au niveau de la main semblent plus graves.
Stade aigu :
Après une incubation brève, de 3 à 6 heures, des douleurs très violentes apparaissent aux points d’inoculation qui deviennent très inflammatoires.
L’inflammation s’étend aux articulations de voisinage. La fièvre est inconstante. Une adénopathie satellite est rarement observée. En l’absence de traitement adapté, la douleur et l’inflammation diminuent spontanément, mais l’impotence fonctionnelle persiste.
Stade chronique :
Quatre à six semaines après l’inoculation, les lésions cutanées sont guéries/mais un syndrome algo-dystrophique rebelle à toute thérapeutique persiste et constitue une véritable infirmité. Il n’y a pas d’adénopathie satellite contrairement à la lymphoréticulose d’inoculation.
2. Autres formes de pasteurellose :
Elles surviennent surtout chez des individus qui ont une maladie sous-jacente. On peut observer des septicémies, endocardites et méningites. P. multocida peut être isolée de pus divers : otite, sinusite, péritonite, adénite. Des infections pleuropulmonaires ont été signalées, notamment chez des éleveurs de porcs.
B – Pour l’animal :
P. multocida est responsable de septicémies chez les volailles, de pneumopathies chez les lapins et les ruminants. La rhinite atrophique du porc où P. multocida est souvent associée à Bordetella bronchiseptica est la cause de pertes économiques importantes. .
IV – PHYSIOPATHOLOGIE :
A partir de souches responsables de rhinite atrophique, il a été possible de mettre en évidence une toxine ayant un pouvoir dermonécrotique et ostéolytique. Cette toxine peptidique localisée dans le cytoplasme est codée par le gène tox A qui a été clone. Injectée à des porcs, elle reproduit les signes de la rhinite atrophique. Cette toxine a été retrouvée chez des souches responsables d’infections pleuro-pulmonaires chez l’homme.
V – CARACTÈRES BACTÉRIOLOGIQUES DE P. MULTOCIDA :
A – Morphologie :
Ce sont des coccobacilles à Gram négatif avec habituellement une coloration
bipolaire. Parmi les corps bactériens de petite taille (L = 1 à 2 µm ; 1 = 0,3 à 0,4 (im)
des formes longues (L = 3 à 5 µm) sont souvent observées. Les chaînettes sont très rares.
A l’état frais, les bactéries sont immobiles. L’encre de Chine permet de voir une capsule dont l’épaisseur varie avec le sérotype.
B – Caractères culturaux :
La température de croissance est comprise entre 22 et 44°C avec un optimum à 37°C. Ce sont des bactéries aéro-anaérobies avec en gélose profonde une petite inhibition à la surface et un renforcement de la croissance en microaérophilie.
Sur milieux riches (gélose au sérum, gélose au sang) après 24 heures d’incubation à 37°C, les colonies sont petites (1 à 2 mm de diamètre) rondes, grisâtres, en gouttes de rosée. Parfois, l’importance de la capsule leur donne un aspect muqueux. En bouillon, un trouble homogène est obtenu en 24 heures.
Il n’y a pas de croissance sur les milieux suivants : Mac Conkey, milieu de Drigalski, milieu au citrate de Simmons et eau de levure.
C – Caractères biochimiques :
– La catalase, la nitrate-réductase, l’ODC et l’indole sont constamment positives.
– Les caractères suivants sont négatifs : gélatinase, LDC, ADH, uréase et H2S.
– Toutes les souches sont sensibles au composé vibriostatique 0/129.
– La fermentation du glucose se fait toujours sans production de gaz. Les glucides suivants sont régulièrement attaqués : mannitol, galactose, fructose, mannose, saccharose. Par contre, sont régulièrement négatifs : sorbose, rhamnose, inositol, adonitol.
L’étude de la fermentation du sorbitol et du dulcitol permet chez P. multocida de reconnaître les trois sous-espèces indiquées ci-dessous :
D – Caractères antigéniques :
Les polyosides constituant la capsule permettent, en fonction de leur composition, de distinguer classiquement 4 types capsulaires : A, B, D, et E. Un cinquième type capsulaire F, a été décrit pour des souches isolées chez la dinde.
Les lipopolyosides de paroi, possédant les caractères des endotoxines des bacilles à Gram négatif, permettent de classer les souches en 12 sérotypes.
Une sérotypie capsulaire et somatique existe donc, mais elle n’est pas utilisée en pratique courante en raison de la complexité de cette détermination.
E – Pouvoir pathogène expérimental :
La souris inoculée par voie péritonéale meurt rapidement d’une septicémie. Cette aptitude à tuer la souris peut être perdue par des souches qui sont dépourvues de capsule.
VI – AUTRES ESPÈCES DU GENRE PASTEURELLA :
Les caractères différentiels de P. multocida avec P. canis et P. dagmatis sont montrés dans le tableau I. Ces deux espèces ont un pouvoir pathogène pour l’homme voisin de celui de P. multocida.
Les quatre autres espèces désignées dans ce tableau par « P » ne sont pas des Pasteurella stricto sensu et sont dans l’attente d’une position taxonomique plus précise.
« P. » haemolytica est souvent pathogène pour les animaux d’élevage : bovins, porcs, volailles. Comme « P. » pneumotropica, elle se développe sur gélose de Mac Conkey.
VII – DIAGNOSTIC BIOLOGIQUE D’UNE INFECTION A P. MULTOCIDA :
A – Isolement de P. multocida :
II se fait le plus souvent à partir de sérosités recueillies profondément dans les lésions de morsures. Classiquement il y a une auto-stérilisation rapide des lésions ; il est cependant souvent possible de retrouver P. multocida dans les morsures après plusieurs jours.
Dans les autres produits pathologiques l’isolement de P. multocida est souvent fortuit (sécrétions bronchiques). Un milieu sélectif contenant 2 mg/1 d’amikacine et 4 mg/1 de vancomycine peut être utile pour les prélèvements pluri-microbiens.
B – Diagnostic indirect :
La recherche d’anticorps sériques n’a pas d’intérêt pratique.
Le diagnostic indirect, utile dans les formes chroniques où il n’y a plus de bactéries dans les lésions, se fait par l’intradermoréaction à la pasteurelline de Reilly.
Une réaction allergique d’hypersensibilité retardée apparaît 10 à 20 jours après l’inoculation de Pasteurella multocida. L’antigène utilisé ou pasteurelline est un filtrat d’une culture en bouillon de P. multocida. L’injection intradermique est effectuée avec 0,5 ml de pasteurelline.
La lecture doit être relativement précoce, car la réaction commence à la 6e heure, est maximale à la 12e heure et décroît à la 24e heure. La réaction locale (placard érythémateux) doit mesurer au moins 3 cm pour être significative. Elle s’accompagne souvent d’une réaction focale : sensibilité de la zone d’inoculation, douleur articulaire, poussée thermique.
L’hypersensibilité retardée à la pasteurelline persiste des années. Elle est toujours nette dans les formes algodystrophiques chroniques. Elle peut être négative si le malade reçoit des corticoïdes ou d’autres anti-inflammatoires.
VIII – TRAITEMENT D’UNE PASTEURELLOSE :
A – Les antibiotiques :
Les souches de P. multocida isolées chez l’homme sont généralement sensibles aux tétracyclines, à la pénicilline G et à l’ampicilline qui sont les antibiotiques de choix pour les pasteurelloses d’inoculation. Les souches d’origine bovine sont moins sensibles et peuvent résister à la pénicilline en produisant une bêta-lactamase de type ROB-1. Les souches isolées chez l’homme qui produisent une bêta-lactamase sont encore rares.
Les aminosides sont peu actifs et ne doivent pas être utilisés seuls pour traiter une infection à P. multocida.
B – Antigénothérapie :
Dans les formes chroniques algodystrophiques, les antibiotiques sont inefficaces.
Une amélioration peut être obtenue par 4 ou 5 injections intradermiques de pasteurelline séparées d’une semaine chacune.