Les Shigella sont des Entérobactéries responsables de la dysenterie bacillaire et de diarrhées qui constituent un problème majeur de santé publique dans les pays en voie de développement.
Elles sont caractérisées par leur faible activité métabolique et par leur parenté génétique avec Escherichia coli (les GC % sont très voisins).
I – CARACTÈRES BACTÉRIOLOGIQUES COMMUNS A TOUTES LES SHIGELLA :
Outre les caractères généraux des Enterobacteriaceae, les souches appartenant au genre Shigella ont toutes les caractères communs suivants :
– Immobiles (bouillon en phase exponentielle).
– Pas de culture sur milieu au citrate de Simmons.
– Absence de LDC et de tryptophane-désaminase.
– Fermentation du glucose sans gaz (exceptions avec certains biotypes de S.flexneri 6 et S. boydii 13 et 14).
– Jamais de production d’H^S.
II – CARACTÈRES DE CHAQUE ESPÈCE :
– S. dysenteriae = sous-groupe A
Cette espèce est caractérisée par l’absence de fermentation du mannitol.
Il existe 10 sérotypes. S. dysenteriae type 1 ou bacille de Shiga possède une bêta-galactosidase très active, est indole (-) et, fait rare chez les Enterobacteriaceae, ne possède pas de catalase. Le bacille de Shiga est l’agent des grandes épidémies historiques survenues dans les armées en campagne ou les camps de réfugiés.
– S.flexneri = sous-groupe B
Cette espèce comporte 6 sérotypes et 2 variants.
– S. boydii = sous-groupe C
Cette espèce comporte 15 sérotypes.
– S. sonnei = sous-groupe D
II n’existe qu’un seul sérotype. Cette espèce se distingue des autres par la présence d’une omithine-décarboxylase et par le fait que les souches ne produisent jamais d’indole. On peut subdiviser cette espèce en biotypes.
III – PHYSIOPATHOLOGIE :
A – Shiga-toxine :
Connue depuis 1903 chez S. dysenteriae 1, elle est localisée dans l’espace périplasmique de la bactérie et libérée lors de la lyse de la bactérie. C’est une toxine protéique de 70 kDa, codée par des gènes chromosomiques, constituée d’une sous-unité A (32 kDa) et de 5 sous-unités B (7,7 kDa). La sous-unité B est composée de 69 acides aminés, identique à la sous-unité B de la toxine Shiga-like, type 1 ou Vérotoxine de E. colï). La structure multimérique de la Shiga-toxine est comparable à celle de la toxine cholérique et de la toxine LT de E. coli, mais sans présenter de communauté antigénique.
Les sous-unités B sont responsables de la liaison aux récepteurs cellulaires (glycolipidiques ou glycoprotéiques). La sous-unité A, après coupure par une enzyme protéolytique, est réduite en un fragment Al à activité enzymatique qui est intemalisé par endocytose. La cible est le ribosome, où par action sur EF1 (l’exotoxine A du B. pyocyanique et la toxine diphtérique agissent sur EF2) au niveau, de la sous-unité 60S, la toxine provoque une inhibition de l’élongation de la chaîne peptidique et par conséquent une inhibition des synthèses protéiques.
La toxine exerce :
– un effet paralytique et létal après injection IV au lapin. L’action neurotoxique résulte de troubles neurologiques secondaires à des lésions des vaisseaux du cerveau et de la moelle épinière ;
– une action entérotoxique, se traduisant par une accumulation liquidienne hémorragique ;
– une action cytotoxique sur certaines cellules en culture (HeLa les plus sensibles, cellules KB, de rein de singe). Le rôle de la toxine dans la virulence de la bactérie et dans la dysenterie n’est pas clairement établi.
B – Vérotoxine :
Différentes espèces bactériennes produisent une toxine caractérisée par son pouvoir cytotoxique pour les cellules Véro.
Cette toxine très voisine de la Shiga-toxine a été trouvée :
– chez des souches de E. coli responsables du syndrome hémolytique et urémique (maladie de Moskowitz), de colite hémorragique et chez des souches entéropathogènes (ECEP).
– chez d’autres espèces bactériennes : 5. Typhimurium, V. cholerae, Vibrio non-01 et V. parahaemolyticus.
C – Pouvoir entéro-invasif :
Le pouvoir entéro-invasif est en relation avec la présence de plasmides communs aux différentes espèces de Shigella et aux E. coli entéro-invasifs (de 180 kb chez S.
sonnei, de 220 kb chez S.flexneri). L’expression des gènes plasmidiques de virulence est sous le contrôle de la température : le phénotype invasif est exprimé à 37°C et est perdu de façon réversible à 30°C. Différentes protéines sont responsables du pouvoir invasif.
Le pouvoir entéro-invasif est mis en évidence expérimentalement par : le test de Serény (kérato-conjonctivite purulente dans les 48 h après instillation d’une suspension de bactéries dans l’oeil du cobaye) – la pénétration dans des cellules HeLa et la mort des cellules – coloration par le rouge Congo. Le lipopolysaccharide (LPS) participe à la virulence des Shigella.
La maladie humaine est la conséquence de l’invasion de la muqueuse du côlon. Les différentes étapes sont la pénétration dans les cellules épithéliales, la multiplication intra-cellulaire, et l’invasion des cellules voisines et du tissu conjonctif des villosités.
Ceci entraîne une forte réaction inflammatoire provoquant abcès et ulcération du colon et l’apparition de sang et de mucus dans les selles. L’intestin grêle n’est habituellement pas concerné. L’infection est limitée à la muqueuse sans traverser la lamina propria. L’atteinte de la sous-muqueuse et la diffusion systémique sont exceptionnelles.
IV – ÉPIDÉMIOLOGIE :
Le seul réservoir de Shigella est le tube digestif de l’homme. Ces bactéries ne font pas partie de la flore normale du tube digestif. Elles sont présentes dans les matières fécales des malades ou des porteurs sains (convalescents, entourage des malades). La shigellose est la plus transmissible des maladies bactériennes intestinales ; dix germes vivants peuvent provoquer la maladie chez un adulte sain.
La dissémination de la maladie se fait par des aliments, de l’eau de boisson contaminée par des matières fécales ou de personne à personne. Les shigelloses surviennent là où les conditions d’hygiène sont défectueuses. Le lavage des mains et l’amélioration de l’approvisionnement en eau sont les mesures qui réduisent la transmission fécale-orale.
En France, environ 1 000 souches sont reçues annuellement par le Centre National des Shigella de l’Institut Pasteur. Le plus grand nombre de souches est reçu en septembre-octobre. Cela s’explique par la température estivale et les retours de vacances en pays exotiques. S. sonnei est la plus souvent isolée. S.flexneri vient ensuite. S. dysenteriae et S. boydii sont rarement isolées en France. On peut observer de petites épidémies chez des nourrissons ou des vieillards vivant en collectivité.
Dans les pays en voie de développement, la shigellose endémique est due avant tout à S.flexneri. Le taux de morbidité est élevé. Les enfants de un à cinq ans sont particulièrement atteints. Dans certains pays, la mortalité est importante.
Une pandémie de shigellose due à 5. dysenteriae 1 a commencé en 1969 en Amérique Centrale. Elle englobe maintenant une large région d’Afrique centrale et les pays du sous-continent indien. La souche en cause est résistante à de nombreux antibiotiques.
V – POUVOIR PATHOGÈNE :
Une shigellose commence habituellement par une diarrhée aqueuse suivie après 24 à 48 heures par l’apparition de sang et de mucus dans les selles. Il y a de la fièvre, des douleurs abdominales et du ténesme.
Une déshydratation est possible mais dans une faible proportion des cas.
La mortalité, qui avec S. dysenteriae 1 peut dépasser 10 % des cas, malgré un traitement adapté, est due à différentes complications : cachexie, état pseudoleucémique, iléus paralytique, perforation intestinale, prolapsus rectal.
La maladie est particulièrement grave quand elle se déclare après la rougeole ou quand il existe une malnutrition pré-existante. Les localisations extra-digestives sont peu fréquentes. Les moins rares sont les infections urinaires. On observe parfois des formes septicémiques, des arthrites, des méningites.
VI – DIAGNOSTIC BIOLOGIQUE :
A – Isolement de la bactérie :
C’est la seule façon de faire le diagnostic de certitude de shigellose.
Coproculture :
C’est la méthode de choix. Elle se fait en ensemençant des selles fraîchement émises et des glaires muqueuses si elles en contiennent.
L’examen microscopique des selles met en évidence des polynucléaires qui sont témoins d’un processus invasif.
L’isolement de la bactérie se fait sur un milieu gélose sélectif non inhibiteur : Hektoen, Drigalski, Mac Conkey. Le milieu SS ne permet pas la croissance de certaines souches de Shigella. Il est donc à déconseiller. Il n’existe pas de milieu d’enrichissement efficace pour les Shigella.
Les colonies suspectes (lactose (-) et H2S (-)) sont l’objet d’une caractérisation plus complète. Il importe de faire le diagnostic différentiel entre les Shigella et les « Aïkalescens-dispar » qui sont des E. coli immobiles et ne produisant pas de gaz.
Deux caractères, la LDC et la croissance sur milieu au citrate de Christensen, sont toujours négatifs avec les Shigella alors qu’ils sont généralement positifs avec les « Aïkalescens-dispar ».
Autres examens :
Hémocultures. Elles sont rarement pratiquées, mais peuvent être positives dans un faible pourcentage de cas.
Urines. Elles permettent l’isolement de la bactérie dans les cystites ou pyélites à Shigella qui sont rares mais non exceptionnelles.
B – Sérotypie ou typage sérologique d’une souche :
Ce n’est qu’une fois le diagnostic de genre Shigella établi avec certitude que le typage antigénique peut être entrepris par agglutination sur lame. Les sérums agglutinants commercialisés sont :
1. Sous groupe A :
2 sérums polyvalents
Ce sous-groupe comporte 10 sérotypes mannitol négatifs, dont 2 sont exceptionnels (9 et 10).
Sérum Al : nnti-Shigella dysenteriae indole négatives : 1, 3, 4, 5, 6.
Sérum A2 : smti-Shigella dysenteriae indole positives : 2, 7, 8.
2. Sous groupe B :
1 sérum polyvalent, commercialisé sous le nom de sérum smû-flexneri.
Il agglutine les 6 sérotypes de ce sous-groupe
3. Sous-groupe C :
3 sérums polyvalents
– Cl : mû-Shigella boydii indole négatives : 1, 2, 3, 4.
– C2 : anti-Shigella boydii indole négatives : 8, 10, 14.
– C3 : smti-Shigella boydii indole positives : 5, 7, 9, 11, 15.
Le sérotype 6, étroitement apparenté à Shigella sonnet, phase II, est agglutiné par le sérum anti-Shigella sonnei.
4. Sous-groupe D :
1 sérum mixte : D, commercialisé sous le nom de sérum mixte anti-sonnei.
Il agglutine les 2 phases de Shigella sonnei.
C – Sérodiagnostic :
II peut se faire par séro-agglutination, mais est dépourvu d’intérêt dans les syndromes dysentériques car il est trop tardif et sa spécificité est inégale selon les sous-groupes.
Il est parfois utile pour relier certains syndromes rhumatismaux à une infection à S.flexneri. Dans ces cas, il est souhaitable de prélever deux sérums, à deux semaines d’intervalle, pour observer une ascension du titre des agglutinines.
VII – SENSIBILITÉ AUX ANTIBIOTIQUES :
Les Shigella sont irrégulièrement sensibles aux antibiotiques. L’ampicilline, les tétracyclines, la colistine, les sulfamides et le triméthoprime sont généralement actifs.
Cependant, rappelons que c’est au cours d’une épidémie de shigellose que les plasmides de résistance multiple transférable ont été découverts au Japon. Aussi, aujourd’hui, le traitement doit être guidé par les résultats d’un antibiogramme.
VIII – VACCINS CONTRE LES SHIGELLA :
Les vaccins injectables contenant des bactéries tuées ou les vaccins par voie orale à base de bactéries vivantes atténuées sont sans efficacité.
Par les techniques du génie génétique, il a été possible d’analyser avec précision les déterminants de la pathogénicité et de l’immunogénicité des Shigella. Des recherches sont en cours afin de produire un vaccin buccal vivant. Ces recherches se font dans les directions suivantes :
production « d’hybrides mutants » de Shigella atténués par incorporation de segments de gènes de E. coli ; production de E. coli contenant des gènes de Shigella ; utilisation de Salmonella Typhi atténuées contenant des séquences codantes de gènes pour la synthèse d’antigènes de Shigella.