Hyperferritinémie

Le dosage de la ferritine sérique est un examen biologique très demandé pour juger du statut martial. Il permet en effet à la fois de renseigner sur l’existence d’un défi cit en fer (hypoferritinémie) et sur celle d’une surcharge (hyperferritinémie).

L’interprétation d’une augmentation du taux sérique de ferritine dépasse toutefois le seul cadre des excès en fer et suppose donc une analyse pertinente de la part du médecin prescripteur.

Ferritine - Hyperferritinémie
Ferritine – Hyperferritinémie

DIAGNOSTIC :

Définition :

La ferritine est une protéine ressemblant à une coquille d’oeuf capable de stocker du fer en son sein, ce qui en fait la protéine de stockage du fer par excellence, en particulier au niveau des hépatocytes et du système macrophagique (hépatosplénique).

Mais la ferritine est également une protéine de la réaction inflammatoire, sa production augmentant en situation d’activation macrophagique.

Ces deux fonctions, stockage tissulaire du fer et expression de l’inflammation, situent les deux domaines physiopathologiques principaux auxquels peut être rapportée une hyperferritinémie.

Trois autres mécanismes peuvent expliquer une hyperferritinémie :

– une lyse cellulaire, hépatique ou musculaire ;

– une induction de la synthèse de ferritine par l’alcool ;

– une dérégulation de la synthèse de ferritine du fait de mutations dans le gène de la ferritine.

Ne pas méconnaître une hyperferritinémie modérée :

Du fait de l’étendue de la zone de normalité indiquée par les laboratoires d’analyse, avec des limites supérieures de la normale de l’ordre de 300-400 μg/L chez l’homme et de 200-300 μg/L chez la femme, il y a risque de sous-estimer une hyperferritinémie réelle lorsque les chiffres voisinent le versant haut de cette fourchette. Ainsi, chez la femme, la valeur normale est de l’ordre de 30 μg/L avant la ménopause et monte en moyenne graduellement vers 80 après la ménopause.

C’est dire qu’un taux de 200 peut correspondre, chez la femme, à une hyperferritinémie tout à fait significative.

ÉTIOLOGIE :

Hémochromatose « classique » HFE :

En l’absence de contexte clinique nettement évocateur, c’est l’élévation conjointe du taux de saturation de la transferrine qui constitue l’élément d’orientation déterminant. Étant donné que, dans l’hémochromatose, l’élévation de la ferritine sérique signifie déjà constitution d’un excès tissulaire en fer, le taux de saturation de la transferrine sera toujours nettement élevé, le plus souvent ≥ 80%.

La confirmation du diagnostic d’hémochromatose repose dès lors le plus souvent sur la positivité du test génétique : mutation C282Y présente à l’état homozygote qui permet d’affirmer l’hémochromatose HFE. Le degré d’élévation de la ferritine constitue en cette situation un excellent reflet du degré d’excès en fer (en l’absence de facteurs associés susceptibles d’interférer dans cette augmentation, tels qu’un alcoolisme et/ou un syndrome polymétabolique) : il y a en effet dans l’hémochromatose une très bonne corrélation entre ferritinémie et concentration hépatique en fer, ce qui explique d’ailleurs que la surveillance du taux de ferritine constitue la base du suivi de l’efficacité du traitement par phlébotomies. Dans ce cadre HFE, un profil d’hétérozygotie composite (C282Y/H63D) peut parfois être en cause, mais en général, le taux d’hyperferritinémie reste modéré (sauf cofacteurs d’élévation).

Il convient de préciser que la négativité du test génétique ne permet pas d’exclure deux autres types, exceptionnels, d’hémochromatoses :

– l’hémochromatose juvénile, par mutation de l’hémojuvéline (chromosome 1) aussi appelée hémochromatose de type 2 ou par mutation de l’hepcidine (chromosome 19) ; l’hémochromatose juvénile doit être évoquée chaque fois que le patient est âgé de moins de 30 ans ;

– la surcharge en fer par mutation du gène du récepteur de la transferrine de type 2 (chromosome 7), parfois appelée hémochromatose de type 3.

Syndrome dysmétabolique :

L’hyperferritinémie dysmétabolique constitue aujourd’hui le plus fréquent diagnostic différentiel de l’hémochromatose : de nombreux diagnostics erronés d’hémochromatose sont en pratique portés devant, typiquement, une franche hyperferritinémie (de l’ordre de 600-1 000) qui conduit souvent le médecin à demander à tort (c’est-à-dire sans avoir préalablement contrôlé le taux de saturation de la transferrine) un test génétique HFE, lequel repère par exemple une simple hétérozygotie C282Y (voire une hétérozygotie H63D), ces résultats génétiques étant considérés à tort comme étayant le diagnostic d’hémochromatose… En outre, il n’est pas rare qu’un contrôle échographique hépatique soit effectué et que sa conclusion « foie de surcharge » soit considérée comme un argument diagnostique de plus, alors que c’est d’une surcharge en graisse dont il s’agit (l’excès en fer ne pouvant jamais être détecté par un contrôle échographique).

En fait, il est essentiel de rappeler que :

– le test génétique ne doit être demandé qu’après s’être assuré qu’il y a bien élévation de la saturation de la transferrine (≥ 45%, et en particulier ≥ 60% chez l’homme et ≥ 50% chez la femme) ;

– que l’hémochromatose HFE ne peut être rendue responsable d’hyperferritinémie sans élévation conjointe de la saturation de la transferrine (la seule exception est représentée par la coexistence fortuite d’un syndrome inflammatoire marqué qui non seulement majore le taux de ferritine mais diminue voire normalise le taux de fer sérique et celui de la saturation de la transferrine) ;

– qu’un simple état d’hétérozygotie C282Y (et a fortiori H63D) ne peut jamais être rendu responsable d’une élévation significative de la ferritinémie.

La seule réserve est représentée par d’exceptionnels cas rapportés d’hétérozygotie composite dont la mutation associée à C282Y n’est pas H63D (donnant donc l’impression, au vu du résultat du test génétique de routine, d’une hétérozygotie C282Y « simplex ») ; mais, en pareil cas, la saturation de la transferrine est franchement élevée, ce qui situe d’emblée dans un cadre qui ne peut être une simple hétérozygotie C282Y.

L’hyperferritinémie dysmétabolique se démarque de l’hyperferritinémie hémochromatosique par les éléments suivants :

– la saturation de la transferrine est normale ;

– l’excès hépatique en fer n’est en règle que très modéré (ne dépassant guère 2 à 3 fois la limite supérieure de la normale en terme de concentration hépatique en fer), soulignant le caractère disproportionné, dans ce syndrome, de l’hyperferritinémie par rapport à l’hépatosidérose, ce qui soulève le problème de sa physiopathologie qui pourrait plus relever d’une activation macrophagique que d’une surcharge en fer ;

– il existe bien sûr un terrain polymétabolique, associant une surcharge pondérale, une hyperlipidémie, un diabète non insulinodépendant, une hypertension artérielle, une hyperuricémie…

Il va de soi que lorsqu’une hémochromatose authentique s’associe à un syndrome dysmétabolique, son profil biologique peut s’en trouver modifié avec une hyperferritinémie plus importante que ne le voudrait le degré d’excès en fer.

Autres causes :

Causes fréquentes :

Cytolyse :

Elle peut être :

– d’origine hépatique : qu’il s’agisse d’une hépatite aiguë (surtout) ou chronique, l’hyperferritinémie peut alors s’accompagner d’un certain degré d’hypersidérémie et d’élévation de la saturation de la transferrine (surtout s’il y a insuffisance hépatocellulaire associée) ; d’où l’importance de coupler au dosage de la ferritine le contrôle des transaminases (ALAT et ASAT) ;

– d’origine musculaire : myolyse cardiaque ou périphérique ( rhabdomyolyse), d’où l’utilité d’un contrôle conjoint des enzymes musculaires (créatine phophokinase, aldolase).

Syndrome inflammatoire général :

L’hyperferritinémie y est habituellement modérée (moins de 500 μg/L) et s’accompagne d’une hyposidérémie (et d’une baisse de la saturation de la transferrine). Importance par conséquent de vérifier le taux de protéine C-réactive devant toute hyperferritinémie.

Alcoolisme chronique :

Une hyperferritinémie (parfois supérieure à 1 000 μg/L) est observable chez l’alcoolique chronique en l’absence de toute cytolyse et de surcharge en fer (du fait d’une stimulation de synthèse de la ferritine par l’alcool), associée dans la moitié des cas à une hypersidérémie.

Après sevrage, le fer se normalise en moins d’une semaine alors que la décroissance de la ferritine est plus lente pour se stabiliser après trois mois d’abstinence.

Causes rares ou exceptionnelles :

Deux de ces causes s’accompagnent d’une surcharge viscérale en fer, les autres non.

Situations avec surcharge en fer :

Acéruloplasminémie héréditaire :

Son mode de présentation est volontiers hématologique sous la forme d’une tendance anémique qui évoque un saignement par la conjonction d’une hyposidérémie et d’une baisse de la saturation de la transferrine mais qui s’accompagne, de manière tout à fait inattendue pour un tel mécanisme supposé, d’une franche hyperferritinémie.

Il s’y associe une ambiance neurologique (parfois peu exprimée) et le diagnostic repose sur l’effondrement du taux sérique de céruloplasmine. Cette hyperferritinémie traduit

une surcharge en fer souvent importante dont le mécanisme est un défaut de sortie cellulaire du fer (et non une hyper-entrée comme dans l’hémochromatose HFE).

Mutation en ferroportine :

Cette entité, nouvellement identifiée, est en rapport avec une mutation d’une protéine impliquée notamment dans la sortie du fer à partir des cellules macrophagiques. Trois caractéristiques permettent au clinicien de l’évoquer :

– le profil biologique sérique est particulier puisqu’il se marque, en l’absence de tout syndrome inflammatoire et de toute acéruloplasminémie, par une forte élévation de la ferritine (parfois très supérieure à 1 000 μg/L) contrastant avec la normalité ou une augmentation très modérée du taux de saturation de la transferrine ;

– la transmission est de type dominant, si bien qu’une nette hyperferritinémie est fréquemment observée dans la fratrie et chez les enfants ;

– la tolérance des phlébotomies est médiocre en raison d’une nette tendance anémique.

Histologiquement, la surcharge hépatique en fer est très marquée et, à la différence de l’hémochromatose HFE, affecte de manière prédominante les cellules macrophagiques (cellules de Kupffer).

Situations sans surcharge viscérale en fer  :

Maladie de Gaucher :

Au cours de cette thésaurismose macrophagique, l’hyperferritinémie, de l’ordre de 1 000-2 000 μg/L, est un signe fréquent. Il faut y penser notamment lorsque cette hyperferritinémie, sans hypersidérémie ni élévation de la saturation de la transferrine, s’accompagne d’une splénomégalie.

Syndrome hyperferritinémie-cataracte :

Le piège est ici constitué par le caractère familial de l’hyperferritinémie, avec parfois réalisation de phlébotomies « pour hémochromatose » dans certains membres de la famille. En fait, ces phlébotomies s’avèrent avoir été fort mal tolérées (avec développement d’une anémie), fer et saturation sont normaux, et le diagnostic est le plus souvent obtenu par un simple interrogatoire orienté vers une histoire ophtalmologique familiale.

Parfois, cependant, l’histoire personnelle et/ou familiale, peut n’être pas « parlante », et il convient alors de demander un examen ophtalmologique qui pourra découvrir une cataracte minime jusque-là insoupçonnée cliniquement.

Syndrome d’activation macrophagique viral :

Au cours notamment d’une infection par le virus Epstein-Barr ou par l’Herpes virus, une hyperferritinémie importante peut s’observer.

Autres pathologies :

Une hyperferritinémie majeure (> 10 000 μg/L) est une des marques biologiques de la maladie de Still. Une hyperferritinémie modérée, de mécanisme incertain, peut être observée au cours au cours des hyperthyroïdies et des pathologies malignes, viscérales ou hématologiques.

TRAITEMENT DE L’HÉMOCHROMATOSE HFE :

Le traitement de l’hémochromatose HFE repose sur les phlébotomies. Les saignées sont d’abord hebdomadaires ou bimensuelles, on enlève un volume de 7 mL/kg de sang, qui jusqu’à présent n’était pas utilisable pour les transfusions. Le rythme des saignées est ralenti lorsque la ferritinémie approche 300 mg/mL. L’objectif est de maintenir une ferritinémie proche de 50 μg/L, grâce à des saignées d’entretien toutes les 4 à 12 semaines selon les cas. Il est inutile de surveiller le coefficient de saturation de la transferrine ; mais il faut bien sûr surveiller l’hémogramme avant chaque saignée pour s’assurer que le patient n’est pas anémique. Les saignées se font par principe dans un établissement français du sang (EFS) au cours d’une simple consultation, mais une hospitalisation de jour est nécessaire pour les patients ayant une cardiopathie (en particulier en cas de cardiopathie restrictive de l’hémochromatose).

CONCLUSION :

Au total, le pivot du diagnostic d’hyperferritinémie est l’évaluation de la saturation de la transferrine : si la saturation est élevée, il s’agit presque toujours d’une hémochromatose HFE (sous réserve qu’il n’y ait pas une cytolyse majeure d’origine hépatique ou musculaire) ; si la saturation est normale, l’hyperferritinémie peut traduire :

– dans le cadre des pathologies fréquentes : un syndrome inflammatoire ou un syndrome polymétabolique ;

– dans le cadre de pathologies rares sans surcharge en fer : une maladie de Gaucher ou un syndrome ferritine-cataracte ;

– dans le cadre des pathologies rares avec surcharge en fer : une acéruloplasminémie héréditaire ou une mutation en ferroportine.