DIAGNOSTIC :
La bulle est une collection liquidienne à contenu clair ou sérohématique de plusieurs millimètres de diamètre, superficielle. Elle peut siéger sur la peau et les muqueuses.
Il faut évoquer une bulle également devant une érosion post-bulleuse, une érosion arrondie à collerette épithéliale, ou un décollement épidermique important type « linge mouillé ». Les érosions post-bulleuses sont fréquentes sur les muqueuses.
La bulle peut résulter soit d’un clivage intraépidermique, soit d’un clivage entre le derme et l’épiderme. Sur une lésion datant de mois de 12 heures, une bulle tendue évoque une origine sous-épidermique, une bulle fl asque et fragile, une bulle intraépidermique.
Les bulles doivent être distinguées des vésicules, de plus petite taille (1 à 2 mm de diamètre), et des pustules, collections à contenu purulent.
Interrogatoire :
Le praticien doit s’enquérir en particulier de :
– âge de début de la dermatose ;
– antécédents familiaux de maladie bulleuse ;
– mode d’apparition et d’évolution des bulles (aigu, progressif, par poussées) ; facteurs déclenchants éventuels (médicaments, agents externes, grossesse, exposition solaire, etc.).
Examen clinique :
À l’examen clinique, le praticien précise :
– l’aspect des bulles (flasques, tendues, érosions post-bulleuses) ; la recherche d’un signe de Nikolski (décollement bulleux provoqué par une simple pression en peau saine périlésionnelle) ;
– leur taille ;
– la topographie des bulles, le respect ou l’atteinte des muqueuses (buccale, génitale, conjonctivale) ;
– l’aspect de la peau périlésionnelle (saine, érythémateuse, placards inflammatoires pseudourticariens, etc.) ;
– un examen général avec appréciation du retentissement de l’éruption sur l’état général, de l’état d’hydratation et des grandes fonctions et d’éventuels signes d’infection.
Une éruption étendue, rapidement évolutive, une atteinte de l’état général, un état fragilisé imposent l’hospitalisation en urgence.
Examen complémentaire :
Outre la NFS (numération formule sanguine) (recherche d’éosinophilie dans la pemphigoïde bulleuse), l’ionogramme sanguin avec dosage de l’urée et de la créatinine (appréciation de l’état d’hydratation), un certain nombre d’examens complémentaires peuvent être effectués en cas de bulles de causes non évidentes. Ils sont plutôt du ressort du spécialiste.
Ainsi pourront être effectués :
– une biopsie cutanée pour histologie standard sur une bulle récente et intacte ; une biopsie cutanée en peau saine périlésionnelle pour immunofluorescence directe ;
– la recherche dans le sang d’anticorps antimembrane basale et anti-substance intercellulaire par immunofluorescence indirecte, en précisant leur type (IgG ou IgA) et leur titre.
Plus rarement, pourront être effectués en milieu spécialisé :
– un western-blot (sérum du malade appliqué sur les protéines de la peau normale) afin de caractériser les anticorps circulants en fonction du poids moléculaire des protéines reconnues ;
– une analyse en microscopie électronique (délais d’analyse souvent longs) ;
– une IFI (immunofl uorescence indirecte) sur peau humaine clivée (localisation des anticorps antimembrane basale).
ÉTIOLOGIE :
On distingue principalement les dermatoses bulleuses par agent externe, les dermatoses bulleuses auto-immunes, les toxidermies et l’érythème polymorphe.
Dermatoses bulleuses par agents externes :
Ce sont les bulles les plus fréquentes.
Le diagnostic est évident le plus souvent. Elles ne nécessitent pas d’examens complémentaires, hormis pour la porphyrie cutanée tardive.
Cause physique :
Ampoule :
L’ampoule est aisément reconnue par le patient, après un frottement répété et prolongé (port de nouvelles chaussures, marche prolongée, etc.).
Elle doit être percée de manière aseptique. Des pansements hydrocolloïdes (type Compeed®) sont disponibles en vente libre.
Brûlures :
Les brûlures peuvent entraîner des lésions bulleuses lors d’atteinte du 2e ou du 3e degré. Une appréciation de l’ensemble de l’atteinte doit être faite.
En cas d’atteinte limitée, les lésions sont désinfectées par un antiseptique type chlorhexidine en solution aqueuse, les bulles percées de manière aseptique en laissant le toit de la bulle en place, et des pansements gras occlusifs appliqués (par exemple, Flammazine®). Les mêmes lésions peuvent survenir après exposition au froid (gelures).
Des coups de soleil importants peuvent comporter des bulles (équivalentes à des brûlures).
Phytophotodermatose :
Des lésions bulleuses survenant après un contact avec des végétaux l’été ou le printemps après exposition solaire, avec aspect figuré des lésions (dessins des zones de contact avec les végétaux) évoquent une phytophotodermatose.
Un traitement symptomatique par dermocorticoïdes en cure courte, par émollients et par absence de récidive de l’exposition solaire est mis en place.
Piqûres :
Les piqûres d’insectes et de méduses peuvent induire des lésions bulleuses. Elles sont de diagnostic évident.
Le traitement est symptomatique : nettoyage au sérum physiologique, antisepsie par chlorexidine, éventuellement application de dermocorticoïdes ou d’antihistaminiques locaux.
Caustiques :
L’application de caustiques domestiques ou industriels (soude, etc.) peut entraîner des lésions de dermite caustique.
Le traitement est le même que celui des brûlures.
Porphyrie cutanée tardive :
Les lésions sont provoquées par l’exposition solaire et prédominent sur le dos des mains.
L’homme entre 30 et 50 ans est le plus touché.
L’éthylisme et l’infection par le virus de l’hépatite
C sont des facteurs favorisants.
Examen :
Sont notés à l’examen :
– lésions bulleuses et érosions post-bulleuses des régions découvertes, prédominant sur le dos des mains ;
– cicatrices atrophiques avec des g rains de milium sur ces mêmes zones ;
– hypertrichose et hyperpigmentation temporomalaire ;
– fragilité cutanée.
Dans les urines, on note une élimination massive d’uroporphyrines. Une hypersidérémie est recherchée, de même que des perturbations du bilan hépatique. Les sérologies VHC et VIH doivent être effectuées, un éthylisme chronique recherché. Les médicaments pris sont identifiés, certains favorisant la survenue de la porphyrie.
Traitement :
Le traitement comporte l’arrêt de l’éthylisme, la prise en charge éventuelle de l’infection par le VHC, l’arrêt des médicaments possiblement inducteurs.
Le spécialiste peut décider de la pratique de saignées ou de la mise sous Nivaquine® à faibles doses deux fois par semaine.
Dermatoses bulleuses auto-immunes :
Elles sont dues à une atteinte auto-immune de la peau, avec présence d’anticorps antiépiderme.
Suivant la cible de ces anticorps, on distingue les dermatoses bulleuses auto-immunes par atteinte de la jonction dermoépidermiques (sousépidermiques, pemphigoïdes bulleuse et cicatricielle, par exemple) et les dermatoses bulleuses intraépidermiques (pemphigus) par la perte de cohésion entre les kératinocytes (phénomène d’acantholyse).
Le malade est confié au spécialiste.
Dermatoses bulleuses sous-épidermiques :
Pemphigoïde bulleuse (PB) :
La PB est la plus fréquente des dermatoses bulleuses auto-immunes, celle à laquelle le praticien est le plus souvent confronté. Le sujet âgé surtout et, dans une moindre mesure, le sujet souffrant de troubles neurologiques sont le plus souvent touchés.
* Examen clinique :
La dermatose débute souvent par un prurit persistant, puis apparaissent des placards inflammatoires pseudo-urticariens ou eczématiformes suivis de bulles de grande taille, à contenu clair, tendues, sur les placards inflammatoires ou sur la peau érythémateuse. Les bulles sont bilatérales, symétriques, prédominant sur les faces de flexion des membres, sur les racines des membres, sur les faces antéro-internes des cuisses et sur l’abdomen. Il n’y a généralement pas d’atteinte muqueuse.
* Examens complémentaires :
La NFS retrouve une hyperéosinophilie. L’examen d’une bulle en histologie standard montre une bulle sous-épidermique contenant des éosinophiles et un infiltrat inflammatoire dermique.
Il n’existe ni d’acantholyse (contrairement au pemphigus), ni de nécrose kératinocytaire (contrairement aux toxidermies). En immunofluorescence directe, des dépôts linéaires d’IgG et/ou de C3 le long de la membrane basale sont retrouvés. Dans le sang, il existe en immunofluorescence indirecte des anticorps antimembrane basale. Leur taux n’est pas corrélé à l’évolution de la maladie.
* Traitement :
Le traitement est du ressort du spécialiste.
La corticothérapie générale est actuellement remplacée par une corticothérapie locale par dermocorticoïdes d’activité très forte (type Dermoval®), dont les modalités d’applications font l’objet d’études. Les soins locaux (nettoyage au sérum physiologique, perçage aseptique des bulles) sont essentiels. Les antihistaminiques de type anti-H1 peuvent aider à diminuer le prurit. Dans les cas graves, un traitement immunosuppresseur (azathioprine, mycophénolate mofétil) ou une biothérapie ( rituximab) peut être nécessaire.
Pemphigoïde cicatricielle :
Le sujet âgé est le plus souvent touché.
* Examen clinique :
Contrairement à la pemphigoïde bulleuse, les muqueuses sont préférentiellement touchées :
– atteinte buccale avec gingivite, stomatite bulleuse ou érosive ;
– atteinte conjonctivale avec synéchies et risque de cécité par taie cornéenne ;
– atteinte trachéale possible avec sténose.
La peau est peu touchée, principalement la tête (cuir chevelu) et le cou (érosions chroniques avec cicatrices déprimées).
* Examens complémentaires :
L’histologie standard (bulle sous-épidermique) et l’étude en immunofluorescence directe (dépôts linéaires d’IgG et/ou de C3 le long de la membrane basale) sont identiques à celles de la PB.
Il faut souvent avoir recours à l’étude en microscopie électronique. Sur peau humaine clivée, les anticorps se fixent sur le plancher de la bulle (sur le toit dans la PB). Des anticorps antimembrane basale peuvent être retrouvés de façon inconstante dans le sang.
* Traitement :
Le traitement est du ressort du spécialiste.
L’atteinte oculaire doit être évaluée par un examen ophtalmologique rigoureux. La gravité de cette atteinte peut justifier un traitement par immunosuppresseurs type Endoxan®. Plus généralement, la dapsone ( Disulone®) est donnée en première intention. Il est important de rechercher au préalable un défi cit en G6PD et d’effectuer une surveillance régulière de la NFS car l’anémie hémolytique est constamment induite.
Un syndrome d’hypersensibilité peut également être induit. La Salazopyrine® peut être utilisée en alternative avec une surveillance du bilan hépatique et à doses progressives. Les immunoglobulines par voie intraveineuse, le mycophénolate mofétil et le rituximab ont également été proposés.
Dermatite herpétiforme :
La dermatite herpétiforme est une dermatose rare en France. L’adolescent et l’adulte jeune sont le plus souvent touchés, contrairement aux pemphigoïdes cicatricielles et bulleuses. Elle est associée à la maladie coeliaque (intolérance au gluten).
* Examen clinique :
Les lésions vésiculobulleuses prédominent sur les fesses, les coudes et les genoux. Elles ont une disposition symétrique. L’évolution se fait par poussées avec période de rémission spontanée.
La maladie coeliaque est ici le plus souvent asymptomatique.
* Examens complémentaires :
L’histologie montre une lésion bulleuse sousépidermique avec des dépôts d’IgA en motte au sommet des papilles dermiques. Une biopsie du grêle montrerait l’atrophie villositaire.
Les anticorps anti-transglutaminase peuvent être présents.
* Traitement :
Le traitement comporte le régime sans gluten (prise en charge diététique spécialisée) associé à la dapsone ( Disulone®). La sulfasalazine a été proposée dans les cas résistants.
Épidermolyse bulleuse acquise :
Elle est exceptionnelle chez l’adulte.
* Examen clinique :
Sur les zones de frottement, apparaissent des bulles d’origine mécanique, en particulier sur les extrémités. Les bulles sont sur peau saine et peuvent laisser des cicatrices atrophiques avec grain de milium.
* Examens complémentaires :
La biopsie cutanée montre un aspect de bulle sous-épidermique, avec dépôt linéaire d’immu noglobulines et de complément le long de la jonction dermoépidermique. Des anticorps antimembrane basale circulants sont possibles.
Le diagnostic est confirmé par des techniques histologiques sophistiquées.
Une association avec une entérocolopathie et un diabète sont possibles.
* Traitement :
Le traitement repose sur l’éviction des traumatismes, la colchicine, la dapsone, la corticothérapie générale ou les immunosuppresseurs. Il est difficile et du ressort du spécialiste.
Dermatose à IgA linéaire :
Elle prédomine chez l’enfant. Les lésions ressemblent à celles d’une pemphigoïde bulleuse, avec disposition parfois en rosettes caractéristiques.
Le traitement repose sur la Disulone® et la corticothérapie générale dans les cas résistants.
Pemphigoïde de la grossesse :
(cf. Éruptions pendant la grossesse)
_ Dermatoses bulleuses intra-épidermiques
Il s’agit du groupe des pemphigus. Classiquement, les lésions sont des bulles de petite taille, flasques, fragiles se rompant facilement, sur peau saine. Les muqueuses peuvent être atteintes.
Pemphigus vulgaire :
L’adulte d’âge moyen est touché.
* Examen clinique :
Les lésions muqueuses sont souvent inaugurales, avec érosions buccales gênant l’alimentation (dysphagie) et pouvant conduire à la déshydratation et la dénutrition. Les lésions cutanées sont constituées de bulles de petite taille, flasques, se rompant facilement avec érosions ne cicatrisant pas. Un signe de Nikolski est présent.
Le prurit est modéré ou absent. Les lésions surviennent en peau saine. Le tronc et les plis sont préférentiellement atteints.
* Examens complémentaires :
L’examen en histologie standard d’une bulle récente montre une bulle intraépidermique suprabasale avec cellules épidermiques ayant perdu leur cohésion (acantholyse). L’étude en immunofluorescence directe en peau saine périlésionnelle montre un dépôt épidermique en maille de filet ou en résille d’IgG et de C3. Les anticorps antiépiderme sont détectables dans le sang dans 80 % des cas en immunofluorescence directe.
Leur taux est corrélé à l’activité de la maladie.
La desmogléine, constituant du desmosome, est la protéine cible des anticorps.
* Traitement :
Le pemphigus est une maladie grave, potentiellement létale (10 % de mortalité). Outre les soins locaux, la corticothérapie générale au long cours est souvent proposée en traitement d’attaque. D’autres traitements sont essayés en cas de corticodépendance ou corticorésistance (mycophénolate mofétil, rituximab).
Pemphigus superficiel :
L’atteinte de l’épiderme est ici plus superficielle, sous la couche cornée. Les lésions cutanées prédominent dans les régions séborrhéiques (zone médiothoracique, haut du dos), avec aspect érythématosquameux, avec absence habituelle de lésion muqueuse.
Des formes endémiques existent, en particulier au Brésil ( pemphigus foliacé ou fogo selvagem), ainsi que des formes induites par certains médicaments (Radical sulhydryl, comme la D-pénicillamine ou le captopril).
Le traitement fait appel aux mêmes molécules que les pemphigus vulgaires dans les cas graves.
Certaines atteintes limitées peuvent être traitées par les corticoïdes topiques.
Pemphigus paranéoplasique :
Il est exceptionnel et n’est cité ici que pour mémoire. Le polymorphisme des lésions est plus important, avec en particulier un possible aspect lichénoïde des lésions.
Le traitement est d’abord celui de la néoplasie.
Le traitement spécifique de la dermatose est plus mal codifié ( dermocorticoïdes ou corticothérapie générale, immunoglobulines par voie intraveineuse, etc.). L’évolution est habituellement grave.
Toxidermies :
(cf. toxidermies)
Il s’agit du syndrome de Stevens-Johnson, du syndrome de Lyell et de l’érythème pigmenté fixe bulleux. Le début brutal, l’évolution rapide, l’atteinte muqueuse, l’altération de l’état général sont possibles
Histologiquement, il existe une nécrose kératinocytaire sans acantholyse, et il n’y a pas de dépôt d’IgG et/ou de C3.
Le traitement est décrit dans la partie consacrée aux toxidermies.
Érythème polymorphe :
L’érythème polymorphe prédomine chez l’enfant et l’adulte jeune.
Examen clinique :
Les muqueuses sont souvent atteintes, avec lésions bulleuses et érosives (bouche, mais également gland, conjonctive avec possibilité de synéchies). Les lésions cutanées sont classique ment en cocarde, avec trois zones concentriques et un centre inconstamment bulleux. Les zones acrales sont préférentiellement atteintes (coudes, genoux, mains, visage).
La maladie évolue par poussées avec guérisons spontanées en 2 à 3 semaines possibles.
Examen complémentaire :
Histologiquement, il existe une bulle par nécrose kératinocytaire, sans dépôt d’IgG et/ou de C3 en immunofluorescence directe.
Le plus souvent, l’érythème polymorphe survient en réaction à un herpès récurrent (labial surtout). Des infections à Mycoplasme pneumoniae doivent être évoquées en cas de pneumopathies.
Traitement :
Le malade est confié au spécialiste. En cas de poussées induites par les récurrences herpétiques, un traitement préventif par Zelitrex® (1 cp à 500 mg) peut être essayé pendant six mois.
L’infection à mycoplasme doit être traitée. La Disulone®, voire le Thalidomide®, peut être essayé en traitement de fond.
Dermatoses bulleuses héréditaires :
Les épidermolyses bulleuses héréditaires sont des maladies rares, dues à des mutations de gènes codant pour des protéines de structure de la jonction dermoépidermique. Elles se révèlent surtout chez le nouveau-né. Plusieurs types de gravités différentes existent. Rarement, elles se révèlent à l’âge adulte.
Une fragilité cutanée anormale avec lésions bulleuses et érosion sur les zones de frottement se voit. Le diagnostic est fondé sur la clinique, les antécédents familiaux, l’étude histologique en microscopie électronique et éventuellement la biologie moléculaire.
La prise en charge est du domaine du spécialiste.
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