Le phénomène de Raynaud est un acrosyndrome vasculaire paroxystique. Il est dû à une ischémie transitoire des doigts, souvent déclenchée par le froid et l’émotion. Fréquent, il toucherait 8 % des femmes et 5 % des hommes.
Le diagnostic est clinique. La principale difficulté n’est pas de reconnaître le phénomène de Raynaud, mais d’établir le diagnostic étiologique.
En effet, il peut être sans cause, isolé (phénomène de Raynaud primaire) ou secondaire à une cause générale (en premier lieu, une sclérodermie chez la femme).
DIAGNOSTIC :
La démarche repose d’abord sur l’interrogatoire et l’examen clinique, étayés par quelques examens simples dont la capillaroscopie.
Un phénomène de Raynaud unilatéral oriente vers une cause locorégionale alors qu’un phénomène bilatéral oriente vers une cause générale.
Les trois phases du phénomène de Raynaud :
Le phénomène de Raynaud se découpe en trois phases successives. Seule la première phase (blanche) est constante et nécessaire au diagnostic.
Phase syncopale (phase blanche) :
Cette phase correspond à un arrêt brutal, mais transitoire, de la circulation artérielle digitale.
Les doigts sont blancs, décrits comme « morts », douloureux, avec souvent une perte de la sensibilité.
La phase syncopale dure de quelques minutes à une heure.
Phase asphyxique (phase bleue) :
La phase bleue correspond à un ralentissement du courant veinulaire. Les doigts sont bleus et douloureux. Elle est inconstante et dure de quelques minutes à une heure.
Phase hyperémique (phase rouge) :
La phase rouge correspond à une vasodilatation artérielle réflexe.
Diagnostic différentiel :
Le phénomène de Raynaud n’est pas le seul acrosyndrome vasculaire. Les caractéristiques cliniques des autres symptômes permettent de les différencier.
Acrocyanose :
Contrairement au syndrome de Raynaud, l’acrocyanose est un phénomène permanent, plus fréquent chez les femmes que chez les hommes.
Cyanose permanente des extrémités, favorisée par le froid, elle n’est pas douloureuse. Il s’agit d’un trouble fonctionnel vasculaire.
Érythermalgie :
L’érythermalgie s’oppose point par point au phénomène de Raynaud, puisqu’il s’agit d’un acrosyndrome déclenché par la chaleur et l’effort (et non par le froid), avec extrémités rouges et chaudes (et non pas blanches et froides), dû à un excès de vasodilatation (et non pas de vasoconstriction).
L’érythermalgie est primitive ou secondaire principalement à un syndrome myéloprolifératif ou un traitement vasodilatateur.
Engelures :
Fréquentes, les engelures résultent de l’exposition à un froid plutôt modéré et humide. Les femmes sont plus souvent touchées. Il existe souvent des antécédents familiaux. Des papules violacées se succèdent sur quelques semaines à la face dorsale des doigts ou des orteils. Il ne faut pas les confondre avec une vascularite.
Gelures :
Il s’agit d’une nécrose de l’épiderme secondaire à l’exposition à un froid intense. Elles touchent les sujets débilités aux défenses contre le froid amoindries (par exemple, les sans-abris) ou les sujets jeunes exposés à un froid intense (comme les alpinistes). La région touchée est livide, anesthésiée. Des lésions bulleuses et nécrotiques apparaissent secondairement.
Interrogatoire :
L’interrogatoire recherche :
– antécédents familiaux de phénomène de Raynaud ;
– antécédents personnels : migraine, problèmes vasculaires, dysthyroïdies, néoplasies éventuelles ;
– facteurs de risque vasculaire ;
– prises médicamenteuses : en particulier médicaments vasoconstricteurs type bêtabloquants, antimigraineux ;
– profession du patient : notamment carreleur, utilisateur de marteau-piqueur ;
– activités de loisirs : en particulier karaté.
Examen clinique :
L’examen clinique doit être général, en s’attachant particulièrement à l’examen vasculaire (palpation des pouls, auscultation artérielle, etc.) à la recherche de :
– troubles trophiques : en particulier ulcérations pulpaires, cicatrices ;
– lésions cutanées évocatrices : notamment télangiectasies, érythème péri-unguéal.
Examens complémentaires :
Quelques examens complémentaires peuvent être demandés afin d’orienter le diagnostic étiologique :
– numération formule sanguine (NFS) plaquettes, vitesse de sédimentation (VS), protéine C réactive (CRP), fibrinogène ;
– recherche de facteurs anti-nucléaires (FAN) avec en particulier anticorps anticentromères et anti ScL 70 ;
– radiographie des mains (calcinose, acro-ostéosclérose) ;
– radiographie des poumons (fibrose pulmonaire, côte cervicale) ;
– capillaroscopie (microangiopathie organique avec raréfaction capillaire, macro-capillaires).
ÉTIOLOGIES :
Absence de cause :
L’étiologie la plus fréquente est l’absence de cause. En effet, on estime à environ 75 % des cas la fréquence des phénomènes de Raynaud primaires. Ces derniers, aussi appelés maladie de Raynaud, sont dus à une hypersensibilité des récepteurs vasoconstricteurs et à une sécrétion perturbée de médiateurs vasoactifs.
Les caractéristiques des phénomènes de Raynaud primaires sont les suivantes :
– âge du sujet : femme jeune ;
– antécédents personnels de migraine ou familiaux de phénomène de Raynaud ;
– parfois hypersensibilité au froid, engelures ;
– déclenchement typiquement des crises par le froid et l’émotion ;
– atteinte bilatérale ;
– absence de lésions nécrotiques ;
– pas d’autre symptomatologie ;
– bilan étiologique minimum normal, en particulier absence de microangiopathie organique à la capillaroscopie ;
– évolutivité supérieure à deux ans.
La nature primitive du phénomène de Raynaud est d’autant mieux établie que l’évolutivité est supérieure à cinq ans.
Secondaire à une collagénose :
La cause la plus fréquente est la sclérodermie systémique.
Le phénomène de Raynaud est alors bilatéral, acquis chez une femme de plus de 35 ans.
Il faut rechercher un syndrome sec buccal ou oculaire, des télangiectasies, une sclérodactylie, des ulcérations pulpaires, des troubles trophiques, des arthralgies, une symptomatologie oesophagienne ou pulmonaire. Il s’agit le plus souvent de la forme limitée de sclérodermie cutanée systémique appelée CREST (calcinose sous-cutanée [C], syndrome de Raynaud [R], dysfonction de l’oesophage [E], sclérodactylie [S], télangiectasie [T]), associée aux anticorps anticentromères et à risque d’hypertension artérielle pulmonaire ( HTAP). La capillaroscopie est ici essentielle, recherchant des signes de microangiopathie organique.
D’autres collagénoses peuvent être en cause : lupus systémique, polyarthrite rhumatoïde, syndrome de Sharp, dermatomyosite, syndrome de Gougerot-Sjögren, etc.
Causes artérielles :
Maladie de Buerger :
Chez un sujet jeune, grand fumeur, il faut penser à la maladie de Buerger. La notion de claudication plantaire intermittente, de thromboses veineuses superficielles récidivantes, de troubles trophiques distaux est recherchée.
Le traitement repose sur l’arrêt complet et définitif du tabac, qui est assez souvent très difficile à obtenir et les antiagrégants. Les analogues de la prostacycline IV ( iloprost, Ilomédine®) est utile en cas de poussée, en hospitalisation.
Artérite digitale :
Chez un homme d’âge moyen, tabagique, aux autres facteurs de risque cardiovasculaire ( diabète, HTA, syndrome dysmétabolique, dyslipidémie), il faut rechercher une artérite digitale. Les pouls radiaux ou cubitaux peuvent être abolis. Il existe des troubles trophiques avec peau sèche, cyanosée, des souffles sur les trajets artériels et d’autres manifestations de l’athérome.
Le malade est confié au chirurgien vasculaire après réalisation d’un échodoppler de débrouillage.
Maladie de Takayasu :
La maladie de Takayasu touche les femmes entre 20 et 30 ans. Outre le syndrome de Raynaud, il peut exister une claudication d’effort des membres supérieurs, un syndrome postural, une asymétrie tensionnelle.
Les examens d’imagerie (angioscanner ou angio-IRM surtout) montrent des images évocatrices (sténoses, dilatations, atteinte en particulier de la portion post-vertébrale de la sous-clavière).
Il n’existe classiquement pas de facteur de risque cardiovasculaire. Une association avec une maladie de Crohn ou des antécédents de tuberculose peuvent se voir.
Le malade est confié au spécialiste.
Maladie des engins vibrants :
Chez un homme exposé depuis plus de six mois à des microtraumatismes, avec présence de paresthésies (syndrome du canal carpien), il faut penser à la maladie des engins vibrants. Il existe souvent un tabagisme qu’il faudra savoir sevrer et un reclassement professionnel est le plus souvent nécessaire.
Phénomène de Raynaud unilatéral :
Un phénomène de Raynaud unilatéral oriente vers une anomalie vasculaire du membre homolatéral.
L’abolition d’un pouls, un souffle sousclavier sont recherchés. Un échodoppler artériel puis un angioscanner ou angio-IRM davantage qu’une artériographie sont à effectuer.
Les anomalies de l’artère sous-clavière peuvent entraîner un phénomène de Raynaud par embolies distales ( défilé costoclaviculaire, athérome, artérites).
Les sujets utilisant la paume de la main comme outil dans les loisirs ou le travail peuvent constituer des anévrismes de l’artère cubitale avec embolies distales.
Toxiques et médicament :
Outre le tabac, la prise de cocaïne et de cannabis est recherchée. Leur arrêt est primordial. Les médicaments vasoconstricteurs (dérivés de l’ergot de seigle, triptans, bêtabloquants, amphétamines) peuvent être en cause. Citons également la bléomycine, l’interféron-α, la bromocriptine, la ciclosporine, la vinblastine. L’exposition professionnelle au chlorure de vinyle (décroûteurs d’autoclave) peut entraîner un syndrome de Raynaud avec capillaroscopie anormale.
Autres causes :
Une cryoglobulinémie, des agglutinines froides sont à rechercher en cas d’orientation clinique.
Classiquement, des causes diverses sont citées dans le phénomène de Raynaud : hypothyroïdie, acromégalie, syndromes myéloprolifératifs, néoplasies, etc.
TRAITEMENT :
Le traitement repose sur l’arrêt des facteurs aggravants en premier lieu : arrêt du tabagisme ou de la prise de toxiques, arrêt des prises médicamenteuses suspectes, protection contre le froid et l’humidité.
Les inhibiteurs calciques (type Tildiem® 160 1/j) pourront être prescrits au début de l’hiver.
En cas de troubles trophiques, notamment de nécroses digitales dans la sclérodermie, outre les pansements gras et les soins locaux, des perfusions d’iloprost pourront être effectuées sur
cinq jours en milieu hospitalier.