La principale crainte du patient et du praticien devant une tumeur pigmentée est celle d’un mélanome.
Les tumeurs noires peuvent être d’origine :
– non mélanocytaire : angiomes thrombosés, carcinome basocellulaire, histiocytofibrome, kératose actinique ;
– mélanocytaire : nævus, mélanome, lentigos, éphélides.
En cas de doute, il ne faut pas hésiter à demander un avis spécialisé.
Le meilleur examen de dépistage du mélanome est l’examen du revêtement cutané sur un malade déshabillé à l’occasion de la consultation médicale.
TUMEURS NON MÉLANOCYTAIRES :
Suivant l’aspect clinique, on distingue principalement l’angiome thrombosé, le carcinome basocellulaire pigmenté, l’histiocytofibrome, les kératoses actiniques et séborrhéiques.
Angiome thrombosé :
Cliniquement, il s’agit d’un nodule très noir entouré d’un halo rougeâtre, évoluant en quelques jours, plus fréquemment chez le sujet jeune. Il peut prendre un caractère inquiétant pour le patient.
Il ne faut pas hésiter à pratiquer une biopsie afin de ne pas passer à côté d’un mélanome nodulaire.
La lésion disparaît d’elle-même par la suite.
Carcinome basocellulaire pigmenté :
Le carcinome basocellulaire se reconnaît par son siège sur les régions exposées (visage ++) sur un sujet âgé aux antécédents d’expositions solaires prolongées (pêcheur, agriculteur, loisirs ou travail en plein air). La lésion élémentaire orientant le diagnostic est la présence de petites perles en périphérie.
Il ne faut pas brûler la lésion à l’azote frais mais pratiquer, si possible, une biopsie-exérèse ou une biopsie cutanée. Si l’on n’a pas l’habitude de tels gestes et que la lésion est volumineuse ou de siège délicat, il vaut mieux confier le malade au spécialiste.
Histiocytofibrome :
L’histiocytofibrome est une lésion à l’aspect clinique caractéristique. La plainte est d’ordre esthétique. Situé le plus souvent sur les jambes des femmes, il réalise une lentille brunâtre, ferme, difficilement palpable sur les plans profonds, bien limitée et non douloureuse. La lésion donne l’impression d’une pastille à la palpation du fait de son invagination dans la peau.
L’abstention thérapeutique est la règle, la cicatrisation en cas d’exérèse étant peu satisfaisante.
Taches et kératoses actiniques :
Les taches et kératoses actiniques sont dues à l’exposition solaire cumulative sur une peau vieillissante.
Tâches actiniques :
Les tâches actiniques réalisent des macules pigmentées (« taches de vieillesse ») dont le préjudice n’est qu’esthétique.
On peut proposer un traitement par application de topiques dépigmentants (Méla-D, par exemple).
La protection solaire est importante.
Kératoses :
Les kératoses actiniques surviennent sur le même terrain, mais peuvent faire le lit du carcinome basocellulaire. Elles réalisent des lésions érythémateuses, jaunes, brunes, un peu squameuses, un peu kératosiques, rêches à la palpation.
Il faut les brûler à l’azote liquide. La protection solaire est importante.
Kératoses séborrhéiques :
Les kératoses séborrhéiques ne sont pas liées à l’exposition solaire, mais apparaissent dans la grande majorité des cas au cours du vieillissement (à partir de 30 ans pour certains).
Elles touchent le visage, le thorax, réalisant des lésions planes, ou verruqueuses, et sont de pigmentation variée (café au lait, noire). Elles paraissent posées sur la peau et se soulèvent facilement lorsque l’on applique la curette ou l’abaisse-langue.
Une efflorescence de kératoses séborrhéiques a été décrite dans l’évolution de certains cancers (signe de Leser-Trélat). La valeur de ce signe a été remise en cause.
Le traitement n’est pas toujours nécessaire. En cas de gêne esthétique, l’application d’azote liquide ou l’électrocoagulation peuvent être proposées.
TUMEURS MÉLANOCYTAIRES :
Taches de rousseur ou éphélides :
Les éphélides sont extrêmement banales dans la population générale, chez les sujets à carnation claire. Elles augmentent en nombre et en taille après exposition solaire.
Rarement, lorsqu’elles apparaissent tôt dans la vie et sont à disposition axillaire, elles peuvent s’intégrer dans le cadre d’une neurofibromatose de type 1 ou maladie de Von Recklinghausen ( signe de Crowe).
Des mesures de photoprotection sont expliquées dans ces populations, du fait du risque accru de lésions néoplasiques liées à l’exposition solaire.
Lentigo :
Extrêmement banal lui aussi, le lentigo réalise une macule brunâtre, bistre, de quelques millimètres de diamètre. Le terrain est également celui des sujets âgés avec exposition solaire importante.
Elles sont dues à une augmentation de mélanine.
La présence de lentigines sur les muqueuses (lèvres) évoque un syndrome de Peutz-Jeughers, associant lentigines cutanéomuqueuses et polypes coliques.
La photoprotection et les topiques dépigmentants peuvent être proposés.
Nævus :
Les nævi réalisent des lésions pigmentées bien limitées, homogènes, grossièrement symétriques, de petite taille (< 1 cm de diamètre), non évolutives. Ils sont asymptomatiques. Leur aspect est grossièrement identique. Le diagnostic est le plus souvent évident.
Ils apparaissent surtout durant la première partie de la vie et sont absents chez le nouveau-né.
Une efflorescence de nævi peut s’observer lors des grossesses. Ceux-ci peuvent alors se modifier et prendre un aspect inquiétant (cf. Éruptions pendant la grossesse). Leur apparition chez le sujet âgé est très suspecte et une biopsie-exérèse est là souvent nécessaire.
Les nævi congénitaux de grande taille (> à 5 cm) sont confiés au spécialiste et, le plus souvent, pour une exérèse.
Le traumatisme ne favorise pas la dégénérescence.
Un mélanome ulcéré peut saigner. Le patient rapporte alors de lui-même le saignement à un traumatisme banal.
Des événements peuvent survenir dans la vie du nævus.
Évolution :
Hémorragie ou thrombose :
Un brusque noircissement de la lésion, avec plus ou moins halo inflammatoire, est en faveur d’une hémorragie ou d’une thrombose.
Folliculite sous-nævique :
Un nævus pileux devenant sensible, oedémateux, inflammatoire évoque une folliculite sous-nævique.
L’abstention est de règle.
Halonævus de Sutton :
Un nævus s’entourant d’un halo blanchâtre, disparaissant progressivement, est un halonævus de Sutton. Il s’agit de l’attaque du nævus par le système immunitaire. C’est un phénomène fréquent lors de l’adolescence. Si le halonævus est inhomogène, apparu chez un sujet de plus de cinquante ans, on doit craindre un mélanome et réaliser une biopsie-exérèse.
Les halonævi peuvent également s’observer sur des nævi précédemment normaux lors de l’évolution de mélanomes.
Syndrome des nævi atypiques :
Le syndrome des nævi atypiques correspond à la présence chez un individu de nombreux nævi (> 50), de grande taille, survenant sur les zones non exposées. Leur aspect peut être atypique car il ne remplit pas tous les caractères rassurants (symétrie, bords réguliers, couleur homogène).
Ils ont cependant tous un aspect proche.
L’exérèse de toutes les lésions est inutile.
Une surveillance dermatologique est cependant nécessaire, car le terrain est le même que celui du mélanome.
Nævus bleu :
Le nævus bleu correspond à un nævus avec une pigmentation bleue homogène due à la localisation profonde du pigment.
En cas de suspicion de mélanome, il ne faudra pas hésiter à confier le malade au spécialiste pour dermatoscopie et éventuellement biopsieexérèse.
Nævus d’Ota :
Le nævus d’Ota correspond à un nævus touchant les deux branches du trijumeau.
Déficit immunitaire :
Classiquement, les naevi sont plus nombreux en cas de défi cit immunitaire.
Tache bleue mongolique :
La tache bleue mongolique est un nævus bleu congénital, plus fréquent chez les sujets noir et asiatique et les populations du bassin méditerranéen.
Il s’agit d’une tache ardoisée lombaire, disparaissant spontanément par la suite dans l’enfance.
Traitement :
Il n’y a pas de traitement spécifique des nævi.
La photoprotection est de mise. Une autosurveillance est nécessaire. Une exérèse est proposée
en cas d’apparition d’un nævus de novo et d’une modification de son aspect. Un nævus ulcéré, traumatisé et saignotant doit être enlevé.
Dans la mesure du possible, il faut également pratiquer l’exérèse des nævi inquiétant le patient. Les grands nævi congénitaux (> 20 cm) sont enlevés par le spécialiste.
Mélanomes :
Les mélanomes, tumeurs malignes développées aux dépens de mélanocytes de la couche basale de l’épiderme, doivent rester la hantise du praticien devant toute lésion pigmentée. En effet, les mélanomes ont un pouvoir métastatique rapide, par voie sanguine et lymphatique, et sont peu sensibles aux chimiothérapies. L’exérèse chirurgicale précoce est impérative. L’évolution se fait classiquement :
– soit par une extension initialement horizontale, intra-épithéliale, plus ou moins longue, suivie plus tardivement par une extension verticale dans le derme, ( mélanomes superficiels extensifs) ;
– soit par une extension d’emblée verticale ( mélanomes nodulaires).
Peuvent survenir ensuite les métastases, cutanées
entre la lésion et les ganglions de drainage,
soit ganglionnaires, soit viscérales.
Diagnostic :
Le mélanome est suspecté par la clinique devant l’analyse morphologique de la lésion et confirmé par l’analyse histologique de la pièce de biopsie exérèse. Contrairement à une idée reçue, les mélanomes surviennent le plus souvent en peau saine, et rarement sur une lésion (nævus) préexistante.
Interrogatoire :
L’interrogatoire est important, il précise :
– apparition ou modification récentes d’une lésion pigmentée ;
– régression ou disparition d’une lésion pigmentée ;
– âge du patient : exceptionnel chez l’enfant ;
– ethnie : plus fréquent chez le sujet blanc, plus rare chez les sujets à peau noire ou jaune ;
– antécédents personnels ou familiaux : en particulier de lésions pigmentées, notion d’exérèse éventuelle et du résultat de l’analyse histologique ;
– coups de soleil dans l’enfance ;
– qualité du bronzage : bronze facilement ou pas ;
– profession et loisirs : exposition solaire ;
– exposition éventuelle sous des lampes à bronzer.
Examen clinique :
Le mélanome est suspecté par la clinique devant l’analyse morphologique de la lésion. L’examen clinique doit s’attacher à rechercher d’autres lésions suspectes, la présence éventuelle d’adénopathies, dans le territoire de drainage de la lésion et à distance, et une organomégalie. Le contraste entre la lésion suspecte et les autres nævi du patient, qui ne ressemblent pas aux grains de beauté, est également majeur (règle du « vilain petit canard »). Il ne faut pas oublier d’examiner les pieds, les orteils, les oreilles et les conduits auditifs externes, les organes génitaux et la marge anale.
L’analyse par dermatoscopie est du ressort du spécialiste ayant reçu une formation spécifique.
Le mélanome siège préférentiellement sur le tronc des hommes et les jambes des femmes.
* Analyse morphologique :
L’analyse morphologique repose classiquement sur la règle de l’Abécédaire (Encadré 1).
Encadré 1. Règle de l’Abécédaire
Asymétrie
Bords
Bords irréguliers, souvent encochés, polycycliques, mal limités, coulée d’encre
Couleur
Couleur inhomogène avec zones plus brunes, plus noires, bleutées, décolorées, rouges, rosées, infl ammatoires
Diamètre
Diamètre supérieur à 6 mm
Évolutivité
Évolutivité d’après l’interrogatoire du patient ou des photographies antérieures, avec augmentation de taille, modifi cation de la lésion, changement de couleur, apparition de relief ou saignotage
* Tumeur noire :
En présence d’une tumeur noire, un certain nombre de sujets risquent plus de développer un mélanome :
– le soleil est le facteur environnemental majeur.
Les expositions solaires intermittentes, répétées, survenues préférentiellement dans l’enfance (d’autant plus qu’il y a eu des coups de soleil) sont particulièrement à risque. L’exposition solaire, lors des loisirs, intermittente, est ainsi plus à risque que l’exposition continue préférentielle. Cependant, la mélanose de Dubreuilh des sujets âgés est plutôt liée à une exposition solaire chronique et cumulative, et certains sous-types (mélanome acral, mélanome muqueux) ne sont pas liés à l’exposition solaire. À noter que l’exposition artificielle sous lampes à ultraviolets augmente également le risque ;
– les antécédents familiaux sont importants et doivent être recherchés systématiquement par l’interrogatoire (10 % des patients avec mélanomes ont des antécédents familiaux de 2 mélanomes sur 3 générations). En cas de mélanome avéré, les enfants et la fratrie du patient sont systématiquement examinés ;
– les sujets à phototype clair (peau claire, cheveux blonds ou roux, yeux clairs, éphélides, rougissant avant de bronzer difficilement) sont plus à risque ;
– les sujets avec des multiples nævi de grande taille, d’allure suspecte (syndrome du nævus atypique) ;
– les sujets avec antécédents personnels de mélanome (mêmes causes, mêmes effets) ;
– les sujets porteurs de nævus congénital de grande taille (noter la taille) ;
– les sujets porteurs d’une anomalie de réparation de l’ADN ( Xeroderma pigmentosum, surtout chez le sujet originaire du Maghreb).
Examen complémentaire :
En cas de suspicion de mélanome, la règle d’or est la suivante : toute lésion suspecte doit faire l’objet d’une biopsie-exérèse pour un examen histopathologique.
La pièce est confiée au mieux à un anatomopathologiste spécialisé en dermatopathologie, avec le maximum de renseignements cliniques.
La lésion est enlevée en totalité, avec des marges saines, et, au mieux, orientée. Il ne doit pas y avoir de destruction à l’azote liquide en cas de suspicion de mélanome. En cas de lésion de grande taille avec exérèse délabrante, une simple biopsie peut être effectuée dans un premier temps en attendant l’exérèse chirurgicale.
La biopsie-exérèse est effectuée préférentiellement par un dermatologue, pratiquant la petite chirurgie, ou par un chirurgien.
Le diagnostic, suspecté par-devant l’aspect clinique, est confirmé par l’analyse histologique. Il montre une tumeur constituée de cellules d’origine mélanique avec une composante souvent épidermique et dermique.
Pronostic :
Le critère pronostic principal est histologique.
Il s’agit de l’indice de Breslow, représentant la mesure de la hauteur tumorale sur l’examen histologique.
La survie à cinq ans dépend directement de cet indice (Tableau I).
Ainsi, le pronostic est bon pour les lésions localisées avec un indice de Breslow inférieur à 0,75 mm, mauvais si l’indice est supérieur à 3 mm, intermédiaire et souvent imprévisible entre les deux.
Le pronostic dépend également d’autres éléments (présence ou non d’une ulcération, d’une zone de régression histologique, âge avancé, sexe masculin, topographie acrale ou muqueuse).
Les confrontations clinique et histologique permettent de classer les mélanomes en six groupes différents, aux pronostics variables (Tableau II).
Bilan d’extension :
Le bilan varie suivant la gravité clinique :
– Mélanome d’épaisseur inférieure à 1,5 mm, sans localisation à distance : clinique, éventuellement radio thoracique et échoabdominale (éléments de départ) ;
– Atteinte ganglionnaire clinique, viscérale clinique ou indice de Breslow supérieur à 1,5 mm : examen tomodensitométrique (TDM) thoracique et cérébral.
Évolution :
Les métastases peuvent survenir lorsque les cellules tumorales ont envahi le derme. Elles sont d’abord, pendant des années, ganglionnaires dans le territoire de drainage. Plus tard, elles deviennent palpables, tumorales. Des métastases in situ peuvent apparaître sur le site tumoral initial ; des métastases cutanées en transit entre la lésion initiale et l’aire lymphatique de drainage. Après invasion ganglionnaire, il existe un risque d’atteinte viscérale (poumon, cerveau, foie, etc.), avec un pronostic défavorable.
L’évolution du mélanome est capricieuse, avec une grande variabilité interindividuelle.
Un suivi spécialisé est nécessaire à vie, les métastases pouvant survenir longtemps après la lésion initiale, et un deuxième mélanome restant toujours à craindre.
Traitement :
Le seul traitement curatif est chirurgical. Le traitement et le suivi sont initialement du ressort d’un milieu spécialisé. Le mélanome est pris en charge à 100 %.
La biopsie-exérèse initiale doit donc être pratiquée le plus rapidement possible. Après confirmation du diagnostic, une reprise chirurgicale est effectuée, au mieux par un chirurgien dans un centre habitué à traiter ce type de pathologie, dont les marges dépendent de l’indice de Breslow.
En cas d’exérèse étendue ou délabrante, une greffe de peau ou des lambeaux peuvent être effectués. Les mélanomes des extrémités sont traités par une exérèse souvent à trois centimètres de la tumeur.
En cas d’atteinte ganglionnaire clinique, un curage ganglionnaire doit être effectué, avec analyse histologique et par immunohistochimie des ganglions à la recherche de micrométastases.
En cas de mélanome d’épaisseur supérieure à 1,5 mm, la technique du ganglion sentinelle peut être proposée par certains (recherche par coloration vitale ou scintigraphie du premier ganglion de drainage, exérèse et examen extemporané de celui-ci, curage si atteinte du ganglion détectée aux examens extemporané ou histologique définitif).
Les traitements adjuvants ( interféron) sont du ressort du spécialiste et des protocoles spécialisés.
La chimiothérapie ( Déticène®, Muphoran®) n’apporte que de faibles taux de réponse. Elle est indiquée en cas d’atteinte viscérale métastasique.
La radiothérapie, peu efficace, n’est que palliative.
La vaccination est encore à ses balbutiements.
Suivi :
Un suivi spécialisé à vie est nécessaire. Pour les mélanomes d’épaisseur supérieure à 1,5 mm, une visite de contrôle tous les trois mois est nécessaire pendant la première année. Entre la troisième et la cinquième année, la surveillance est bisannuelle. Elle devient ensuite annuelle.
Tout examen clinique implique l’examen cutané complet.
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