La surcharge pondérale et l’obésité ont une prévalence qui est en nette augmentation dans les sociétés occidentales. En France, chez l’adulte, la prévalence de l’obésité est d’environ 8 à 10 % (vs. 30 % aux Etats Unis) alors que la surcharge pondérale concerne 25 à 30 % de la population.
L’augmentation séculaire de cette « épidémie » en fait un véritable fléau de santé publique. Si les conséquences néfastes sur la santé de l’excès d’adiposité sont bien connues, les moyens d’action, de prévention et de traitement semblent difficiles à faire appliquer. Dissipons d’emblée un malentendu : cette affection fréquente est bien très largement due à des modifications environnementales et comportementales (diminution de l’activité physique et sédentarité, comportement et disponibilité alimentaire et nutritionnelle qualitative et quantitative), bien plus qu’au terrain génétique qui néanmoins interagit avec l’environnement et favorise ou non l’expression de certaines des complications médicales liées au surpoids. L’augmentation de la fréquence de la surcharge pondérale chez l’enfant (multiplié par 4 depuis 30 ans) et chez le jeune adulte constitue une évolution inquiétante de l’épidémiologie de l’obésité en France qui tend bien à rejoindre celle des Etats-Unis.
EXAMEN CLINIQUE :
Le diagnostic de l’obésité est habituellement évident à la simple inspection : il s’agit d’un symptôme visible et soumis à un jugement de valeur social. Par contre l’objectivation de la surcharge pondérale simple nécessite habituellement la pesée et la mesure de la taille du patient, soulignant l’importance du recueil systématique de ces paramètres lors de la consultation médicale. Il est utile de s’aider de la classification OMS des surpoids (Tableau I), basé sur le calcul de l’indice de masse corporelle (poids en kg sur taille en mètre élevée au carré) ou IMC (reflet indirect de l’adiposité). Point important il faut rapidement distinguer les 2 formes cliniques d’obésité, gynoïde (prédominance de la surcharge au niveau des hanches) et androïde (obésité à prédominance abdominale ou périviscérale).
L’obésité gynoïde, apanage des femmes, n’entraîne que peu de conséquence médicale en dehors des troubles du retour veineux. L’obésité androïde et mixte, apanage des hommes et de toutes les surcharges pondérales importantes (IMC supérieur à 30, i.e. obésité proprement dite), est la plus importante à médicalement considérer : elle s’associe constamment à un syndrome d’insulinorésistance et constitue un facteur de risque de complications cardiovasculaires (coronaropathie et accidents vasculaires cérébraux essentiellement). Le diagnostic de la surcharge adipeuse abdominale androïde peut être simplement objectivé par la mesure du périmètre abdominal au niveau ombilical : un tour de taille > 90 cm chez la femme ou > 100 cm chez l’homme est hautement prédictif d’une obésité péri viscérale abdominale. Il s’agit d’un facteur de risque de morbidité et de mortalité indépendant de l’IMC : ainsi sans atteindre la limite d’IMC à 30, la surcharge pondérale peut être délétère pour la santé.
Le diagnostic différentiel de l’obésité est habituellement simple : les lipomatoses, syndromes lipodystrophiques (en particulier dans la maladie VIH traitée) et surtout les syndromes oedémateux systémiques (cirrhose décompensée, insuffisance cardiaque…) sont faciles à écarter.
Une intégration des données multifactorielles (médicales, psychologiques, sociales…) est indispensable. L’examen clinique doit se focaliser sur quelques données simples: mesure de la pression artérielle (avec un brassard adapté) si possible aux deux bras, examen cardio-pulmonaire et ECG, recherche d’une hépatomégalie, recherche de troubles trophiques des membres inférieurs… Bien évidemment l’examen clinique pourra être ciblé sur certains territoires en fonction du contexte et de la plainte du patient.
BILAN :
Schématiquement le praticien peut être amené à voir un patient obèse dans trois circonstances :
– fortuitement pour un problème intercurrent, a priori sans rapport avec son état nutritionnel. Il va de la discrétion du praticien à ne pas rentrer dans une demande non formulée mais selon le contexte, une orientation peut être proposée ;
– fortuitement ou non pour un problème ou une complication manifestement favorisé par la surcharge pondérale (comorbidités comme par exemple le diabète, l’hypertension artérielle : voir Tableau II). Le praticien doit certainement conseiller une prise en charge pour le problème pondéral. Néanmoins, le patient a dans ce cas souvent déjà essayé avec plus ou moins de bonheur différentes méthodes thérapeutiques. La découverte d’une complication pourra être l’occasion d’un recadrage de l’approche ;
– spécifiquement pour une demande de perte de poids, le patient se sentant « trop gros ». Dans cette dernière situation il appartiendra au médecin de faire la part des choses et d’objectiver ou non la réalité, au sens médical, de la surcharge pondérale.
Dans ces deux derniers cas il importera :
– de rechercher les antécédents : antécédents familiaux d’obésité, antécédent personnel d’événement ou de facteur de risque cardiovasculaire…
Il faudra notamment s’enquérir d’un tabagisme actif, de la prise de médicaments : lithium, antiépileptiques, neuroleptiques, corticoïdes…
– d’avoir des précisions sur l’anamnèse pondérale du patient : notamment date de début de la surcharge, poids à 20 ans (il est physiologique de prendre du poids avec l’âge : 2-3 kg par décennie chez la femme à partir de 20 ans et chez l’homme à partir de 30 ans) ; nombre et amplitude des fluctuations pondérales ; rechercher l’influence de facteurs psychologiques et d’environnement potentiellement déclenchantes (dépression, évènements stressants, modification des conditions de vie…). À titre d’exemple on rappellera qu’il est habituel de grossir en moyenne de 3 à 5 kg à l’arrêt d’un tabagisme actif ;
– de centrer le bilan vers la recherche de complications métaboliques voir mécaniques.
Biologiquement il faudra au minimum faire effectuer une glycémie à jeun, un bilan lipidique, une uricémie et un bilan hépatique (la surcharge pondérale est la première cause d’augmentation des transaminases). Selon l’âge et les autres facteurs de risque cardio-vasculaire, les explorations pourront être plus approfondies.
En cas d’obésité sévère (IMC > 35) il est tout particulièrement essentiel de dépister et traiter les complications respiratoires (syndrome d’apnée du sommeil, hypoventilation), source de mort subite et d’aggravation du risque cardiovasculaire.
Il est bon de se rappeler que toutes les spécialités médicales peuvent être confrontées à des complications et spécificités de malades obèses.
Les patients particulièrement à risque doivent être individualisés : il s’agit des patients entrant dans le cadre du syndrome plurimétabolique ou d’insulinorésistance. Ces patients présentent peu ou prou une surcharge pondérale abdominale (parfois sans obésité : l’IMC peut être inférieur à 30), une anomalie de tolérance au glucose voir un diabète de type 2 vrai, une dyslipidémie (baisse du HDL cholestérol et élévation des triglycérides) et une hypertension artérielle. Du fait d’un risque cardio-vasculaire absolu élevé, souvent > 10% sur 10 ans, une prise en charge métabolique, nutritionnelle et souvent médicamenteuse est indispensable.
Une enquête sur le comportement alimentaire et le niveau qualitatif et quantitatif des apports, à la recherche de troubles à corriger est un préalable indispensable à la prise en charge.
On recherchera en particulier une hyperphagie prandiale vraie (lié à la simple gourmandise, à la solitude voire très rarement à une absence de satiété…), un grignotage (sucré et/ou salé) ou des troubles plus caractérisés (compulsion alimentaire, craving ou envie irrésistible de man ger, prises alimentaires nocturnes…), alternant souvent avec des périodes de restriction alimentaire…
L’analyse de la motivation du patient à maigrir est fondamentale à recueillir. Il faut rappeler que le patient obèse a toujours eu, au moins pendant la phase de constitution de son obésité, des apports alimentaires supérieurs à ses besoins énergétiques. Cette réalité thermodynamique intangible n’empêche pas que, à la 0phase d’état, les ingesta puisse être peu élevés, ce qui contribuera à la résistance à l’amaigrissement voulu. Les obésités « secondaires » (hypothalamiques, endocriniennes) et « constitutionnelles » (à fort déterminant familial) sont rares mais du fait de la fréquence de l’hypothyroïdie frustre, parfois révélée par une hypercholestérolémie isolée, un dosage de TSH doit être dans la plupart des cas réalisé.
PRISE EN CHARGE :
La prise en charge thérapeutique des patients en surpoids est difficile et souvent peu gratifiante.
Elle doit impérativement s’inscrire dans la durée.
Le rôle du clinicien est de tenter d’appréhender pour chaque patient les facteurs prédominants et ceux qui sont accessibles au traitement. La prise en charge et les objectifs thérapeutiques ne se limitent pas à la perte de poids. En cas d’obésité constituée évoluant depuis au moins 10 ans, les taux de succès à moyen terme – sur le paramètre poids – des différentes approches « nutritionnelles » et médicales sont inférieurs à 10 %, contribuant à la perte d’estime et aux problèmes psychologiques secondaires fréquent dans ce syndrome. La résistance, biologique et psychologique, à la perte de poids constitue bien le lot commun de ces malades. Dans certains cas le surpoids sera à respecter : patient âgé de plus de 75 ans, refus, certaines affections psychiatriques…
La démarche thérapeutique logique, stratégie à adapter au cas par cas, est :
– 1. Correction des troubles du comportement alimentaire « évidents », correction des erreurs diététiques flagrantes. Un abord psychothérapeutique peut se justifier dans certains cas. L’encouragement à une activité physique modérée (environ 30 minutes/jour) est indispensable pour améliorer les résultats de la prise en charge alimentaire et diminuer l’insulinorésistance.
– 2. En cas d’adhérence et de motivation du patient, un projet alimentaire, au moyen d’un « modèle alimentaire », réaliste, adapté socialement aux contraintes de la vie du patient, est à proposer. Un objectif pondéral cohérent et concerté doit être proposé : un sujet de 45 ans ayant un IMC à 35 ne reviendra pas et surtout ne se maintiendra pas à un IMC de 25. Très sou vent, dans l’obésité commune, une perte de 10 à 15 kg ou de 5 à 10 % du poids corporel entraîne déjà une amélioration de la gêne fonctionnelle (diminution de la dyspnée…) et améliore la tolérance métabolique (augmentation de l’insulinosensibilité) et hémodynamique. Il est utile de s’aider d’une diététicienne pour l’élaboration du projet alimentaire. Le modèle alimentaire est modérément hypocalorique (réduction d’environ 30% par rapport au niveau des apports spontanés rapportés par le patient, adapté à la dépense énergétique de repos théorique) avec réduction de l’excès d’apport calorique (lipides, alcool…) sans restriction et « interdits », sources rapides de non observance du patient. Le sujet obèse à fréquemment tendance à sous-estimer ses apports alimentaires : il faut en tenir compte dans l’élaboration des conseils et du « régime ». Le « régime » est à suivre de façon indéfinie car l’objectif est le long terme. Sur le long terme une efficacité n’est obtenue qu’en cas d’adhérence réelle du patient…Toutes les méthodes, de nature et d’inspiration très diversifiées, proposées pendant une durée limitée sont clairement inefficaces (rebond pondéral quasi-constant à l’arrêt et effet de « yo-yo » pondéral) et parfois sources de carences en micro nutriments.
– 3. Les médicaments peuvent avoir leur place en seconde ligne en cas d’obésité ou surpoids associé à des comorbidités sévères. Sont disponibles en France l’Orlistat ( Xénical®), qui entraîne une malabsorption modérée (30 %) dose-dépendante des lipides alimentaires par insuffisance pancréatique fonctionnelle réversible et la Sibutramine ( Sibutral®) qui agit comme antagoniste de la recapture des amines endogènes centrales. La prescription initiale et de 3 mois avec une prolongation jusqu’à 2 ans chez les patients répondeurs (perte de plus de 5 % du poids initial ou amélioration des comorbidités).
D’autres médicaments devraient bientôt être disponibles. Aucun médicament anti-obésité n’a vraiment fait la preuve de son utilité sur le long terme.
– 4. La chirurgie digestive bariatrique est la dernière ligne thérapeutique à envisager. Deux méthodes principales sont possibles : l’anneau gastrique (et les autres types de gastroplasties) et le by-pass gastrique. Cette dernière, provoquant une malabsorption, est à réserver aux cas les plus sévères. Les résultats sont souvent spectaculaires : en terme de réduction pondérale il s’agit indiscutablement de la méthode la plus efficace sur le moyen terme (5 ans), tant en terme pondéral (perte de poids de 20 à 40 %) qu’en réduction de certaines comorbidités. Mais il existe 10 à 20 % de complications, notamment digestives, parfois invalidantes ou sévères, et environ 15 % d’échecs. La chirurgie bariatrique impose une hygiène alimentaire stricte. En l’absence de contre-indications (notamment psychiatrique et digestive), elle est à réserver aux obésités sévères, IMC > 40 en l’absence de comorbidités ou > 35 en présence de comorbidités liées à la surcharge pondérale, non répondeuse à une prise en charge médicale pluridisciplinaire d’au moins 1 an. La chirurgie plastique (lipectomie du tablier abdominal, liposuccion…) n’est à envisager qu’après stabilisation de la réduction pondérale.
RÔLE DU MÉDECIN GÉNÉRALISTE DANS LA PRÉVENTION DE L’OBÉSITÉ :
Le médecin généraliste est au coeur du système de soin pour coordonner la prise en charge multidisciplinaire des pathologies chroniques. Ceci est tout particulièrement le cas dans l’obésité.
Il doit dépister précocement les situations à risque, notamment et de plus en plus chez l’enfant, et participer à l’éducation nutritionnelle de ses patients : encourager l’activité physique modérée mais régulière – 30 à 50 % de la population adolescente ou adulte jeune n’ayant aucune activité physique, conseiller la diminution de la densité calorique de l’alimentation… Ceci passe également par les actions de formations continues dans lesquelles il existe un besoin très exprimé de formation en nutrition, palliant l’absence ou l’insuffisance de formation initiale.
Néanmoins le médecin doit être conscient que la modification de la disponibilité alimentaire et de la consommation depuis 50 ans, réduction des sucres complexes au profit des sucres simples et augmentation de la ration lipidique d’origine animale à faible pouvoir satiétogène, ne joue pas en faveur de ses patients ni de la santé publique… Le médecin peut par ailleurs participer aux différents réseaux de soins qui se montent, notamment sous l’impulsion du PNNS (Plan National Nutrition Santé), participer à une action pédagogique en milieu scolaire… Le message véhiculé doit éviter d’être trop normatif car le concept d’idéal minceur ou de poids idéal risque de générer des dérives à type de comportement restrictif anorexique chez l’adolescent(e).
CONCLUSION :
L’obésité est une pathologie fréquente et qui augmente dans la population générale. Facile à diagnostiquer, pas si évidente à prévenir (rôle délétère de la publicité et du mode de vie contemporain), elle génère un sur-risque cardiovasculaire certain et contribue à une stigmatisation sociale et à des problèmes psychologiques difficiles à gérer. Un projet thérapeutique cohérent, adapté au patient, est à trouver au cas par cas. Il sera centré sur la prise en charge des comorbidités éventuelles et sur un projet pondéral réaliste en corrigeant les erreurs alimentaires et en proposant un « régime » adapté non restrictif. La chirurgie bariatrique, à la mode et indiscutablement efficace, n’est pas la panacée : parfois mise en échec, elle peut également entraîner des complications graves justifiant que ses indications et sa réalisation soient confiées à des équipes spécialisées.
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