DIAGNOSTIC :
Les modifications, physiologiques ou pathologiques, éruptions de la peau au cours de la grossesse sont fréquentes. Elles peuvent être négligées par la patiente. Source d’angoisse, elles sont un motif courant de consultation.
Le médecin généraliste est ici en première ligne.
Il lui revient de reconnaître le symptôme cutané, le classer dans les manifestations physiologiques ou au contraire dans les dermatoses spécifiques de la grossesse, de rassurer la patiente et de l’envoyer si nécessaire chez le spécialiste. Il est également amené à suivre « au quotidien » une femme enceinte souffrant d’une maladie dermatologique antérieure à la grossesse.
MODIFICATIONS PHYSIOLOGIQUES :
Les modifications physiologiques concernent les nævi, la pigmentation, les vergetures, les vaisseaux et les phanères. Elles sont expliquées par les changements hormonaux, vasculaires, métaboliques et immunologiques provoqués par la grossesse.
Nævus :
Les nævi (« grains de beauté » pour les patientes) peuvent se modifier durant la grossesse :
augmentation de taille parfois inquiétante, coloration plus foncée, brunâtre, voire noirâtre. De nouveaux nævi peuvent également apparaître.
Le diagnostic différentiel principal est celui d’un mélanome.
La patiente doit être confiée à un anatomopathologiste spécialisé, qui examine les nævi à l’aide d’un dermatoscope et procède, si besoin, à l’exérèse de la lésion suspecte.
Hyperpigmentation :
L’hyperpigmentation est liée à l’élévation gravidique du taux de MSH (melanocyte stimulating hormone).
L’apparition de zones hyperpigmentées (appelées mélanoses) est extrêmement fréquente au cours de la grossesse, plus particulièrement chez les brunes. Les zones atteintes sont les seins et l’aréole mammaire (avec parfois débordement de celle-ci), les régions axillaires et anogénitales, la ligne blanche abdominale, les cicatrices et les cuisses à leur face interne.
Le masque de grossesse ou chloasma est plus rare.
À la fin du 2e ou au début du 3e trimestre, apparaît une zone de mélanose centrofaciale ou mandibulaire, bilatérale et symétrique. L’aspect est celui d’une nappe hyperpigmentée ou irrégulière.
Après l’accouchement, une régression de la lésion est observée, bien que celle-ci ne soit pas totale. Le masque de grossesse peut également se renforcer après la prise d’une contraception oestroprogestative.
Traitement :
La physiopathologie est discutée (estrogènes, progestérone, hormone mélanotrope, rayonnements UV, etc.).
La prévention fait appel, en cas d’exposition, à l’utilisation d’écrans solaires (par exemple, Anthélios XL® de la Roche Posay® ou Photoderm® de Bioderma®, non remboursés).
Des traitements dépigmentants ou l’utilisation de lasers pigmentaires peuvent être proposés par le dermatologue en cas de gêne importante.
Vergetures :
(cf. Vergetures)
Modifications vasculaires :
Angiomes stellaires :
Les angiomes stellaires liés à l’hyperoestrogènie apparaissent entre le 2e et le 5e mois, surtout sur la partie supérieure du corps. Ils sont fréquents chez la femme de peau blanche, mais exceptionnels chez la femme de peau noire. Ils régressent puis disparaissent dans les trimestres suivant l’accouchement.
Ils ne nécessitent pas de traitement.
Érythème palmaire :
Bilatéral, il apparaît également après le premier trimestre et disparaît classiquement après l’accouchement. Les éminences thénar et hypothénar sont érythémateuses. Cet érythème peut s’étendre à l’ensemble de la paume.
Aucun traitement n’est également nécessaire.
Angiomes et télangiectasies :
Des angiomes superficiels ou sous-cutanés et des télangiectasies localisées peuvent apparaître, rarement au cours de la grossesse, et disparaître après.
Varices superficielles :
Les varices sont expliquées par l’hyperpression veineuse (pelvienne et fémorale) créée par l’état gravidique.
Les varices superficielles et les varicosités sont fréquentes sur les membres inférieurs de la femme enceinte, s’accompagnant souvent d’un oedème (touchant parfois la face et les paupières).
Parfois, peut apparaître un oedème rosé, dur et permanent des paupières. Des hémorroïdes et des varicosités vulvovaginales sont possibles, du fait de l’hyperpression veineuse. Rappelons la plus grande fréquence des thromboses veineuses chez la femme enceinte.
Le traitement repose sur le port d’une contention veineuse et sur la position des jambes allongées ou surélevées lors du repos.
Hypertrophie gingivale :
Une gingivite est fréquente chez la femme enceinte.
Elle est hypertrophique et hémorragique.
Des granulomes pyogéniques peuvent s’observer.
Rappelons la possibilité de pertes dentaires chez la femme en cas de carences nutritionnelles.
Le traitement est symptomatique avec une bonne hygiène buccodentaire (lavage des dents trois fois par jour après les repas, bains de bouche type Hextril® 3x/j en recrachant le produit).
Effluvium :
Une perte plus importante de cheveux est possible, avec effluvium télogène à la naissance.
Cette chute des cheveux atteint préférentiellement la région frontopariétale, dure trois mois maximum et est ensuite réversible.
Des compléments vitaminiques ( cystine B6 par exemple) peuvent être proposés.
Affections unguéales :
Les ongles cassent facilement. Des lignes de Beau et une hyperkératose sous-unguéale sont également constatées.
Autres modifications physiologiques :
L’acné est aussi observée. Rappelons que les rétinoïdes même topiques sont contre-indiqués chez la femme enceinte.
L’augmentation de la taille des glandes sébacées des aréoles mammaires est responsable des tubercules de Montgomery.
Des acrochordons, dénommés parfois molluscum gravidarum, apparaissent à la fin de la grossesse autour des seins, sur la face latérale du cou et au niveau des aisselles.
DERMATOSES DE LA GROSSESSE :
Tout praticien a été, est ou sera confronté aux dermatoses spécifiques de la grossesse. Maladies fréquentes et hétérogènes, elles sont le plus souvent bénignes, source uniquement de gêne par exemple par le prurit qu’elles entraînent.
Pourtant, dans quelques cas qui doivent être reconnus, le risque maternel et/ou foetal est présent. Un avis spécialisé, dermatologique et obstétrical, est alors nécessaire.
Les quatre dermatoses les plus fréquentes, classées en fonction de leur tableau clinique et de leur risque maternofoetal, sont détaillées dans le tableau I. Ce risque varie pour chaque dermatose et doit être présent à l’esprit du praticien.
Prurit gravidique :
Il est aussi dénommé cholestase intrahépatique de la grossesse.
Le risque maternofoetal est à prendre en compte, avec possibilités de mort foetale in utero, de mortalité périnatale et de prématurité. Une surveillance obstétricale est donc nécessaire. Le risque maternel est celui d’une carence en vitamine K avec possible hémorragie de la délivrance et fréquence accrue de lithiase vésiculaire.
Le prurit peut récidiver lors des grossesses ultérieures ou lors de la prise d’oestroprogestatifs.
Diagnostic :
Le prurit apparaît au 3e trimestre de la grossesse et prend pour point de départ l’abdomen.
L’examen clinique est normal, retrouvant tout au plus des lésions de grattage non spécifiques. L’ictère est rare. Les autres causes de prurit, détaillées dans le chapitre Prurit, seront éliminées.
Les transaminases (alanine aminotransférase [ALAT]) et les sels biliaires totaux sont élevés.
Échographie hépatobiliaire, sérologie des hépatites virales et examen cytobactériologique des urines (ECBU) sont nécessaires.
Traitement :
Le prurit et les anomalies biologiques régressent rapidement après l’accouchement, au maximum en une quinzaine de jours.
Le traitement repose sur un chélateur des sels biliaires, la colestyramine ( Questran®), à la dose de 8 à 16 g, voire 12 à 24 g/j, per os. En cas de résistance, l’ursodiol ( Ursolvan®) peut être donné à la dose de 450 mg/j per os. On peut utiliser également des antihistaminiques per os, l’Atarax® ou la cétirizine. En cas de carence en vitamine K, pour prévenir une hémorragie de la délivrance, une injection de 10 à 20 mg de vitamine K par voie intramusculaire est nécessaire.
La progestérone micronisée doit être arrêtée, cela suffit parfois à faire régresser le prurit. La contraception repose sur la prise de microprogestatifs.
Pemphigoïde gestationnelle :
La pemphigoïde gestationnelle est une dermatose auto-immune de la grossesse, survenant préférentiellement chez la multipare au 3e trimestre.
Dans 20 % des cas, elle survient en post-partum.
Les risques maternofoetaux sont différemment appréciés selon les séries. Une prématurité, un faible poids et une faible taille de naissance sont possibles ainsi qu’une éruption transitoire chez le nouveau-né.
Des récidives sont observables lors des grossesses ultérieures (si le père est le même), ou, très rarement, lors des menstruations, de la période péri-ovulatoire ou de la prise d’oestroprogestatifs.
Diagnostic :
Examen clinique :
Les lésions sont souvent précédées d’un prurit important. Des placards oedémateux ou urticariens circinés apparaissent. Sur ces placards surviennent secondairement des bulles tendues et des vésicules, à contenu clair, avec une évolution vers des érosions post-bulleuses et des séquelles pigmentées.
Ces lésions débutent le plus souvent sur l’ombilic et la région ombilicale. Elles sont situées sur des placards oedémateux ou urticariens. Les paumes et les plantes (avec aspect de dyshidrose) ainsi que le visage peuvent être également atteints.
Il existe aussi des pemphigoïdes gestationnelles non bulleuses, avec placards urticariens. L’étude en immunofluorescence directe permet de reconnaître la maladie et de la différencier d’une éruption polymorphe de la grossesse.
Une aggravation dans les jours précédant l’accouchement ou en postpartum est possible.
Examens complémentaires :
L’histologie est nécessaire au diagnostic. Elle montre une bulle avec décollement dermoépidermique, avec un infiltrat à polynucléaires éosinophiles et un dépôt linéaire de C3 et d’immunoglobuline G sur la membrane basale.
Biologiquement, il peut exister des anticorps antimembrane basale, aussi nommés Herpes gestationis factor, ainsi que parfois une hyperéosinophilie et des autoanticorps, notamment antithyroïdiens.
Traitement :
La guérison s’effectue en 1 à 17 mois après l’accouchement.
Un avis dermatologique est nécessaire. La malade est confiée au spécialiste. Dans les formes légères ou modérées, un traitement par dermocorticoïdes de niveau II, de type Diprosone®, est proposé. Une corticothérapie générale (Cortancyl®) à la dose de 0,5 à 1 mg/kg/j est nécessaire dans les formes sévères. Dans les formes prolongées après l’accouchement, un traitement immunosuppresseur est nécessaire par azathioprine ( Imurel®) ou méthotrexate.
L’allaitement pourrait réduire la durée d’évolution de la maladie.
Dermatite polymorphe gravidique :
Il s’agit d’une éruption cliniquement hétérogène, regroupant des entités autrefois distinctes.
C’est la plus fréquente des dermatoses de la grossesse, touchant surtout les primipares.
Elle survient préférentiellement au 3e trimestre de la grossesse (36e à 39e SA souvent), plus rarement en post-partum. L’éruption polymorphe surviendrait plus fréquemment en cas de grossesse gémellaire et de garçon.
Le pronostic maternofoetal est bon, les récidives sont rares.
Diagnostic :
Examen clinique :
Cliniquement, il s’agit de l’association de plusieurs lésions prurigineuses, avec possibilité de plaques, papules urticariennes, macules, vésicules, aspect dishydrosique aux paumes et aux plantes. Les lésions débutent volontiers sur les vergetures abdominales, la région péri-ombilicale avec respect de l’ombilic lui-même. Les membres inférieurs, les bras, le dos et les fesses peuvent également être atteints.
Le prurit est important, parfois insomniant.
Il n’y a pas de signes extracutanés.
Examen complémentaire :
La biologie est normale et l’histologie non spécifique, sans dépôt en immunofluorescence directe, ce qui permet de différencier la dermatose polymorphe gravidique d’une pemphigoïde gravidique.
Les transaminases sont normales.
Traitement :
La maladie guérit en post-partum.
Le traitement est symptomatique par dermocorticoïdes de type Diprosone® et antihistaminiques de type AtaraxR. Certains proposent une photothérapie.
Impétigo herpétiforme :
Il s’agit d’une pustulose généralisée, exceptionnelle, au pronostic parfois redoutable. Dans un tiers des cas, elle survient sur un terrain psoriasique personnel ou familial.
La primipare au 3e trimestre ou après l’accouchement est préférentiellement atteinte.
La mortalité foetale est importante, d’environ 20 % selon les séries. Une prématurité ainsi que des malformations foetales seraient présentes dans 30 à 40 % des cas. Le monitorage foetal est impératif, avec accouchement en cas de souffrance foetale.
Un risque de récidive existe lors des grossesses ultérieures
Diagnostic :
Examen clinique :
Des placards érythémateux assez bien limités apparaissent, accompagnés d’une sensation de brûlure ou de prurit. Des pustules folliculaires, amicrobiennes, superficielles apparaissent à la périphérie des plaques, parfois confluentes en grandes plaques laiteuses.
L’éruption prédomine aux grands plis et à la région abdominale. Une atteinte muqueuse est possible.
Plusieurs poussées peuvent se succéder.
Une altération de l’état général, une fièvre élevée, des signes digestifs ( vomissements, diarrhée) sont possibles.
Examens complémentaires :
La malade est confiée à un milieu spécialisé.
L’hypocalcémie classique est inconstante. Un syndrome inflammatoire peut être présent. Les prélèvements bactériologiques des pustules sont négatifs. Histologiquement, il existe une pustule sous-cornée multiloculaire.
Traitement :
La maladie guérit dans 20 % des cas avant l’accouchement ou en post-partum, au maximum en quatre mois. Le traitement repose sur la corticothérapie générale, parfois associée au calcium et à la vitamine D, voire la ciclosporine. Le risque foetal nécessite une surveillance étroite. Le risque de récidive lors d’une grossesse ultérieure la déconseille.
La maladie peut récidiver également lors de la prise d’oestroprogestatifs, des menstruations.