Encadré 1. Trois réflexes importants
Éliminer une grossesse.
Rechercher un processus pathologique intracérébral (adénome hypophysaire ou hyperprolactinémie de déconnexion).
Distinguer la galactorrhée d’un écoulement mammelonnaire unipore orientant vers une pathologie locale du sein.
DÉFINITION :
La galactorrhée se définit par un écoulement mammelonnaire de sécrétion lactescente, bilatérale et multipore.
Elle peut être spontanée : écoulement survenant sans stimulation du mamelon et alors habituellement en rapport avec une ectasie galactophorique.
Elle peut être provoquée, retrouvée à la pression du mamelon.
La galactorrhée survient le plus souvent en l’absence d’hyperprolactinémie, mais elle peut être le signe révélateur d’une hyperprolactinémie, et la découverte de ce symptôme nécessite le dosage de la prolactine.
La prolactine, dont le rôle principal est l’initiation de la lactation, est synthétisée essentiellement par les cellules lactotropes de l’antéhypophyse.
Sa libération est en permanence freinée par un tonus inhibiteur dopaminergique d’origine hypothalamique. Tout stress peut faire augmenter la prolactine et conduire à des diagnostics par excès.
Les conditions de prélèvement doivent être rigoureuses : le matin à jeun et après 20 minutes de repos avec mise en place d’un cathéter au préalable pour éviter le stress de la piqûre, dans un laboratoire référent.
Cliniquement, l’hyperprolactinémie se traduit chez la femme par l’association galactorrhée aménorrhée (le plus souvent secondaire). Parfois une spanioménorrhée peut être observée. Ces troubles du cycle sont en rapport avec une anovulation d’origine centrale (hypogonadisme hypogonadotrope le plus souvent dissocié), de sévérité variable en fonction du taux de prolactine et de la taille de l’adénome.
Chez l’homme, les hyperprolactinémies sont moins fréquentes et se manifestent le plus souvent par des troubles de l’érection et une baisse de la libido ; la galactorrhée et la gynécomastie sont rarement présentes.
ÉTIOLOGIE :
– Grossesse et allaitement :
Les oestrogènes stimulent les cellules lactotropes hypophysaires, la prolactine s’élève alors progressivement (jusqu’à 200 ng/mL à la fin du troisième trimestre) pouvant provoquer une galactorrhée. Au cours de l’allaitement, la prolactine reste élevée pendant 4 à 6 semaines, stimulée par les tétées puis diminue progressivement.
En l’absence d’allaitement, la prolactine se normalise au cours de la troisième semaine du post-partum.
– Hyperprolactinémie :
– adénome hypophysaire (prolactinome) ;
– de déconnexion des pathologies intracérébrales (tumeurs, traumatismes) iatrogène ;
– idiopathique ou fonctionnelle.
– Hypothyroidie d’origine périphérique.
– Galactorrhée provoquée et entretenue par la stimulation des mamelons.
EXAMENS COMPLÉMENTAIRES :
En première intention :
On effectue :
– hCG plasmatique pour éliminer une grossesse (si contexte) ;
– prolactine plasmatique, dans des conditions strictes de recueil, le matin à jeun, 20 minutes après mise en place du cathéter ;
– thyréostimuline (TSH) pour éliminer une hypothyroïdie périphérique.
Remarque : une hyperprolactinémie avec des cycles conservés nécessite la recherche d’une macroprolactine par chromatographie (formes dimériques et polymériques de prolactine).
Dès que l’hyperprolactinémie est confirmée (si TSH normale) (prolactine > 25 ng/mL), on effectue une IRM hypothalamo-hypophysaire.
IRM anormale :
Adénome hypophysaire (prolactinome) :
L’IRM peut retrouver un adénome hypophysaire dès la taille de 2 à 5 mm.
Un adénome de dimension inférieure à 10 mm est un microadénome (90 %).
Lorsque les dimensions sont supérieures à 10 mm, il s’agit d’un macroadénome (10 %).
Alors que chez la femme il s’agit le plus souvent de micro adénomes et d’une pathologie très fréquente (20 % des anovulations d’origine centrale sont en rapport avec une hyperprolactinémie) ; chez l’homme, c’est une pathologie plus rare et elle est liée le plus souvent à des macro adénomes, parfois invasifs.
Devant la présence d’un prolactinome confirmé radiologiquement, il y a deux réflexes à avoir : réaliser un champ visuel pour ne pas méconnaître une souffrance du nerf optique au niveau du chiasma supra-sellaire. Typiquement, on peut retrouver une hémianopsie bitemporale ;
– programmer un bilan hypophysaire complet pour rechercher soit un retentissement « compressif » sur les différents compartiments hypophysaires soit une hypersécrétion de GH, car les adénomes hypophysaires à prolactine ont souvent une composante mixte. La présence d’un hypersomatotropisme nécessite une exploration spécifique.
La conduite à tenir pourra être défi nie selon la nature de l’adénome : exérèse chirurgicale s’il s’agit d’un adénome mixte ou traitement médical dans la plupart des cas.
Autres lésions cérébrales :
La compression ou la destruction de la tige hypophysaire lève l’inhibition dopaminergique hypothalamique créant une hyperprolactinémie dite de déconnexion qui reste modérée (autour de 60 ng).
Des lésions tumorales pourront être mises en évidence par l’IRM : méningiome, craniopharyngiome, pinéalome, etc.
Les traumatismes cérébraux, la chirurgie et la radiothérapie peuvent aussi occasionner une hyperprolactinémie de déconnexion ainsi que les pathologies infiltratives telles que la sarcoïdose, l’histiocytose et l’hypophysite lymphocytaire qui sont beaucoup plus rarement incriminées.
IRM normale :
Une hyperprolactinémie dite « fonctionnelle » sans anomalie à l’IRM et sans cause médicamenteuse à l’origine d’une galactorrhée peut exister, il s’agit d’un diagnostic d’élimination.
L’hypothyroïdie périphérique peut engendrer une hyperprolactinémie qui se corrigera lors de la mise en route du traitement de substitution.
Les insuffisances hépatique et rénale peuvent occasionner une hyperprolactinémie, en partie liée à la diminution de la clairance de l’hormone.
Iatrogènes : fréquentes, en rapport le plus souvent avec une prise de neuroleptiques à visée psychiatrique (phenothiazines, butyrophénones, benzamides). Néanmoins, les anti-émétiques neuroleptiques souvent non signalés par le patient et certains antidépresseurs tricycliques, inhibiteurs du relargage de la sérotonine) peuvent occasionner une hyperprolactinémie. La cimétidine, les opioïdes et certains antihypertenseurs (methyldopa) peuvent également modifier les taux de prolactine.
DIAGNOSTICS DIFFÉRENTIELS :
Il faut s’assurer qu’il s’agit bien d’une galactorrhée :
– bilatérale ;
– multipore ;
– liquide lactescent.
Un écoulement mammelonnaire uni pore correspond à une anomalie locale du galactophore qu’il faut explorer.
Une mammographie et une échographie mammaire doivent être prescrites ainsi qu’une galactographie.
Il peut s’agir d’un papillome intracanalaire mais aussi de lésions malignes canalaires, en particulier si l’écoulement est sérosanglant.
TRAITEMENT :
Les galactorrhées en rapport avec une hyperprolactinémie iatrogène seront traitées idéalement si cela est possible, par l’arrêt du médicament responsable. La prolactine doit alors être contrôlée 1 mois plus tard.
Le traitement peut être médical ou chirurgical pour les adénomes hypophysaires.
Le traitement médical utilise les agonistes dopaminergiques :
– bromocriptine, Parlodel® Bromokin®, peu cher, assez mal toléré (dose moyenne 5 mg/j répartie en deux à trois prises, à atteindre progressivement) ;
– quinagolide, Norprolac® (une prise quotidienne de 75 à 150 μg) ;
– lisuride, Dopergine® (dose moyenne : 0,2 mg 2 à 3 fois par jour, à atteindre progressivement), bien toléré ;
– cabergoline, Dostinex®, prise hebdomadaire, bonne tolérance, coût élevé, pas d’autorisation de mise sur le marché pour les macroadénomes, mieux toléré.
Chirurgicalement par une adénectomie par voie transphénoidale. Les résultats sont excellents pour les microadénomes avec 85 à 90 % de normalisation de la prolactine (résultats d’autant meilleurs que la prolactine est inférieure à 200 ng/mL et l’aménorrhée inférieure à 5 ans).
On note 10 à 40 % de rechutes. Cependant la chirurgie des microadénomes est discutée compte tenu de la bénignité de la maladie. La chirurgie des macroadénomes donne de moins bons résultats avec des risques de rechute dans 20 à 75 % des cas.
Il faut penser à prescrire une contraception en l’absence de désir de grossesse car la récupération de cycles ovulatoires est rapide. Classiquement les contraceptions oestroprogestatives sont contre-indiquées, en raison d’un effet stimulant théorique sur l’adénome. En fait, elles sont actuellement autorisées dans les petits adénomes.
Dans les autres cas une contraception progestative ou mécanique sera préférée.
Des dosages de prolactine permettent d’évaluer l’efficacité du traitement et une IRM à 6 puis 12 mois permet de s’assurer de la non-évolutivité d’un macroadénome voire de sa régression.
Pendant la grossesse, les microadénomes opérés ne nécessitent pas de surveillance particulière car la prolactine va de toute façon augmenter.
Lorsque le microadénome est traité par agonistes dopaminergiques, celui-ci est arrêté dès que la grossesse est confirmée. La surveillance du champ visuel et de l’IRM ne se fait que s’il existe un point d’appel clinique. En cas d’évolutivité (exceptionnelle), une chirurgie hypophysaire peut être effectuée s’il existe une compression chiasmatique.
En cas de macroadénome non opéré et traité médicalement, la bromocriptine peut être poursuivie ; un champ visuel mensuel doit être réalisé et une IRM si des signes d’appel cliniques apparaissent. En post-partum, un bilan est à nouveau réalisé 3 mois après.
L’allaitement, contre-indiqué jusque récemment, est autorisé en cas de microadénome.
L’évolution naturelle de l’adénome à prolactine est d’une nécrose progressive liée aux traitements et aux grossesses.
Un adénome à prolactine ne contre-indique pas un traitement substitutif de ménopause.
C’est une affection habituellement bénigne et qui peut dans 30-40 % des cas guérir et dans la plupart des cas involuer suffisamment pour arrêter le traitement souvent en période périménopausique.