Diagnostic :
C’est une maladie de la retraite : l’âge moyen des patients est de 65 ans, 2/3 des cas ont plus de 60 ans lors du diagnostic ; les cas observés avant 40 ans sont exceptionnels. Il existe une discrète prédominance masculine (61 %).
A- Manifestations cliniques :
1- Latence clinique :
La maladie est souvent et longtemps cliniquement latente. Plus de la moitié des cas sont révélés fortuitement, à l’occasion de la prescription d’un hémogramme chez un adulte en bonne santé apparente, par une hyperlymphocytose variable, habituellement comprise entre 5 000/mm3 et 50 000/mm3, mais atteignant parfois plusieurs centaines de milliers de lymphocytes par mm3. La latence symptomatique de l’hyperlymphocytose sanguine, même quand elle atteint ces valeurs, est remarquable. Les patients expriment parfois dans ces circonstances une sensation de lassitude physique. Une fébricule, des sueurs, un amaigrissement sont inhabituels et doivent faire suspecter une complication intercurrente ou évolutive de la maladie.
2- Adénopathies :
Les adénopathies superficielles sont décelées par la palpation des aires cervicales, sus-claviculaires, axillaires et inguinales. Leur présence est inconstante. Les ganglions sont traditionnellement bilatéraux, longtemps de volume modéré, symétriques, indolores, non compressifs. L’atteinte simultanée de plusieurs de ces aires a une incidence pronostique. Les adénopathies profondes ne sont pas systématiquement étudiées en raison de leur caractère habituellement asymptomatique et de la rareté des manifestations compressives. Le médiastin, traditionnellement indemne en apparence sur les clichés de thorax de face et profil, recèle souvent des adénopathies s’il est examiné par tomodensitométrie : les ganglions sont observés dans les chaînes médiastinales paratrachéales, principalement au sein de la loge de Baréty et de la fenêtre aorto-pulmonaire. Elles sont rarement volumineuses (1-2 cm), et jamais compressives, sauf en cas de transformation (syndrome de Richter). Les adénopathies rétropéritonéales ont longtemps été étudiées par la lymphographie. Cet examen a pour intérêt de fournir des images de ganglions pathologiques assez précises, où le fin piqueté d’un ganglion normal est remplacé par un piqueté plus ou moins grossier ; l’existence d’images lacunaires est inhabituelle sauf s’il existe une transformation en syndrome de Richter. En outre, la persistance du produit de contraste au sein des ganglions atteints permet un suivi évolutif des lésions pendant plusieurs mois. Malgré une moins bonne définition des images ganglionnaires pathologiques, la tomodensitométrie s’est imposée aujourd’hui face à la lymphographie pour l’exploration des chaînes ganglionnaires abdominales et pelviennes, en raison de la plus grande facilité de réalisation.
3- Splénomégalie :
Une splénomégalie est souvent associée aux adénopathies. Elle peut parfois être isolée : cette présentation a pour réputation d’être de meilleur pronostic, ou du moins d’évoluer de façon lente. Cependant, le caractère volumineux de la splénomégalie est parfois l’indice d’une forme plus agressive dite prolymphocytaire, ou d’autres maladies lymphoprolifératives chroniques, qui peuvent prêter à confusion surtout si l’hémogramme n’a pas été examiné avec attention au microscope par un cytologiste expérimenté.
4- Autres signes d’intumescence lymphoïde :
L’augmentation de volume des amygdales pharyngées est fréquente mais n’engendre que très rarement une dysphagie ou des signes de compression locale. L’infiltration lymphoïde est en réalité présente dans la plupart des tissus mais elle reste généralement asymptomatique. Il est fréquent qu’elle soit décrite au sein d’un prélèvement biopsique pratiqué pour d’autres raisons sur une lésion prostatique, pulmonaire, digestive, etc.. Le risque est d’attribuer trop facilement à ces infiltrats de lymphocytes un rôle lésionnel tumoral spécifique. Il existe toutefois des observations de localisations parenchymateuses symptomatiques : rénales avec protéinurie et syndrome néphrotique, cutanées à type de papules infiltrées, pulmonaires interstitielles ou pleurales, ostéolytiques, méningées. Ces observations sont exceptionnelles.
B- Examens morphologiques :
1- Hémogramme :
Il montre une augmentation absolue du nombre des petits lymphocytes que rien ne permet de distinguer de lymphocytes normaux. Cette augmentation peut être discrète au début, comprise entre 5 000 et 10 000/mm3, ou considérable dès le premier examen, dépassant les 100 000/mm3. L’examen des frottis de sang montre la présence habituelle de cadavres nucléaires ou « ombres de Gümprecht ». L’hyperlymphocytose n’a pas de conséquence symptomatique propre ; en particulier le phénomène de leucostase n’a guère de réalité, sauf dans de très rares cas lorsqu’elle dépasse 500 000/mm3. Il est toutefois possible, dans les formes hyperlymphocytaires, de déceler des modifications du rapport ventilation- perfusion si on utilise des méthodes sensibles. En revanche, l’hyperlymphocytose peut engendrer des artéfacts de dosages biologiques : les gaz du sang peuvent être modifiés par une consommation excessive d’oxygène artéfactuelle in vitro si on ne prend pas soin de réfrigérer la seringue de prélèvement, de la maintenir à +4°C et de pratiquer l’examen sans délai. De même, une hypoglycémie factice par consommation de glucose in vitro est possible si le tube de prélèvement ne contient pas de fluorure de sodium (ce produit bloque la chaîne respiratoire mitochondriale, donc la glycolyse aérobie). Dans la majorité des cas, la numération des granulocytes (si on prend le soin de l’exprimer en valeur absolue), des hématies et des plaquettes montre des valeurs normales. La constatation d’une anémie ou d’une thrombopénie est rare lors du diagnostic. Leur présence modifie le pronostic de la maladie et justifie d’en préciser si possible le mécanisme car les mesures thérapeutiques qui s’imposent dans ces cas ne sont pas univoques.
2. Myélogramme :
Il montre une infiltration par des petits lymphocytes, constante dans cette affection, supérieure à 30 %. Cette infiltration est habituellement importante en pourcentage ce qui rend aléatoire l’appréciation de la richesse des autres lignées. Cette restriction explique la difficulté d’interprétation du myélogramme en cas d’anémie ou de thrombopénie associée.
3- Biopsie médullaire :
Histologiquement l’infiltration peut prendre plusieurs aspects : interstitielle modérée, en nodules, diffuse plus ou moins dense et parsemée de renforcements focaux. La densité de cette infiltration n’a pas de traduction évidente sur la production hématopoïétique normale. En revanche, elle a une incidence sur le pronostic global de la maladie : les formes à infiltration dense et diffuse ont une évolution moins favorable que celles à infiltration interstitielle ou nodulaire.
4- Adénogramme :
Il montrerait un frottis dense et monomorphe de petits lymphocytes.
5- Examen anatomopathologique ganglionnaire :
L’examen histologique d’un ganglion, qui est la clé du diagnostic des lymphomes non hodgkiniens, n’a pas fait l’objet d’études systématiques dans la leucémie lymphoïde chronique, peut-être parce que la maladie est d’abord sanguine et médullaire dans son expression hématologique. Il arrive que par discrétion ou méconnaissance des signes hématologiques (hémogramme), ces ganglions fassent l’objet d’un examen anatomopathologique après adénectomie : l’aspect est celui d’une prolifération diffuse et monomorphe de petits lymphocytes, effaçant l’architecture normale du ganglion lymphatique, constituant parfois des ébauches de pseudo-follicules. Les anatomopathologistes classent cet aspect comme un lymphome lymphocytique ou à petits lymphocytes bien différenciés. Ces équivalences nosologiques sont utiles à connaître.
C- Examens immunologiques :
Ils permettent de préciser la nature des lymphocytes constituant la prolifération et l’existence, fréquente, de manifestation de déficit immunitaire et d’auto-immunité (voir : Pour approfondir 5).
1- Immunophénotype lymphocytaire :
Ce sont des lymphocytes B monoclonaux. L’étude des immunoglobulines de membrane retrouve toujours un seul type de chaîne légère, kappa ou lambda. Les chaînes lourdes sont très généralement de type mu (IgM), parfois de type delta (IgD), souvent les 2 types associés. Les types alpha ou gamma (IgA ou IgG) sont exceptionnels. L’un des signes les plus fidèles de la maladie est la diminution de densité des immunoglobulines de membrane par rapport aux lymphocytes B normaux. Plus récemment, la disponibilité des anticorps monoclonaux de spécificité étroite a permis de reconnaître sur leur membrane la coexpression d’antigènes de différenciation B classiques (CD19, CD20), et d’un antigène classiquement exprimé par les lymphocytes T et d’une sous-population B restreinte (CD5). Cette coexpression CD19-CD5 est un signe très fidèle de la maladie. L’expression des antigènes CD10 et CD25 est négative. Sauf exception, l’intérêt diagnostique de ces marqueurs est inversement proportionnel à l’expérience cytologique du spécialiste en hématologie ayant procédé à l’examen de l’hémogramme. Ils peuvent être cependant utiles pour distinguer la leucémie lymphoïde chronique de proliférations lymphoïdes chroniques morphologiquement proches mais nosologiquement distinctes (tableau I). La prolifération est très rarement de type T : ces formes sont de classement controversé et correspondent plus souvent à l’aspect d’une leucémie à grands lymphocytes granuleux.
2- Immunité humorale :
Une hypogammaglobulinémie est fréquente. Elle peut être dissociée, ou porter sur les 3 principales classes d’immunoglobulines (IgG, IgA, IgM). Le déficit d’anticorps est aussi illustré par la baisse des hémagglutinines naturelles anti-A et -B, la difficulté d’observer une séroconversion vis-à-vis d’un antigène notamment vaccinal. Il est possible mais rare de déceler un pic monoclonal IgM sérique, témoignant de formes de passage avec la macroglobulinémie de Waldenström (5 % des cas).
3- Immunité cellulaire :
Les altérations quantitatives des sous-populations de lymphocytes T, en particulier CD4, sont discrètes au début de la maladie, puis s’affirment au cours de l’évolution. Il est toutefois difficile de faire la part de l’altération spontanée et des effets des traitements. Qualitativement, un défaut de coopération cellulaire B/T est mis en évidence par le défaut d’expression de certains antigènes de membrane spécifiquement impliqués dans cette fonction.
D- Caryotype :
L’étude du caryotype se heurte à la difficulté d’obtenir des mitoses analysables et requiert l’usage de procédés mitogènes laborieux. Dans ces cas, les anomalies cytogénétiques les plus habituelles sont une anomalie du bras long du chromosome 13(q14) et une trisomie 12. L’introduction récente de techniques comme la fluorescence par hybridation interphasique facilite l’identification de cette anomalie (voir : Pour approfondir 6).
E- Diagnostic pratique :
La majorité de ces examens ne sont pas indispensables au diagnostic de la maladie en pratique clinique, et n’ont d’intérêt que dans le cadre d’études prospectives de cette maladie. En pratique, le diagnostic reste basé sur des arguments simples : chez un adulte, une hyperlymphocytose chronique à petits lymphocytes, dépassant 5 000/mm3 pendant plusieurs mois, faite de petits lymphocytes d’aspect normal est un critère majeur si l’examen morphologique est effectué par un spécialiste compétent. Il est classique d’y associer la démonstration d’une infiltration de la moelle osseuse par ces mêmes cellules, critère exceptionnellement en défaut si la lymphocytose est significative. L’intérêt d’une étude immunophénotypique est lié à la possibilité de confusion avec certaines formes de lymphomes non hodgkiniens (formes leucémiques de lymphomes folliculaires, de lymphomes du manteau, de lymphomes spléniques à lymphocytes dits villeux) et de formes frontières avec la macroglobulinémie de Waldenström ou de leucémies dites prolymphocytaires : les meilleurs critères en faveur de la leucémie lymphoïde chronique sont la coexpression CD19/CD5, la faible densité des immunoglobulines de membrane, l’expression de l’antigène CD23, l’absence d’expression de CD10 et de CD25. Ce profil d’expression des marqueurs de membrane est utilisé par certains pour établir un score destiné à apprécier la vraisemblance du diagnostic. Le tableau I résume les principales variétés de maladies lymphoprolifératives chroniques qui peuvent, par leur présentation clinique et (ou) cytologique, prêter à confusion.
Évolution :
L’évolution de la maladie est variable : certains cas évoluent lentement ou restent remarquablement stables pendant de très longues périodes (parfois plusieurs dizaines d’années), d’autres s’aggravent en quelques mois. L’évolution est émaillée de complications infectieuses, tumorales, auto-immunes et d’insuffisance médullaire.
A- Infections :
Elles sont la cause la plus habituelle d’hospitalisation et de mortalité chez ces patients. Elles dépendent de la granulocytopénie, de l’altération spontanée ou iatrogénique des défenses cellulaires et humorales. Ces facteurs favorisants se combinent souvent. Les infections bactériennes sont surtout bronchopulmonaires, favorisées par l’hypogammaglobulinémie et la granulocytopénie progressives : leur répétition peut faire le lit de bronchectasies qui évoluent pour leur propre compte, favorisant la répétition des épisodes infectieux. Les infections virales, mycobactériennes et à protozoaires dépendent surtout de l’altération de l’immunité cellulaire, qu’elle soit spontanée ou iatrogénique : la diminution du taux sanguin des lymphocytes CD4 est particulièrement marquée avec des médicaments comme la fludarabine, les corticoïdes, et les anticorps monoclonaux en cours d’évaluation (anti-CD52). Les virus en cause sont notamment du groupe herpès : zona, herpès péri-orificiels récidivants, pneumopathies à cytomégalovirus. La tuberculose n’est pas rare, notamment dans la population de patients âgés ayant souvent échappé à la vaccination obligatoire par le BCG. Les protozooses (Toxoplasma gondii, Pneumocystis carinii) sont parfois observées à un stade terminal. Les infections à champignons : Candida, Aspergillus, Cryptococcus ont un tropisme pulmonaire, parfois neuroméningé ou septicémique : ces cas ne sont le plus souvent décelés que post mortem.
B- Progression tumorale :
Les signes d’intumescence lymphoïde restent, pendant longtemps, peu prononcés chez la majorité des patients. Dans les cas où les adénopathies sont volumineuses dès le diagnostic ou le deviennent en cours d’évolution, le type anatomopathologique de la prolifération ne se modifie guère : les ganglions gardent un aspect d’infiltration diffuse par des petits lymphocytes. Avec le temps, un contingent de cellules lymphoïdes nucléolées (prolymphocytes) apparaît dans le sang, la moelle et les ganglions de la plupart des patients mais ces cellules restent minoritaires (< 20 %) : elles ne doivent pas faire parler de transformation aiguë. Ces cas doivent être distingués des leucémies dites prolymphocytaires B dont le diagnostic est évoqué par une proportion de prolymphocytes d’emblée importante dans le sang (> 50 %). Une transformation histologique (syndrome de Richter) est rare. Elle doit être évoquée si les adénopathies deviennent volumineuses, compressives, sensibles ou s’accompagnent de manifestations inflammatoires locales ou générales (fièvre, sueurs, amaigrissement). La monotonie histologique ou cytologique du ganglion est alors modifiée par une prolifération à grandes cellules d’aspect immunoblastique ou rappelant les cellules de Sternberg.
C- Auto-immunité :
Des manifestations d’auto-immunité peuvent révéler la maladie ou en compliquer l’évolution. Elles sont dominées par l’auto-immunité anti-érythrocytaire. Celle-ci peut être limitée à un test de Coombs direct positif, sans excès d’hémolyse. La fréquence réelle des cas d’anémie hémolytique autoimmune est estimée entre 5 et 10 %. Cette complication est rarement révélatrice de la leucémie lymphoïde chronique, plus souvent détectée en cours d’évolution, et semble favorisée par l’immunodépression et l’usage de certains traitements (en particulier la fludarabine) chez des patients préalablement multitraités. La majorité des cas sont des anticorps de type chaud, anti-Rh. Les cas d’anticorps froids sont plus rares. Cette complication aggrave le pronostic de la maladie principalement par les traitements qu’elle rend nécessaires (corticoïdes dans les formes à anticorps chauds, immunosuppresseurs en cas de corticodépendance ou de corticorésistance et dans les formes à anticorps froids). Certains cas d’anémie arégénérative dépendent d’un mécanisme d’érythroblastopénie probablement autoimmune. Ce mécanisme est difficile à démontrer sur ce terrain : le test de Coombs direct est en général positif, mais il n’y a pas d’hyperhémolyse patente. L’examen de la moelle osseuse montre peu d’érythroblastes (< 5%) mais ce critère est d’interprétation difficile en présence d’une infiltration lymphocytaire importante. La correction fréquente de l’anémie par un traitement immunodépresseur non cytostatique (ciclosporine par exemple) renforce l’hypothèse d’une manifestation d’auto-immunité anti-érythroblastique dans ces cas. Les autre manifestations d’auto-immunité sont beaucoup plus rares : quelques cas de purpura thrombopénique auto-immun, ou d’association à une polyarthrite rhumatoïde, un syndrome de Gougerot-Sjögren, une maladie lupique sont signalés, mais restent anecdotiques.
D- Insuffisance médullaire :
Les manifestations d’insuffisance médullaire peuvent être présentes d’emblée lors du diagnostic : en réalité, il est vraisemblable que les cytopénies précoces (stades C initiaux) dépendent de mécanismes complexes et encore incomplètement compris (inhibition de maturation médullaire dépendant de cytokines, auto-immunité). L’insuffisance médullaire est plus souvent une manifestation tardive, dépendante des traitements multiples reçus par les patients. Elle en limite l’usage et engendre ses complications propres : infections, hémorragies, dépendance transfusionnelle.
Pronostic :
Certains critères pronostiques ont une valeur prédictive sur la survie globale.
A- Classifications à visée pronostique :
De nombreux travaux ont été consacrés à l’identification de critères pronostiques, dont émergent les classifications par stades : elles ont pour avantage la simplicité d’application pratique (ces classifications ne requièrent que des données cliniques et un hémogramme) et la reproductibilité. Deux classifications se partagent les faveurs des cliniciens (tableaux II et III) : la classification en 3 stades ABC, mise au point en France par J.-L. Binet et al., a la faveur des hématologistes français ; la classification en 5 stades, mise au point aux États-Unis par K Rai et al., a davantage celle des Anglo-Saxons. En appliquant la classification ABC, la médiane de survie des patients de stade A est supérieure à 120 mois et se rapproche, pour les sujets de plus de 60 ans, de la survie d’une population saine de même âge. La médiane des patients de stade B est de l’ordre de 70 mois, celle des patients de stade C est de l’ordre de 40 mois.
B- Autres critères pronostiques :
L’identification de critères pronostiques validés est un des objectifs actuels de la recherche clinique. Le délai de doublement de la lymphocytose sanguine inférieur à 12 mois, une infiltration médullaire de type diffus en biopsie, une augmentation dans le sérum de la fraction soluble du récepteur CD23 ou du taux de bêta-2 microglobuline, l’existence d’anomalies cytogénétiques, notamment de 11q et 17p ont une valeur pronostique défavorable. L’intérêt de ces critères pronostiques par rapport à celui des classifications ci-dessus est en cours d’évaluation.
Principes du traitement :
Il n’y a pas d’exemple connu de malade guéri de cette affection. Les traitements actuels permettent de faire régresser les manifestations d’intumescence lymphoïde chez la plupart des patients : même dans les cas où l’on observe une régression tumorale complète (disparition des manifestations cliniques d’intumescence lymphoïde, des lymphocytes pathologiques du sang, de la moelle osseuse), on peut détecter la présence de cellules clonales résiduelles chez tous les patients en utilisant des méthodes ultrasensibles (PCR) amplifiant les régions variables des gènes des chaînes lourdes d’immunoglobulines, spécifiques du clone, et en les répétant au besoin. L’objectif des recherches thérapeutiques actuelles se fonde sur l’hypothèse selon laquelle la réduction tumorale la plus complète possible (disparition de toute maladie résiduelle appréciable) produit un bénéfice en terme de survie. Les médianes de survie actuelles sont en effet difficilement acceptables pour une forte proportion de patients encore « jeunes » atteints de leucémie lymphoïde chronique de stades B ou C.
A- Stade A :
Ces patients ne doivent pas être traités, sauf progression symptomatique : leur survie globale, proche de celle d’une population saine de même âge, n’en est pas modifiée. Surtout, l’administration de Chloraminophène pourrait à la longue favoriser l’apparition de résistances thérapeutiques en cas de progression de la maladie ; l’augmentation d’incidence des cancers n’étant cependant pas encore formellement démontrée.
B- Stades B et C :
L’objectif du traitement est d’obtenir et de maintenir une régression tumorale la plus complète possible au prix d’une toxicité la plus faible possible. Le choix du traitement dans ces cas est encore débattu, et plusieurs essais en cours tentent d’évaluer les avantages et inconvénients respectifs de chacun d’entre eux.
1- Traitements disponibles :
• Chloraminophène (gélules à 2 mg) : c’est le médicament le plus anciennement employé. On l’utilise soit en prescription continue à la dose de 0,1 mg/kg/j, soit en prescription discontinue à la dose de 0,25 mg/j, 5 jours de suite, toutes les 4 semaines en association avec de la prednisone. Une réponse est observée en 6 à 9 mois, comportant dans la majorité des cas une régression de la lymphocytose, dans un tiers des cas une régression partielle ou totale des signes cliniques (adénopathie et splénomégalie), mais l’infiltration médullaire persiste dans tous les cas. Certains auteurs proposent dans des essais prospectifs d’utiliser de fortes doses continues (10 mg/m2/j) jusqu’à obtention d’une réponse maximale ; le délai de réponse est plus court et le taux de réponse supérieur.
• Polychimiothérapies : la plus éprouvée associe adriamycine (25 mg/m2), cyclophosphamide, vincristine et prednisone (CHOP). Administrée mensuellement, elle procure une régression partielle ou complète des signes cliniques et d’hémogramme dans 75 % des cas, une normalisation médullaire dans 10 % des cas. La tolérance est convenable, l’alopécie est l’effet secondaire le plus habituel. Le risque de cardiomyopathie dépendante de l’adriamycine est très faible si les contre-indications cardiaques sont respectées, celui de neuropathie sensitivo-motrice dépendante de la vincristine est faible si la surveillance neurologique des patients est régulière.
• Fludarabine (ampoules injectables i.v. à 50 mg) : cet analogue purinique est utilisé en cures mensuelles à la dose de 25 mg/m2, 5 jours de suite. Les réponses sont comparables à celles obtenues par l’association ci-dessus. Les effets secondaires sont différents : l’alopécie est exceptionnelle, mais les effets immunosuppresseurs sont plus marqués (déplétion prolongée des lymphocytes CD4). Ce médicament favorise l’apparition d’anémies hémolytiques auto-immunes, surtout chez les patients multitraités.
2- Traitements en cours d’évaluation :
• Immunothérapie : elle utilise des anticorps monoclonaux dirigés contre certains des antigènes de ces cellules (CD52, CD20). Ce type de traitement est actuellement évalué et semble prometteur pour compléter l’effet d’une chimiothérapie initiale.
• Traitements intensifs : des chimiothérapies fortes suivies d’autogreffe de moelle donnent des résultats encourageants chez les patients jeunes, en particulier dans des cas de résistance aux traitements classiques. L’effet bénéfique semble surtout celui du conditionnement par irradiation totale. On étudie actuellement la place de ces méthodes thérapeutiques chez les sujets dont l’âge est compatible avec la morbidité de ces traitements .
C- Traitements symptomatiques :
Les traitements symptomatiques ont une importance primordiale : antibiothérapie précise et adaptée si possible en cas d’infection bactérienne, gammaglobulines préventives pour certains. Les vaccins atténués sont contreindiqués. Les vaccinations antigrippales ne sont pas réellement contre-indiquées mais ont une efficacité incertaine. Les vaccins antitétanique et antipoliomyélitique sont utilisés sans appréhension. Certains cas d’anémie peuvent justifier un traitement spécifique : c’est le cas d’une hémolyse auto-immune, justifiant une corticothérapie forte (1 mg/kg/j) et prolongée plusieurs semaines. Dans le cas d’une érythroblastopénie auto-immune, les corticoïdes, les immunodépresseurs (ciclosporine) ont des succès à leur actif. L’irradiation de la rate à dose faible (5-10 Gy) en cas de volumineuse splénomégalie peut être un appoint utile.
Points Forts à comprendre :
• La leucémie lymphoïde chronique est la plus fréquente des hémopathies malignes chez l’adulte en Occident . Elle n’a pas de cause ou de facteur déclenchants connus. Elle est caractérisée par l’infiltration progressive de la moelle osseuse, du sang, des organes lymphoïdes par un clone de petits lymphocytes B.
• La cinétique de prolifération de ce clone est habituellement lente, et il y a un paradoxe apparent entre cette propriété et le développement tumoral parfois majeur de la maladie : en réalité, on pense que la maladie est plus accumulative que proliférative.
POUR APPROFONDIR :
1 / Épidémiologie :
La répartition géographique de la maladie est particulière. En Occident, c’est la plus fréquente des hémopathies malignes : son incidence est de 1 à 3 nouveaux cas par an pour 100 000 habitants. En revanche, cette forme de leucémie est exceptionnelle en Extrême-Orient, et sa fréquence reste très faible chez les Asiatiques émigrés aux États-Unis.
2 / Facteurs étiologiques :
Aucun facteur prédisposant, génétique ou acquis, n’a été signalé à ce jour : l’étude des marqueurs HLA (human leucocyte antigen) ne décèle pas d’association avec un phénotype particulier. L’exposition aux radiations ou à un toxique, benzol notamment, ne semble pas en cause. L’évocation d’un risque lié à une exposition à des champs électromagnétiques ne repose actuellement sur aucune base convaincante. Les cas familiaux sont rares. Dans ces cas apparentés, le séquençage des gènes des parties variables des chaînes lourdes (gènes VH) n’a pas permis d’y déceler de caractéristiques immunogénétiques communes.
3 / Origine et nature des cellules leucémiques :
Les lymphocytes pathologiques monoclonaux dérivent d’une souspopulation de lymphocytes dont on pense qu’elle correspond à la couronne périfolliculaire des ganglions. Ces cellules ont pour particularité de coexprimer des marqueurs de différenciation B (CD19, CD20, CD23), mais aussi un antigène de type T (CD5) restreint à cette souspopulation B : la coexpression de ces 2 types de marqueurs caractérise une population de lymphocytes dits autoréactifs qui seraient étroitement impliqués dans l’ordonnancement de la reconnaissance et la tolérance immunologique du soi. L’événement initial de la différenciation normale des lymphocytes B est lié à un réarrangement de leurs gènes d’immunoglobulines, étape obligée et caractéristique de cette différenciation (réarrangement des séquences VDJ). Ce réarrangement, propre à chaque cellule, est une des phases d’acquisition de la diversité immunologique des cellules B. Chaque cellule sélectionne ainsi dans son répertoire une spécificité qu’exprime l’anticorps qu’elle produit. à ce stade, les anticorps présents sur la membrane des lymphocytes sont de type IgD et (ou) IgM, « polyréactifs », c’est-à-dire capables de reconnaître simultanément plusieurs antigènes avec une faible affinité. Ces cellules « naïves » migrent alors au sein du follicule B, ou après un contact antigénique, elles subissent des mutations somatiques additionnelles des gènes des portions variables. Ces phénomènes modifient les caractères d’affinité : elle devient alors forte et spécifique. Dans le cas de la leucémie lymphoïde chronique, toutes les cellules ont opéré le même réarrangement VDJ, ce qui signifie qu’elles appartiennent au même clone. Dans les cas habituels, les lymphocytes expriment à leur surface des immunoglobulines de type IgM polyréactives. Les mutations somatiques additionnelles sont rares, ce qui suppose que l’événement déclenchant de la maladie affecte une cellule B « naïve » ou « immature » (au sens immunologique du terme : la morphologie de ces cellules ayant un aspect de lymphocyte mûr). Cependant, des données récentes montrent que cet aspect de cellules « naïves » est loin d’être la règle : on observe dans certains cas une grande fréquence de mutations somatiques, évoquant un processus de transformation maligne à un stade de différenciation plus avancé.
4 / Mécanismes de la prolifération :
La maladie a longtemps constitué une énigme quant aux modalités du développement tumoral, paradoxal pour ces cellules au potentiel de division ralenti. On sait aujourd’hui que la maladie dépend autant, et peut-être même davantage, d’un ralentissement du processus de sénescence et de mort des cellules (apoptose) que de leur prolifération excessive : la maladie est plus accumulative que proliférative. Cependant, les mécanismes cellulaires de ce déséquilibre sont encore obscurs dans la leucémie lymphoïde chronique. Dans la majorité des cas de proliférations lymphoïdes malignes de la lignée B, le processus d’oncogenèse paraît étroitement lié à l’activation d’un proto-oncogène (le plus souvent par translocation chromosomique) : selon les cas, l’activation du proto-oncogène se traduit par la synthèse excessive d’une protéine d’activation du cycle cellulaire (cas de C-Myc dans le lymphome de Burkitt, de Bcl1 dans le lymphome du manteau), ou par une protéine d’inhibition de l’apoptose (cas de Bcl2 dans le cas du lymphome folliculaire). Or, aucun processus d’oncogenèse moléculaire de ce type n’a été identifié à ce jour dans le cas de la leucémie lymphoïde chronique. Une surexpression de l’oncogène Bcl2 est observée dans les cellules, mais elle ne résulte pas d’une translocation comme dans le cas des lymphomes folliculaires (on évoque un défaut d’inactivation par hypométhylation du gène), et l’augmentation de Bcl2 paraît contingente dans le mécanisme de transformation maligne des cellules de la leucémie lymphoïde chronique. Certaines proliférations tumorales sont associées à la perte d’une fonction anti-oncogène (la plus classique étant celle du rétinoblastome). Par exemple, l’une des étapes clés du cycle de division cellulaire est exercée par la protéine p53 : schématiquement, cette protéine a pour fonction de bloquer la progression du cycle (passage de G1 en phase S) si d’éventuelles lésions d’ADN n’ont pas été correctement réparées avant la mitose. La mutation de p53 entraîne une perte de ce contrôle et permet une division de cellules anormales. De telles mutations ont été décelées dans une faible proportion de cas de leucémie lymphoïde chronique (10-15 %). Toutefois, elles semblent plus constituer une étape évolutive qu’un événement initial dans cette maladie : ces mutations de p53 concernent surtout des formes avancées, multitraitées.
5 / Mécanisme des altérations immunitaires :
De nombreux travaux actuels évoquent l’existence d’une anomalie d’interaction entre les cellules présentatrices d’antigène et les lymphocytes T dans la leucémie lymphoïde chronique : en particulier, l’activation de nombreuses fonctions des cellules T dépend de la stimulation d’un récepteur membranaire des lymphocytes T (CD 40) par le ligand spécifique de ce récepteur (CD40 L) présent sur les cellules présentatrices d’antigènes. De cette interaction dépendent l’expression membranaire et l’activation (modulation) de molécules impliquées dans l’activation ou le contrôle de nombreuses fonctions immunitaires : récepteurs de cytokines, protéines d’adhésion, antigènes d’histocompatibilité… Cette interaction est anormalement faible dans la leucémie lymphoïde chronique. Elle pourrait expliquer, au moins en partie, les anomalies immunologiques observées dans cette maladie (déficit immunitaire cellulaire et humoral, manifestations d’auto-immunité).
6 / Anomalies chromosomiques :
Deux types principaux de lésions chromosomiques acquises (somatiques) sont fréquemment observés dans les lymphocytes B de la leucémie lymphoïde chronique. Une trisomie 12 est décelée dans 10 à 15 % des cas si on la cherche par le caryotype, 20 % des cas si on la cherche par fluorescence interphasique. On ignore si elle joue un rôle dans la genèse de la maladie. Elle semble plus volontiers associée à des formes de présentation cytologique ou immunologique atypiques. Les anomalies de 13q12 et 13q14 (délétions ou microdélétions) semblent résulter d’un événement précoce dans la maladie. Elles pourraient être associées à la perte d’une fonction anti-oncogène. On met en évidence une microdélétion de quelques centaines de bases au sein de ces régions dans 25 à 50 % des cas, selon la technique utilisée. D’autres anomalies cytogénétiques sont décelées avec une fréquence moindre : les anomalies de 17p (mutations et délétions de p53) semblent associées à une étape de progression tumorale (syndrome de Richter, transformation prolymphocytaire). Les anomalies de 11q23 sont décelées chez des sujets plus jeunes et à une progression plus rapide de la maladie. Des travaux récents et qui demandent à être confirmés ont trouvé ces anomalies dans les cellules souches hématopoïétiques (population CD34+) chez certains malades : si ces faits se confirment, ils évoqueraient un mécanisme de développement de la maladie en plusieurs étapes, où une altération préalable de la cellule souche faciliterait l’émergence d’une prolifération clonale de cellules lymphoïdes B.
Points Forts à retenir :
• Le diagnostic reste basé sur des arguments simples : une hyperlymphocytose chronique à petits lymphocytes > 5 000/ mm3 pendant plusieurs mois.
• L’évolution est variable. Certains cas évoluent lentement. Elle peut être émaillée de complications infectieuses, auto-immunes et d’insuffisance médullaire.
• L’objectif du traitement est d’obtenir et de maintenir une regression tumorale la plus complète possible.
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