Avec la leucémie myéloïde chronique, la thrombocytémie essentielle et la myélofibrose primitive, la maladie de Vaquez ou polyglobulie essentielle fait partie des syndromes myéloprolifératifs. Elle est donc caractérisée par l’expansion clonale d’une cellule souche hématopoïétique pluripotente, à l’origine d’une prolifération non régulée du tissu myéloïde prédominant, dans le cas particulier, sur la lignée érythrocytaire. Contrairement aux polyglobulies secondaires, qui résultent de l’hyperstimulation de progéniteurs érythroblastiques normaux par de l’érythropoïétine produite en excès, les progéniteurs dans la maladie deVaquez ont la particularité de pouvoir se différencier indépendamment de l’érythropoïétine ou en présence de quantités infimes d’érythropoïétine , en inhibant les progéniteurs normaux résiduels. Il s’agit donc d’une anomalie cellulaire intrinsèque. Il n’existe pas dans la maladie de Vaquez de mutation du récepteur de l’érythropoïétine et l’hypersensibilité des progéniteurs à d’autres facteurs de croissance que l’érythropoïétine laisse supposer une anomalie d’un système de transduction commun à ces facteurs. En fait, il se développe probablement dans la maladie de Vaquez plusieurs anomalies génétiques au niveau de la cellule souche pluripotente impliquée, qui ont comme point commun d’affecter les voies de l’apoptose. L’incidence de la maladie de Vaquez est de l’ordre de 1 cas pour 100 000 habitants par an en France mais la prévalence n’est pas négligeable du fait de la lenteur de l’évolution. C’est une pathologie du sujet âgé avec un âge moyen au diagnostic un peu supérieur à 60 ans, la fréquence augmentant ensuite de façon linéaire. Très rare avant 40 ans, elle est tout à fait exceptionnelle chez l’enfant. Le sex ratio est proche de 1.
Diagnostic positif :
A- Signes cliniques :
• Le diagnostic de maladie de Vaquez est évoqué de plus en plus souvent au vu d’un hémogramme fortuit.
• L’érythrose des muqueuses est rarement révélatrice.
• Des signes fonctionnels traduisant l’hyperviscosité sanguine sont à rechercher à l’interrogatoire mais peuvent se rencontrer dans toute polyglobulie : céphalées, vertiges, acouphènes, troubles visuels, paresthésies. Ils sont retrouvés dans environ la moitié des cas. Le prurit à la balnéation chaude est inconstant mais hautement évocateur . Les crises érythromélalgiques des pieds sont aussi très évocatrices de syndrome myéloprolifératif.
• Les complications vasculaires, essentiellement thrombotiques et beaucoup plus accessoirement hémorragiques, peuvent être révélatrices.
• Une splénomégalie est présente dans les deux tiers des cas et constitue un élément essentiel du diagnostic. En règle modérée, elle justifie la réalisation systématique d’une échographie abdominale. Cet examen a également le mérite de ne pas méconnaître une néoformation rénale, cause rare de polyglobulie secondaire.
B- Signes biologiques :
1-Diagnostic de polyglobulie vraie :
• L’élément d’orientation essentiel est représenté par la constatation, à l’hémogramme, d’une élévation de la numération rouge, du taux d’hémoglobine et de l’hématocrite. Dans la maladie de Vaquez (et la plupart des polyglobulies secondaires), cette élévation des paramètres érythrocytaires est parallèle, sauf carence martiale associée génératrice de microcytose et d’hypochromie (saignées, hémorragies digestives distillantes). L’hématocrite est le paramètre clé. La limite supérieure de la normale est de 45 % chez la femme et 50 % chez l’homme. En cas d’élévation modérée et isolée, entre 45 et 47 % chez la femme et entre 50 et 52 % chez l’homme, seul un contrôle est justifié. Si l’hématocrite est supérieur à 55 % chez la femme et 60 % chez l’homme, la polyglobulie est certaine et la détermination isotopique de la masse sanguine inutile. Pour des chiffres intermédiaires, cette dernière exploration est nécessaire afin d’éliminer une fausse polyglobulie par hémoconcentration. Dans toute polyglobulie, la vitesse de sédimentation globulaire est diminuée, voire nulle.
• La détermination isotopique des volumes sanguins, par dilution des hématies marquées au chrome 51 (51 Cr) couplée à l’étude de la volémie plasmatique par dilution de la sérum-albumine marquée à l’iode 125 (125 I), ne s’exprime plus en fonction du poids (sousestimation chez les obèses) mais par rapport à des valeurs théoriques pour un sujet de même poids et de même taille. Une polyglobulie vraie se définit par un volume globulaire total supérieur à 25 % du volume globulaire total théorique, le volume plasmatique total étant par ailleurs compris dans les limites de la normale.
2- Éléments en faveur du diagnostic de maladie de Vaquez :
• À l’hémogramme, la constatation d’une inflation de la lignée granulocytaire et (ou) de la lignée plaquettaire constitue un argument très fort. Dans environ la moitié des cas, il existe une hyperleucocytose supérieure à 12.109/L, avec polynucléose neutrophile. Des chiffres supérieurs à 20.109/L sont rares. Il peut se voir une discrète basophilie. L’observation d’une réaction myélémique est évocatrice d’une évolution myélofibrosante (de même qu’une anisopoïkilocytose avec hématies en larmes). L’élévation du score des phosphatases alcalines leucocytaires est dénuée d’intérêt. Dans la moitié des cas également, est constatée une hyperplaquettose supérieure à 450.109/L. Des chiffres supérieurs à 800.109/L sont rares et surtout rencontrés en cas de carence martiale associée. Comme dans les autres syndromes myéloprolifératifs, une thrombopathie peut se traduire par une hypoagrégabilité à l’adrénaline et à l’ADP (adénosine diphosphate)
• Le myélogramme est dénué de valeur diagnostique en ne montrant qu’une moelle riche et bien équilibrée. Il permet cependant le prélèvement d’un caryotype médullaire, qui peut être une aide au diagnostic.
• La biopsie médullaire est davantage contributive mais n’est pas non plus de réalisation systématique. La richesse cellulaire est augmentée, touchant les trois lignées myéloïdes. L’hyperplasie de la lignée mégacaryocytaire, avec dystrophies, constitue un signe caractéristique. Il existe dans un quart à la moitié des cas une densification du réseau de réticuline mais la fibrose collagène est en principe absente au diagnostic. Il est aussi constaté une absence d’hémosidérine dans les macrophages.
• Le taux d’érythropoïétine sérique n’apporte pas une aide vraiment décisive au diagnostic. Certes, ce taux est soit diminué, soit normal alors qu’il devrait être augmenté dans les polyglobulies secondaires. Il existe cependant d’assez fréquents chevauchements dans les valeurs normales.
• La cytogénétique sur caryotype médullaire peut apporter une aide tout à fait intéressante au diagnostic en montrant une anomalie clonale non spécifique mais très évocatrice de syndrome myéloprolifératif. Néanmoins, ces anomalies clonales, susceptibles d’être aussi observées dans la thrombocytémie essentielle et la myélofibrose primitive, ne se voient que dans 15 à 20 % des cas en cytogénétique conventionnelle. Les taux de détection sont plus élevés en recourant aux techniques d’hybridation fluorescente in situ. Le chromosome Philadelphie, spécifique de la leucémie myéloïde chronique, n’est jamais observé. Les anomalies les plus fréquentes sont représentées par la del 20q, la del 13q, et les trisomies 1, 8 et 9. L’implication de délétions suggère l’existence d’inactivation de gènes qui pourraient jouer un rôle pathogénique important.
• La culture in vitro des progéniteurs érythroblastiques représente la technique la plus performante pour affirmer le diagnostic devant l’absence de signes de myéloprolifération évidents. Les méthodes sont maintenant standardisées mais nécessitent le recours à des laboratoires spécialisés. L’examen est le plus souvent réalisé sur sang. La pousse spontanée des progéniteurs érythroblastiques, en l’absence d’adjonction d’érythropoïétine au milieu de culture (colonies érythroïdes endogènes), est sensible et spécifique.
• D’autres investigations ont un intérêt tout à fait secondaire. La sidérémie est à tendance diminuée. Il existe fréquemment une discrète hyperuricémie. La vitaminémie B12 peut être augmentée.
• Les techniques moléculaires d’étude de la clonalité myéloïde chez la femme ne sont pas disponibles à usage diagnostique.
Diagnostic différentiel :
A- Fausses polyglobulies :
Ce sont des situations où une élévation des paramètres érythrocytaires ne correspond pas à une polyglobulie vraie. Certaines sont évidentes et ne nécessitent pas le recours à une étude isotopique de la masse sanguine. D’autres nécessitent cette investigation.
1- Thalassémies hétérozygotes :
L’ethnie est bien entendu évocatrice. L’hémogramme est caractéristique du fait de la constitution d’une micropolycythémie très hypochrome et microcytaire. Si la numération rouge est augmentée, le taux d’hémoglobine et l’hématocrite sont à tendance diminuée. L’examen à privilégier dans les b-thalassémies hétérozygotes est l’électrophorèse de l’hémoglobine (élévation du taux de l’hémoglobine A2). Le seul problème diagnostique concerne une maladie de Vaquez en état de carence martiale profonde mais le bilan ferrique et les circonstances cliniques feront la distinction. L’étude isotopique de la masse sanguine est inutile (elle montrerait un volume globulaire total normal ou diminué).
2- Hémoconcentrations aiguës :
Elles sont consécutives à des brûlures étendues, une déshydratation aiguë, un usage excessif de diurétiques. L’élévation des paramètres érythrocytaires est due à une hypovolémie plasmatique. Le caractère évident du diagnostic ne justifie bien entendu pas une étude isotopique de la masse sanguine.
3- Pseudo-polyglobulie dite « de stress » :
Elle est aussi dénommée syndrome de Gaisbock. À la différence des deux précédentes, cette situation peut poser un problème diagnostique réel avec la maladie de Vaquez. Elle n’est pas rare chez l’homme d’âge mûr, pléthorique et hypertendu. L’étude isotopique de la masse sanguine est déterminante en ne montrant pas de polyglobulie vraie (volume globulaire total normal ou discrètement augmenté) mais une diminution de la volémie plasmatique. Il existe un risque thrombotique.
B- Polyglobulies secondaires :
Ce sont des polyglobulies vraies dues à un excès de production d’érythropoïétine . Il n’y a pas de signes de myéloprolifération. Leur diagnostic est souvent évident. Deux grands groupes peuvent être distingués : les polyglobulies par hypoxie tissulaire, dont certaines causes sont très fréquentes, et les polyglobulies tumorales.
1- Polyglobulies par hypoxie tissulaire :
L’hyperproduction d’érythropoïétine est compensatrice ou appropriée. La gazométrie artérielle est l’examen clé. Il est beaucoup plus rarement nécessaire de devoir déterminer la carboxyhémoglobinémie , la méthémoglobinémie, l’affinité de l’hémoglobine pour l’oxygène (p50) ou le taux de 2,3 DPG intra-érythrocytaire.
• Les polyglobulies par désaturation artérielle en oxygène se caractérisent cliniquement par une cyanose et non par une érythrose. Elles sont affirmées devant une SaO2 < 92 % et une PaO2 < 65 mmHg. La cause majeure en est l’insuffisance respiratoire chronique par bronchopneumopathie chronique obstructive ou bronchoemphysème. Viennent ensuite les pneumoconioses et les fibroses pulmonaires. Les hypoventilations alvéolaires (syndrome de Pickwick) peuvent nécessiter des enregistrements continus de la gazométrie (épisodes de désaturation oxyhémoglobinée nocturnes). Les causes cardiovasculaires sont représentées par les cardiopathies congénitales avec shunt droite-gauche, les fistules veino-artérielles pulmonaires.
• Les polyglobulies par défaut de transport d’oxygène aux tissus ont une cause prédominante : le tabagisme. En cas d’intoxication tabagique, il est fréquemment constaté une tendance polyglobulique qui, associée à une discrète polynucléose neutrophile, pourrait laisser planer un doute sur une maladie de Vaquez débutante. L’origine de la polyglobulie consiste, tout au moins en partie, en un excès de carboxyhémoglobine. Les autres causes sont aussi classiques qu’exceptionnelles : hémoglobinopathies avec hémoglobine hyperaffine pour l’oxygène (caractère familial), déficit en 2, 3 DPG, méthémoglobinémies.
2- Polyglobulies tumorales :
Il existe une hyperproduction inappropriée d’érythropoïétine par le tissu tumoral dans l’étiologie la plus fréquente qui est le carcinome rénal à cellules claires, d’où la règle, devant toute polyglobulie, de réaliser une échographie abdominale afin d’apprécier le volume de la rate et de ne pas méconnaître une néoformation rénale. La polyglobulie disparaît après exérèse du tissu tumoral et réapparaît en cas de métastases. Des tumeurs rénales bénignes ont aussi été incriminées. La seconde cause tumorale est classiquement représentée par l’hémangioblastome cérébelleux, où l’on a pu aussi démontrer une sécrétion inappropriée d’érythropoïétine . Nous ne ferons que citer les hépatomes sur cirrhose, certains volumineux fibromes utérins. Les phéochromocytomes, certaines tumeurs des surrénales peuvent entraîner de fausses polyglobulies par hémoconcentration. Mentionnons, enfin, les tendances polyglobuliques que peuvent entraîner des prises prolongées d’androgènes à fortes doses.
C- Autres syndromes myéloprolifératifs :
Même s’ils sont très proches sur le plan nosologique de la maladie de Vaquez, leur présentation est très différente.
• Les formes polyglobuliques de leucémie myéloïde chronique sont tout à fait exceptionnelles. Le tableau reste celui d’une leucémie myéloïde chronique dans sa variété habituelle et il n’existe donc aucun problème diagnostique. La recherche du chromosome Philadelphie ou de ses équivalents moléculaires est positive.
• Il existe des formes de chevauchement entre thrombocytémie essentielle et maladie de Vaquez : un malade présentant un tableau de thrombocytémie essentielle avec polyglobulie affirmée par l’étude isotopique de la masse sanguine, éventuellement après correction d’une carence martiale associée, est classé dans le cadre de la maladie de Vaquez .
• L’existence de formes polyglobuliques de myélofibrose primitive est très controversée. Il existe en fait de très rares maladies de Vaquez s’accompagnant d’emblée d’une importante splénomégalie et d’une nette fibrose médullaire, en partie collagène. Ces formes sont longtemps stables et proches de la maladie de Vaquez classique.
D- Érythrocytoses pures :
Il s’agit d’un diagnostic d’élimination devenu très rare. Elles sont définies par l’existence d’une polyglobulie vraie strictement isolée, sans arguments en faveur d’une polyglobulie secondaire et ne remplissant pas non plus les critères de la maladie de Vaquez. Certaines érythrocytoses pures correspondent à un syndrome myéloprolifératif comme le montrera l’évolution. Les hypothèses ne manquent pas pour tenter d’expliquer le mécanisme des autres mais aucune n’est décisive. Signalons l’existence d’exceptionnelles érythrocytoses familiales bénignes caractérisées par un récepteur de l’érythropoïétine tronqué dans son site cytoplasmique.
Évolution :
L’évolution de la maladie de Vaquez est menacée par deux types de complications : vasculaires, liées à l’absence de contrôle efficace de la polyglobulie ; hématologiques, liées en partie aux traitements mis en oeuvre. Pour autant, si la prise en charge est appropriée, l’espérance et la qualité de vie sont devenues, dans les tranches d’âges habituelles, proches de celles d’une population-témoin.
A- Complications vasculaires :
1. Complications hémorragiques :
Elles sont essentiellement imputables aux anomalies fonctionnelles plaquettaires, parfois majorées par la prise intempestive de salicylés à fortes doses. Il s’agit surtout d’hémorragies de section, voire digestives qui feront alors rechercher une cause locale de saignement.
2- Complications thrombotiques :
Elles sont beaucoup plus redoutables. Elles peuvent être veineuses ou artérielles.
• Les thromboses veineuses peuvent intéresser les membres inférieurs et se compliquer d’embolie pulmonaire. Très spécifiques et de mauvais pronostic sont les thromboses des veines sus-hépatiques (syndrome de Budd-Chiari) et portales. Ces dernières peuvent venir compliquer une maladie de Vaquez typique. Elles peuvent aussi être révélatrices d’un syndrome myéloprolifératif atypique chez des femmes jeunes présentant un tableau hématologique peu évocateur. Le diagnostic repose alors en grande partie sur la pousse spontanée des précurseurs érythroblastiques.
• Les thromboses artérielles sont représentées par des accidents vasculaires cérébraux, des oblitérations artérielles des membres inférieurs, des infarctus myocardiques, plus rarement par des infarctus mésentériques ou des thromboses de l’artère centrale de la rétine. La pathogénie des complications thrombotiques de la maladie de Vaquez n’est qu’imparfaitement élucidée. L’âge, les antécédents thrombotiques, les facteurs de risque associés jouent un rôle favorisant. L’hyperviscosité sanguine corrélée à l’hématocrite, l’hyperplaquettose et l’activation plaquettaire sont les facteurs directement incriminés. Il pourrait par ailleurs être important de rechercher chez ces malades un déficit en anticoagulants naturels.
B- Complications hématologiques :
1- Myélofibrose secondaire :
Il s’agit de l’évolution naturelle de la maladie de Vaquez, d’installation retardée, et la moitié des malades bénéficiant d’une survie très prolongée, c’est-à-dire de 20 ans ou plus, auront développé cette complication. Elle se manifeste très progressivement. Avant la constitution du tableau caractéristique de myélofibrose, superposable à celui de la myélofibrose primitive (volumineuse splénomégalie, anémie avec anisopoïkilocytose et notamment hématies en larmes, érythromyélémie, fibrose médullaire collagène, métaplasie myéloïde hépatosplénique mise en évidence par scintigraphie à l’111In), s’installe parfois une phase intermédiaire (spent phase) marquée par une augmentation de volume de la splénomégalie et une minoration de la polyglobulie par hypervolémie plasmatique. Au stade de myélofibrose constituée, les possibilités thérapeutiques sont restreintes, comme dans la myélofibrose primitive, et les complications terminales sont les mêmes que dans cette affection. La carence martiale prolongée, telle celle induite par des saignées au long cours à usage thérapeutique, joue un rôle favorisant indéniable dans la précocité du développement d’une myélofibrose secondaire. Il semble par ailleurs important que le traitement myélofreinateur normalise en permanence la numération plaquettaire, le rôle de cytokines relarguées par les mégacaryocytes dans la genèse de la myélofibrose étant bien établi.
2- Transformation leucémique aiguë :
Elle s’observe, dans les grandes séries de maladie de Vaquez, chez 10 à 15 % des malades à la 10e année suivant le diagnostic, et ce risque continue à augmenter constamment avec le temps. Cette complication apparaît tributaire du traitement délivré pour contrôler la maladie de Vaquez. Le risque est très faible chez les malades traités par saignées exclusives, même s’il n’est pas inexistant. Le rôle favorisant du radiophosphore et des alkylants est indubitable. Cette constatation a entraîné l’usage intensif, ces dernières années, de produits supposés peu leucémogènes comme l’hydroxyurée (Hydréa) et le pipobroman (Vercyte), notamment chez les sujets relativement jeunes (moins de 65 ans). En fait, les délais d’observation sont maintenant suffisants pour conclure au caractère non anodin de ces agents. Tant avec l’hydroxyurée que le pipobroman, le risque leucémique serait d’environ 10 % à la 13e année. Les leucémies aiguës venant terminer le cours évolutif de la maladie de Vaquez traitée par myélofreination ont toutes les caractéristiques des leucémies aiguës induites. Elles sont le plus souvent précédées d’une phase de myélofibrose et (ou) de myélodysplasie. Il s’agit de leucémies aiguës myéloïdes difficilement classables. Le caryotype est dit défavorable : caryotypes complexes avec –5/del 5q et (ou) -7/del 7q chez les malades préalablement soumis au radiophosphore ou aux alkylants, del 17p en cas de traitement préalable par hydroxyurée ou pipobroman (notion récente). Une fois installée, la transformation leucémique aiguë de maladie de Vaquez est fatale dans un délai très bref et ne reconnaît aucun traitement. Il est exceptionnel, du fait de l’âge, qu’une allogreffe de moelle osseuse puisse être proposée.
Traitement :
Son but est la normalisation permanente de l’hématocrite (qui doit être le plus proche possible de 45 %) et de la numération plaquettaire (qui ne doit pas franchir la barre des 500.109/L), afin de réduire le risque vasculaire. Il doit par ailleurs jouer un rôle inducteur le plus faible possible à l’égard des complications hématologiques.
A- Saignées :
Les tentatives de traitement exclusif, au long cours, de la maladie de Vaquez par des saignées entraînent des inconvénients tels que la moitié des malades auront abandonné à 5 ans et la quasi-totalité à 10 ans. Ce défaut d’observance tient aux contraintes liées au geste mais aussi au développement d’une carence martiale profonde et souvent mal tolérée, qu’il convient pourtant de respecter. En fait, le seul avantage des saignées est de s’accompagner d’un risque leucémogène très faible. Par contre, elles contrôlent mal le risque vasculaire en raison du caractère souvent aléatoire de leur réalisation au bout d’un certain temps, et aussi du fait de l’exacerbation de l’hyperplaquettose par la carence martiale. Elles facilitent enfin une évolution rapide vers la myélofibrose. Les saignées ne sont plus réservées qu’au traitement d’urgence de la maladie de Vaquez, afin de normaliser rapidement l’hématocrite quand celui-ci est supérieur à 55 % chez la femme et à 60 % chez l’homme. Elles sont réalisées à raison de 300 mL/j ou 1 jour sur 2.
B- Traitement myélofreinateur :
1- Radiophosphore ou 32P :
Il a pendant longtemps été la référence. Il est délivré par voie veineuse, à raison de 0,1 mCi/kg pour une dose maximale de 7 mCi. Parfaitement toléré, il se solde par une réponse complète au terme de 3 à 4 mois. La durée de cette réponse complète est de l’ordre de 3 ans. La répétition des cures de 32P se traduit par des réponses de plus en plus brèves mais la radiorésistance est rare.
Le 32P contrôle de façon satisfaisante le risque vasculaire. Il ne facilite pas particulièrement l’évolution naturelle myélofibrosante. Par contre, son rôle inducteur leucémogène est bien établi. Il a été récemment démontré que la mise en oeuvre de l’hydroxyurée après 32P, en maintenance, était plus leucémogène que le 32P seul. Le 32P doit maintenant être réservé aux sujets les plus âgés. Compte tenu de l’augmentation constante de l’espérance de vie générale, il n’est pas illogique de fixer la barre à 70 ans.
2- Agents alkylants :
Il s’agit essentiellement du busulfan (Misulban). Ce produit n’est plus guère utilisé car il est considéré comme revêtant un risque d’induction leucémogène identique à celui du 32P, auquel se surajoute un risque aplasique grave.
3- Hydroxyurée et pipobroman :
Ces deux médicaments non radiomimétiques, dépourvus de résistance croisée, sont actuellement les produits les plus utilisés. Leur maniement est superposable (voir pour approfondir). L’obtention d’une réponse complète est quasi constante. Celle-ci devra être entretenue par un traitement de maintenance, à la dose la plus faible possible. La tolérance de ces deux produits est bonne ; les cytopénies sont rares et rapidement résolutives. L’hydroxyurée peut entraîner des troubles cutanéo-muqueux à type d’ulcères de jambe ou de stomatite. Le pipobroman, à posologie d’attaque, peut entraîner des troubles digestifs à type d’épigastralgies et de diarrhée. La survenue sous hydroxyurée d’une grande macrocytose est constante et dénuée de signification pathologique. Il est maintenant établi que le risque d’induction leucémogène est bien réel avec ces médicaments, même s’il est probablement plus réduit qu’avec le 32P et les alkylants. Le risque de facilitation de l’évolution myélofibrosante apparaît élevé avec l’hydroxyurée, probablement parce que la normalisation permanente de la numération plaquettaire est plus difficile à obtenir qu’avec le pipobroman. Un contrôle stable de l’hématocrite est aussi parfois plus difficile à obtenir avec l’hydroxyurée qu’avec le pipobroman. Ce dernier produit mérite donc d’être privilégié.
C- Interférons alpha :
Ils sont assez souvent efficaces en matière de contrôle de la maladie de Vaquez et sont peut-être dépourvus d’effet d’induction leucémogène. Néanmoins, leurs très nombreuses manifestations d’intolérance rendent leur usage exceptionnel. Ils peuvent avoir une place dans les très rares formes réfractaires à l’hydroxyurée et au pipobroman. Ils ont la particularité de bien contrôler le prurit et peuvent être prescrits chez la femme enceinte.
D- Salicylés :
Leur intérêt à faibles doses (100 mg/j), en association avec le traitement myélofreinateur, pour un meilleur contrôle du risque thrombotique, est à démontrer.
Points Forts à comprendre :
• L’établissement du diagnostic de maladie de Vaquez ou polyglobulie essentielle procède d’une démarche rationnelle qui est loin de toujours devoir faire appel à des investigations complémentaires très spécialisées.
• Il doit être précoce de manière à éviter la survenue des complications vasculaires, à l’origine d’une mortalité et surtout d’une importante morbidité.
• Avec un traitement bien conduit ce risque vasculaire sera contrôlé, permettant alors aux malades de bénéficier d’une espérance et d’une qualité de vie se rapprochant de celles d’une population témoin, tout au moins dans les tranches d’âge élevées habituelles.
• Ce traitement vise à minimiser le plus possible le risque de complications hématologiques tardives : évolution myélofibrosante et transformation leucémique aiguë.
POUR APPROFONDIR :
Schéma thérapeutique d’administration de l’hydroxyurée ou du pipobroman dans la maladie de Vaquez Ces deux produits, dépourvus de résistance croisée, sont de maniement identique.
• L’hydroxyurée (Hydréa) se présente en gélules dosées de 500 mg, le pipobroman (Vercyte) en comprimés dosés à 25 mg.
• La posologie d’attaque est de 25 mg/kg/j pour l’Hydréa et de 1,25 mg/kg/j pour le Vercyte, soit 3 à 4 gélules (Hydréa) ou comprimés (Vercyte) par jour.
• Une surveillance hebdomadaire de l’hémogramme est exercée jusqu’à normalisation de l’hématocrite (de l’ordre de 45 %). Ce résultat est généralement obtenu en 1 mois à 6 semaines. La normalisation de la numération plaquettaire va généralement de pair avec celle de l’hématocrite.
• En l’absence de normalisation de l’hématocrite à 6 semaines, la posologie de l’Hydréa ou du Vercyte est majorée d’une gélule ou d’un comprimé par jour durant 15 jours supplémentaires.
• Si, au terme de 2 mois, l’hématocrite n’est toujours pas normalisé (circonstance très peu fréquente), la posologie de l’Hydréa ou du Vercyte pourra encore être majorée d’une gélule ou d’un comprimé par jour durant 15 jours supplémentaires (maximum : 6 gélules ou comprimés par jour).
• Une fois l’hématocrite normalisé, l’Hydréa ou le Vercyte doivent être poursuivis en entretien afin de maintenir le résultat. Cette posologie d’entretien est d’ordinaire la moitié de la posologie d’attaque mais elle peut être beaucoup plus faible. Une surveillance mensuelle de l’hémogramme est maintenant suffisante.
• En cas de réascension de l’hématocrite au-delà de 48 % chez la femme, 50 % chez l’homme, la posologie d’entretien sera un peu majorée dans le but de normaliser l’hématocrite en permanence.
• Tant l’Hydréa que le Vercyte sont très peu aplasiants. Ces produits seront néanmoins interrompus en cas de baisse de l’hématocrite au-dessous de 36 % chez la femme ou de 38 % chez l’homme et (ou) en cas de neutropénie inférieure à 1,2.109/L et (ou) en cas de thrombopénie inférieure à 100.109/L.
• La survenue sous Hydréa d’une macrocytose est constante. Elle est inconstante et alors peu accentuée avec le Vercyte.
Points Forts à retenir :
• Dans la majorité des cas de maladie de Vaquez, le diagnostic pourra être posé devant l’association à une polyglobulie vraie de signes de myéloprolifération tirés de l’examen clinique et de l’hémogramme : splénomégalie et (ou) hyperleucocytose avec polynucléose neutrophile et (ou) hyperplaquettose.
• Il s’avère néanmoins parfois nécessaire de rechercher, devant un tableau compatible avec une érythrocytose pure, et après avoir éliminé une polyglobulie secondaire, des signes plus élaborés en faveur du syndrome myéloprolifératif, au premier rang desquels se place la pousse spontanée in vitro des progéniteurs érythroblastiques.
• Le traitement de la maladie de Vaquez a pour but de normaliser en permanence l’hématocrite et la numération plaquettaire, afin de contrôler le risque vasculaire. Il est basé sur les agents myélofreinateurs, les saignées n’étant plus utilisées que dans les situations d’urgence.
• En raison de son rôle inducteur leucémogène, le radiophosphore doit être réservé aux sujets les plus âgés ou incapables de se plier à une surveillance régulière.
• L’hydroxyurée et le pipobroman sont devenus les produits de référence bien qu’ils soient loin d’être dénués de risque d’induction leucémogène. Le pipobroman est probablement à privilégier car il facilite moins que l’hydroxyurée l’évolution myélofibrosante.
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