La pancytopénie est définie par une diminution des 3 lignées sanguines sur les données de la numérationformule :
– baisse de l’hémoglobine (< 13 g/dL chez l’homme, 12 g/dL chez la femme) ;
– baisse des polynucléaires (< 1,5.109/L) ;
– baisse des plaquettes (< 150.109/L).
Diagnostic d’une pancytopénie :
Le diagnostic sera évoqué devant : – un syndrome anémique (pâleur, asthénie, polypnée ou dyspnée d’effort, tachycardie d’effort, voire de repos) ;
– un syndrome infectieux : infections bactériennes à répétition banales ou sévères ne répondant pas normalement à une antibiothérapie, ulcérations buccales) ;
– un syndrome hémorragique : purpura pétéchial, ecchymoses spontanées, épistaxis récidivantes, bulles hémorragiques buccales ou gingivorragies spontanées. Ces signes peuvent être absents, isolés ou associés. Le diagnostic peut être posé lors d’un hémogramme systématique (bilan préopératoire, bilan de santé). Le plus souvent une lignée sera plus fortement atteinte que les autres.
Évaluation de la gravité de la pancytopénie :
La gravité sera évaluée avant tout sur les données de l’examen clinique ainsi que sur les résultats de la numération formule sanguine. Les signes cliniques de gravité sont :
– syndrome anémique marqué : dyspnée de repos, angor, lipothymie, ralentissement psychique ;
– syndrome infectieux grave : état septicémique, signes de choc, cellulite infectieuse, pneumopathie sévère hypoxémiante ;
– syndrome hémorragique sévère : purpura extensif, bulles hémorragiques buccales, hémorragies digestives, céphalées d’apparition brutale, déficit moteur ou sensitif faisant craindre une hémorragie cérébro-méningée, hémorragie du fond d’oeil. Les signes biologiques de gravité sont définis par les critères suivants :
– hémoglobine < 8 g/dL ;
– polynucléaires neutrophiles < 0,5.109/L ;
– plaquettes < 20.109/L.
Diagnostic étiologique :
A- Interrogatoire et examen clinique :
1- Interrogatoire :
Il est indispensable de faire préciser le mode de présentation des symptômes lorsqu’ils existent : l’évolution est-elle aiguë, subaiguë ou chronique ? Le patient dispose- t-il d’hémogrammes antérieurs, normaux ou déjà pathologiques ? Il est nécessaire de rechercher toutes prises médicamenteuses en insistant sur les modifications récentes (sulfamides, anti-inflammatoires non stéroïdiens). Les risques d’expositions toxiques, professionnelles ou non, seront évalués. Une prise de contact avec le médecin du travail de l’entreprise est parfois indispensable. On recherche dans les antécédents des signes de maladies auto-immunes : arthralgies, éruptions cutanées, déformations articulaires. Il faut interroger le patient sur l’ensemble de ses antécédents, de ses pathologies antérieures ou actuelles et rechercher ces éléments sur son carnet de santé.
2- Examen clinique :
Il recherche d’emblée une splénomégalie (cause fréquente de pancytopénie), une hépatomégalie, des adénopathies, des signes d’hypertension portale. Des signes évocateurs de maladies auto-immunes seront également cherchés attentivement : éruption cutanée, déformations articulaires.
B- Bilan biologique :
La numération formule sanguine recherche des anomalies de 3 lignées.
1- Anomalies de la lignée érythrocytaire :
Le chiffre des réticulocytes permet d’orienter vers un mécanisme périphérique lorsqu’il est augmenté (120.109/L). Il est donc indispensable de prescrire une numération des réticulocytes en plus de la numération formule standard. Si l’anémie est macrocytaire, la macrocytose est en règle générale modérée (98 μ3 ou fl < volume globulaire moyen < 110 μ3 ou fl) et peut être due à une myélodysplasie, à l’alcoolisme, ou à une forte régénération (réticulocytose élevée). Une macrocytose importante (> 110 μ3 ou fl) fait suspecter une carence en vitamine B12 ou en acide folique. Les autres anémies rencontrées dans les pancytopénies sont généralement normocytaires (volume globulaire moyen normal). Une étude de la morphologie des globules rouges sur lame peut mettre en évidence des déformations évoquant une myélofibrose (fibrose médullaire) : hématies en gouttes, en larmes ou en poire. La mise en évidence de schizocytes évoque une destruction périphérique.
2- Anomalies de la lignée leucocytaire :
Des cellules pathologiques circulantes peuvent être mises en évidence par un oeil exercé (non mises en évidence par l’automate) : blastes circulants dans le cas de leucémies aiguës à forme leucopénique, tricholeucocytes dans les leucémies à tricholeucocytes.
3- Anomalies de la lignée plaquettaire :
Des plaquettes de volume augmenté évoquent une origine périphérique.
C- Examens médullaires :
1. Myélogramme :
C’est l’examen clef qui permet de différencier les causes centrales des causes périphériques et de déterminer l’étiologie de la pancytopénie dans la majorité des cas.
• La moelle est riche avec :
– un blocage de maturation : c’est le cas des myélodysplasies et des leucémies aiguës ;
– envahissement : c’est également le cas des leucémies aiguës mais aussi du myélome avec une infiltration plasmocytaire, des lymphomes et des métastases médullaires des cancers ;
– mégaloblastose dans les carences en vitamine B12 ou en folates (qui seront dosées dans le sang).
• La moelle est pauvre dans l’aplasie médullaire avec souvent un excès relatif de lymphocytes.
• La moelle est désertique avec une ponction difficile comme dans les fibroses médullaires. Une moelle pauvre ou désertique nécessite de réaliser une biopsie médullaire rapidement.
• La moelle est normale, sans anomalie de maturation et signe ainsi une cause périphérique.
2- Biopsie médullaire :
C’est un acte indispensable pour affirmer le diagnostic dans les cas de moelles pauvres ou désertiques ; elle est souvent réalisée dans le bilan d’extension d’autres situations (leucémies, lymphomes, myélome, cancer métastatique). En cas de thrombopénie majeure, il est souhaitable de transfuser des plaquettes préalablement à la biopsie qui se fera après anesthésie locale au niveau de l’épine iliaque postéro-supérieure ou antérieure.
D- Étiologie :
Les examens complémentaires, médullaires en particulier, vont permettre de différencier les pancytopénies de cause centrale des causes périphériques.
1. Causes périphériques :
Elles sont souvent associées à une splénomégalie.
• C’est le cas dans les hypersplénismes, quelle que soit la cause, avec une pancytopénie modérée mais parfois avec une cytopénie isolée sans retentissement clinique. Une affection hépatique associée à une hypertension portale en est souvent la cause, d’où l’intérêt de réaliser une fibroscopie digestive haute à la recherche de varices oesophagiennes ainsi qu’une échographie abdominale avec écho-doppler. Dans un contexte fébrile, chez un malade exposé (bassin méditerranéen en particulier), il faut penser à la leishmaniose et demander une sérologie ainsi que la recherche de leishmanies sur frottis médullaire en cas de doute ou chez l’immunodéprimé, utilité de la culture et de l’amplification génique par PCR (polymerase chain reaction).
• En l’absence de splénomégalie, il faut penser à l’hypertension portale d’une cirrhose, à confirmer par biopsie hépatique percutanée ou transjugulaire si l’hémostase le permet.
• Les pancytopénies de mécanisme immunologique sont possibles mais rares, les bicytopénies plus fréquentes au cours des maladies auto-immunes, lupus en particulier avec leuconeutropénie, anémie hémolytique à IgG anti-Rh et (ou) thrombopénie périphérique.
2- Causes centrales :
Ces causes sont variées.
• Les carences en vitamine B12 ou en folates montrent une moelle riche, d’allure mégaloblastique et de couleur bleue après colorations. Les dosages de vitamine B12 sérique et d’acide folique sérique et érythrocytaire seront demandés.
• Les myélodysplasies sont diagnostiquées par le myélogramme, complété par la coloration de Perls et un examen cytogénétique médullaire qui permet de retrouver éventuellement des anomalies clonales acquises. Le myélogramme, la réaction de Perls et la cytochimie font la différence entre : l’anémie sidéroblastique, l’anémie réfractaire, l’anémie réfractaire avec excès de blastes.
• La moelle est infiltrée par des éléments pathologiques : c’est le cas des leucémies aiguës, des lymphomes, des myélomes et des métastases médullaires. Les caractéristiques cellulaires seront précisées par l’immunophénotype cellulaire.
• La leucémie à tricholeucocytes associe souvent pancytopénie et splénomégalie. La fibrose médullaire est fréquente et la biopsie médullaire indispensable.
• Les myélofibroses réticuliniques ou collagènes peuvent être associés à :
– une splénomégalie myéloïde ;
– une myélofibrose aiguë ;
– des métastases médullaires d’un cancer.
• L’aplasie médullaire est affirmée à la biopsie médullaire ; elle peut être constitutionnelle ou acquise. Les formes constitutionnelles se voient chez l’enfant (maladie de Fanconi, dyskératose congénitale). Pour les aplasies acquises, elles sont secondaires ou idiopathiques. Dans beaucoup de cas, aucun facteur n’est mis en évidence et l’on parle alors d’aplasie médullaire idiopathique. Parmi les causes secondaires, citons : les radiations ionisantes, les chimiothérapies antitumorales (cause fréquente mais évidente qui ne nécessite pas d’investigation à visée étiologique), les expositions toxiques non médicamenteuses (emploi des colles et des peintures, benzène, solvants), les médicaments (antiinflammatoires non stéroïdiens, sels d’or, D-pénicillamine, sulfamides, chloramphénicol, bêtalactamines, furosémide, salicylés, ticlopidine, phénothiazines…). Citons encore les aplasies post-hépatitiques. • L’hémoglobinurie paroxystique nocturne (maladie de Marchiafava-Micheli) peut se présenter comme une aplasie médullaire ou comme une pancytopénie dont la richesse médullaire est variable. L’anémie est souvent liée à une carence en fer avec une composante hémolytique. Une thrombose associée ou des douleurs abdominales sont des éléments de valeur pour le diagnostic qui est confirmé par la cytométrie de flux des cellules sanguines, avec en particulier déficit en CD59 et CD55. Le test classique de Ham-Dacie a perdu beaucoup de sa valeur depuis le développement de ces techniques. Il existe enfin des formes frontières entre aplasie médullaire, myélodysplasie et hémoglobinurie nocturne paroxystique.
Points Forts à comprendre :
• Une pancytopénie est définie par la diminution de tous les éléments figurés du sang à l’hémogramme.
• Ses causes sont multiples. Une pancytopénie peut être d’origine périphérique (par destruction ou séquestration) ou d’origine centrale par déficit quantitatif ou qualitatif de l’hématopoïèse.
• Le myélogramme est l’examen clef, complété dans la majorité des cas par une biopsie de moelle.
Points Forts à retenir :
• Les pancytopénies avec signes cliniques ou biologiques de gravité sont des urgences médicales.
• La biopsie médullaire est très souvent indispensable pour affirmer le diagnostic.
• La cytogénétique médullaire est très utile pour affirmer le caractère clonal ainsi que le pronostic de certaines étiologies.