La limite supérieure du chiffre de plaquettes circulantes habituellement admise est 450.109/L. On considère que le pool splénique de plaquettes représente un tiers de cette valeur à l’état normal et peut atteindre des valeurs considérables en cas d’hypertrophie splénique au cours des syndromes myéloprolifératifs. On réserve le terme de thrombocytose ou d’hyperplaquettose aux situations dans lesquelles le chiffre de plaquettes circulantes est supérieur à 500.109/L. L’usage est de distinguer au sein de ces thrombocytoses, les thrombocytémies, terme qui s’applique aux augmentations du chiffre de plaquettes s’intégrant dans le cadre d’un syndrome myéloprolifératif. On réserve le terme de thrombocytémie essentielle ou primitive à une variété particulière de syndrome myéloprolifératif qui se présente comme une prolifération presque exclusive de la lignée mégacaryoto-plaquettaire (voir : pour approfondir / 1).
Hyperplaquettoses secondaires ou réactionnelles :
Elles sont reconnues le plus souvent sur le contexte clinique, la mise en évidence d’un syndrome inflammatoire clinique ou biologique, la recherche d’une carence martiale, la notion de splénectomie ou d’asplénie.
A- Hyperplaquettoses passagères :
Certaines hyperplaquettoses sont passagères et de mécanisme difficile à classer. Ce sont celles qu’on impute à l’exercice, au stress, à un traumatisme, surtout s’il est compliqué de fracture, ou dans les jours suivant une intervention chirurgicale ou un accouchement. L’adrénaline a été l’un des premiers médicaments connus pour son rôle dans l’augmentation du chiffre de plaquettes, probablement par démargination des plaquettes, notamment dans la circulation pulmonaire. D’autres hyperplaquettoses apparaissent liées à une stimulation médullaire transitoire. Ce sont celles qui succèdent à un épisode d’hémorragie ou à une phase d’hémolyse. On interprète de la même façon les hyperplaquettoses dites « de rebond », succédant à une thrombopénie par défaut de production ou excès de destruction. On en observe ainsi après intoxication éthylique aiguë, traitement d’une anémie de Biermer, réparation d’une thrombopénie périphérique ou d’une agranulocytose médicamenteuse. En fait, les plus fréquentes succèdent à l’utilisation de chimiothérapies entraînant une hypoplasie transitoire. Les traitements par la vincristine sont susceptibles d’induire une hyperplaquettose par un mécanisme mal connu. Ces hyperplaquettoses sont habituellement de cause évidente en raison du contexte. Elles sont modérées, asymptomatiques, de courte durée, et par conséquent ne comportent en pratique aucun risque hémorragique ou thrombotique spécifique et ne nécessitent pas de traitement anticoagulant, sauf si le contexte clinique est de ceux qui nécessitent un traitement préventif de thrombose.
B- Hyperplaquettoses durables :
Les hyperplaquettoses réactionnelles ou secondaires durables répondent en principe au même schéma. Elles sont modérées, inférieures à 1 000.109/L, mais peuvent notamment, lorsque plusieurs facteurs étiologiques sont combinés, dépasser ce chiffre. Elles sont en général asymptomatiques et les complications hémorragiques et thrombotiques sont rares chez les patients dépourvus de facteur de risque.
1- Splénectomie :
L’hyperplaquettose post-splénectomie est prévisible mais non constante (moins de 1 cas sur 2 ?) et non obligatoirement observée immédiatement après l’intervention (délai d’apparition de 1 à 10 jours). Le pic est atteint en 1 à 3 semaines. L’ampleur de l’hyperplaquettose souvent supérieure à 1 000.109/L, indique que la mobilisation du pool splénique n’est pas seule en cause. Le retour à la normale peut prendre quelques semaines ou quelques mois. Certaines, passant à la chronicité, font discuter la révélation par la splénectomie d’un syndrome myéloprolifératif latent. En fait, lorsque la splénectomie est faite pour une affection responsable d’une anémie chronique, la thrombocytose est plus marquée. Elle persisterait plus volontiers si l’anémie est toujours présente après splénectomie, notamment si le mécanisme de l’anémie est l’hémolyse, traduisant une stimulation médullaire permanente. Dans ce cas, malgré son caractère réactionnel, certains invoquent la possibilité d’un risque hémorragique ou thrombotique lié à cette hyperplaquettose au long cours.
2- Asplénie :
L’asplénie est une explication parfois apportée à l’origine d’hyperplaquettoses chroniques modérées. Avant le recours à l’échographie, la présence sur le frottis de corps de Jolly est susceptible de mettre sur la voie.
3- Carence martiale :
Les hyperplaquettoses des carences martiales sont maintenant bien connues. Elles ne sont pas constantes, presque toujours modérées, inférieures à 1 000.109/L ; elles sont susceptibles d’être observées même lorsque la carence martiale n’entraîne pas d’anémie nette. C’est le cas notamment de certaines hyperplaquettoses accompagnant les polyglobulies traitées par saignées ou compliquées d’hémorragies. Leur diagnostic repose sur le dosage de la ferritinémie. Les hyperplaquettoses des carences martiales rétrocèdent après restauration des stocks en fer. Certains cas de thrombose, notamment cérébro-vasculaires, chez des patients dont le seul facteur de risque était l’existence d’une carence martiale, ont été récemment décrits. On manque d’études physiopathologiques approfondies sur le mécanisme de l’hyperplaquettose. Elles ne s’accompagnent pas habituellement d’une augmentation du taux de la CRP et les rares dosages faits dans ces situations ne montrent pas non plus d’élévation franche de la thrombopoïétine.
4- Syndrome inflammatoire et infection :
Les hyperplaquettoses des syndromes inflammatoires chroniques ou des infections aiguës ou chroniques sont habituellement reconnues sur le contexte infectieux ou inflammatoire clinique (fièvre, sueurs, amaigrissement), ou sur les données biologiques (vitesse de sédimentation, dosage du fibrinogène). Elles peuvent en outre bénéficier du dosage de la CRP, reflet de la production d’IL6, facteur stimulant indirect de la thrombopoïèse. La liste des affections inflammatoires ou des infections correspondant à ces hyperplaquettoses ne saurait être exhaustive. On a signalé avec une particulière fréquence : polyarthrite rhumatoïde, entérocolopathies, etc.
5- Cancer :
Les hyperplaquettoses accompagnant diverses formes de cancer ne sont probablement qu’un aspect particulier de ces hyperplaquettoses d’origine inflammatoire. Les cancers épithéliaux les plus fréquemment cités sont les cancers des bronches, du rein, du sein. Il est probable que les cancers qui associent saignement chronique et syndrome inflammatoire péri-tumoral sont des sources privilégiées d’hyperplaquettose. Une hyperplaquettose isolée accompagnée d’un syndrome inflammatoire biologique est un des modes classiques de découverte de la maladie de Hodgkin ou de certains lymphomes non hodgkiniens. L’hyperplaquettose, dans les cas ou elle est secondaire à une maladie maligne, peut avoir un double intérêt : celui d’amener à évoquer le diagnostic de tumeur et, dans une certaine mesure, d’en suivre l’évolution après le traitement. On connaît mal les conséquences réelles, au plan du risque de thrombose, de ces hyperplaquettoses, indépendamment du rôle favorisant que joue déjà le développement de la tumeur.
Hyperplaquettoses primitives :
A- Syndrome myélodysplasique :
Les hyperplaquettoses primitives observées au cours des syndromes myélodysplasiques sont peu fréquentes et en général très facilement reconnues en raison du contexte hématologique.
1- Anémie sidéroblastique :
L’hyperplaquettose qui s’observe au cours de l’anémie sidéroblastique acquise est inconstante, modérée, observée généralement chez un adulte, parfois âgé. Elle s’accompagne dans un tiers des cas d’une splénomégalie modérée. L’anémie progressive normo- ou macrocytaire qui l’accompagne comporte en réalité une double population d’hématies, notamment des hématies hypochromes en dépit de l’élévation de la ferritine sérique. Le myélogramme montre une hyperplasie érythrocytaire, les sidéroblastes en couronne à tous les stades de maturation érythrocytaire. L’élévation des proto-porphyrines érythrocytaires libres peut constituer un élément d’orientation. L’évolution est menacée avant tout par l’hémochromatose favorisée par les transfusions qui deviennent rapidement nécessaires.
2- Autres syndromes myélodysplasiques :
Les autres syndromes myélodysplasiques comportent plus souvent une thrombopénie qu’une thrombocytose. Le syndrome 5q-, observé volontiers chez une femme âgée, comporte également une anémie réfractaire macrocytaire, une splénomégalie, une élévation inconstante du chiffre de plaquettes ainsi qu’une dystrophie fréquente de la lignée mégacaryocytaire faite d’éléments de petite taille dont le noyau montre un défaut de lobulation net.
B- Syndromes myéloprolifératifs :
Les hyperplaquettoses des syndromes myéloprolifératifs constituent en réalité le temps essentiel du diagnostic d’hyperplaquettose primitive. Ce diagnostic est extrêmement facile lorsque l’hyperplaquettose s’intègre dans un tableau typique de leucémie myéloïde chronique avec une hyperleucocytose prédominant sur les polynucléaires neutrophiles, plus rarement éosinophiles et basophiles, une myélémie et une splénomégalie. L’hyperplaquettose a surtout une signification pronostique. On rappelle en effet que l’hyperplaquettose entre dans la détermination du score de Sokal et l’apparition secondaire d’une hyperplaquettose au cours de l’évolution des leucémies myéloïdes chroniques est souvent synonyme de l’imminence de la transformation aiguë. L’association de l’hyperplaquettose et d’un hématocrite élevé constitue un bon élément d’orientation en faveur d’une maladie de Vaquez. On recherchera également en sa faveur une splénomégalie, une hyperleucocytose, on procédera à l’étude de la masse sanguine. L’hyperplaquettose revêt donc une valeur diagnostique indiscutable (critère mineur du PVSG (polycythemia vera study group), mais n’entre pas dans le cadre des facteurs prédictifs du risque de thrombose qui sont au contraire corrélés à l’âge et aux antécédents thrombotiques des patients. Enfin, l’hyperplaquettose est plus rare au cours de la splénomégalie myéloïde typique reconnue sur l’érythromyélémie, les déformations érythrocytaires, la splénomégalie et la fibrose médullaire. En fait, toute la difficulté du diagnostic de thrombocytémie vient du fait que bien qu’une hyperplaquettose puisse apparaître totalement isolée, les diagnostics précédents doivent être soigneusement éliminés :
• la polyglobuline primitive, en réalisant une étude systématique du volume globulaire dès que le taux d’Hb est supérieur à 13 g/dL ; il est essentiel alors, pour pouvoir interpréter le résultat de cet examen, de s’assurer de l’absence de carence martiale. Le dosage de la ferritinémie est le critère de base sur lequel cette appréciation repose ;
• certaines hyperplaquettoses isolées en tous points semblables à celles qu’on observe dans la thrombocytémie essentielle peuvent constituer le premier signe d’une leucémie myéloïde chronique. Outre la recherche systématique du chromosome Philadelphie, indispensable compte tenu du risque très élevé de transformation aiguë rapide dans cette variété d’hyperplaquettose primitive, on recommande de plus en plus la recherche systématique du transcrit bcr/abl. Enfin, l’analyse soigneuse de la biopsie médullaire montre dans cette éventualité une hyperplasie mégacaryocytaire faite de mégacaryocytes de petite taille sans tendance particulière au groupement en amas. Il est plus difficile d’établir le classement exact des hyperplaquettoses apparemment isolées mais comportant un certain degré d’érythromyélémie, une splénomégalie de petite taille et une fibrose médullaire débutante sous forme de densification réticulinique. Le problème qu’elles posent est de savoir s’il s’agit d’une splénomégalie myéloïde débutante ou de l’évolution fibrosante qui s’observe parfois au long terme lors de l’évolution d’une authentique thrombocytémie essentielle. Le degré de la fibrose, l’ampleur des anomalies cliniques et hématologiques, notamment la recherche de déformations érythrocytaires, sont utilisés pour établir cette distinction qui n’est peut-être que d’un intérêt théorique.
C- Thrombocytémie essentielle :
La thrombocytémie essentielle apparaît actuellement comme un des syndromes myéloprolifératifs les plus fréquents. Sa fréquence est supérieure à celle de la splénomégalie myéloïde et de la leucémie myéloïde chronique. Elle est probablement supérieure à celle de la maladie de Vaquez. La répartition selon l’âge et le sexe est l’une des premières particularités de ce syndrome myéloprolifératif. L’âge moyen est de 60 ans, il existe globablement une prédominance féminine (sex ratio : 1,67). Il existe en réalité dans cette maladie un deuxième pic de fréquence aux alentours de 30 ans, touchant essentiellement une population féminine. Cela explique que des problèmes de grossesse et de contraception se posent souvent de façon aiguë dans cette maladie. Le mode habituel de découverte de la maladie est une numération systématique révélant l’hyperplaquettose et correspond à la moitié au moins des cas de thrombocytémie essentielle. Les autres circonstances de découverte se répartissent sous 3 rubriques.
1- Thromboses :
Les thromboses artérielles sont beaucoup plus fréquentes que les thromboses veineuses (environ 6 fois). Elles intéressent la circulation coronaire, les territoires cérébraux responsables d’accidents vasculaires irréversibles, les artères périphériques des membres. Les thromboses veineuses peuvent toucher les territoires veineux profonds, compliquées ou non d’embolie pulmonaire. Les thromboses veineuses superficielles sont parfois confondues avec des manifestations érythromélalgiques. Certaines localisations méritent une mention particulière : thrombose des corps caverneux avec priapisme ou surtout thrombose des territoires splanchniques.
2- Manifestations vasculaires intéressant la microcirculation :
Les accidents ischémiques transitoires, liés à une obstruction passagère de la microcirculation, sont retrouvés au moment du diagnostic dans un tiers environ des formes symptomatiques de thrombocytémie essentielle. Ces manifestations sont attribuées à une activation in vivo des plaquettes à l’intérieur des artérioles, n’aboutissant pas irrévocablement à une thrombose, ce qui explique leur réversibilité spectaculaire grâce à l’utilisation d’aspirine. Parmi ces accidents, ceux qui sont observés aux extrémités des membres, nommés érythromélalgies, sont considérés par certains comme pathognomoniques de l’hyperplaquettose des syndromes myéloprolifératifs. Habituellement observés au niveau des orteils, les crises d’érythromélalgie sont caractérisées par une douleur, une sensation de brûlure, une augmentation de la chaleur locale et une modification de la coloration cutanée survenant dans le même territoire que la douleur et prédominant souvent à la plante des pieds ou à la pulpe des orteils. Au minimum, il s’agit de sensations de picotements ou de brûlures cutanées des plantes des pieds avec un aspect violacé, marbré de la peau. Parfois, la rougeur pommelée fait place à une érythrocyanose puis à une zone de nécrose, le plus souvent limitée, qui peut encore rétrocéder et guérir spontanément par momification de la peau au prix d’une petite cicatrice ombiliquée. Elle peut, à l’inverse, aboutir à la gangrène, plus ou moins limitée, d’un orteil. Le caractère le plus frappant est alors que cette gangrène survient chez un patient dont les pouls périphériques sont retrouvés et dont le système vasculaire artériel peut être indemne de toute manifestation athéromateuse. Ces manifestations ischémiques transitoires sont susceptibles de frapper la vascularisation cérébrale. Il s’agit parfois de manifestations ne comportant pas de signes éventuels de localisation : céphalées, troubles de l’équilibre, dysarthries, obscurcissement bilatéral de la vue. L’existence de crises convulsives a été signalée. Il peut s’agir au contraire de manifestations localisées (mono- ou hémiparésies), de troubles oculaires unilatéraux transitoires, scotome scintillant, accès de diplopie. D’autres touchent les territoires vasculaires mésentériques (angor du grêle).
3- Manifestations hémorragiques :
Elles ont pendant longtemps servi à nommer la maladie : thrombocytémie hémorragique. En fait elles sont beaucoup moins fréquentes que les manifestations vasculaires comme circonstance révélatrice et plus encore comme complication évolutive de la maladie traitée. Il s’agit parfois d’hémorragies spontanées, le plus souvent cutanéo-muqueuses et modérées. Les hémorragies plus abondantes ou digestives sont plus volontiers provoquées par une cause locale ou par un geste chirurgical.
4- Splénomégalie :
L’examen clinique ne montre une splénomégalie que dans un faible pourcentage de cas (moins de 50 %). La rate est toujours de taille modérée.
5- Examens biologiques :
• L’hémogramme : l’augmentation du chiffre des plaquettes est en moyenne compris entre 1 000 à 1 500.109/L, ce qui correspond à un petit nombre de patients dont les chiffres de plaquettes sont très élevés, supérieurs à 2 000 ou 3 000.109/L et une fréquence élevée de patients dont le chiffre de plaquettes est compris entre 600 et 1 000.109/L. Le taux d’hémoglobuline se situe en moyenne aux alentours de 13,8 g/dL. Il est parfois initialement abaissé du fait d’une anémie microcytaire par carence martiale. Il est alors nécessaire d’avoir recours à un traitement martial suivi d’une étude du volume globulaire pour éliminer une maladie de Vaquez.
• Le volume globulaire isotopique n’est par définition jamais augmenté au-dessus des limites considérées comme celles de la polyglobulie (plus 130 % du volume globulaire théorique). Le volume plasmatique est en revanche très variable, souvent augmenté. La normalité du taux d’Hb et de l’hématocrite ne constitue pas un argument suffisant pour éliminer une polyglobulie et l’étude systématique du volume globulaire est préconisée au-dessus de 13 g/dL d’Hb. La leucocytose est modérément élevée, supérieure à 12.109/L chez 40 % des patients. Une érythromyélémie d’ampleur très limitée peut être observée dans un petit nombre de cas.
• Le myélogramme est indispensable à l’étude cytogénétique mais n’apporte que rarement des arguments en faveur du diagnostic en raison d’une dilution fréquente des prélèvements.
• La biopsie médullaire confirme l’hyperplasie mégacaryocytaire médullaire. Les mégacaryocytes sont de grande taille, leur ploïdie est élevée, leur groupement en amas est caractéristique. La densité cellulaire globale de la moelle n’est pas toujours franchement augmentée et le diagnostic de thrombocytémie essentielle est compatible avec une densité cellulaire proche de la normale. Une hyperplasie réticulinique est observée dans environ 20 % des cas sur la biopsie médullaire initiale. Il s’agit d’une densification diffuse, non mutilante, sans désorganisation de la moelle et sans fibrose collagène.
• L’étude cytogénétique est indispensable au diagnostic de thrombocytémie essentielle pour éliminer la présence d’un chromosome Philadelphie. Aucune anomalie cytogénétique ne peut être tenue pour spécifique de la thrombocytémie essentielle. La fréquence de la constatation de telles anomalies est faible, de l’ordre de 5 à 6 % des cas.
• La recherche systématique de bcr/abl est souhaitable pour éliminer toute arrière-pensée de leucémie myéloïde chronique. Points Forts à comprendre :
• La généralisation du décompte automatique et systématique des plaquettes circulantes a mis en lumière la fréquente constatation d’une thrombocytose à l’hémogramme.
• À la différence des anémies ou des thrombopénies, il est bien rare que la thrombocytose soit soupçonnée sur des arguments cliniques.
• L’élaboration d’une stratégie diagnostique est donc de toute première importance pour distinguer les hyperplaquettoses réactionnelles de celles qui traduisent un désordre primitif de la moelle, c’est-à-dire un syndrome myéloprolifératif ou une myélodysplasie.
• Cette étape étiologique est indispensable pour évaluer l’ampleur du risque hémorragique ou thrombotique que cet excès de plaquettes implique à courte échéance et les risques vitaux potentiels que la découverte d’une maladie hématologique fait courir à long terme.
Points Forts à retenir :
• La stratégie diagnostique des thrombocytoses consiste à éliminer successivement :
– les hyperplaquettoses réactionnelles ou secondaires ; – au sein des hyperplaquettoses primitives, témoins d’une prolifération autonome des éléments mégacaryocyto-plaquettaires, on devra éliminer ensuite celles qui sont témoins d’un syndrome myélodysplasique : anémie sidéroblastique, syndrome 5q- ;
– pour ne retenir que les syndromes myéloprolifératifs primitifs en différenciant les hyperplaquettoses révélatrices d’une leucémie myéloïde chronique ou – et c’est là le point le plus délicat – d’une maladie de Vaquez, ou encore, mais plus rarement, celles qui sont le témoin d’une splénomégalie myéloïde ;
– pour ne retenir finalement le diagnostic de thrombocytémie essentielle qu’après élimination des éventualités précédentes.
• C’est pour modifier cette stratégie de diagnostic par élimination qu’on tente de rechercher et d’évaluer des arguments positifs en faveur du diagnostic comme l’analyse de la biopsie médullaire, des cultures de progéniteurs mégacaryocytaires, la détermination de la clonalité de la prolifération hématopoïétique.
POUR APPROFONDIR :
1 / Mégacaryocytopoïèse et sa régulation :
La production plaquettaire fait intervenir la différenciation, à partir des cellules souches multipotentes, de cellules uniquement destinées à la production des plaquettes. Ce premier stade de différenciation est celui des progéniteurs et correspond, in vitro lors de la culture de mégacaryocytes en milieu semi-solide, aux BFU-MK (burst forming units) et CFU-MK (unité formant des colonies mégacaryocytaires). À partir d’un certain point de leur différenciation, les précurseurs mégacaryocytaires cessent de se diviser et suivent un processus d’endo-réplication de l’ADN aboutissant à des mégacaryocytes polyploïdes. La ploïdie des mégacaryocytes d’individus normaux peut atteindre 64 N mais la majorité des magacaryocytes ont une ploïdie de 16 N ou 32 N. En même temps que cette polyploïdisation, les mégacaryocytes subissent un processus de maturation avant de produire les plaquettes. La production de plaquettes dépend de 3 paramètres indépendants : le nombre de mégacaryocytes de la moelle, le volume des mégacaryocytes qui est directement lié à leur niveau de ploïdisation, le degré de maturation cytoplasmique des mégacaryocytes. Des expériences de déplétion plaquettaire ou de création d’hyperplaquettose transfusionnelle chez l’animal ont abouti à la conclusion que la mégacaryocytopoïèse était l’objet d’une régulation à différents niveaux. Certains facteurs exerçant leur action proliférative, surtout aux phases précoces, mitotiques, auraient une activité nommée MK-CSA (megakaryocyte- colony stimulating activity) directement stimulée par la déplétion mégacaryocytaire. D’autres, à l’inverse, à action tardive, agiraient à la phase de maturation ; par analogie avec la régulation érythrocytaire cette activité est nommée « thrombopoïétine ».
• Facteurs stimulants Le régulateur physiologique de la mégacaryocytopoïèse est la thrombopoïétine (TPO), encore nommée ligand du récepteur Mpl (Mpl-L) ou facteur de croissance et de développement des mégacaryocytes (MGDF) (megakaryocyte, growth and development factor). Le récepteur Mpl de ce facteur de croissance a été décrit le premier. Il est exprimé principalement à la surface des cellules de la lignée mégacaryocyto- plaquettaire et des progéniteurs hématopoïétiques précoces. La thrombopoïétine joue un rôle direct dans la prolifération, la ploïdisation, et la différenciation terminale des mégacaryocytes à partir des cellules souches. Elle a donc une activité à la fois MK-CSA et TPO. En plus de son effet essentiel sur la mégacaryocytopoïèse, la thrombopoïétine a une action modulatrice sur la prolifération des progéniteurs des diverses lignées hématopoïétiques. Le niveau de sécrétion physiologique de thrombopoïétine semble fixe et son taux sanguin circulant paraît déterminé par ce qui persiste après son absorption à la surface des plaquettes. L’étude in vitro et in vivo de la régulation humorale de la mégacaryocytopoïése a en outre mis en évidence le rôle stimulant de facteurs de croissance hématopoïétique dont aucun n’est spécifique de la lignée mégacaryocytaire. On en distingue 3 catégories :
– une cytokine agissant comme un puissant facteur synergique de la formation de colonies mégacaryocytaires mais n’ayant pas d’influence isolément : le stem cell factor (SCF) qui agit notamment in vitro en synergie avec l’IL3 et le GM CSF ;
– plusieurs cytokines capables d’induire la prolifération des progéniteurs mégacaryocytaires et la formation de colonies mégacaryocytaires : l’IL3, le GM CSF ;
– enfin, des cytokines agissant à la phase post-mitotique et jouant un rôle dans la maturation mégacaryocytaire. Il s’agit essentiellement de l’IL6 et plus accessoirement de cytokines de la même famille, notamment de l’IL11. L’IL6 est le plus puissant facteur stimulant de la synthèse hépatique de la CRP (C-reactive protein). D’autres cytokines agissent généralement sur la mégacaryocytopoïèse comme érythropoïétine ; l’IL1 dont l’action est indirecte induisant la production d’IL6, de GM CSF et de SCF et le facteur de croissance fibroblastique (FGFb) dont le récepteur est présent à la surface des mégacaryocytes.
• Facteurs inhibiteurs Récemment, on a insisté sur le rôle de facteurs inhibiteurs de la mégacaryocytopoïèse contenus dans les plaquettes circulantes et pouvant jouer un rôle dans le rétrocontrôle de la production plaquettaire. Il s’agit par exemple du facteur plaquettaire 4 (PF4) et du TGFb dont l’effet inhibiteur s’exerce sur l’ensemble des lignées myéloïdes et non exclusivement sur la lignée mégacaryocyto-plaquettaire.
• Dosage de la thrombopoïétine On aurait pu croire que le dosage de la thrombopoïétine permettrait d’établir une opposition physiopathologique entre hyperplaquettose primitive et secondaire. Dans l’état actuel du dosage de la thrombopoïétine, on n’a jamais constaté d’association significative entre les taux de thrombopoïétine circulante et les chiffres de plaquettes, qu’il s’agisse d’individus normaux ou d’hyerplaquettose secondaire. Bien plus, peut-être pour les raisons énoncées plus haut (sécrétion fixe de la thrombopoïétine et absorption sur les plaquettes), il semble que les hyperplaquettoses primitives, tout au moins celles de la thrombocytémie essentielle et de la maladie de Vaquez, n’entraînent aucune diminution significative des taux de thrombopoïétine circulante, témoin d’un rétrocontrôle (feed back) bien au contraire. Le rôle d’une diminution du récepteur de la thrombopoïétine dans ces pathologies est une hypothèse qui a été avancée à l’origine de cette constatation.
2 / Arguments positifs en faveur du diagnostic de thrombocytémie essentielle :
Outre l’aspect caractéristique de la biopsie médullaire décrite plus haut, deux méthodes diagnostiques sont actuellement en cours d’évaluation pour apporter des arguments positifs en faveur du diagnostic de thrombocytémie essentielle :
– la culture des progéniteurs hématopoïétiques est susceptible d’apporter des arguments positifs directs en faveur du diagnostic d’hyperplaquettose primitive ; à l’image de la pousse spontanée des progéniteurs érythrocytaires en l’absence d’érythropoïétine dans la polyglobulie de Vaquez, on a mis en évidence dans les thrombocytémies essentielles une pousse spontanée des progéniteurs mégacaryocytaires en l’absence de facteurs stimulants ; cette pousse spontanée manque dans les hyperplaquettoses secondaires ;
– la recherche d’arguments en faveur d’une monoclonalité de l’hématopoïèse est basée sur l’étude du polymorphisme des différents gènes liés à l’X ; par définition elle n’est applicable que dans la population féminine ; la combinaison des gènes qu’il est possible actuellement d’étudier (HUMARA, G6PD, IDS et P55) a permis d’étendre considérablement le pourcentage de femmes informatives, c’est-à-dire présentant une hétérozygotie pour l’un des gènes étudiés. Une difficulté consiste en l’existence dans la population féminine normale d’une apparente monoclonalité liée au phénomène de lyonisation excessive. Cet écueil peut être évité en étudiant séparément les éléments granuleux circulants et les lymphocytes T comme témoins de la polyclonalité de la population cellulaire hématologique normale résiduelle. Cette étude trouve son application essentielle surtout chez la femme jeune en raison d’une possible monoclonalité acquise sans preuve de syndrome myéloprolifératif chez certaines femmes âgées.