Morsures par un animal

Les morsures par un animal sont fréquentes et sont dues à un chat ou un chien dans 90 % des cas.

Les micro-organismes sont variés (Tableau I) :

– bactéries, provenant de la cavité buccale de l’animal, ou telluriques ( tétanos) ;

– virus de la rage.

L’infection est plurimicrobienne dans plus de la moitié des cas.

La griffure par un animal amène possiblement à la contamination soit par un germe identique, du fait du léchage de la patte par l’animal, soit par un germe d’origine tellurique.

Les infections sont le plus souvent locales.

Rarement, l’atteinte est systémique, surtout chez les immunodéprimés, avec risque de complications parfois létales.

Tableau I. Principaux germes et pathologies (d’après E. Pilly).
Tableau I. Principaux germes et pathologies
(d’après E. Pilly).

DIAGNOSTIC :

Le diagnostic est le plus souvent évident, reposant sur l’interrogatoire et la trace de la morsure ou de la griffure.

Un certain nombre de points sont importants à préciser :

– circonstances de la morsure :

– localisation : en France ou à l’étranger,

– type d’animal,

– animal connu ou non,

– domestique ou errant,

– comportement normal ou non de l’animal ;

– étendue de la morsure ;

– siège de la morsure : attention aux zones à risque situées sur le visage, en regard des tendons et des articulations ;

– antécédents personnels du patient (comorbidités à rechercher : diabète, éthylisme, splénectomie, dénutrition, immunodépression, etc.) car ils aggravent le pronostic.

CONDUITE PRATIQUE À TENIR :

Le praticien doit pratiquer dans le cadre de l’urgence un certain nombre de gestes, détaillés en quatre grandes étapes.

Gestes immédiats :

Les gestes immédiats ont pour intérêt de diminuer le risque d’infection et de prévenir le tétanos et la rage :

– lavage de la plaie à l’eau savonneuse ou à l’eau oxygénée ;

– rinçage au sérum physiologique ;

– antisepsie locale par polyvidone iodée (Bétadine® solution dermique) ou chlorhexidine en solution aqueuse ;

– exploration avec gants et matériels stériles à la recherche d’un corps étranger, ablation des tissus nécrosés éventuels, recherche de lésions tendineuses (mains) ;

– en cas de lésions situées en regard des tendons (mains), il vaut mieux, après avoir réalisé ces premiers gestes (couvrir par exemple la plaie par un tulle avec Bétadine®), adresser le patient aux urgences pour avis spécialisé afin d’explorer les tendons. La suture est contre-indiquée en cas de plaies vues après 24 heures, profondes ou injectées. Il faut alors adresser le patient à un chirurgien.

Antibiothérapie préventive :

L’antibiothérapie préventive est indiquée en cas de plaie observée après la 6e heure comme sale et délabrante, en regard des structures osseuses ou tendineuses, ou en cas de terrain à risque (en particulier immunosuppression, splénectomie, alcoolisme).

Elle doit avoir un spectre large, couvrant les germes les plus fréquents (notamment pasteurellose, staphylocoques, streptocoques, anaérobies).

À titre d’exemple, on peut proposer le schéma suivant : Augmentin® 3 g/j ou doxycycline 200 mg en une prise en cas d’allergie, pendant 3 à 7 jours.

Prévention du tétanos :

La question doit être systématiquement abordée (problème médicolégal). La conduite à tenir dépend de l’état de vaccination antérieure et de la nature de la plaie (Tableau II).

Évaluation du risque rabique :

L’évaluation doit être également faite lors de la première consultation suivant la morsure.

La prise en charge est détaillée dans la partie consacrée à la rage.

PRINCIPALES PATHOLOGIES :

Le diagnostic est porté sur la nature de l’animal mordeur, le délai d’apparition de la symptomatologie et des lésions par rapport à la morsure et les signes cliniques.

Schématiquement, le délai d’apparition des lésions par rapport à la morsure peut orienter le médecin.

Pathologies selon le délai d’apparition des symptômes suivant la morsure :

Dans les 12 heures : Pasteurellose

Cette rapidité évoque d’emblée une pasteurellose.

C’est une infection due à un germe de la famille des Pasteurella, le plus souvent à Pasteurella multicoda et, plus rarement, à Pasteurella canis.

Diagnostic :

Le diagnostic est posé par la clinique d’abord et les prélèvements bactériologiques locaux ensuite.

La sérologie est inutile.

La clinique est évocatrice avec apparition dans les heures suivant la morsure d’un oedème inflammatoire et douloureux sur le territoire de la morsure, avec écoulement séreux ou purulent.

La fièvre et l’asthénie sont absentes ou modérées. Les complications septicémiques générales sont exceptionnelles et l’apanage de l’immunodéprimé.

Les complications locales, survenant préférentiellement en l’absence de traitement, sont plus fréquentes :

– lymphangite ;

– arthrite ;

– adénite notamment prétragienne (avec conjonctivite en cas d’inoculation oculaire) ;

– ténosynovite, en particulier sur les mains.

Tableau II. Prophylaxie anti-tétanique (d’après E. Pilly).
Tableau II. Prophylaxie anti-tétanique (d’après E. Pilly).

Traitement :

Outre les soins locaux détaillés plus haut, plusieurs traitements antibiotiques sont proposés pendant 8 à 10 jours :

– amoxicilline ( Clamoxyl®) 3 g/j ;

– ou ciprofloxacine ( Ciflox®) 500 mg/2x/j ;

– ou doxycycline ( Vibramycine®) 200 mg/j.

Tardivement, il existe un risque d’algodystrophie secondaire. Il s’agit d’une maladie professionnelle.

Dans les 24 heures :

Ce délai fait suspecter une infection plurimicrobienne, d’autant plus si la morsure est délabrante.

Les principaux germes possiblement en cause sont :

– germes aérobies : en particulier staphylocoque doré, streptocoque ;

– germes anaérobies ;

– pasteurella.

Ici encore, les complications locales et locorégionales (en particulier abcès, cellulite, nécrose, adénite, arthrite) sont plus fréquentes que les complications septicémiques, qui restent, encore, l’apanage de l’immunodéprimé.

Outre les soins locaux, le traitement antibiotique doit couvrir le staphylocoque. On propose :

– amoxicilline et acide clavulanique (Augmentin®) 1 g/3x/j ;

– pristinamycine ( Pyostacine®) en cas d’allergie : 1 g/2x ou 3x/j (attention à la mauvaise tolérance digestive).

_ Dans les 8 jours

Tularémie :

Ce délai évoque une tularémie, due à Francisella tularensis. L’infection est rarement causée par une morsure d’animal, mais le plus souvent par la manipulation de gibier infecté. L’infection touche logiquement le plus souvent les chasseurs.

Une semaine après la manipulation, apparaît rapidement au point de contact une ulcération douloureuse, parfois suintante. Des adénopathies locorégionales inflammatoires et une fièvre sont présentes, avec syndrome pseudogrippal.

Le diagnostic est évoqué sur le délai d’apparition des symptômes par rapport au contact infectant, sur les prélèvements bactériologiques de la plaie, la sérologie, éventuellement sur la ponction de l’adénopathie, et les hémocultures si le patient est hospitalisé.

Outre les soins locaux, on peut proposer une antibiothérapie par :

– doxycycline (Vibramycine®) 200 mg/j ;

– ciprofl oxacine (Ciflox®) 500 mg/2x/j pendant 14 jours.

Il s’agit d’une maladie professionnelle et à déclaration obligatoire.

Rouget du porc :

Le rouget du porc est dû à Erysipelothrix rhusiopathiae et réalise le tableau clinique d’érysipéloïde.

Il est dû à la manipulation d’os de porc ou de poissons, le plus souvent dans un contexte professionnel (ouvriers des abattoirs, pêcheurs, vétérinaires, bouchers). L’incubation est de 12 à 48 heures.

Cliniquement, il existe une lésion ressemblant à un érysipèle au point d’inoculation, d’extension centrifuge. La fièvre n’est pas très élevée. Il peut exister une adénopathie satellite.

Le traitement repose sur une dose unique d’Extencilline® (1,2 M UI) ou les macrolides ou la doxycycline pendant cinq jours.

Il s’agit d’une maladie professionnelle.

Charbon :

Le charbon (récemment remis à la mode) est dû à Bacillus anthracis (rappelons que l’anthrax est en français un conglomérat de furoncles).

L’incubation est de 4 jours. Les ouvriers manipulant des laines ou des peaux sont le plus à risque. La contamination a lieu rarement par morsure. Il existe une escarre noire, avec adénopathie

satellite et fébricule.

Les prélèvements locaux permettent d’isoler le germe.

Le traitement repose sur la doxycycline ou les fluoroquinolones (confier le malade au spécialiste).

Il s’agit d’une maladie professionnelle et à déclaration obligatoire.

Dans les 2 à 3 semaines : maladie des griffes du chat

Ce délai évoque une maladie des griffes du chat, encore appelée lymphoréticulose bénigne d’inoculation.

Les adultes jeunes et les enfants sont les plus touchés. Le germe en cause est une bartonella, Bartonella henselae. La contamination se fait par griffure du chat.

Diagnostic :

Cliniquement, on note une adénopathie unique ou multiple dans le territoire de drainage de l’endroit de la griffure (épitrochléenne, axillaire, inguinale, etc.). La fièvre et l’asthénie sont modérées. Le syndrome oculo-ganglionnaire de

Parinaud associe conjonctivite et adénopathie préauriculaire au point d’inoculation.

L’évolution est spontanément favorable le plus souvent en quelques semaines ou mois. La fistulisation à la peau peut survenir dans 20 ou 30 % des cas.

Les complications septicémiques sont rares et l’apanage de l’immunodéprimé :

– péliose hépatique et a ngiomatose bacillaire chez les sujets VIH+ : en particulier papules et nodules classiquement rouge pourpre, adénopathies locorégionales, atteintes viscérales diverses ;

– atteintes osseuses, oculaires avec notamment névrite optique rétrobulbaire, adénopathies récidivantes.

Le diagnostic est évoqué cliniquement. On peut s’aider de la sérologie et de la ponction ganglionnaire (examen direct, culture et PCR).

Traitement :

Le traitement varie classiquement suivant la gravité clinique :

– en cas de forme unique, simple, l’abstention est possible, la maladie guérissant spontanément dans un grand nombre de cas ; l’azithromycine peut être utilisée pendant 7 à 14 jours ;

– en cas de forme compliquée, l’hospitalisation est nécessaire (doxycycline et gentamicine si endocardite) ;

– la péliose hépatique et l’angiomatose bacillaire nécessitent une prise en charge hospitalière, l’érythromycine est alors proposée pendant au moins 3 mois.

Morsures dues aux primates :

Morsures humaines :

Les nombreux germes de la plaque dentaire expliquent leur potentiel infectieux plus important que les morsures animales.

Après les soins locaux, le patient est mis sous antibiothérapie par Augmentin® 1 g/3x/j pendant une dizaine de jours. Il faut également prélever les sérologies des hépatites B et C et du VIH.

Un certificat descriptif peut être demandé pour d’éventuelles conséquences judiciaires.

Morsures de singe :

Les morsures de singes sont rares. Leur gravité tient à la possibilité de transmission d’un herpès virus simien pouvant entraîner une encéphalite mortelle après une incubation de 2 à 30 jours.

Il apparaît également une éruption vésiculeuse au point de morsures. Les macaques sont le plus souvent en cause.

Après une morsure de singe, le patient est envoyé vers un infectiologue et traité par antiherpétiques de façon prophylactique.

Morsures de rat :

Les rats entraînent principalement quatre pathologies :

– le sodoku ;

– l’haverhilliose ;

– la leptospirose ;

– et bien sûr la peste.

Sodoku ( Spirillum minus) :

Le sodoku a une incubation de 15 à 21 jours.

Le tableau clinique associe fièvre, éruption cutanée maculopapuleuse, arthralgies avec myalgies et adénopathie douloureuse au point de morsure.

Il n’y a pas de sérologie, le diagnostic pouvant être porté par l’examen de la plaie à l’état frais.

Le traitement repose sur la pénicilline en milieu hospitalier (pénicilline G pendant 10 à 14 j).

Haverhilliose :

L’haverhilliose a une durée d’incubation plus courte (4 jours environ).

La fièvre est élevée. Une éruption morbilliforme s’associe à une polyarthrite. Les hémocultures, les ponctions articulaires, les prélèvements bactériologiques locaux sur la plaie permettent d’isoler le germe, Streptobacillus moniliformis ou Haverillia multiformis.

Le traitement repose également sur la pénicilline selon les mêmes modalités que pour le sodoku.

Leptospirose :

La leptospirose a une durée d’incubation de 7 à 14 jours. Elle touche surtout les sujets ayant été en contact avec les déjections de rat (loisirs ou métiers en eau douce principalement).

Le tableau clinique associe fièvre, ictère à bilirubine conjuguée et insuffisance rénale. Des signes neurologiques centraux et une péricardite ou une myocardite sont parfois observés.

Le patient est hospitalisé et mis en urgence sous antibiothérapie ( Clamoxyl® 1 g/3x/j en intraveineuse puis per os) après réalisation d’hémocultures.

La sérologie est envoyée au centre national de référence des leptospires.

Peste :

La peste ne se rencontre plus en France.

Chez l’immunodéprimé :

Les morsures sont possiblement gravissimes chez l’immunodéprimé qui peut développer une maladie disséminée (VIH, cirrhotique, greffés, chimiothérapies).

La pasteurellose peut entraîner une septicémie avec endocardite et arthrite (éthyliques chroniques, cirrhotiques).

L’infection à Capnocytophaga canimorsus peut également entraîner des septicémies avec métastases septiques chez les patients aspléniques et éthyliques chroniques.

Le traitement repose sur l’Augmentin® 1 g/3x/j pendant 10 jours ou une fluoroquinolone.

Le rouget du porc peut entraîner chez l’immunodéprimé des arthrites et une endocardite.

L’infection à Bartonella henselae peut entraîner chez l’immunodéprimé (en particulier le sujet VIH) l’angiomatose bacillaire. Sur la peau, apparaissent de nodules plus ou moins profonds ou superficiels, souvent rouge pourpre, parfois incolores, associés à des adénopathies et parfois à une péliose hépatique.

Le traitement a déjà été détaillé plus haut.

Morsures par un chien
Morsures par un chien

Rage :

La rage reste le souci majeur en cas de morsure d’animal dans de nombreux pays. En France, il n’y a plus eu de cas de rage humaine autochtone depuis les années 1920 (quelques cas de rage importés). Outre les chiens, les chauves-souris sont une source de contamination en expansion.

Les renards sont vaccinés en France. Une fois déclarée, la rage reste considérée comme constamment mortelle (quelques cas publiés de survie).

Diagnostic :

L’exposition à des chauves-souris, la morsure ou la griffure par un animal sauvage ou domestique au comportement inhabituel, en particulier dans les pays à risque, sont recherchés. Les circonstances suspectes, outre le changement de comportement, sont une mort non accidentelle de l’animal, l’incertitude de sa provenance ou de son origine géographique.

L’animal et son propriétaire éventuel sont dans la mesure du possible identifiés ; le certificat vaccinal de l’animal en cas d’animal domestique est demandé. Il faut porter plainte en cas de refus (gendarmerie, police, direction des services vétérinaires).

Le centre antirabique est contacté au moindre doute de rage.

Un simple léchage sur peau saine est à faible risque, d’autant plus s’il y a eu interposition des vêtements. Un léchage sur une peau lésée, un mordillement sur une peau découverte sont à risque intermédiaire. Une morsure ou une griffure avec plaie, une contamination des muqueuses sont à plus fort risque, de même pour les morsures ou griffures de la tête, du cou et des extrémités.

La morsure de chauve-souris est une indication à un traitement antirabique immédiat.

Traitement :

Les soins locaux sont effectués comme pour toute morsure ou griffure (nettoyage à l’eau et au savon).

Si l’animal est indisponible, le centre antirabique doit prendre en charge le patient pour traitement.

Si l’animal est mort et disponible, le patient est adressé au centre antirabique tandis que l’encéphale de l’animal est analysé à la direction des services vétérinaires.

Si les circonstances sont non suspectes et l’animal disponible, celui-ci est mis sous surveillance vétérinaire. Si les circonstances sont suspectes, le patient est adressé de plus au centre antirabique.

Le traitement du centre antirabique comprend principalement la vaccination pratiquée selon des protocoles définis (trois à cinq injections), des immunoglobulines spécifiques en cas de contact à fort risque ou de morsure de chauve-souris (injections autour des plaies et en controlatéral en intramusculaire). Si le sujet a déjà été vacciné, deux injections de vaccin sont simplement réalisées.