Le paludisme est une infection parasitaire due à un protozoaire du genre Plasmodium, transmis à l’homme par la piqûre d’un moustique (anophèle). La transmission est également possible par transfusion de sang infecté, et chez le foetus, par voie transplacentaire.
La plupart des infections sont dues à quatre espèces plasmodiales : P. falciparum, P. vivax, P. ovale et P. malariae. Les 4 espèces peuvent provoquer un paludisme non compliqué ; le paludisme sévère (défini par la présence de complications) est pratiquement toujours dû à P. falciparum.
Une suspicion clinique de paludisme doit être confirmée chaque fois que possible par un diagnostic parasitologique. Toutefois, en l’absence de possibilité de confirmation, le traitement d’un cas suspect ne doit pas être retardé : un paludisme non compliqué peut rapidement devenir sévère et un paludisme sévère non traité peut être fatal en quelques heures.
Signes cliniques :
En cas de fièvre (ou d’antécédent de fièvre dans les dernières 48 heures), chez un patient résidant ou revenant d’une zone endémique, évoquer systématiquement un paludisme.
Paludisme non compliqué :
La fièvre est souvent associée à des frissons, sueurs, céphalées, myalgies, malaise, anorexie ou nausées. Chez l’enfant, elle peut être associée à des douleurs abdominales, diarrhées et vomissements. Une anémie est fréquente chez l’enfant et la femme enceinte.
Paludisme sévère :
En plus de ces symptômes, présence d’une ou plusieurs des complications suivantes :
– Altération de la conscience, délire ou coma
– Convulsions généralisées ou focales (p. ex. mouvements oculaires anormaux)
– Prostration : faiblesse extrême ; chez l’enfant, incapacité à s’alimenter/boire/téter
– Détresse respiratoire : respiration rapide et difficile ou respiration lente et profonde
– Collapsus circulatoire (choc) : extrémités froides, pouls faible ou absent, temps de recoloration cutanée lent (> 3 secondes), cyanose
– Ictère (à rechercher au niveau de la muqueuse buccale, de la conjonctive, des paumes)
– Hémoglobinurie : urines rouge foncé
– Hémorragies : cutanée (pétéchies), conjonctivale, nasale, gingivale; sang dans les selles
– Insuffisance rénale aiguë : diurèse < 12 ml/kg/jour chez l’enfant et < 400 ml/jour chez l’adulte, malgré une hydratation adéquate
Les patients présentant au moins l’une de ces complications ou une anémie sévère doivent être hospitalisés immédiatement.
Diagnostic :
Diagnostic parasitologique :
– Microscopie
Le frottis sanguin et la goutte épaisse permettent de détecter le parasite, d’identifier l’espèce, de quantifier et suivre l’évolution de la parasitémie.
Attention, l’examen peut être négatif au cours d’un authentique paludisme sévère, par séquestration des hématies parasitées dans les capillaires périphériques, ainsi que dans les vaisseaux du placenta chez la femme enceinte.
– Tests de diagnostic rapide (TDR) 1
Les tests rapides détectent les antigènes parasitaires. Ils donnent un résultat qualitatif uniquement (c.-à-d. positif ou négatif) et peuvent rester positifs plusieurs jours ou semaines après un traitement efficace.
Remarque : exclure une autre cause de fièvre, même si le diagnostic est positif.
Examens complémentaires :
– Hémoglobine (Hb) : à mesurer systématiquement en cas d’anémie clinique et de paludisme sévère.
– Glycémie : à mesurer systématiquement pour détecter une hypoglycémie (< 3 mmol/l ou < 54 mg/dl) en cas de paludisme sévère ou de malnutrition associée.
Traitement du paludisme à P. vivax 2, P. ovale, P. malariae chloroquine (CQ) PO :
Enfant et adulte : 10 mg base/kg/jour en une prise à J1, J2
5 mg base/kg en une prise à J3 P. vivax et P. ovale peuvent provoquer des rechutes dues à la ré-activation de parasites dormants dans le foie. Pour les éliminer, un traitement par la primaquine 3 peut être administré après le traitement initial à la CQ. Toutefois, ce traitement est réservé aux patients ayant peu de risque d’être ré-infestés, c.-à-d. ceux vivant en zone non endémique ou de faible transmission.
Traitement du paludisme non compliqué à P. falciparum :
Traitement antipaludique :
Le traitement est une combinaison thérapeutique à base d’artémisinine (ACT)4 par voie orale pendant 3 jours. Le choix de l’ACT de première ligne dépend de son efficacité dans la zone concernée. Les co-formulations (2 antipaludiques associés dans un même comprimé) sont préférables aux co-blisters (2 antipaludiques distincts présentés sous un même blister).
Les dérivés de l’artémisinine ne doivent pas être utilisés seuls en dehors de circonstances exceptionnelles :
1) chez les jeunes enfants n’ayant pas l’âge requis pour prendre une ACT : l’artésunate PO est donné seul à la dose de 4 mg/kg en une prise à J1 puis 2 mg/kg/jour en une
prise de J2 à J7 ;
2) lorsque des vomissements répétés empêchent de suivre un traitement oral. Dans ce cas, le traitement est débuté par voie rectale (voir suppositoire d’artésunate, ou IM, jusqu’à ce que le patient tolère un traitement oral complet de 3 jours avec une ACT.
1* La majorité des tests rapides recherchent l’un des antigènes suivants ou une combinaison de ces antigènes : la protéine HRP2 spécifique de P. falciparum; une enzyme spécifique de P. falciparum (Pf pLDH) ; une enzyme commune aux 4 espèces plasmodiales (pan pLDH). La protéine HRP2 peut rester détectable pendant 2 à 3 semaines ou plus après l’élimination du parasite ; l’enzyme pLDH reste détectable pendant plusieurs jours (jusqu’à 2 semaines) après l’élimination des parasites.
2* P. vivax reste en général sensible à la CQ mais il existe des résistances en Papouasie-Nouvelle-Guinée, Iles Salomon, Birmanie, Inde, Indonésie, Timor Est. Dans ces régions, suivre les recommandations nationales.
3* Primaquine PO pendant 14 jours : 0,25 à 0,5 mg/kg/jour en une prise chez l’enfant > 4 ans ; 15 mg/jour en une prise chez l’adulte. La primaquine est contre-indiquée en cas de déficit en G6PD. La décision de prescrire de la primaquine doit tenir compte de la prévalence du déficit en G6PD dans la population.
4* ACT (ou CTA) : association d’artémisinine ou de l’un de ses dérivés (p. ex. artésunate, artéméther) avec un antipaludique appartenant à une classe thérapeutique différente.
En cas d’échec d’un traitement bien conduit avec une ACT de première ligne, utiliser une autre ACT ou la quinine PO.
quinine PO de J1 à J7
Enfant et adulte ² 50 kg : 30 mg/kg/jour à diviser en 3 prises espacées de 8 heures
Adulte > 50 kg : 1800 mg/jour à diviser en 3 prises espacées de 8 heures
Une réduction de la sensibilité à la quinine a été observée en Asie du Sud-Est et en région amazonienne. Dans ces régions, la quinine est associée à la doxycycline ou à la clindamycine : doxycycline PO de J1 à J7
Enfant de plus de 8 ans et adulte : 200 mg/jour en une prise ou, chez l’enfant de moins de 8 ans :
clindamycine PO de J1 à J7 20 mg/kg/jour à diviser en 2 prises
Remarque : P. falciparum est résistant à la chloroquine (CQ) en Afrique, Amérique latine,
Asie du Sud-Est et Océanie mais semble rester sensible à la CQ en Haïti et République Dominicaine. Dans ces régions, la CQ reste le traitement de première ligne (même traitement que pour un paludisme non falciparum).
Traitement symptomatique :
– Fièvre : paracétamol PO.
Traitement du paludisme sévère :
Hospitaliser le patient.
Traitement antipaludique :
Au dispensaire :
Avant de transférer le patient, administrer soit la première dose d’artéméther IM (dose de charge, voir ci-dessous) soit une dose d’artésunate rectal :
A l’hôpital :
Le traitement de choix est l’artéméther IM ou l’artésunate IV ou IM :
artéméther IM (face antérolatérale de la cuisse) :
Dose de charge de 3,2 mg/kg en une injection IM à J1 puis 1,6 mg/kg/jour en une injection, jusqu’à ce que le patient puisse tolérer un traitement oral (patient capable de manger et boire).
Utiliser une seringue de 1 ml graduée en 100e pour les doses inférieures à 1 ml.
ou
artésunate IV (ou si la voie IV n’est pas possible, IM dans la face antérolatérale de la
cuisse) : 2,4 mg/kg en une injection à l’admission puis 12 heures et 24 heures après l’admission puis une fois par jour jusqu’à ce que le patient puisse tolérer un traitement oral.
Pour la préparation de l’injection, suivre les instructions du fabricant.
En relais de l’artéméther ou de l’artésunate injectable, administrer un traitement de 3 jours avec une ACT5 (voir paludisme non compliqué à P. falciparum).
Uniquement chez les jeunes enfants n’ayant pas l’âge requis pour prendre une ACT, poursuivre avec artésunate PO pour compléter 7 jours de traitement.
La quinine IV est une alternative. La posologie est exprimée en terme de sel de quinine :
– dose de charge : 20 mg/kg à administrer en 4 heures, suivis d’une perfusion de glucose à 5% en garde veine pendant 4 heures ; puis
– dose d’entretien : 8 heures après le début de la dose de charge, 10 mg/kg toutes les 8 heures (alterner 4 heures de quinine et 4 heures de glucose à 5%).
Pour un adulte, administrer chaque dose de quinine dans 250 ml de glucose ; pour un enfant de moins de 20 kg, administrer chaque dose de quinine dans un volume de 10 ml/kg.
Ne pas administrer la dose de charge si le patient a reçu quinine orale, méfloquine ou halofantrine au cours des 24 heures précédentes : commencer directement par la dose d’entretien.
Dès que le patient peut tolérer un traitement oral, le traitement de relais peut être soit un traitement de 3 jours avec une ACT 5 soit un traitement par la quinine PO (± doxycycline ou clindamycine si nécessaire) pour compléter 7 jours de traitement.
Si l’association AS-MQ est utilisée en relais de la quinine IV, respecter un intervalle de 12 heures entre la dernière dose de quinine et l’administration de MQ.
5* Ne pas utiliser l’association artésunate-méfloquine (AS-MQ) si le patient a développé des signes neurologiques pendant la phase aiguë.
Les dérivés de l’artémisinine IM peuvent ne pas être bien absorbés chez les patients en choc, utiliser l’artésunate IV ou la quinine IV.
Remarque : en périphérie, en cas d’impossibilité absolue de transférer le patient vers un centre capable d’administrer ces traitements, les suppositoires d’artésunate doivent être administrés une fois/jour, jusqu’à ce que le patient puisse tolérer un traitement complet de 3 jours avec une ACT.
Traitement symptomatique et prise en charge des complications :
Hydratation :
Maintenir une hydratation adéquate. A titre indicatif, volume à administrer par voie orale ou IV :
Adapter ces volumes en fonction de l’état clinique pour éviter une déshydratation ou au contraire une surcharge hydrique (risque d’oedème aigu du poumon).
En cas d’hydratation par voie IV, alterner Ringer Lactate (ou chlorure de sodium à 0,9%) et glucose à 5%. Les volumes utilisés pour administrer les médicaments sont inclus dans le volume total à administrer par 24 heures.
Corriger une déshydratation si présente.
Fièvre :
– Paracétamol.
Anémie sévère :
– Une transfusion est indiquée :
• Chez l’enfant si le taux d’Hb est < 4 g/dl (ou entre 4 et 6 g/dl en présence de signes de décompensation 6).
• Chez la femme enceinte si le taux d’Hb est < 7 g/dl (avant 36 semaines) ou < 8 g/dl (à partir de 36 semaines).
– Chez les autres patients dont le taux d’Hb est < à 7 g/dl, surveiller l’état clinique et le taux d’Hb et décider d’une transfusion au cas pas cas.
Hypoglycémie :
– Chez un patient capable d’avaler : 50 ml de glucose 10% ou 40 ml d’eau + 10 ml de glucose 50% ou 50 ml d’eau + 5 g (1 c à c) de sucre en poudre ou 50 ml de lait.
– Chez un patient inconscient :
glucose 10% : 5 ml/kg en perfusion ou IV lente (5 minutes) ou glucose 50% : 1 ml/kg en IV lente (5 minutes). Le glucose à 10% est préféré chez l’enfant (moins visqueux et irritant que le glucose à 50% 7).
– Contrôler la glycémie après 30 minutes. Si elle reste < 3 mmol/l ou < 54 mg/dl, renouveler l’injection ou donner du glucose par voie orale, selon l’état du patient.
L’hypoglycémie peut récidiver : maintenir un apport régulier en sucre (glucose à 5%, lait, selon le cas) et poursuivre la surveillance quelques heures.
6* Les signes cliniques de décompensation peuvent inclure : choc, altération de la conscience, détresse respiratoire (acidose).
7* Chez l’enfant, pour réduire la viscosité du glucose à 50%, la dose peut être diluée dans un volume équivalent de solution pour perfusion avant d’être administrée en IV lente.
Remarques :
– Chez un patient inconscient ou prostré, en urgence ou en l’absence/dans l’attente d’un accès veineux, utiliser du sucre en poudre par voie sublinguale pour corriger l’hypoglycémie : glisser sous la langue une cuillère à café de sucre mouillé de quelques gouttes d’eau. Placer les patients en décubitus latéral. Renouveler après 15 min si le patient n’a pas repris conscience. Comme pour les autres méthodes, maintenir ensuite un apport régulier en sucre et surveiller.
– Le risque d’hypoglycémie est majoré chez les patients traités par quinine IV, notamment chez les femmes enceintes.
Coma :
Vérifier/assurer la liberté des voies aériennes, mesurer la glycémie et évaluer la profondeur du coma (échelle de Glasgow ou de Blantyre).
En cas d’hypoglycémie ou si la glycémie ne peut être mesurée, administrer du glucose.
Si le patient ne répond pas à l’administration de glucose ou en l’absence d’hypoglycémie :
– Exclure une méningite (ponction lombaire) ou administrer d’emblée un traitement antibiotique.
– Poser une sonde urinaire, placer le patient en décubitus latéral.
– Changer le patient de position toutes les deux heures ; soins d’yeux et de bouche, etc.
– Surveiller les constantes, la glycémie, la conscience, la diurèse toutes les heures jusqu’à stabilisation puis toutes les 4 heures.
– Surveiller les entrées et les sorties.
Convulsions :
Corriger les causes éventuelles (p. ex. hypoglycémie ; fièvre chez l’enfant).
Détresse respiratoire :
– Respiration rapide et difficile :
Penser à un OAP, qui peut être lié ou non à une surcharge hydrique : ralentir la perfusion si le malade est perfusé, position semi-assise, oxygène, furosemide IV : 1 mg/kg chez l’enfant, 40 mg chez l’adulte. Renouveler après une ou 2 heures si nécessaire.
Penser également à une pneumonie associée.
– Respiration profonde et lente (acidose) :
Rechercher une déshydratation et la corriger le cas échéant ; une anémie décompensée et transfuser le cas échéant.
Oligurie et insuffisance rénale aiguë :
Rechercher en premier lieu une déshydratation, en particulier en cas d’hydratation inadéquate ou de pertes hydriques (fièvre élevée, vomissement, diarrhée). Corriger la déshydratation si présente. Attention au risque de surcharge hydrique et d’oedème aigu du poumon. Contrôler la reprise de la diurèse.
L’insuffisance rénale aiguë se rencontre presque exclusivement chez l’adulte, et est plus fréquente en Asie qu’en Afrique. Elle doit être suspectée si la diurèse reste < 400 ml/jour ou < 20 ml/heure (< 12 ml/kg/jour chez l’enfant) malgré une réhydratation adéquate.
Poser une sonde urinaire, mesurer la diurèse. Limiter l’apport en liquide à 1 litre/jour (30 ml/kg/jour chez l’enfant), plus le volume d’urines produites. Une dialyse rénale est souvent nécessaire.
Traitement antipaludique chez la femme enceinte :
– Paludisme à P. vivax, P. ovale, P. malariae chloroquine PO, comme pour les autres patients.
La primaquine (cure radicale de P. vivax et P. ovale) est contre-indiquée.
– Paludisme non compliqué à P. falciparum
Pendant le 1er trimestre, il est recommandé d’utiliser la quinine PO (± clindamycine).
L’innocuité des dérivés de l’artémisinine n’est pas formellement établie. Toutefois, compte-tenu du risque lié au paludisme, une ACT peut être utilisée si celle-ci est le seul traitement efficace disponible.
Au cours du 2e et 3e trimestre, le traitement de choix est une ACT ; la quinine (± clindamycine) est une alternative.
– Paludisme sévère
Pendant le 1er trimestre, il est recommandé d’utiliser la quinine IV (± clindamycine).
Toutefois, un dérivé de l’artémisinine injectable peut être utilisé si celui-ci est le seul traitement efficace disponible.
Au cours du 2e et 3e trimestre, le traitement initial de choix est un dérivé de l’artémisinine injectable ; suivi d’un traitement complet de 3 jours avec une ACT ; la quinine (± clindamycine) est une alternative.
Prévention 8 :
– Chez les femmes enceintes, dans les zones à haut risque d’infection à P. falciparum sensible à la sulfadoxine/pyriméthamine, un traitement préventif intermittent (TPI) peut être administré à intervalles réguliers (se référer au guide Obstétrique, MSF).
– Tous les services d’hospitalisation, y compris les centres de nutrition ou de traitement du HIV, doivent être équipés de moustiquaires imprégnées d’insecticide longue durée (MILD) dans les pays endémiques et dans les zones à risque d’épidémie de paludisme.
8* Pour les autres mesures anti-vectorielles et la prévention du paludisme chez le voyageur, se référer à la littérature spécialisée.
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