Introduction :
Éliminer une fracture n’est pas suffisant à lever tout doute de gravité après un traumatisme du poignet souvent mis à mal par la pratique du rugby. En effet, une fracture — même du scaphoïde — ne comporte que rarement un potentiel aussi arthrogène que certaines lésions ligamentaires intracarpiennes.
Le diagnostic d’entorse est encore trop souvent banalisé alors qu’il s’agit étymologiquement d’une lésion des ligaments du poignet nécessitant un diagnostic topographique et de gravité aussi précis qu’une entorse du genou par exemple. Il ne suffit pas d’éliminer une fracture du scaphoïde (par une radiographie au 10e jour) pour rassurer le joueur sur l’état de son poignet. Dix os s’ articulent dans le carpe et constituent l’ armature du poignet et 33 ligaments en assurent la cohérence spatiale. La rupture de certains d’ entre eux équivaut à une véritable « bombe à retardement » occasionnant une destruction arthrosique inexorable des cartilages du poignet.
Pour Watson, l’ un des pères fondateurs de la « carpologie » aux États-Unis, l’ arthrose essentielle du poignet n’ existe pas et force est de constater qu’ un ancien traumatisme est presque toujours retrouvé dans l’ anamnèse d’ un carpe chondropathique. Une attitude consensuelle systématique devant les traumatismes du poignet est indispensable afin de préserver les capacités fonctionnelles des joueurs et éviter une évolution inexorable vers l’ arthrose, stade auquel on retrouve actuellement nombre d’ anciens joueurs de rugby qui ne bénéficiaient pas d’ un environnement médical aussi performant que les équipes actuelles.
Rappel de la physiologie normale et pathologique :
La complexité de la physiologie articulaire du poignet est sans doute pour beaucoup dans l’obscurité où a longtemps été plongée la pathologie traumatique ligamentaire de cette articulation.
On peut comparer la première rangée des os du carpe à la première ligne du pack des avants dans une mêlée de rugby. Les bras du talonneur et des piliers entrelacés la solidarisent comme les ligaments interosseux (scapho-lunaire et luno-triquétral) uniformisent la première rangée. Néanmoins, tout comme dans le pack (verrouillé par l’action des deuxièmes lignes), des ligaments sont nécessaires à la stabilisation du pied du scaphoïde et du triquetrum, ce sont les ligaments extrinsèques de la STT (articulation scapho-trapézo-trapézoïdienne) et triquetro-hamato-capitaux. Et tout comme l’enchevêtrement des bras adverses confère sa stabilité à la mêlée, ce sont les ligaments extrinsèques radio- et ulnocarpiens qui en assurent la cohérence spatiale.
En temps normal, le semi-lunaire (lunatum) a ses deux cornes situées dans un plan perpendiculaire à l’axe du radius. La bascule de ce plan soit vers l’arrière (en DISI) ou vers l’avant (en VISI) a longtemps caractérisé le type d’instabilité du carpe dans les premières descriptions pathologiques. En fait, elle ne constitue qu’ un épiphénomène de causes souvent variables et il convient plutôt de décrire la lésion initiale, puis ses conséquences sur la cinétique du poignet. Le lunatum n’ est en fait que le « pantin du carpe » normalement équilibré par des forces antagonistes qui s’ exercent sur le scaphoïde (en bascule en flexion tel un rocking chair ) ou en bascule antérieure pour le triquetrum.
Chacun des ligaments du poignet comporte sa pathogénie propre mais c’ est surtout le ligament scapho-lunaire qui comporte le plus fort potentiel arthrogène, lié essentiellement aux contraintes mécaniques qui s’ exercent sur le scaphoïde carpien.
Histoire naturelle de l’entorse scapho-lunaire :
Le traumatisme causal n’ est que rarement très démonstratif, ce qui participe beaucoup à sa banalisation et au fait que ces lésions sont trop souvent diagnostiquées à un stade tardif. Il peut s’ agir d’ une chute (souvent en arrière en hyperflexion dorsale) ou d’ un traumatisme en torsion.
Le ligament scapho-lunaire est généralement atteint d’ avant en arrière mais sa lésion n’ est pas toujours complète. Les ligaments extrinsèques participent souvent au tableau lésionnel initial ou vont se détendre progressivement, laissant le scaphoïde s’ écarter du lunatum et glisser en flexion. Ce sont les deux premières anomalies que l’ on recherchera sur les radiographies dynamiques et qui vont contribuer à la dégradation chondrale progressive mais précoce du poignet (dès le 3e mois d’ évolution).
Ce n’ est pas tant l’ écart entre scaphoïde et lunatum qui va s’ avérer pathogène mais surtout la rotation du scaphoïde qui va alors se subluxer en arrière du radius et concentrer les contraintes axiales sur une plus petite surface articulaire, source de dégradation articulaire rapide. Dans le même temps, le « pantin du carpe », le lunatum bascule en DISI mais il demeure sous l’ auvent radial. Il conserve donc une répartition homogène des forces axiales protégeant longtemps la fossette lunarienne du radius d’ une dégradation arthrosique. Profitant de l’ espace scapholunaire ainsi créé, le capitum s’ insinue progressivement dans l’ espace interosseux contribuant au collapsus carpien et à la dégradation progressive du poignet. On décrit ainsi trois stades évolutifs de SLAC wrist (Scapho lunate advanced collaps) :
* stade 1 : arthrose stylo-radiale isolée ;
* stade 2 : arthrose scapho-radiale complète ;
* stade 3 : arthrose radio-scaphoïdienne et capito-lunaire.
Attitude pratique :
Seule une prise en charge précoce et adaptée de ces lésions permet d’ envisager une restitution optimale du poignet traumatisé.
Devant un gros poignet traumatique à radiographie normale, il faut avoir une démarche standardisée afin d’ éviter des erreurs lourdes de conséquences. Une attelle antalgique et un traitement symptomatique sont entrepris pour 8 à 10 jours avant de demander un examen clinique spécialisé à la recherche de signes cliniques d’ instabilité ligamentaire comme le signe de Watson traduisant la subluxation du scaphoïde sous l’ auvent radial lors du passage de l’ inclinaison ulnaire à l’ inclinaison radiale.
Un bilan d’ imagerie poussé peut alors être demandé, le plus souvent un arthroscanner avec injection des trois compartiments.
Si la lésion ligamentaire est mise en évidence, un traitement souvent chirurgical précoce est la meilleure garantie d’ un bon résultat fonctionnel.
Le traitement est d’ autant plus lourd que le stade lésionnel sera plus avancé : un brochage sous arthroscopie pourra être indiqué dans les formes vues tôt mais des gestes de scaphoïdectomie et d’ arthrodèse partielle pourront s’ avérer nécessaires, sources de séquelles qui auraient pu être évitées par un diagnostic précoce et un traitement adapté.
Conclusion :
La physiologie articulaire et ligamentaire du poignet étant la plus complexe des articulations de l’ homme, elle en a été aussi la dernière à être élucidée. Trop longtemps les séquelles fonctionnelles ont été banalisées, il était normal de garder des douleurs après une fracture du poignet et l’ on observait des arthroses du sujet jeune sans les rapporter à leur traumatisme causal qu’ il soit osseux et/ou ligamentaire. Nous avons été les premiers à démontrer les associations lésionnelles entre fractures du radius et lésions des ligaments intrinsèques et nous savons maintenant qu’ il est plus que conseillé de pratiquer un bilan arthroscopique contemporain du traitement d’ une fracture du radius tout spécialement chez le jeune sportif. Une lésion du ligament scapho-lunaire comporte un pronostic arthrogène certain et toute lésion de ce ligament doit pouvoir bénéficier d’ un diagnostic précoce et d’ un traitement adapté dans les meilleurs délais, seul garant de séquelles fonctionnelles mineures ne pénalisant pas la poursuite de la carrière d’ un jeune sportif.