En 1992, les frères Brugada ont considéré le bloc de branche droit avec sus-décalage persistant du segment ST, dans les dérivations précordiales droites, comme un nouveau marqueur ECG de mort subite, à l’instar du Wolff-Parkinson- White ou du QT long.
Le syndrome de Brugada (Br) est, depuis sa description, très “à la mode” parmi les cardiologues et rythmologues.
Cette fascination autour de cette nouvelle entité n’est pas étonnante, puisqu’à l’ère d’une cardiologie de plus en plus sophistiquée, le simple ECG standard n’avait pas dévoilé tous ces secrets. Une anomalie aussi banale qu’un bloc incomplet droit, certes atypique, pouvait prédire la survenue d’une mort subite. La mort subite inexpliquée devenait ainsi compréhensible.
Sa gravité potentielle en fait actuellement un sujet de préoccupation majeur, y compris dans le monde du sport, d’autant plus que l’aspect électrocardiographique du coeur d’athlète a des similitudes avec l’aspect ECG de Br, si bien qu’un éditorial de Towbin, en 2001, posait le problème du syndrome de repolarisation précoce comme étant une forme fruste de syndrome de Br.
Que faire devant un ECG “troublant” chez un sportif avec un sus-décalage en selle, dans les dérivations précordiales droites ? S’agit-il d’un ECG de coeur d’athlète ou d’un authentique ECG de Br, avec toutes les conséquences que cela pourrait comporter pour l’athlète ? En cas de syndrome de Br avéré, que craindre pour le patient lors d’une activité sportive ? Quelles recommandations faire alors vis-à-vis de ses activités physiques ?
Mort subite et coeur sain :
La mort subite peut survenir chez des patients sans cardiopathie décelable.
Ce sont des patients présentant des anomalies primaires de la repolarisation.
Au même titre que les QT longs, et maintenant les QT courts, les tachycardies ventriculaires (TV) catécholergiques de l’enfant et la fibrillation ventriculaire (FV) idiopathique, on retrouve le syndrome de Br parmi les étiologies de mort subite.
Dans une série de 273 cas de morts subites chez le sujet jeune (< 35 ans), alors que 72 % (n = 197) avaient une cardiopathie décelable macroscopiquement, seulement 28 % (n = 76) avaient un coeur macroscopiquement normal. Parmi ces 76 patients, 79 % présentaient des anomalies histologiques minimes, telles que des foyers de myocardites, des plages de dysplasie, ou des anomalies de la conduction (WPW, BAV). Dans 6 % des cas (n = 16), aucune anomalie histologique n’a été retrouvée et la cause du décès était inexpliquée. Le syndrome de Br est alors évoqué et ajouté à la liste des causes de mort subite du sportif. Au contraire, les publications les plus fréquentes sur les troubles du rythme du sportif ne citent pas le syndrome de Br comme une cause possible, mais se réfèrent à la série de Maron, qui préexistait à la découverte du syndrome de Br. Une des raisons en est que le patient atteint ne décède pas à l’effort, mais pendant son sommeil.
Le syndrome de Br ne résout donc pas le problème étiologique des troubles du rythme ventriculaires d’effort, si fréquents chez l’athlète.
Diagnostic du syndrome de Brugada :
Le diagnostic du syndrome de Br est parfois difficile. Il touche volontiers le sujet jeune, sans antécédent et sans cardiopathie structurelle. Il laisse très peu d’indices dans le cas d’une mort subite, surtout si le patient n’a jamais eu d’ECG auparavant. La labilité des anomalies ECG conduit probablement à une sous-estimation du syndrome et seuls des ECG répétés peuvent permettre d’obtenir un tracé caractéristique.
Enfin, la confusion avec des aspects ECG pouvant y ressembler morphologiquement peut rendre mal aisée l’interprétation du tracé, comme c’est le cas chez le sujet sportif.
L’aspect ECG a été dénommé en fonction de la forme du sus-décalage du segment ST.
Majeur :
En dôme (type 1), il correspond à l’aspect typique : sur la dérivation V1, le QRS se termine par une surélévation du point J, suivie d’un segment ST sus-décalé, avec une pente descendante parfois convexe vers le haut, puis d’une onde T négative.
Mineur :
En selle (type 2 et 3), il correspond à un aspect moins typique, avec une surélévation du point J, suivie d’un sus-décalage du segment ST de forme concave vers le haut, puis d’une onde T positive. Ces anomalies se retrouvent aussi dans les dérivations précordiales droites. Il n’est pas rare qu’un tel aspect succède à l’aspect typique à plusieurs ECG d’intervalle.
Diagnostic différentiel :
Il s’agit de différencier un aspect ECG de Br et un syndrome de repolarisation précoce (SRP). La distinction entre le syndrome de repolarisation précoce dû au coeur d’athlète et le syndrome de Br n’est pas bien définie.
La présence d’un sus-décalage du segment ST, chez un jeune athlète entraîné, peut conduire à une suspicion de syndrome de Br.
L’aspect de l’ECG :
Récemment, l’aspect d’ECG de repolarisation précoce des athlètes entraînés a été comparé à celui des patients atteints de syndrome de Br afin d’identifier des critères possibles pour différencier les deux diagnostics.
L’amplitude maximale du segment ST était mesurée au point J (ST J) et après 80 ms (ST 80). Enfin, un ratio ST J/ST 80 était calculé. Une élévation du segment ST dans les précordiales droites a été retrouvée chez 4 % des athlètes.
Malgré des degrés d’amplitude maximale similaires du segment ST J (3,1 ± 0,9 mm versus 3,2 ± 0,6 mm), les athlètes avaient en moyenne un ratio ST J/ST 80 moins élevé (0,7 ± 0,13), comparé aux patients atteints de syndrome de Br (1,6 ± 0,3). Un ST J/ST 80<1 avait une sensibilité de 87 % et une spécificité de 100 % pour identifier les athlètes. De plus, les sujets avec Br avaient une fréquence cardiaque plus élevée (75/mn ± 9 vs 50 ± 8), un QT corrigé plus court (0,35 ± 0,04 s vs 0,39 ± 0,02 s) et une durée du QRS plus longue (0,11 ± 0,2 s vs 0,09 ± 0,01 s).
Ainsi, le ratio ST J/ST 80 et la durée du QRS pourraient différencier les deux syndromes.
Bianco (8), quant à lui, analyse et compare les ECG de 155 sportifs de haut niveau (83 coureurs à pied, 38 footballeurs et 34 cyclistes), avec ceux de 50 sujets normaux et 25 ECG de Br. Sur 155 sportifs, 139 avaient un SRP, contre 18/50 des sujets normaux, avec une localisation en précordiale gauche dans 2/3 des cas.
Chez un athlète, le SRP était localisé à droite et convexe vers le haut, identique au Br. Les différences entre les deux syndromes portaient sur un sus-décalage du segment ST, plus marqué chez les sujets Br (4,4 ± 0,3 mm) par rapport aux athlètes (2,3 ± 0,6), et sur la durée de QRS (0,11 ± 0,02 s vs 0,090 ± 0,011 s). Bianco suggère de distinguer le syndrome de Br du SRP du sportif par l’association de l’allongement du QRS supérieur à 11/100e et la présence d’un susdécalage de ST, supérieur à 2 mm, avec une valeur prédictive positive de 100 % et une valeur prédictive négative de 80 %.
L’épreuve d’effort :
L’épreuve d’effort ne permet pas de différentier les deux syndromes.
Dans le Br, le sus-décalage de ST peut diminuer, voire disparaître, avec normalisation de l’ECG. Les anomalies réapparaissent dès la phase de récupération.
Il n’y a pas d’arythmie signalée.
Chez le sportif, les anomalies de repolarisation se normalisent aussi à l’effort.
Enfin, en cas de doute, un test pharmacologique peut être réalisé. Il consiste à injecter par voie intraveineuse 1 mg/kg d’ajmaline ou 2 mg/kg de flécaïnide afin de démasquer l’anomalie. Ce test doit être réalisé sous surveillance ECG continue et dans des conditions de sécurité adaptées, car des troubles du rythme ventriculaires graves ont été décrits lors de sa réalisation.