Introduction :
Les reconstructions anatomiques du ligament croisé antérieur (LCA) utilisant les autogreffes permettent depuis plus de 15 ans la reprise des sports en pivots tout en préservant le capital méniscal. Malgré la fiabilité des interventions pratiquées et les précautions habituellement observées, une récidive d’entorse reste toujours possible. On estime à 34 000 par an le nombre de ligamentoplasties du LCA réalisées chaque année en France.
Les échecs de reconstruction et les résultats incomplets augmentent avec le recul et concernent selon les séries 5 à 25% des cas. Salmon et al., à propos 67 patients dont 85 % revus à 13 ans de recul, ont observé avec le transplant os—tendon—os 13 % de rupture et 21 % de ressaut de faible grade. Le diagnostic de rupture du LCA est aisément posé lorsque le genou traumatisé n’a pas déjà été opéré. Comment doit-on analyser la laxité sur un genou dont le LCA a déjà été reconstruit ? Une laxité antérieure résiduelle modérée est fréquemment observée après réfection du pivot central. Les plasties intra-articulaires isolées contrôlent bien le tiroir antérieur, mais peuvent parfois laisser persister un faible ressaut compatible avec un bon résultat fonctionnel. Le transplant est-il vraiment rompu ou distendu ? Quel était l’état ligamentaire du genou juste avant le nouveau traumatisme ? S’agit-il d’une entorse traumatique ou bien d’un échec anatomique précoce ?
Comment évaluer la laxité d’un genou déjà opéré ?
La mesure de la laxité antérieure du genou lésé et du genou sain permet d’exprimer en millimètres une valeur différentielle.
Arthromètres (KT 1000TM de Medmetric®) :
Les valeurs obtenues en mode de traction manuelle maximum sont les plus discriminatives. La valeur retenue correspond à la moyenne issue de trois mesures successives obtenues par un même examinateur.
Radiographies dynamiques :
Les clichés radiographiques dynamiques de profil permettent d’évaluer la translation par la mesure de l’avancée différentielle translatoire du plateau interne.
Tiroir positionnel :
Les radiographies dynamiques positionnelles comme l’appui monopodal de profil utilisent les contraintes élémentaires du poids du corps couplées aux contractions musculaires.
Les résultats sont aléatoires et influencés par la pente tibiale constitutionnelle, la charge pondérale et le degré de contraction des muscles ischiojambiers.
Lachman radiologique actif :
La contraction active du quadriceps contre un poids de 7 kg appliqué à l’extrémité distale du squelette jambier entraîne la subluxation antérieure du tibia.
Lachman radiologique passif :
Les mesures du tiroir radiologique passif selon la méthode de Lerat et al. utilisent un poids de 9 kg qui est appliqué sur la cuisse au-dessus de la rotule sur un genou fléchi à 20◦.
Cette technique de mesure présente en fait l’avantage de laisser le genou libre de tourner. Contrairement au Télos®, le genou n’est pas contraint par la poussée translatoire dont le point d’application se situe à distance des plateaux tibiaux.
La mesure statique de l’avancée différentielle des compartiments médial et latéral à 30◦ de flexion permet de mettre en évidence la rotation du genou couplée au tiroir antérieur sous l’effet d’une simple contrainte translatoire.
L’appareil à clichés tenus (Télos®) :
Faut-il utiliser une poussée de 150, 200 ou bien 250 N alors bien supérieure à celle recommandée (137 N) par la fiche IKDC ? Staubli et Jakob ont établi une valeur seuil de rupture du LCA à 3mm avec une force translatoire de seulement 89 N. Bach et al. avaient obtenu avec le KT 1000TM la même valeur seuil en mode de traction maximum. L’analyse statistique de Bercovy et Weber a objectivé des mesures imprécises en dessous d’une valeur seuil de 180 N. Pour ce dernier auteur, une différentielle supérieure ou égale à 4mm a permis, en utilisant une poussée à 250 N d’affirmer la rupture du LCA avec une précision de 98,5 %. Bien que provoquant un certain inconfort, une force translatoire de 250 N minimiserait le risque de faux négatif grâce à la neutralisation de contractions musculaires parasites. Les valeurs obtenues avec 250 N de poussée seraient un peu supérieures à celles acquises à 150 N. Dans le cas d’un genou déjà opéré, il faut aussi tenir compte des données laximétriques issues du dernier examen pratiqué.
Seul un examen ligamentaire consigné et daté par le même examinateur peut alors véritablement servir de comparaison.
Il est préférable qu’un même examinateur expérimenté évalue à chaque fois la laxité ligamentaire pour éviter les erreurs interobservateurs. La rubrique examen ligamentaire issue de la fiche IKDC doit être utilisée pour comparer les cotations. Pour un genou dont le LCA a déjà été reconstruit, la valeur seuil de rupture est de 5mm.
Le greffon est-il rompu ou distendu ?
Les structures ligamentaires possèdent un comportement viscoélastique. La phase d’élasticité se caractérise par une déformation réversible sous l’effet d’une brève contrainte. Un greffon continu peut être le siège d’une distension plastique irréversible équivalent à une relaxation collagénique. Pour Rollier et al., le transplant est en fait plus souvent détendu que véritablement rompu (54 % contre 30 %) en cas d’échec. La laxité pathologique caractérisant alors la distension se définit par un rétrogradage d’un ou de deux niveaux dans la rubrique IKDC du groupe examen ligamentaire. Les ressauts côté grade I font encore partie des bons résultats et doivent être interprétés en comparaison des données issues du dernier examen clinique.
Après un certain seuil de contrainte, la rupture devient inéluctable avec solution de continuité à l’IRM. Lorsqu’un transplant est partiellement rompu, les fibres continues ont subi une élongation plastique expliquant la laxité résiduelle.
Cas particulier des plasties mixtes intra- et extra-articulaires :
Une laxité résiduelle importante sans ressaut rotatoire peut s’observer avec les plasties intra- et extra-articulaires.
La ténodèse latérale qui limite l’avancée du compartiment latéral peut encore jouer pleinement son rôle de plastie antiressaut malgré la distension du pivot central. La laxité antérieure est alors reconnue comme arthrogène avec l’apparition de lésions méniscales secondaires. Fautil dans ce cas reconstruire à nouveau le pivot central pour préserver le capital méniscal ? À l’opposé, une plastie intraarticulaire isolée peut contrôler de manière satisfaisante le tiroir antérieur et neutraliser insuffisamment le ressaut.
Faut-il alors dans ces cas reconstruire le seul faisceau postérolatéral ou bien effectuer une ténodèse latérale additionnelle pour mieux verrouiller la rotation interne ? En fonction du niveau anatomique d’incompétence, les reconstructions à deux faisceaux sont aussi susceptibles de modifier l’examen clinique d’un genou déjà opéré.
Quels sont les facteurs à l’origine de l’échec ?
L’entorse peut être simplement révélatrice de l’échec (erreurs techniques, défaut d’intégration biologique) et survenir dans les six premiers mois ou constituer le principal facteur responsable de la rupture du transplant (ré-ruptures traumatiques) et se révéler alors après un an, les activités sportives ayant été reprises. La survenue d’un traumatisme sportif après ligamentoplastie du LCA varie de 24 à 57 % selon les auteurs. Cette fréquence relativement importante s’explique par le fait qu’une technique chirurgicale imparfaite peut aussi se décompenser à l’occasion d’un véritable traumatisme. L’intrication de plusieurs facteurs peut rendre difficile l’analyse de l’échec dans un contexte traumatique. Nous avons décrit les récidives d’entorse après ligamentoplastie du LCA dans un contexte où le macrotraumatisme avait joué un rôle déterminant pour expliquer la ou les lésions observées.
Quelles sont les différentes entités anatomocliniques qui caractérisent les récidives d’entorse ?
Plusieurs tableaux cliniques peuvent se révéler en fonction des circonstances d’apparition, de l’importance de la laxité et de l’imagerie.
Le transplant est complètement distendu ou rompu :
Rupture ou distension complètes d’origine traumatique :
Le seul traumatisme est responsable d’une rupture complète du transplant sans qu’il y ait eu pour autant un défaut technique lié à l’intervention. Le nouvel accident survient généralement au moins un an après l’intervention et après un intervalle libre de plusieurs mois ou années pendant lesquels toutes les activités sportives ont été reprises au même niveau. Un véritable mécanisme lésionnel est constaté au cours du second traumatisme. Les signes fonctionnels de l’entorse grave sont au premier plan. Le genou déjà opéré était stable avant le nouvel accident. Le score IKDC de la rubrique examen ligamentaire avait été côté A ou B au tout dernier recul. Le signe de Lachman est franchement positif et côté ++ ou +++ arrêt mou. Le signe du ressaut est côté grade II ou III par un examinateur expérimenté.
L’incompétence biomécanique du greffon intra-articulaire ne se discute pas. La laxité antérieure comparative mesurée avec le Télos® à 250 N ou à l’aide du KT 1000TM en mode de traction manuelle maximum est strictement supérieure à 5mm. Les tunnels osseux sont généralement bien positionnés sur les clichés radiographiques standards. Une solution de continuité du transplant est le plus souvent observée à l’IRM. Des zones liquidiennes d’hypersignal effacent complètement la greffe sur une partie de son trajet. Lorsque le greffon est complètement distendu, une partie des fibres rompues sont affectées par des plages d’hypersignal en séquence pondérée T2. Le genou est parfois artéfacté par les fixations métalliques qui n’empêchent cependant pas une bonne analyse du transplant dans l’échancrure. Les lésions ostéochondrales et les hypersignaux osseux sont répertoriés à l’IRM dans plus de 80 % des cas de rupture du LCA. Selon Spindler et al., le condyle latéral est atteint dans 68 % des entorses. Les signaux osseux peuvent-ils persister à distance du premier traumatisme et être encore observés au décours d’une récidive entorse ? Le volume de l’hypersignal osseux a diminué pour Davies et al. de plus de 50 % pour 80 % des patients à 12 semaines de recul. Bretlau et al. ont observé seulement 12 % d’hypersignaux persistants un an après le traumatisme. Faber et al. ont suivi 35 entorses dont le LCA a été reconstruit.
Toutes ont présenté des lésions occultes du condyle latéral.
Soixante-cinq pour cent des cas (15 cas) ont eu à six ans de recul un signal osseux persistant, dont seulement 8,7 % (deux cas) avec amincissement du cartilage. L’auteur évoque une cicatrisation fibreuse avec hyposignal en T1 et en T2 de la lésion osseuse initialement perc¸ue en hyposignal en T1 et en hypersignal en T2. Un hyposignal osseux en T1 rehaussé en T2 plaide en revanche en faveur d’une lésion récente. Des études prospectives sont nécessaires pour vérifier si ces lésions occultes peuvent être ou non selon l’importance du traumatisme, précurseurs de phénomènes dégénératifs.
Rupture ou distension progressive tardive :
Aucun traumatisme responsable n’a véritablement été observé. Seul un suivi prolongé permet de mettre en évidence les dégradations successives du transplant au cours du temps. Rollier et al. ont observé sur une série de 74 reprises de ligamentoplasties, 22 cas de dégradation progressive sans notion de traumatisme. Un état préarthrosique (séquelles de méniscectomie) peut aussi constituer un environnement dégénératif et mécanique défavorable pour la greffe qui peut rentrer en conflit avec une éventuelle ostéophytose au niveau de l’échancrure. Un mouvement de pivot anodin peut finir par être révélateur de l’échec.
Échec anatomique précoce :
La distension survient au cours de la première année dès la reprise sportive au cours d’un accident bénin. À l’IRM, le transplant est souvent continu et perc¸u en hyposignal sur tout son trajet anatomique. Un défaut d’incorporation biologique de la greffe est le plus souvent responsable. La laxité peut aussi apparaître juste au décours de l’intervention. Un traumatisme mineur est parfois signalé.
Un défaut de fixation ou une rééducation trop agressive est alors mis en cause.
Le transplant est partiellement rompu ou distendu :
La rupture ou la distension partielle survient accidentellement après un intervalle libre au cours duquel les activités sportives en pivot ont été reprises. La laxité résiduelle était inférieure à 2mm avant le nouveau traumatisme. Le rétrogradage IKDC de la laxité s’effectue au niveau B. La différentielle maximum est alors comprise entre 3 et 5mm.
Le ressaut est côté grade 0 ou grade I. Le transplant continu à l’IRM est perc¸u en hyposignal en T1 et T2. Quelques fibres de la greffe peuvent être aussi rompues et affectées à un stade précoce par des plages liquidiennes d’hypersignal en T2. Les hypersignaux osseux sont moins fréquemment observés en cas de lésion incomplète du pivot central. Zeiss et al. ont observé un hypersignal osseux dans 12 % des lésions incomplètes du LCA contre 72 % dans les ruptures complètes. Une réévaluation clinique sur un patient relâché et une nouvelle imagerie après résorption de l’hémarthrose permettent, à distance du traumatisme, de mieux préciser le diagnostic. La solidité de la greffe devra être confirmée plus à distance avec la reprise des sports à pivots. Dans les cas douteux, l’examen clinique sous narcose permettra l’analyse précise des laxités et surtout la quantification du ressaut qui reste à la base de l’arbre décisionnel.
Le transplant est intact :
Une lésion méniscale traumatique ou une faible distension des formations ligamentaires périphériques sont responsables d’une hémarthrose modérée. Une lésion ostéochondrale est plus rarement en cause. La laxité résiduelle et le signe du ressaut côté grade 0 ou grade I sont restés inchangés après le second accident. La greffe du LCA apparaît à l’IRM continue et en hyposignal. En cas d’arthroscopie pour lésion méniscale secondaire, le transplant apparaît bien vascularisé grâce au manchon synovial qui l’entoure.
Lésions méniscales traumatiques secondaires :
Le taux d’apparition de lésions secondaires varie à plus de cinq ans de recul entre 5 et 10 % selon les séries. Les lésions méniscales traumatiques en zone vasculaire sont le plus souvent suturées ou mises en cicatrisation spontanée avec la réfection du pivot central.
Les lésions méniscales dont le traitement a été initialement conservateur doivent êtres comparées à celles nouvellement observées. L’IRM constitue pour le diagnostic de lésions méniscales traumatiques médiales (latérales) l’examen de choix avec une bonne sensibilité 97 % (82 %) et une bonne spécificité 97 % (96 %). Cependant, un hypersignal correspondant à une lésion anciennement cicatrisée peut persister pendant au moins cinq ans dans la zone de rupture. L’arthro-IRM ou l’arthroscanner permettent alors de mieux différentier une fissure récente d’un processus cicatriciel ancien. Le blocage méniscal correspondant à la classique anse de seau constitue une urgence fonctionnelle. Le grade III marqué par une solution de continuité au niveau du mur méniscal atteste une rupture transfixiante plus ou moins étendue. Les lésions méniscales secondaires qui s’expriment souvent à l’occasion d’une entorse itérative, doivent faire suspecter une laxité antérieure ou rotatoire résiduelle qu’il convient de mettre en évidence.
Cas particulier de l’atteinte associée des formations périphériques médiales :
Les mécanismes lésionnels en valgus—flexion—rotation externe sont responsables d’une atteinte première des formations périphériques médiales. L’examen clinique met facilement en évidence, genou fléchi à 20◦, un bâillement interne plus ou moins important et spontanément réductible. Le signe de Lachman est souvent positif après reconstruction du LCA. Le tiroir antérieur peut être encore aggravé par la distension surajoutée du point d’angle postéro-interne qui constitue un frein secondaire à l’avancée du compartiment interne. Le ressaut nécessite aussi l’intégrité du hauban ligamentaire interne pour s’exprimer pleinement sous l’effet des contraintes valgisantes.
La plastie du LCA peut être alors mieux évaluée après cicatrisation du ligament collatéral médial et du point d’angle postéro-interne.
Facteurs de risque :
Méniscectomie associée à la reconstruction du LCA :
La conservation méniscale protège de l’évolution arthrosique et assure à long terme de meilleurs résultats anatomiques. Salmon et al. ont étudié les facteurs de risque sur une série limitée de neuf échecs (13,4 %) extraite d’une série rétrospective et continue de 67 transplants os—tendon—os dont 85 % revus à 13 ans de recul. La méniscectomie associée à la reconstruction du LCA a augmenté par un facteur 6 le risque de rupture secondaire du transplant.
Le ménisque médial qui est un frein secondaire de la translation tibiale antérieure protège la greffe du LCA avec diminution de la laxité résiduelle.
Facteurs liés au sexe :
Les femmes présentent quatre à six fois plus de risque de présenter une entorse du LCA que les hommes pour des activités sportives équivalentes. Vingt-deux pour cent des jeunes skieuses alpines rompent à nouveau leur transplant.
Des facteurs génétiques, hormonaux et anatomiques intriqués auxquels s’associent des facteurs neuromusculaires expliquent l’augmentation du risque de rupture du LCA chez la femme.
Facteurs hormonaux :
Le cycle menstruel, en particulier le pic ovulatoire peut-il avoir une influence sur les propriétés mécaniques du LCA ?
Une méta-analyse récente de la littérature concernant neuf études de cohorte prospective a montré une augmentation de la laxité du LCA pendant la phase ovulatoire et postovulatoire. Seules trois de ces études ont montré que l’influence du cycle menstruel sur la laxité du LCA était significative. In vitro, les brusques augmentations d’estrogènes inhibent précocement la prolifération des fibroblastes et la synthèse de procollagène de type I. Cet effet est atténué avec le rajout de progestérone qui jouerait un effet protecteur. In vivo chez la rate, la résistance à la rupture et la raideur du LCA n’ont pas varié de manière significative au cours des différentes phases du cycle menstruel.
Des récepteurs hormonaux peuvent-ils influencer le remodelage du greffon ? La laxité du LCA n’a pas été pour Blecher et Richmond affectée par la grossesse.
Eiling et al. n’ont pas observé au cours du cycle menstruel de variation de la laxité antérieure contrairement à la raideur musculotendineuse significativement plus basse pendant la phase ovulatoire. Les muscles alors moins contractiles réagiraient moins vite pour assurer le contrôle proprioceptif. Certaines périodes du cycle hormonal rendent aussi plus vulnérable aux accidents sportifs.
Wojtys et al. ont observé chez la skieuse une augmentation des traumatismes pendant la phase ovulatoire.
En revanche, chez les basketteuses et les footballeuses, les entorses du LCA sont survenues de fac¸on préférentielle au cours des deux jours qui suivent les menstruations. Les résultats discordants selon les auteurs ne permettent pas de véritablement trancher et d’imposer, chez les patientes opérées d’une rupture du LCA, une conduite préventive en fonction du cycle hormonal. Chez la femme, l’évolution de la masse osseuse, en particulier la minéralisation de l’os trabéculaire, est en relation étroite avec les estrogènes. La dureté de l’os spongieux situé au niveau de la métaphyse tibiale reste chez la femme globalement inférieure à celle de l’homme pour assurer une solide fixation os—tendon.
Corry et al. ont obtenu chez la femme à deux ans de recul de meilleurs résultats laximétriques avec le transplant os—tendon—os qu’avec les tendons droit interne et demitendineux à quatre brins. La densité minérale osseuse est nettement diminuée chez les femmes jeunes qui présentent une insuffisance ovarienne primaire non substituée par les estrogènes.
Hill et al. recommandent dans les reconstructions utilisant les tendons ischiojambiers chez la femme le rajout systématique d’une agrafe ligamentaire avec la vis d’interférence tibiale pour éviter le phénomène de glissement et assurer ainsi de meilleurs résultats laximétriques.
Un défaut de fixation tibiale risque d’entraîner un échec précoce survenant au cours du premier trimestre.
Facteurs génétiques :
L’expression du gène codeur de la protéase matrix métallopeptidase 3 (MMP3) remodelant les ligaments serait diminuée chez la femme, ce qui aurait des conséquences défavorables sur la structure histologique du LCA.
Facteurs anatomiques :
Une échancrure plus étroite chez la femme abrite un LCA plus petit avec une surface de section plus réduite, ce qui minimise la théorie du conflit et corrobore l’idée d’un pivot central plus fragile. La surface de section du LCA au niveau du croisement avec le LCP est moins large chez la femme que chez l’homme à poids équivalent. Cette minceur relative du LCA chez la femme engendre une augmentation des contraintes intraligamentaires pour une force de tension équivalente. Le matériel conjonctif utilisé pour la greffe doit, quel que soit le sexe, présenter des qualités biomécaniques immédiates suffisantes au moins égales au LCA natif. Salmon et al. n’ont pas observé plus de ruptures secondaires chez la femme dans une étude de cohorte utilisant les tendons ischiojambiers à sept ans de recul. La laxité et les ressauts ont cependant été, pour ce dernier auteur statistiquement moins importants chez l’homme.
Contrôle neuromusculaire :
Le genou est potentiellement plus instable dans les mécanismes lésionnels indirects à cause de trois dominances neuromusculaires expliquant chez la femme les déséquilibres proprioceptifs.
La dominance ligamentaire :
Les contraintes ligamentaires surviennent avant l’activation musculaire protectrice lors des mouvements en torsion.
La dominance quadricipitale :
Le recrutement des fibres quadricipitales est supérieur à celui des muscles ischiojambiers dans les gestuelles sportives.
Les ruptures du LCA surviennent le plus souvent sur un genou proche de l’extension. Le rôle néfaste du quadriceps est alors lié à la force de translation tibiale antérieure, composante de la force de traction du tendon rotulien. Les jeunes sportives utilisent aussi une séquence d’activation musculaire quadricipitale qui contribue au valgus dynamique.
Le membre dominant :
La coordination, la souplesse et la force musculaire sont bien meilleures au niveau du membre dominant. Le membre opposé reste alors plus vulnérable aux contraintes sportives.
Les exercices d’entraînement plyométriques travaillant la puissance et l’explosivité des muscles striés agonistes contre apesanteur ont montré une efficacité dans la prévention des entorses du LCA chez les jeunes femmes.
Ces techniques de reprogrammation mettent en jeu la facilitation neuromusculaire et permettent d’obtenir un meilleur contrôle des mouvements du genou tout en augmentant les performances sportives.
Facteurs constitutionnels :
Étroitesse de l’échancrure :
Les études morphométriques du fémur distal ont pu établir une relation entre l’étroitesse de l’échancrure intercondylienne et le risque de rupture du LCA sans contact. Néanmoins, se pose le problème de la variabilité des groupes de populations étudiées et de l’incertitude des mesures radiographiques. L’échancrure antérieure, zone anatomique de conflit potentiel avec le transplant, reste chez l’homme et la femme plus étroite que l’échancrure postérieure :
• les patients ayant présenté une rupture bilatérale du LCA ont une échancrure plus étroite que ceux ayant une atteinte unilatérale ;
• la largeur bicondylienne fémorale est proportionnelle à la largeur de l’échancrure pour les deux sexes ;
• les échancrures des patients ayant présenté indépendamment du sexe une rupture uni- ou bilatérale du LCA sont plus étroites que celles mesurées au niveau d’une population témoin.
La répartition de ces mesures en fonction du sexe a montré une étroitesse augmentée chez la femme.
Anderson et al. n’ont pas retrouvé de disparité en fonction du sexe. La notion de valeur seuil est en fait difficile à établir. La probabilité d’avoir une entorse du LCA en rapport avec une échancrure étroite doit être encore mieux définie par des études de cohortes prospectives.
Pente tibiale :
Brandon et al. ont établi un lien entre l’augmentation de la pente tibiale et les ruptures du LCA. La pente tibiale engendre à pleine charge des forces de cisaillement au niveau des deux plateaux tibiaux entraînant un excès de contraintes au niveau du LCA. Une augmentation de la pente tibiale de 10◦ majore pour Dejour et Bonnin la translation tibiale antérieure de 6mm en appui monopodal.
Les ostéotomies tibiales de soustraction antérieure diminuent la pente tibiale en augmentant le recurvatum.
Genu recurvatum :
Le recurvatum peut être d’origine osseux et/ou capsuloligamentaire. L’hyperextension entraîne un contact physiologique entre le transplant et le toit de l’échancrure.
Le positionnement du greffon est alors déterminant pour éviter un conflit avec le sommet de l’échancrure antérieure qui forme une ogive gothique plus ou moins étroite qui constitue en hyperextension une véritable guillotine à LCA.
L’anisométrie du transplant engendré par l’hyperextension est aussi un facteur indiscutable de distension. Les ostéotomies tibiales d’addition antérieure augmentent la pente tibiale. L’indication ne peut être raisonnablement posée qu’en cas d’instabilité liée au genu recurvatum ou, en cas de récidive d’entorse associée à une déformation sagittale supérieure à 20◦.
Surcharge pondérale :
Les contraintes supportées par le greffon sont proportionnelles au gabarit et à l’activité physique du patient. Le matériel conjonctif disponible est-il toujours suffisant pour confectionner une autogreffe assez solide ? Le diamètre d’un greffon ischiojambier à quatre brins s’échelonne le plus souvent entre 6,5 et 8,5mm. La taille des tendons ne varie pas toujours de fac¸on proportionnelle à la masse corporelle. Ainsi, chez des patients lourds dont les tendons ischiojambiers sont relativement grêles se pose le problème de pratiquer en plus une ténodèse latérale additionnelle ou d’utiliser le tendon rotulien. La modularité des greffes fasciculaires permet d’augmenter leur diamètre avec confection de transplants à cinq ou six brins tendineux. Une plastie à quatre faisceaux utilisant le seul demi-tendineux permet d’obtenir un greffon plus épais au prix d’un raccourcissement tendineux qui impose de suspendre la greffe à l’aplomb de fixations corticales.
Le transplant os—tendon—os ne doit pas dépasser 10mm de largeur pour éviter un affaiblissement préjudiciable de l’appareil extenseur. Shelbourne et Johnson ont montré que la largeur totale du tendon rotulien prélevé pouvait avoir aussi une influence sur la récupération de la force musculaire. Le poids, la taille et l’indice de masse corporelle ont été pour Bowers et al. des facteurs prédictifs de lésions chondrales et méniscales observées au cours de la reconstruction du LCA. Un indice de masse corporelle élevé chez la femme est aussi considéré comme un facteur prédisposant aux traumatismes lésionnels sans contact. Une réduction pondérale est souhaitable avant une éventuelle reprise chirurgicale pour obtenir un indice de masse corporelle au moins inférieure ou égale à 30 kg/m2.
Facteurs liés à la rééducation et à la reprise sportive :
Les programmes de rééducation intensive peuvent-ils entraîner une distension du transplant ? Une série prospective et continue de 25 patients actifs opérés d’une plastie os—tendon—os a été randomisée en deux groupes comparant les résultats obtenus après une rééducation classique et accélérée. L’augmentation de la laxité à deux ans de recul (traction à 90 N au KT 1000TM) n’a pas montré de différence significative entre les deux groupes avec 1,8mm pour le groupe non accéléré et 2,2mm pour le groupe accéléré. Le phénomène de glissement au niveau de l’ancrage par vis d’interférence associé à une détente du transplant explique pour ce dernier auteur l’augmentation de la laxité au cours des premiers mois.
Barber-Westin et al. ont adapté avec le transplant os—tendon—os leur programme de rééducation en fonction du suivi des mesures répétées de la laxité qui permet de détecter précocement une éventuelle distension de la greffe. Cinq pour cent d’échecs survenant la première année ont été rapportés avec une reprise légère des activités sportives à six mois et de la compétition à huit mois. La rééducation accélérée initiée avec le tendon rotulien par Shelbourne et Nitz doit être, en fait, tempérée pour protéger le site donneur et éviter le réveil de douleurs antérieures qui peuvent au contraire entraver la récupération sportive.
Avec les tendons ischiojambiers, l’intégration osseuse s’effectue plus tardivement à 12 semaines ; la rééducation intensive doit être évitée pour diminuer l’élargissement des tunnels osseux.
Salmon et al. ont étudié l’incidence et les facteurs de risques des récidives d’entorse sur une série continue de 675 plasties (316 transplants os—tendon—os et 427 transplants utilisant les tendons ischiojambiers à quatre brins) à cinq ans de recul. La rupture du transplant est survenue préférentiellement dans les 12 premiers mois avec un risque multiplié par trois en cas de mécanisme lésionnel initial indirect et par deux en cas de reprise d’un sport à pivots. Un âge inférieur à 21 ans a été aussi retenu comme facteur péjoratif en multipliant par dix la probabilité d’avoir une nouvelle rupture du pivot central. Les jeunes sportifs doivent donc être étroitement encadrés au cours de la première année en respectant rigoureusement un cahier des charges avant la reprise du sport. Les troubles proprioceptifs plus ou moins associés à l’insuffisance musculaire peuvent, selon la discipline sportive, entraîner au cours de mécanismes lésionnels indirects une entorse itérative.
Le ski et le football sont les plus grands pourvoyeurs de rupture du LCA. Les mécanismes lésionnels indirects avec blocage du pied au sol sont particulièrement fréquents au cours de l’activité footballistique qui sollicite de manière excessive le genou en rotation interne, ce qui pose le problème de la stabilisation du compartiment externe pour réduire le risque d’échecs à long terme.
Facteurs ligamentaires :
Distension associée importante des points d’angles :
Le point d’angle postéromédial constitue un frein secondaire à la translation tibiale antérieure. L’affaiblissement de ce dernier après méniscectomie médiale entraîne ainsi une augmentation des contraintes au niveau du transplant.
Dejour et al. avaient proposé en utilisant le transplant os—tendon—os de retendre la capsule postéro-interne en cas de laxité antérieure différentielle supérieure à 10mm. L’évolution des techniques arthroscopiques a minimisé l’importance des gestes ligamentaires périphériques associés. Intervenir plus précocement permet aussi de mieux conserver le ménisque médial qui peut ainsi jouer pleinement son rôle de cale protectrice. Le point d’angle postérolatéral est plus rarement atteint dans les laxités antérieures chroniques et le diagnostic souvent occulté ; l’épiphyse tibiale pivote spontanément en rotation externe. En cas de ténodèse latérale associée à la réfection du pivot central, il faut alors prendre garde à la position du tibia avant de fixer le transplant. Les plasties du tendon poplité bien décrites par Jaeger et al. sont
en fait le plus souvent utilisées pour les laxités postérieures combinées.
Laxité frontale chronique associée :
Une décoaptation médiale ou latérale associée à une déviation défavorable et importante du morphotype constitue un facteur indiscutable d’échec. Le pivot central n’est plus protégé dans les mouvements de valgus ou varus flexion. Une ostéotomie normocorrectrice réalignant le membre inférieur reste un préalable indispensable avant la réfection itérative du LCA. Les retentions et les plasties des formations périphériques ont montré dans les distensions chroniques des résultats anatomiques moins bons que ceux obtenus dans les réparations récentes.
Hyperlaxité constitutionnelle :
Scerpella et al. ont établi en utilisant le score de Beighton et al. un lien entre le genu recurvatum, le tiroir tibial antérieur, l’hyperlaxité généralisée et la survenue d’entorse du LCA sans contact. Ces derniers paramètres d’analyses sont prévalents chez la femme et expliquent en partie les récidives d’entorse. Sung-jae et al. ont observé chez les patients hyperlaxes (score de Beighton et al. supérieur ou égal à 4) des résultats laximétriques à deux ans de recul significativement meilleurs avec le transplant os—tendon—os (3,4°æ1,5mm) comparés à ceux obtenus avec les tendons ischiojambiers (4,5°æ2,0 mm). Ces derniers auteurs ont utilisé pour les deux types de reconstruction une fixation anatomique par vis d’interférence, la rigidité du tendon rotulien et la fixation os—os expliquent alors ces résultats.
Laxité rotatoire :
L’importance de la laxité rotatoire doit aussi être prise en compte. Giraud et al. préconisent en cas de forte laxité du compartiment latéral (différentielle du compartiment latéral supérieure à 8 mm), l’association d’une plastie extra-articulaire latérale permettant une diminution des contraintes au niveau du transplant .
Mauvais positionnement des tunnels osseux et erreurs techniques :
Le mauvais positionnement des tunnels osseux constitue pour Carson et al. la cause la plus fréquente des échecs non traumatiques. Ces derniers auteurs ont analysé les causes de l’échec à propos de 90 reconstructions itératives. Quarante-sept erreurs techniques et 22 cas de ruptures traumatiques ont été démembrés avec sept cas de défaut d’intégration biologique. Garofalo et al. ont observé sur une série de 28 cas d’échec repris par une autogreffe du tendon quadricipital, un tunnel fémoral trop antérieur dans 79 % des cas. Un mauvais placement de la greffe tibiale et/ou fémorale peut influencer défavorablement les résultats anatomiques avec comme conséquence :
• une anisométrie plus ou moins favorable entraînant une détente secondaire de la greffe ;
• un conflit du transplant avec le bord antérieur de l’échancrure et/ou le LCP. La navigation permettrait de positionner le tunnel tibial plus antérieur tout en évitant ce conflit ;
• une divergence trop importante entre la direction des contraintes exercées et le grand axe de la greffe.
En cas de reprise, le choix de l’autogreffe et la réalisation des tunnels osseux doivent être planifiés après avoir analysé les causes de l’échec. Une chirurgie en deux temps comprenant le comblement préalable des défects osseux avec une autogreffe corticospongieuse peut être indiquée en cas d’ostéolyse importante. Les résultats des reconstructions itératives du LCA ont montré des résultats globaux moins bons que ceux obtenus en première intention. Le symposium 2006 de la Société franc¸aise d’arthroscopie sur la chirurgie itérative du LCA a objectivé après la deuxième intervention 73 % de cas de méniscectomies. Un tiers des patients ont seulement été cotés IKDC A. Le contrôle du ressaut a été mieux assuré (p = 0,03) en réalisant une plastie mixte pour la reconstruction itérative du LCA.
Conclusion :
Le diagnostic étiologique d’une entorse du genou après ligamentoplastie du LCA doit être conduit rigoureusement par un examinateur expérimenté. L’examen clinique, le bilan laximétrique instrumental et radiologique permettent, en se référant au genou sain et au genou lésé examiné au dernier recul, l’évaluation fonctionnelle de la greffe. Le seuil de la laxité antérieure différentielle attestant une rupture est de 5mm. Un transplant continu et en hyposignal à l’IRM n’élimine pas une incompétence biomécanique. Un ménisque cicatrisé peut simuler une lésion récente à l’IRM, ce qui nécessite une opacification préalable. L’examen clinique sous narcose permet, dans certains cas difficiles, l’analyse précise des laxités et surtout la quantification du ressaut qui reste à la base de l’arbre décisionnel. L’analyse des facteurs de risque d’une récidive d’entorse après ligamentoplastie ne permet pas toujours de mener une action préventive. D’autres études prospectives sont nécessaires pour mieux évaluer les facteurs de distension permettant idéalement d’établir un score à risque.