Cette activité présente la particularité d’organiser elle-même ses propres secours, sous la tutelle des Préfets et en collaboration avec les Services Départementaux d’Incendie et de Secours (SDIS). La Fédération est dotée d’une commission spécialisée, le Spéléo-Secours Français (SSF), qui gère non seulement les secours, mais aussi la formation, l’encadrement et le suivi des opérations.
Ce suivi systématique des accidents depuis plus de 25 ans permet de réaliser des statistiques sur les causes d’accidents et fait l’objet de plusieurs thèses médicales. Grâce à ce suivi, la présence récente de décès d’origine non traumatique a intrigué la Commission Médicale de la Fédération. Un groupe de travail de trois médecins a ainsi travaillé sur ces décès de cause “physiologique”, dont l’origine cardiovasculaire pouvait paraître logique.
Méthodologie de l’étude :
Elle a consisté à étudier les documents en notre possession : thèses médicales, rapports d’activité du SSF, dossiers d’assurance de la fédération, articles glanés dans les diverses revues médicales et spéléologiques, interrogation de quelques fédérations sportives proches (montagne, canoë-kayak, canyon, plongée).
La difficulté majeure a été l’absence quasi totale de constatations médicales lors de l’opération de secours (le médecin arrivant en général après le décès) et l’absence de données fiables sur les circonstances et symptômes précis observés.
De plus, les différentes sources de renseignements sont parfois contradictoires.
Résultats :
Le recoupement des diverses sources a retrouvé 18 décès de causes non traumatiques entre 1987 et 2003. Il s’agit donc d’un évènement assez rare, représentant seulement 5 % des décès en milieu souterrain. Comparativement, les décès non traumatiques représentent 24 % des décès en ski et 42 % en randonnée…
La répartition selon le sexe retrouve 15 hommes pour 3 femmes (mais les femmes sont très minoritaires parmi les pratiquants).
La répartition des âges va de 15 à 56 ans (moyenne 43,8) : si l’on met à part un décès survenu à l’âge inhabituel de 15 ans, la moyenne d’âge est de 46,7 ans.
L’élément important est la nouveauté du phénomène : aucun décès de ce type n’a été signalé avant 1990. C’est ce caractère récent qui a justifié l’étude, afin d’en trouver les caractéristiques et, surtout, des possibilités de prévention.
Décès d’origine cardiovasculaire ?
La question peut paraître saugrenue, mais nous ne sommes pas sûrs d’être arrivés à conclure… Comme dit précédemment, nous n’avons pas pu réunir des descriptions précises. Cependant, hormis les décès survenus en plongée et les morts immédiates, les victimes ont présenté un état de malaise invalidant avant de décéder plus ou moins rapidement. Le délai (non chiffré) entre le malaise, la perte de connaissance et le décès, semble être de quelques dizaines de minutes au plus.
Ce caractère rapidement progressif vers une issue fatale nous a fait rapprocher ces décès de mort subite.
La mort subite en milieu sportif :
La littérature médicale est assez riche de publications sur le sujet. Sans entrer dans le détail, deux champs d’investigations sont à prendre en compte : les facteurs cardiologiques et les facteurs généraux.
Les facteurs cardiologiques :
La cause directe du décès est essentiellement liée à deux mécanismes : un trouble du rythme ventriculaire dans 75 % des cas (tachycardie ou fibrillation), un infarctus dans 15 % des cas et, enfin, divers troubles de conduction.
Les décès dont l’étiologie n’est pas retrouvée sont assez peu nombreux (4 % environ). Les pathologies à l’origine du décès sont assez variées :
– la pathologie athéroscléreuse coronarienne et les cardiomyopathies sont les causes essentielles ;
– plus anecdotique vient ensuite toute la cohorte des troubles rythmiques de conduction et les myocardites virales.
Les facteurs généraux :
Ils sont mieux connus sous le terme de facteurs de risque : tabagisme, surpoids, HTA, diabète, hyperlipémie, antécédents familiaux cardiovasculaires, auxquels on rajoutera le stress.
L’absence d’interrogatoire possible de l’entourage ne nous donne pas de clé de lecture de ces facteurs de risque, mais certains facteurs sont retrouvés dans les dossiers.
Caractérisation de l’effort en spéléologie :
Une recherche récente a mesuré les fréquences cardiaques observées lors de remontée sur corde en technique “jumar”. Chez des spéléologues jeunes et entraînés, on a pu mesurer des fréquences jusqu’à 212 pulsations par minute.
Une étude en médecine du travail, sur le poste de recherche de fuites chez les égoutiers (assimilable à une pratique de spéléo), a observé des fréquences cardiaques entre 67 et 87 % de la fréquence cardiaque maximale théorique (FMT), jugeant cette astreinte cardiaque comme forte.
La spéléologie est une activité nécessitant un effort musculaire permanent, endurant, durant de nombreuses heures (8 h représentent une sortie moyenne), enchaînant des progressions très variées (marche, escalade, rivière, ramping, descente et montée de puits), comportant des passages plus intenses (voire d’effort maximal) comme les remontées sur corde et les étroitures.
Les siphons accessibles seulement aux spéléologues plongeurs posent les problèmes classiques de la plongée (échanges gazeux entre autres), mais compliqués du fait que la plongée n’est pas homogène comme en mer. S’agissant de cavités noyées, le plongeur alterne des montées et descentes compliquant les calculs de palier et les mélanges gazeux utilisés, ainsi que des zones étroites et une visibilité souvent nulle en raison de la boue mise en suspension par le passage du plongeur.
La contrainte cardiaque peut être estimée comme très notable en spéléo : si l’effort est habituellement en endurance, les cavités engagées et les passages difficiles occasionnent des phases d’effort en résistance pouvant donc atteindre, voire dépasser, la FMT.
L’influence du milieu :
A cette notion d’effort vont se rajouter les caractéristiques du milieu, qui vont amplifier la contrainte cardiaque.
Même si les grottes ont abrité les hommes depuis la préhistoire, le milieu reste fondamentalement hostile !
Le froid :
La température moyenne des cavités dépend de divers facteurs (climat, latitude, altitude de l’entrée, profondeur, ventilation, présence d’eau courante), mais elle est plutôt fraîche !! Sous nos climats, la moyenne s’établit aux environs de 11°C, les plus froides descendant à 0°C, les plus chaudes atteignant 17°C.
L’humidité ambiante :
Hormis les réseaux fossiles particulièrement secs, l’hygrométrie de l’air est toujours proche de 100 %. Cette saturation altère la sensation de soif et anéantit l’évapo-transpiration. Signalons la présence fréquente de boue, qui complique la progression et de parties aquatiques, avec le risque de garder une tenue mouillée et froide pendant des heures (en l’absence de tenue adaptée comme la combinaison néoprène).
La présence de gaz :
Les cavités de certaines régions contiennent souvent une proportion non négligeable de gaz carbonique, issu de la fermentation du couvert végétal de surface, variable selon la saison.
Un taux de 3 à 4 % n’est pas rare et peut aller jusqu’à 7 %. La performance cardiaque sera d’autant plus menacée par ces taux qui provoquent dyspnée et céphalées, voire modifications électrocardiographiques à type de troubles de la repolarisation ou d’ESV.
La présence d’autres gaz est plus rare.
C’est surtout suite aux tirs d’explosifs en milieu confiné, très utilisés pour élargir les passages trop étroits, que l’on peut retrouver du monoxyde de carbone de manière importante, interdisant la suite de l’exploration avant sa complète dissipation.
Le stress :
Sous ce terme général, désignant l’obligation d’adaptation de l’organisme aux stimuli extérieurs, nous pouvons regrouper diverses notions : l’obscurité, le silence (total) ou le bruit ambiant parfois assourdissant (rivière, cascade), la difficulté technique, l’engagement mental (verticales, étroitures), le niveau technique, les risques de crue, la perte de la notion du temps qui passe, l’angoisse et la claustrophobie, etc.
L’état physiologique de l’individu :
Sans parler de la santé en général du pratiquant, un état de fatigue générale, une convalescence de maladie récente, une hypoglycémie, une déshydratation, une hypothermie peuvent accentuer les effets de l’effort. Au maximum, la conjonction de ces trois états pathologiques caractérise l’état d’épuisement, qui peut être fatal sans traitement approprié.
Toutes ces contraintes ont cependant une prévention spécifique, permettant de minimiser leurs effets délétères.
L’entraînement, la technique, l’équipement, l’encadrement, la surveillance de la météo limitent les risques objectifs de l’activité. Le très faible taux d’accidents en spéléo montre que cette accumulation de contraintes reste gérable dans l’immense majorité des cas : on dénombre seulement une trentaine d’accidents par an en France, dont un tiers nécessite une médicalisation.
En sachant que la plupart des secours concernent des spéléologues non fédérés et, très souvent, de simples touristes, on peut dire que les spéléologues sauveteurs bénévoles assurent une mission de service public.
Discussion :
Les décès cardiovasculaires :
En l’absence d’arguments précis, mais sur la base des quelques symptômes enregistrés, nous avons bâti l’hypothèse plausible que les décès “subits”, observés en spéléologie en dehors de tout contexte traumatique, avaient une origine cardiovasculaire.
Les rares symptômes signalés dans les dossiers font état de malaise, asthénie brutale, douleur précordiale, oppression, troubles digestifs (nausées, vomissements, diarrhée), suivis d’une perte de connaissance puis du décès.
La notion de stress a été également notée dans plusieurs dossiers.
La mort subite en milieu sportif est un phénomène bien connu et nous avons classé ces décès dans cette catégorie en raison de la rapidité de survenue du décès après un état de malaise général invalidant.
La prévention :
Une fiche de renseignements, à remplir par le médecin ou les sauveteurs, va être diffusée au travers du Spéléo-Secours Français, afin de mieux caractériser ces évènements dont la rareté ne doit pas faire oublier le développement récent et la prévention possible.
La possibilité de prévenir ces accidents est le questionnement auquel a abouti cette étude. Les facteurs de risque cardiovasculaires sont bien connus de tout médecin et il nous a paru utile de conseiller vivement un examen médical aux pratiquants, dès lors que des facteurs de risque existaient, à commencer par l’âge.
Les contre-indications :
La spéléologie n’est pas un sport de compétition : elle est ouverte à tous les âges et peut se pratiquer à n’importe quel niveau désiré, de la simple promenade souterraine horizontale et familiale jusqu’à des cavités d’exception nécessitant un engagement majeur ou des activités “hors normes”, comme la plongée en siphons. On comprendra qu’il s’agit ici d’étudier la situation au cas par cas, le rôle du médecin étant primordial pour conseiller l’adéquation entre le type d’effort demandé et l’état physiologique du pratiquant.
Les contre-indications médicales de la spéléologie sont les suivantes : états syncopaux et épilepsie, diabète insulino-dépendant, états vertigineux vrais, maladies cardiovasculaires (dysfonction ventriculaire gauche dystolique et obstacle à l’éjection ventriculaire, troubles du rythme à l’effort ou lors de la récupération), lésions pleuro-pulmonaires évolutives, affections morphologiques statiques ou dynamiques sévères (en particulier du rachis). Dans le cadre du loisir doivent être discutées : les insuffisances rénales, les cardiopathies, les atteintes osseuses, ligamentaires ou articulaires graves, la convalescence des maladies graves. La grossesse est une contre-indication à partir du deuxième trimestre.
Dans l’ensemble, ces contre-indications font rarement problème. Le rôle du médecin sera pleinement rempli s’il attire l’attention du pratiquant sur les facteurs de risque généraux : tabac, surpoids, HTA, surcharge métabolique (diabète, hyperlipémie), gestion du stress et de l’hygiène de vie (sommeil, repos, équilibre nutritionnel).
En conclusion :
La spéléologie ne génère pas un risque important, les rares accidents hypermédiatisés ne devant pas occulter une pratique riche et épanouissante.
Le milieu souterrain demande cependant une approche prudente et attentive, diffusée au mieux par les structures fédérales et les clubs. Sur le nombre relativement restreint des accidents décrits depuis 25 ans, nous avons individualisé le caractère assez récent de décès relevant de causes “physiologiques” non traumatiques. Malgré la pauvreté des descriptions, nous avons classé ces décès dans la catégorie des morts subites du sportif. Un recueil des données, que nous espérons plus exhaustif, pourra nous apporter des éléments plus probants.
En attendant, nous soulignons l’intérêt pour les pratiquants de voir leur médecin traitant pour faire le point sur leur état de santé et leurs possibilités de faire face à une activité sportive complète, pouvant donner lieu à des efforts cardiovasculaires maximaux.
La commission médicale fédérale est intéressée par toute contribution dans ce domaine.