Définition et diagnostic :
DÉFINITION :
Une alcalose métabolique est définie par l’association d’un pH sanguin alcalin (>= 7,43) à une augmentation de la réserve alcaline (>= 28 mmol/L).
L’alcalose métabolique entraîne une augmentation de la PaCO2 (hypoventilation alvéolaire de compensation), et une diminution de la PaO2 proportionnelle à l’augmentation de la PaCO2. La chlorémie est plus basse que ne le voudrait l’augmentation des HCO3–, avec un petit TrA lié à une production d’acide lactique
DIAGNOSTIC :
Les signes cliniques sont non spécifiques et inconstants. Ils associent : des signes neurologiques si le pH est supérieur à 7,5 : agitation, confusion, coma, épilepsie ; des signes neuromusculaires : crampes, myoclonies (secondaires à la chute du calcium ionisé) ; des signes cardiaques : arythmies.
Approche clinique :
GÉNÉRATION ET MAINTENANCE :
Les deux conditions nécessaires pour créer une alcalose métabolique sont l’entrée de HCO3– dans le secteur extracellulaire par perte d’acide ou gain d’alcalin, ce qui va générer l’alcalose, et une augmentation de la capacité du rein à réabsorber les HCO3– , ce qui va maintenir l’alcalose.
Génération :
L’entrée de HCO3– dans le secteur extracellulaire peut être rénale ou digestive. Une entrée d’origine rénale des HCO3– s’observe dans les situations d’hyperaldostéronisme primitif (syndrome de Conn par exemple), ou en cas d’afflux de Na+ dans le néphron distal en présence d’un hyperaldostéronisme (traitement par diurétiques de l’anse), l’hyperaldostéronisme étant secondaire à la déplétion volémique.
Ces deux situations vont combiner trois facteurs : un apport important de Na+ dans le tube collecteur cortical ; un hyperminéralocorticisme, la sécrétion d’aldostérone devenant indépendante du volume extracellulaire ; une hypokaliémie, conséquence des deux premiers phénomènes.
L’afflux de Na+ dans le tube collecteur cortical, alors que l’aldostérone est élevée, augmente la sécrétion des H+. En effet, l’aldostérone active la Na+/K+ ATPase et favorise l’ouverture du canal épithélial sodique des cellules principales. En présence de Na+ dans la lumière tubulaire, le Na+ est échangé contre les H+ et les K+, d’où alcalose et hypokaliémie. L’hypokaliémie aggrave l’alcalose car elle augmente la sécrétion distale d’acide.
La perte d’acide par le tube digestif à l’occasion de vomissements (riches en HCl) conduit à l’addition de HCO3– dans le secteurextracellulaire, mais il faut, pour maintenir l’alcalose, que la réabsorption rénale des HCO3– soit augmentée.
Maintenance :
Trois mécanismes rendent compte du maintien de l’alcalose : la déshydratation du secteur extracellulaire qui est le facteur principal, l’hypokaliémie, un hyperminéralocorticisme.
La déshydratation du secteur extracellulaire diminue le débit de filtration glomérulaire donc la quantité de HCO3– filtrée, ce qui limite leur excrétion rénale. De plus, la réabsorption des HCO3– est augmentée dans le tube proximal.
L’hypokaliémie diminue aussi le débit de filtration glomérulaire et stimule la sécrétion distale des H+ par le NH4 + .
L’hyperminéralocorticisme est un facteur de maintien car il stimule la sécrétion des H+ si la délivrance du Na+ est maintenue dans le tube collecteur cortical.
CONSÉQUENCES CLINIQUES :
Les conséquences cliniques de l’alcalose métabolique sont encore mal connues mais probablement délétères. Outre la dépression des centres respiratoires, l’alcalose déprime l’oxygénation tissulaire par augmentation de l’affinité de l’oxygène pour l’hémoglobine et par vasoconstriction artérielle généralisée. Il a été décrit des complications coronariennes ou cardiaques en cas d’alcalose métabolique.
Étiologies :
Les étiologies des alcaloses métaboliques se divisent en deux groupes : les alcaloses associées à une déshydratation extracellulaire, et les alcaloses associées à une hydratation extracellulaire normale ou avec hyperhydratation extracellulaire.
DÉSHYDRATATION EXTRACELLULAIRE :
Elle est à l’origine du maintien de l’alcalose dans ces étiologies.
L’analyse du Na+ et du Cl– urinaires permet de distinguer les différentes causes. Dans certaines situations, comme les vomissements associés à une prise inavouée de diurétiques par exemple, l’analyse des urines peut être difficile.
Excrétion urinaire élevée de Na+ et de Cl– :
L’alcalose est initiée par une perte d’H+ par le rein : traitements en cours par diurétiques de l’anse ou thiazidiques ; syndrome de Bartter; syndrome de Gitelman; déficit en magnésium : l’alcalose n’est pas systématique et est en règle générale modérée.
Son déterminisme est inconnu. Rarement, l’alcalose est déclenchée par une entrée de HCO3– dans le secteur extracellulaire d’origine digestive ou osseuse. Les étiologies sont les hypercalcémies d’origine non parathyroïdienne : syndrome de Burnett survenant chez les malades insuffisants rénaux consommant de grandes quantités de sels de calcium alcalin (carbonate de calcium), intoxication à la vitamine D, granulomatose (sarcoïdose) et lyse osseuse des cancers.
Excrétion urinaire basse de Cl– et élevée de Na+ :
L’alcalose est déclenchée par une perte d’H+ par le tube digestif :
– vomissements actifs ou sonde nasogastrique en aspiration ;
– diarrhée chronique et tumeurs villeuses. En général, elles s’accompagnent d’acidose, mais parfois une alcalose est observée, de mécanisme indéterminé : anomalie de l’échangeur Cl–/HCO3– dans l’iléon et le jéjunum ? Influence de l’hypokaliémie ? Prise concomitante de diurétiques en cas de maladie des laxatifs ?
õ Excrétion urinaire basse de Cl– et de Na+
L’alcalose est déclenchée par une perte d’H+, soit par le tube digestif en cas de vomissements dans un passé récent, soit par le rein en cas de traitement par diurétiques dans un passé récent et en cas d’alcalose posthypercapnie. Cette dernière s’explique par l’accumulation de HCO3– alors que le patient était hypercapnique (compensation métabolique de l’acidose respiratoire).
L’accumulation des HCO3– entraîne un déficit en Cl– par chlorurie.
Lorsque la ventilation alvéolaire est restituée, le rein ne peut excréter tous les HCO3– accumulés, du fait du déficit en NaCl.
Ces alcaloses métaboliques doivent être traitées par du NaCl, ce qui permet de restaurer l’hydratation du secteur extracellulaire et ainsi l’excrétion rénale des HCO 3
– accumulés. La déplétion en K+ contribue aussi au maintien de l’alcalose. Elle doit aussi être compensée, mais c’est l’apport de NaCl qui constitue le traitement de base.
HYPERHYDRATATION EXTRACELLULAIRE OU HYDRATATION EXTRACELLULAIRE NORMALE :
Ce type d’alcalose est toujours en rapport avec une perte rénale d’acide par hyperactivité minéralocorticoïde. L’alcalose est entretenue par le maintien de l’activité minéralocorticoïde en dépit de l’expansion volémique (qui autorise un apport de Na+ dans le tube collecteur) et par l’hypokaliémie qui stimule l’excrétion des H+.
Les dosages de rénine et d’aldostérone permettent de différencier trois groupes d’étiologies.
– Hyperaldostéronismes primaires.
Dans ces situations, la rénine est basse et non stimulable, et l’aldostérone élevée : maladie de Conn, hyperplasie bilatérale des surrénales, cancer de la surrénale, hyperaldostéronisme suppressible par la dexaméthasone. Cette dernière affection est liée à la translocation du gène de la 11-bêta-hydroxylase vers le gène de la 18-bêta-hydroxylase, ce qui rend la synthèse d’aldostérone dépendante de l’adrenocorticotrophic hormone (ACTH). La prescription de petites posologies de corticoïdes permet de corriger l’hypertension artérielle (HTA) et l’alcalose hypokaliémique.
– Hyperaldostéronismes secondaires.
Avant d’affirmer l’hyperaldostéronisme secondaire, il faut s’assurer que le malade n’est pas déshydraté, éventuellement par une perfusion de sérum salé. Dans ces situations, la rénine et l’aldostérone sont élevées : sténose de l’artère rénale, tumeur sécrétant de la rénine, HTA accélérée ou maligne.
– Hyperminéralocorticismes sans aldostérone.
L’activité minéralocorticoïde n’est pas en rapport avec l’aldostérone mais avec d’autres hormones surrénaliennes normalement inactives (cortisol), ou en quantité habituellement insuffisante pour exercer un effet minéralocorticoïde.
Dans ces situations, la rénine et l’aldostérone sont basses : syndrome de Cushing et traitement par corticoïdes, intoxication à la glycyrrhizine (réglisse), hyperplasie surrénale congénitale des déficits enzymatiques, déficit familial en 11-bêta-hydroxy-stéroïdedéshydrogénase , syndrome de Liddle (il s’agit d’une mutation du canal épithélial sodique, ce qui augmente son activité de réabsorption de Na+, aboutissant à une HTA avec alcalose hypokaliémique).
Toutes ces causes d’alcalose métabolique doivent être traitées par du KCl, ce qui permet de restaurer l’excrétion rénale des HCO3– accumulés.
Enfin, l’alcalose des déficits en K+ s’explique par le transfert des H+ vers le milieu intracellulaire et l’augmentation de l’excrétion rénale des H+ sous la forme des NH4 + .
L’alcalose de contraction s’observe en cas de traitement par furosémide (Lasilixt) qui soustrait du liquide dans le secteur extracellulaire alors que le stock des HCO3– reste constant.
Traitement :
Le traitement d’une alcalose métabolique est d’abord celui de son facteur d’entretien, puis celui de sa cause. Un traitement symptomatique n’est nécessaire que dans de rares circonstances.
CORRECTION DU FACTEUR D’ENTRETIEN :
Elle est primordiale. Le traitement dépend de l’étiologie :
– apport de NaCl dans toutes les situations associées à une déshydratation extracellulaire. C’est le traitement des alcaloses par hypercalcémie, par vomissements ou diarrhée chronique, etc ;
– apport de K+ dans toutes les situations associées à une hyperhydratation extracellulaire. C’est le traitement des alcaloses par hyperaldostéronisme primitif, de la maladie de Cushing, etc.
TRAITEMENT ÉTIOLOGIQUE :
Chaque cause d’alcalose métabolique a son propre traitement. Il s’agit par exemple :
– d’arrêter les diurétiques thiazidiques ou de l’anse ;
– de l’ablation d’une sonde gastrique ou de la prescription d’antisécrétoire si le maintien de la sonde est nécessaire ;
– de la cure chirurgicale d’un adénome de Conn, etc.
TRAITEMENT SYMPTOMATIQUE :
Compte tenu des conséquences cliniques de l’alcalose, un traitement symptomatique ne s’impose que chez certains malades :
– malades en détresse respiratoire chez qui la correction de l’alcalose peut améliorer la ventilation alvéolaire ;
– malades en angor instable ou ayant présenté un infarctus myocardique récent ;
– malades présentant des symptômes neurologiques.
Le chlorure d’ammonium (NH4Cl) peut être utilisé per os ou par voie veineuse. L’acide chlorhydrique (HCl), 0,15 ou 0,25 N, peut être perfusé sur une voie centrale. Ces acides sont contre-indiqués en cas d’insuffisance rénale ou hépatique. Le chlorhydrate d’arginine a été abandonné du fait de la possibilité d’hyperkaliémie sévère. Les antialdostérones (spironolactone : Aldactonet) ou les diurétiques épargneurs de K+ (amiloride : Modamidet) sont de bons traitements de l’alcalose en cas d’hyperaldostéronisme.
L’acétazolamide (Diamoxt) est peu efficace et peut augmenter la PaCO2, en particulier chez l’insuffisant respiratoire.