Introduction :
Les publications sur l’anémie de l’IRC sont extrêmement nombreuses et des recommandations américaines, européennes et plus récemment françaises, sous l’égide de l’Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé (AFSSAPS), ont été réalisées sur ce sujet.
Définition de l’anémie de l’insuffisance rénale chronique :
La définition classique de l’anémie dans la population générale est celle proposée par les experts de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) en 1968 : taux d’hémoglobine (Hb) dans le sang veineux inférieur à 13 g/dl chez l’homme adulte, inférieur à 12 g/dl chez la femme non enceinte, inférieur à 11 g/dl chez la femme enceinte. Cette définition est actuellement discutée et les experts soulignent l’intérêt de tenir compte de l’âge dans la mesure où l’Hb diminue chez l’homme de façon physiologique avec l’âge en raison d’une baisse de la testostérone. Ainsi, les recommandations européennes sur l’anémie de l’IRC proposent de porter le diagnostic d’anémie pour un taux d’Hb inférieur à 13,5 g/dl chez l’homme au-dessous de 70 ans, inférieur à 12 g/dl chez l’homme au-dessus de 70 ans et inférieur à 11,5 g/dl chez la femme. Il est important de ne pas attendre des valeurs d’Hb plus basses pour explorer l’anémie. Cela est justifié par deux arguments : d’une part, une anémie, même modérée, peut révéler une pathologie sous-jacente ; d’autre part, il y a de plus en plus d’arguments montrant qu’une anémie modérée peut induire des complications.
L’anémie de l’IRC est généralement normochrome, normocytaire et arégénérative. Cependant, elle peut être microcytaire en cas de carence martiale qui est fréquente au cours de l’insuffisance rénale. L’anémie peut devenir macrocytaire lorsqu’un traitement par érythropoïétine (EPO) est entrepris, car l’EPO augmente la proportion d’érythrocytes jeunes dans la circulation.
Une macrocytose doit aussi faire rechercher une carence en vitamine B12 ou en folates.
Pour quelle sévérité d’insuffisance rénale chronique peut-on parler d’anémie de l’insuffisance rénale chronique ?
On considérait classiquement que l’anémie pouvait être attribuée à l’IRC lorsque le débit de filtration glomérulaire (DFG) devenait inférieur à 30 ml/min/1,73 m2. En réalité, cette limite doit être revue. L’anémie de l’IRC peut être observée dès que le DFG devient inférieur à 60 ml/min/1,73 m2. À titre d’exemple, dans l’étude de la NHANES, la prévalence de l’anémie, définie par une Hb inférieure à 12 g/dl chez l’homme et à 11 g/dl chez la femme, augmente de 1 % pour un DFG estimé à 60 ml/min/1,73 m2, à 9 % pour un DFG estimé de 30 ml/min/1,73 m2 et à 33-67 % pour un DFG estimé à 15 ml/min/1,73 m2. Certaines études insistent plus particulièrement sur la précocité de l’anémie dans l’IRC d’origine diabétique et incitent à une vigilance particulière chez ces patients.
Mécanismes de l’anémie de l’insuffisance rénale chronique :
Les causes classiquement avancées à l’origine de l’anémie de l’IRC sont le déficit en EPO, la diminution de la durée de vie des hématies, l’inhibition de l’érythropoïèse par des toxines urémiques, la carence martiale et l’hypersplénisme. L’efficacité de l’EPO recombinante humaine pour corriger l’anémie de l’IRC suggère que le déficit en EPO représente le mécanisme principal de cette anémie. Cette idée n’est que partiellement vraie, car d’autres causes interviennent également.
Production, régulation et action de l’érythropoïétine :
Le rein est le principal site de production d’EPO chez l’adulte.
Le rein contribue pour 85 % à la production d’EPO, le foie n’assure qu’une contribution mineure, et le poumon et la rate jouent un rôle accessoire. Les cellules rénales qui produisent l’EPO n’ont pas été identifiées avec certitude. Il pourrait s’agir de cellules du secteur interstitiel comme les fibroblastes ou les cellules endothéliales, ou bien de cellules tubulaires. L’EPO agit sur les progéniteurs érythroïdes médullaires : burst forming unit erythroblast (BFU-E) et colony forming unit erythroblast (CFUE).
L’EPO agit sur les stades tardifs de leur développement en stimulant leur prolifération et leur maturation. Cette stimulation se fait en réalité par une inhibition de l’apoptose.
L’action de l’EPO se fait par liaison à des récepteurs de surface présents sur les BFU-E et surtout sur les CFU-E. Le nombre de récepteurs de l’EPO décroît au cours de la différenciation des cellules érythroïdes. Les réticulocytes et les érythrocytes matures ne contiennent pas de récepteurs de l’EPO. La production d’EPO est principalement régulée par l’hypoxie et ce, de manière très rapide. Les cellules soumises à l’hypoxie commencent à exprimer le facteur de transcription de l’EPO en 30 minutes.
Déficit en érythropoïétine :
Les taux sériques d’EPO sont bas au cours de l’anémie de l’IRC. Ils ne sont pas augmentés comme on pourrait l’attendre au cours d’une anémie par carence martiale où les taux d’EPO sont 10 à 100 fois plus élevés. Cependant, ces taux bas d’EPO ne semblent pas dus à une incapacité de produire l’EPO mais plutôt à une anomalie de réponse à l’anémie. En effet, les capacités de production de l’EPO restent intactes. Des patients avec IRC soumis à un stress hypoxique brutal présentent une augmentation normale de leur production d’EPO montrant que le rétrocontrôle hypoxie-EPO fonctionne correctement. L’anomalie de réponse de l’EPO à l’anémie de l’IRC pourrait être similaire à ce qui est observé au cours d’autres anémies chroniques comme celle du cancer.
Il existe également, au cours de l’IRC, une résistance à l’action de l’EPO. En effet, les taux sériques moyens d’EPO, bien qu’inadaptés à l’anémie, sont près de cinq fois plus élevés que chez les sujets sains non anémiques : 29,5 ± 4,0mU/ml contre 6,2 ± 4,3 mU/ml. Cette résistance à l’EPO souligne le rôle des inhibiteurs de l’érythropoïèse.
Inhibiteurs de l’érythropoïèse :
Les cultures de moelle osseuse de sujets sains, incubées avec du sérum urémique, présentent une diminution de la croissance des colonies de BFU-E et CFU-E de 72 et 82 % par rapport au sérum témoin. Radtke et al. ont analysé les taux d’hématocrite et d’EPO chez 42 patients après 3 à 27 mois de traitement par hémodialyse. Par comparaison avec les taux observés avant la mise en dialyse, l’hématocrite augmente chez tous les patients et l’EPO diminue chez tous les patients. Cela suggère l’élimination d’inhibiteurs de l’érythropoïèse par l’hémodialyse. Les principales toxines impliquées sont certainement les cytokines pro-inflammatoires. D’autres toxines comme la parathormone, les polyamines, et l’acide furane carboxylique (CMPF) ont un rôle plus discuté.
Cytokines pro-inflammatoires :
L’existence d’un syndrome inflammatoire chez les patients avec IRC a été clairement associée à une baisse des taux d’hémoglobine. L’inflammation conduit à l’anémie par plusieurs mécanismes :
• une inhibition de la prolifération des cellules souches érythrocytaires. Allen et al. ont montré que l’effet suppresseur du sérum de patients urémiques sur la croissance de colonies de CFU-E pouvait être annulé par l’ajout dans la culture d’anticorps anti-tumor necrosis factor (TNF)-a et/ou anti-interféron (IFN)- c ;
• une inhibition de la production d’EPO. Les cytokines proinflammatoires sont capables d’inhiber l’expression du gène de l’EPO dans le rein de rat ;
• des lésions directes des hématies par les cytokines et les radicaux libres, ainsi qu’une augmentation de la phagocytose des hématies. Ces facteurs contribuent à la diminution de la durée de vie des hématies ;
• une diminution de la disponibilité du fer car les cytokines pro-inflammatoires diminuent la libération du fer à partir des stocks réticuloendothéliaux. L’inflammation est également impliquée dans la diminution de l’absorption intestinale du fer. Des données récentes montrent que l’inflammation stimule l’hepcidine qui est l’hormone de régulation négative de l’absorption du fer. L’augmentation de l’hepcidine s’accompagne d’une diminution de l’absorption du fer.
Hyperparathyroïdie :
Le rôle de la parathormone (PTH) sur l’érythropoïèse est controversé. L’extrait brut de glandes parathyroïdes bovines inhibe in vitro les BFU-E et la synthèse de l’hème, toutefois cela n’a été confirmé ni avec la PTH bovine purifiée, ni avec la PTH humaine. En revanche, l’anémie est améliorée chez certains patients hémodialysés après parathyroïdectomie subtotale. Il semble que l’érythropoïèse soit plus limitée par la fibrose médullaire que par les taux élevés de PTH. La PTH pourrait agir sur la durée de vie des hématies. Certains travaux ont montré une association entre taux élevés de PTH et fragilité osmotique des hématies. Globalement cependant, le rôle de l’hyperparathyroïdie paraît mineur par rapport à d’autres facteurs tels que la carence martiale et l’inflammation.
Diminution de la durée de vie des hématies :
La diminution de la durée de vie des hématies est attribuée à une fragilité particulière des hématies au cours de l’IRC. La cause de cette fragilité n’est pas connue avec précision. Le rôle de toxines urémiques comme l’urée et la PTH a été évoqué.
Récemment, ce problème a été réexaminé par Ly et al. La durée de vie des hématies reste diminuée chez les patients en IRC terminale, qu’ils soient traités par hémodialyse conventionnelle, hémodialyse quotidienne courte, ou hémodialyse quotidienne longue. Certains uteurs ont suggéré que le traitement par EPO améliorait la durée de vie des hématies, mais cette amélioration est controversée.
Hypersplénisme :
L’augmentation du volume de la rate pourrait, dans certains cas, contribuer à l’anémie de l’IRC. L’hypersplénisme est responsable d’une séquestration splénique des hématies et d’un certain degré d’hémolyse intrasplénique. L’hypersplénisme s’accompagne aussi d’une hémodilution liée à l’augmentation du débit sanguin splénique. L’hypersplénisme n’est pas due à l’IRC mais à une pathologie intercurrente comme une hémoglobinopathie ou une hépatopathie avec hypertension portale.
Plusieurs articles des années 1970-1980 ont décrit les effets plus ou moins favorables de la splénectomie sur l’anémie de l’IRC. Dans une série de 25 patients avec IRC anémiques, 18 patients voyaient leur état s’améliorer après la splénectomie, c’est-à-dire qu’ils ne nécessitaient plus de transfusion. Cependant, seuls 11 d’entre eux voyaient leur hématocrite devenir supérieur à 20 %. La séquestration splénique des hématies devait être authentifiée par scintigraphie avant de décider la splénectomie.
Carence en fer :
La carence martiale est fréquente au cours de l’IRC. Elle est presque constante Lorsque le DFG est inférieur à 15 ml/min/1,73 m2. L’anémie par carence martiale est microcytaire et hypochrome. Elle est diagnostiquée par la diminution du coefficient de saturation de la transferrine (CST) qui reflète la réduction du fer circulant directement disponible pour l’érythropoïèse. Chez les patients avec IRC, un CST inférieur à 20 % indique une carence en fer circulant. Le CST présente l’inconvénient d’être très fluctuant d’un jour à l’autre. La ferritinémie est un marqueur du fer stocké dans les tissus. Chez les patients avec IRC, une valeur inférieure à 100 μg/l indique une carence absolue en fer. Le stockage du fer en vue de l’érythropoïèse se fait dans la moelle osseuse. Au cours de l’IRC, la ferritine est un mauvais marqueur des réserves médullaires de fer car elle reflète davantage la surcharge hépatique et splénique. D’autres tests ont été proposés pour évaluer les réserves en fer : le pourcentage d’hématies hypochromes, le contenu réticulocytaire en Hb, les récepteurs solubles de la transferrine. Ces tests ne sont pas disponibles dans tous les laboratoires. Le pourcentage d’hématies hypochromes n’est réalisé que sur les automates de la firme Bayer Diagnostics. Le dosage des récepteurs solubles de la transferrine n’est pas un test de routine. Le CST reste le plus utilisé. Une étude comparant l’ensemble des tests a cependant montré qu’un pourcentage d’hématies hypochromes supérieur à 6 % possédait la meilleure performance pour identifier les patients susceptibles d’améliorer leur taux d’Hb après administration de fer intraveineux (i.v.).
Plusieurs mécanismes expliquent la carence martiale chez les patients avec IRC :
• les saignements gastro-intestinaux sont fréquents. Leur dépistage repose sur les examens endoscopiques. L’intérêt de la recherche de sang dans les selles n’est pas formellement démontré chez les patients avec IRC. Cependant, les experts européens considèrent que ce test est justifié car il est simple, peu coûteux et que les saignements digestifs sont fréquents ;
• les pertes sanguines lors des séances d’hémodialyse sont considérables et ont été évaluées à 1 à 2 g de fer par an.
Ces pertes se font dans le circuit extracorporel et elles sont dues aussi aux prélèvements sanguins multiples ;
• l’absorption intestinale du fer est diminuée au cours de l’IRC.
Cela pourrait être dû en partie aux taux plasmatiques élevés de prohepcidine ;
• les besoins en fer sont considérablement augmentés par l’érythropoïèse lors du traitement par EPO.
Manifestations de l’anémie :
De nombreuses manifestations ont été décrites au cours de l’anémie de l’IRC. Ces descriptions reposent soit sur des notions classiques concernant l’anémie chronique, soit sur des observations faites chez des patients avec IRC traités par EPO. Il faut cependant souligner que ces observations ne permettent pas de démontrer avec certitude l’existence d’une relation de cause à effet entre l’anémie et les manifestations. Seules des études d’intervention comparant des patients recevant des traitements différents peuvent démontrer ce type de relation. Nous nous fonderons ici, chaque fois que cela est possible, sur des études d’intervention.
L’encadré ci-dessous résume l’ensemble des manifestations attribuées à l’anémie de l’IRC que nous avons relevées dans la littérature.
Diminution de la qualité de vie :
La correction de l’anémie de l’IRC par l’EPO améliore la qualité de vie des patients atteints d’IRC. Cela a été montré par plusieurs études prospectives contrôlées. Plusieurs paramètres sont améliorés comme l’asthénie, l’anorexie, le sommeil, la libido, les capacités physiques et la dépression. La meilleure étude contrôlée sur ce sujet est l’étude randomisée en double aveugle contre placebo réalisée par le Canadian Erythropoietin Study Group. Cent dix-huit patients hémodialysés âgés de 18 à 75 ans ont été randomisés en trois groupes : placebo (n = 40) ; EPO avec objectif d’Hb de 9,5 à 11 g/dl ; et EPO avec un objectif d’Hb entre 11,5 et 13 g/dl (n = 38). Les patients recevant de l’EPO ont eu une amélioration des scores de qualité de vie. En revanche, les taux d’Hb entre 11,5 et 13 g/dl ne se sont pas accompagnés de meilleurs scores par rapport aux taux d’Hb entre 9,5 et 11 g/dl. Moreno et al. ont montré que l’amélioration de la qualité de vie était observée de manière équivalente chez des patients de moins de 60 ans et chez des patients de plus de 60 ans. Une autre étude de la même équipe a montré une amélioration de la qualité de vie chez des patients dont l’Hb moyenne passe de 10,2 à 12,5 g/dl.
Malheureusement, il n’y a pas de groupe témoin dans cette étude et tous les patients ayant des antécédents cardiovasculaires, diabétiques et qui étaient âgés de plus de 65 ans ont été exclus. Une étude croisée chez 14 patients hémodialysés a montré une amélioration des capacités d’exercice de 25 % avec un taux d’Hb augmenté à 14 g/dl par rapport à un taux à 10 g/dl. Les capacités d’exercice restent cependant inférieures à celles de la population générale. Dans cette étude, seuls les patients sans antécédents cardiovasculaires ont été inclus. Furuland et al. ont comparé un taux cible d’Hb de 135-160 g/l avec un taux cible de 90-120 g/l. Ils montrent une amélioration de la qualité de vie dans le groupe 135-160 g/l. Seuls les patients sans antécédent cardiaque ont été inclus. Il n’y a donc pas de preuve formelle aujourd’hui pour affirmer que l’augmentation de l’Hb au-dessus de 11 g/dl améliore la qualité de vie de l’ensemble des patients avec IRC.
Hypertrophie ventriculaire gauche :
Le mécanisme par lequel on relie habituellement anémie et hypertrophie ventriculaire gauche (HVG) est l’augmentation chronique du débit cardiaque qui est un mécanisme compensateur de l’anémie. L’augmentation du débit cardiaque au cours de l’anémie résulte de trois phénomènes : augmentation du volume d’éjection lié à la vasodilatation artérielle avec baisse des résistances vasculaires ; augmentation de la précharge par augmentation du retour veineux lié à la diminution de la viscosité ; augmentation de la fréquence cardiaque par activation du système sympathique. À long terme, ces mécanismes d’adaptation conduisent à un élargissement et à une HVG.
L’augmentation permanente du débit cardiaque entraîne également une hypertrophie et un remodelage artériel responsables d’une augmentation des résistances artérielles. Celle-ci succède à la vasodilatation initiale et vient encore aggraver l’HVG. Enfin, au cours de l’IRC, les modifications myocardiques sont aggravées et ont été rendues irréversibles par d’autres facteurs comme l’hyperparathyroïdie et les calcifications liées au produit phosphocalcique élevé.
Sur le plan thérapeutique, l’augmentation de l’Hb par les transfusions est capable de corriger l’augmentation du débit cardiaque induite par l’anémie de l’IRC. Toutes les études montrent que la correction de l’anémie de l’IRC par EPO entraîne une diminution de 20 % du volume ventriculaire gauche. La régression de l’HVG est cependant incomplète, probablement en raison du caractère trop tardif et partiel de la correction de l’anémie, ou en raison d’autres facteurs de cardiomyopathie chez les patients avec IRC. Récemment, quelques travaux ont tenté de répondre à la question des valeurs cibles d’Hb. Foley et al. ont comparé l’impact de valeurs cibles d’Hb à 10 ou 13,5 g/dl sur l’HVG des patients hémodialysés. Ils n’ont observé aucun bénéfice dans le groupe avec Hb à 13,5 g/dl par rapport au groupe avec Hb à 10 g/dl.
Roger et al. ont entrepris une étude de l’influence du traitement précoce de l’anémie de l’IRC chez des patients avec DFG entre 50 et 15 ml/min et suivis pendant 2 ans. Ils ont comparé un groupe avec Hb cible entre 120 et 130 g/l avec un groupe avec Hb cible entre 90 et 100 g/l. Aucune différence d’évolution de l’index de masse du ventricule gauche n’a été observée entre ces deux groupes.
Coronaropathie :
Alors que des sujets sains peuvent tolérer des taux d’Hb aussi bas que 5 g/dl sans hypoxie ni modifications électrocardiographiques, il a été bien montré que chez les sujets coronariens, la tolérance cardiaque de l’anémie est altérée. Chez les sujets avec IRC, on considère que la correction de l’anémie par EPO améliore les symptômes d’ischémie myocardique induite par l’effort. Cependant, une étude contrôlée récente n’a pas trouvé de différence de prévalence de l’ischémie silencieuse entre un groupe avec hématocrite cible à 42 % par rapport à un groupe avec hématocrite cible à 30 %.
Accidents vasculaires cérébraux et convulsions :
Les manifestations neurologiques de l’anémie de l’IRC ont été peu étudiées. Une étude d’observation a montré une association entre l’anémie de l’IRC et les antécédents d’accident vasculaire cérébral. Les convulsions, classiquement présentées comme un effet secondaire du traitement par EPO, s’avèrent en réalité plus fréquentes chez les patients non traités par EPO que chez les patients traités. Cela pourrait être lié à un effet protecteur de l’EPO sur les neurones qui développent des récepteurs de l’EPO au cours de l’ischémie.
Mortalité :
Il existe un débat sur les concentrations d’Hb optimales chez les patients avec IRC. Plus précisément, il existe une discordance entre les résultats des études d’observation et ceux des études d’intervention. Les études d’observation montrent une association entre les valeurs d’Hb les plus élevées (supérieures à 12 g/dl) et la survie. Cependant, ces études ne peuvent pas démontrer une relation de cause à effet entre Hb élevées et survie. Les patients ayant les taux d’Hb les plus élevés sont les sujets ayant la meilleure capacité de réponse à l’EPO : absence de syndrome inflammatoire, absence de saignement, dose de dialyse adéquate. Or, ces caractéristiques influencent également la survie. Seules les études d’intervention randomisées peuvent montrer si le changement des valeurs d’Hb améliore la survie car, dans ce cas, les facteurs de survie sont équitablement répartis entre les groupes du fait de la randomisation. Or, les études d’intervention ne montrent pas de bénéfice à augmenter l’Hb au-delà de 12 g/dl sur le plan de la survie. Les deux principales études d’intervention dont nous disposons sont celles de Besarab et celle de Furuland. Besarab et al. ont étudié des patients hémodialysés atteints de pathologie cardiaque. Ils ont comparé 618 patients avec un taux d’hématocrite cible à 42 % et 615 patients avec un taux cible à 30 %.
Après 29 mois, 202 décès ou infarctus ont été observés dans le groupe « 42 % » et seulement 164 dans le groupe « 30 % ».
L’étude a alors été stoppée car elle ne pouvait montrer aucun bénéfice pour le groupe « 42 % ». À la suite de cette étude, la question a été de savoir si ces résultats étaient retrouvés chez des patients sans pathologie cardiaque. Furuland et al. ont étudié des patients en hémodialyse, en dialyse péritonéale et en prédialyse. Les patients atteints de pathologie cardiaque ont été exclus. Les auteurs ont comparé, au cours d’un suivi de 48 à 76 semaines, 216 patients avec Hb cible à 13,5-16 g/dl et 200 patients avec Hb cible à 9-12 g/dl. Le taux de mortalité a été identique dans les deux groupes (13,4 et 13,5 %). Ainsi, si l’on se base sur les études d’intervention, il n’y a pas de justification actuellement à se donner comme objectif thérapeutique une Hb supérieure à 12 g/dl. Cela a été bien souligné par la méta-analyse récemment réalisée par Strippoli.
Aggravation de l’insuffisance rénale chronique :
Au début de l’ère du traitement par EPO, des expériences menées chez le rat avaient fait craindre que la correction de l’anémie puisse aggraver l’hypertension artérielle et accélérer les lésions glomérulaires. Plusieurs études réalisées chez l’homme ont ensuite montré que la correction de l’anémie n’avait aucun effet délétère sur la fonction rénale. La plus importante est celle de Roth et al. qui ont suivi 43 patients sous EPO et 40 patients non traités pendant 48 semaines. Le DFG a diminué de 2,1 ml/min dans le groupe traité et de 2,8 ml/min dans le groupe non traité. Il a été suggéré par la suite que l’anémie de l’IRC elle-même pouvait constituer un facteur d’aggravation de l’IRC et que le traitement de l’anémie par EPO pouvait retarder la progression de l’IRC. La meilleure étude dont nous disposons actuellement est celle de Gouva et al. qui ont suivi pendant 22,5 mois 45 patients traités de façon précoce par EPO, dès que l’Hb était inférieure à 11,6 g/dl et 43 patients traités de façon tardive, lorsque l’Hb devenait inférieure à 9 g/dl. Le critère de fin d’étude était représenté par le doublement de la créatinine, l’arrivée au stade de la dialyse ou le décès. Le nombre de patients atteignant le critère de fin d’étude a été de 13/45 dans le groupe traité de façon précoce et de 23/43 dans le groupe traité de façon tardive.
Ces résultats sont spectaculaires. On ne sait pas cependant s’ils peuvent être extrapolés à l’ensemble des patients avec IRC car l’étude n’incluait pas de sujets diabétiques ni de sujets traités par inhibiteurs de l’enzyme de conversion ou antagonistes des récepteurs de l’angiotensine II.
Traitement de l’anémie :
La prise en charge de l’anémie de l’IRC avant la mise à disposition de l’EPO comprenait une multitude de mesures plus ou moins efficaces :
• une épuration extrarénale de qualité ;
• une réduction au strict minimum des pertes sanguines et des prélèvements sanguins pour bilans biologiques ;
• l’administration de fer par voie parentérale, ainsi que de doses pharmacologiques d’acide folique et d’androgènes.
Les néphrectomies étaient évitées et les transfusions réalisées le moins souvent possible pour éviter de supprimer la production endogène d’EPO. Toutes ces mesures permettaient d’obtenir au mieux un taux moyen d’Hb de 8 g/dl mais 10 % des patients nécessitaient quand même des transfusions régulières. Le traitement par EPO a révolutionné la prise en charge de l’anémie de l’IRC. Il faut cependant souligner qu’un certain nombre des mesures énumérées ci-dessus continuent d’être appliquées afin de faciliter la réponse à l’EPO.
Prise en charge de la carence martiale :
Son dépistage est essentiel. La correction de la carence martiale permet souvent de corriger partiellement l’anémie. La carence martiale limite l’efficacité du traitement par EPO. De plus, une carence martiale apparaît souvent chez les malades traités par EPO car l’érythropoïèse stimule l’utilisation des réserves en fer de l’organisme.
Administration du fer par voie orale :
Le fer est mal absorbé par voie digestive chez les patients avec IRC et sa tolérance digestive est parfois mauvaise. De plus, l’administration par voie intraveineuse est plus efficace que l’administration par voie orale. Il est cependant admis que le traitement martial peut être débuté par voie orale, en particulier chez les patients avec IRC non hémodialysés pour lesquels la voie i.v. n’est pas pratique. Stoves et al. n’ont pas montré de différence d’efficacité entre le fer i.v. et le fer oral chez les patients avec IRC avant le stade de la dialyse à condition d’utiliser des doses importantes de fer par voie orale.
Deira et al. ont montré que les patients avec IRC ont une absorption intestinale de fer suffisante pour compenser les pertes de fer quotidiennes. Pour être efficace par voie orale, le fer doit être administré à la dose quotidienne de 600 mg de sulfate ferreux, soit environ 190 mg de fer. À titre indicatif, les posologies quotidiennes seront donc de trois comprimés de Fumafer® (66 mg de fer par comprimé) ou deux comprimés de Tardyféron® (80 mg de fer par comprimé) ou quatre comprimés de Tardyféron B9 ® (50 mg de fer par comprimé).
Administration du fer par voie intraveineuse :
Le fer injectable actuellement disponible en France est l’hydroxyde ferrique saccharose ou fer sucrose (Venofer®) qui semble être un produit particulièrement sûr. Le fer gluconate et le fer dextran ne sont pas commercialisés en France en 2005.
La fréquence optimale d’administration i.v. du fer n’est pas connue. Les recommandations européennes proposent une fourchette de doses assez large : 100 à 600 mg par mois au cours des 6 premiers mois d’un traitement par EPO. D’autres publications suggèrent des doses plus élevées : 400 à 600 mg au cours des deux premières semaines pour Besarab et al. ; 200 mg par semaine pendant 5 semaines chez des patients en prédialyse. Besarab insiste sur l’intérêt d’une administration régulière, hebdomadaire, sans attendre que le bilan martial ne révèle une carence. Cette stratégie semble diminuer les besoins en EPO. Les protocoles où la stratégie d’administration du fer est guidée par des marqueurs de bilan martial plus stables que le CST permettraient d’administrer des doses de fer moindres.
Problème des fortes doses de fer :
Il existe une controverse concernant l’administration de fortes doses de fer chez les patients avec IRC. Les fortes doses de fer s’accompagnent d’une réduction des besoins en EPO. Besarab et al. ont étudié l’effet de fortes doses de fer dextran en comparant un groupe de patients dans lequel le CST était maintenu entre 30 et 50 % avec un groupe témoin dans lequel le CST était maintenu entre 20 et 30 %. Les doses de fer ont été de 504 mg/mois dans le premier groupe et de 191 mg/mois dans le second groupe. La ferritinémie après 6 mois était à 730 μg/l dans le premier groupe contre 297 μg/l dans le groupe témoin. Les besoins en EPO ont été réduits de 40 % dans le premier groupe par rapport au groupe témoin. Malgré ces résultats spectaculaires, il existe une crainte à l’égard des fortes doses dans la mesure où le fer pourrait aggraver le stress oxydatif et prédisposer les patients aux infections. Feldman et al. ont analysé la survie des patients du registre de l’USRDS en fonction de la dose de fer dextran injectable prescrite pendant la période de janvier à juin 1994. Par rapport aux patients n’ayant eu aucune prescription de fer, les patients ayant une prescription de fer inférieure ou égale à 10 ampoules en 6 mois (1 000 mg) n’ont pas eu d’augmentation de la mortalité alors que les patients avec une prescription de fer de plus de 10 ampoules ont eu un risque de mortalité augmenté de 11 % après ajustement pour différentes comorbidités. À l’inverse, l’étude de Besarab n’a pas montré une morbidité ou une mortalité accrues dans le groupe recevant de fortes doses de fer dextran. Cependant, dans cette étude, le suivi a été limité à 6 mois. L’association entre le fer et les infections a été surtout montrée avec les surcharges martiales d’origine transfusionnelle. L’étude d’observation EPIBACDIAL n’a trouvé aucune association entre les bactériémies et les taux de ferritine ou le traitement par fer. En pratique, il n’y a pas d’argument clair actuellement pour fixer une dose de fer ou une valeur de ferritinémie au-delà de laquelle le traitement par fer doit être interrompu. Selon les experts, cette valeur varie entre 500 et 800 μg/l.
Perspectives concernant le traitement martial :
Une nouvelle forme orale de fer, le polypeptide hème-fer, est actuellement commercialisée aux États-Unis sous le nom de Proferrin®. Il s’agit d’une molécule produite par hydrolyse de l’Hb bovine dans laquelle la biodisponibilité du complexe hème-fer est très supérieure à celle du fer ionisé. Une étude a montré récemment, chez 34 patients hémodialysés, que le polypeptide hème-fer était capable de remplacer efficacement le fer i.v. Sur le plan pratique, on peut cependant craindre quelques réticences à utiliser en Europe un produit fabriqué à partir de l’Hb bovine.
Traitement par érythropoïétine :
Historique et fabrication :
L’EPO humaine a été purifiée pour la première fois par l’équipe de Miyake en 1977. Pour obtenir quelques milligrammes d’EPO homogène, 2 500 l d’urine de sujets anémiques ont été nécessaires ! Ainsi, cette technique ne permettait pas de subvenir aux besoins en hormone pour un traitement de substitution. Les équipes de Jacobs et de Lin ont pu, grâce au génie génétique, produire de l’EPO humaine in vitro en quantité suffisante pour permettre des études cliniques. Ils ont ouvert l’ère du traitement de l’anémie de l’IRC par l’EPO humaine recombinante. Schématiquement, le gène de l’EPO humaine est isolé à partir d’une banque d’acide désoxyribonucléique (ADN) complémentaire de foie foetal humain, puis transfecté dans des cellules de mammifère (cellules cancéreuses d’ovaires de hamster chinois CHO-K1) ; le gène s’exprime et il est traduit. Ces cellules produisent ainsi dans leur surnageant une EPO active ayant des propriétés physiques, structurales, immunologiques et biologiques parfaitement identiques à celles de l’EPO endogène. Il existe actuellement quatre EPO, a, b, d et x. Cependant, seules l’EPO-a (Eprex®) et l’EPO-b (NeoRecormon ®) sont commercialisées. Récemment, une nouvelle protéine stimulant l’érythropoïèse a été synthétisée, la darbepoetin a (Aranesp®). Elle stimule l’érythropoïèse selon le même mécanisme que celui de l’hormone endogène. Elle possède cinq chaînes N-glucidiques alors que l’hormone endogène et l’EPO humaine recombinante n’en ont que trois. La présence de résidus glucidiques supplémentaires confère à la darbopoetin a une demi-vie biologique plus longue, qui permet de réduire la fréquence des injections. La darbepoetin a est produite de la même façon que l’EPO, par la technique de l’ADN recombinant dans des cellules de hamster chinois.
Valeurs cibles d’hémoglobine :
Comme nous l’avons vu, les études prospectives contrôlées concernant la mortalité et l’hypertrophie ventriculaire gauche ne permettent pas de justifier des taux d’Hb cible supérieurs à 12 g/dl, chez les patients atteints de pathologies cardiaques comme chez les patients sans pathologie cardiaque. Une seule étude justifie l’augmentation de l’Hb au-delà de 12 g/dl car elle montre un bénéfice sur la qualité de vie. Cette étude ne concernait que des sujets avec fonction cardiaque normale.
Voie d’administration de l’érythropoïétine :
Avant le stade de la dialyse ou chez les patients en dialyse péritonéale, la voie d’administration de choix est la voie souscutanée (s.c.). Chez les patients traités par hémodialyse, la voie i.v. est souvent préférée car elle évite les douleurs éventuelles au point d’injection. La voie s.c. est possible et permet d’obtenir une même efficacité que la voie i.v. avec des doses moindres. Les réductions de doses varient entre 10 et 50 % selon les études et il existe une variabilité interindividuelle. L’administration d’EPO par voie s.c. a été associée à une fréquence plus élevée d’apparition d’anticorps anti-EPO chez les patients avec IRC traités par Eprex®. Enfin, chez les patients en dialyse péritonéale, l’administration par voie intrapéritonéale est à éviter en raison d’une biodisponibilité insuffisante (3 à 8 %).
Posologie :
À titre indicatif, les posologies d’EPO recommandées par les fabricants varient entre 60 et 150 unités internationales (UI) kg–1 semaine–1. L’objectif est d’augmenter très progressivement le taux d’Hb, de 1 à 2 g/dl au maximum en 1 mois, jusqu’au taux de 11 à 12 g/dl. Une augmentation plus rapide entraîne un risque accru d’hypertension artérielle et de convulsions.
L’adaptation des posologies se fait tous les 15 jours en période d’attaque et tous les mois en période d’entretien. Des protocoles d’adaptation des posologies ont été proposés pour maintenir l’Hb entre 11 et 12 g/dl. Pour l’Aranesp®, la posologie d’attaque est de 0,45 μg/kg/semaine en une seule injection hebdomadaire. La posologie ne doit pas être augmentée plus d’une fois toutes les 4 semaines. L’adaptation des posologies se fait de la même façon que pour l’EPO.
Effets secondaires :
Ils sont en grande partie évités par une surveillance attentive de l’Hb. L’hypertension artérielle est l’effet secondaire le plus fréquent. Sur le plan neurologique, des convulsions sont possibles, favorisées par une correction trop rapide de l’anémie, par une hypertension ou par des antécédents de comitialité. Des thromboses de l’accès vasculaire peuvent être observées. Elles pourraient être favorisées par une correction excessive de l’anémie. Ainsi, dans l’étude de Besarab, l’incidence des thromboses d’accès vasculaire a été de 39 % dans le groupe ayant pour objectif un hématocrite à 42 % contre 29 % dans le groupe ayant pour objectif un hématocrite à 30 %. Ces thromboses peuvent s’expliquer par l’augmentation de la viscosité sanguine et l’amélioration de l’hémostase primaire sous EPO. Très rarement ont été rapportés des épisodes de syndrome pseudogrippal et des réactions de type allergique. Des douleurs au point d’injection peuvent survenir en cas d’administration s.c..
Dans de très rares cas, des anticorps anti-EPO peuvent apparaître au cours du traitement par EPO.
Résistance au traitement par érythropoïétine :
La résistance à l’EPO est définie par l’impossibilité d’atteindre les concentrations cibles d’Hb avec une posologie d’EPO supérieure à 300 UI/kg/semaine (voie s.c.) ou 450 UI/kg/ semaine (voie i.v.) après 4 à 6 mois de traitement. La résistance à l’EPO peut être liée à de nombreuses causes (Encadré).
L’effet des inhibiteurs de l’enzyme de conversion (IEC) ou des antagonistes des récepteurs de l’angiotensine II sur l’anémie reste controversé. Le mécanisme par lequel ces médicaments induiraient l’anémie n’est pas connu. Il pourrait s’agir de l’inhibition de l’angiotensine II qui est une substance capable de stimuler l’érythropoïèse et la production d’EPO. Il pourrait s’agir également d’une augmentation des taux plasmatiques de Ac-SDKP (acétyl-N-seryl-aspartyl-lysyl-proline) qui est un peptide qui bloque le cycle des cellules souches hématopoïétiques. Ce peptide est habituellement dégradé par l’enzyme de conversion.
Sur le plan clinique, plusieurs études n’ont absolument pas confirmé l’influence des IEC sur l’anémie.
L’érythroblastopénie doit être suspectée lorsque aucune autre cause de résistance à l’EPO n’est présente. Elle se traduit par un échappement thérapeutique survenant après plusieurs mois de traitement, avec une chute rapide de l’Hb, la nécessité de transfusions hebdomadaires et un caractère arégénératif confirmé par un taux de réticulocytes inférieur à 20 Å~ 109/l. Un myélogramme doit être réalisé. Il montre un taux d’érythroblastes inférieur à 5 %. L’érythroblastopénie est le plus souvent due à l’apparition d’anticorps anti-EPO. Cette hypothèse est confirmée par un taux sérique effondré d’EPO et par la détection des anticorps. Ces anticorps présentent des réactions croisées avec toutes les érythropoïétines, rendant ainsi le traitement par EPO impossible. Les patients redeviennent dépendants des transfusions.
Alors que l’EPO recombinante est commercialisée depuis 1988, les érythroblastopénies ne sont apparues qu’après 1998.
La majorité des cas sont apparus chez des patients traités par l’EPO a (Eprex®). De plus la quasi-totalité des cas sont survenus chez des patients recevant l’Eprex® s.c. Ces éléments ont incité les agences des médicaments à contre-indiquer en 2002 l’utilisation de l’Eprex® s.c. Cette mesure a permis de réduire l’incidence des érythroblastopénies de plus de 80 %. Parallèlement, différentes enquêtes ont suggéré que des modifications de la formule d’Eprex®, survenues en 1998, avaient contribué à réduire sa stabilité et à augmenter son immunogénicité. Ainsi, l’albumine humaine qui entrait dans la formulation de l’Eprex® a été remplacée par un autre stabilisant, le polysorbate 80, probablement moins efficace et capable de réagir avec le caoutchouc des pistons des seringues. Sur le plan thérapeutique, en cas d’érythroblastopénie par anticorps anti-EPO, le traitement par EPO doit être interrompu. Un traitement immunosuppresseur (corticoïdes, cyclophosphamide, ciclosporine) a permis la reprise de l’érythropoïèse dans plus de deux tiers des cas où il a été essayé. Enfin, la transplantation, en permettant à nouveau la synthèse adéquate d’EPO endogène, est efficace pour le traitement des érythroblastopénies.
Autres traitements de l’anémie de l’insuffisance rénale chronique :
Optimisation de la dialyse :
Il est bien démontré que la dose de dialyse a une influence sur la correction de l’anémie. Cela est probablement lié à une meilleure élimination de toxines inhibitrices de l’érythropoïèse.
Les critères habituels de dialyse adéquate basés sur le Kt/V urée sont requis pour assurer une réponse correcte à l’EPO (Kt/V équilibré supérieur à 1,2 pour un programme d’hémodialyse de trois séances par semaine et supérieur à 1,8 pour un programme de dialyse péritonéale hebdomadaire). L’hémodialyse conventionnelle permet d’assurer une excellente correction de l’anémie. L’intérêt des techniques non conventionnelles telles que l’hémofiltration, la biofiltration ou l’hémodiafiltration est discuté, de même que celui de l’hémodialyse quotidienne. En pratique, les recommandations européennes insistent avant tout sur l’intérêt d’optimiser le traitement par dialyse conventionnelle avant d’envisager d’autres formes de traitement.
Qualité bactériologique du dialysat :
L’intérêt d’un dialysat ultrapur est à souligner. Dans une étude randomisée et contrôlée, l’utilisation d’un dialysat ultrapur a permis de réduire les doses d’EPO.
Vitamine E :
Le traitement par vitamine E pourrait diminuer le stress oxydatif, qui est associé à la résistance au traitement par EPO.
Seules deux études non contrôlées et sur de petits effectifs suggèrent un bénéfice de la vitamine E sur l’anémie de l’IRC. Les membranes de dialyse recouvertes de vitamine E développées récemment semblent permettre un meilleur contrôle de l’anémie. Ici encore, il s’agit de résultats sur de faibles effectifs et qui sont controversés. Le rôle bénéfique de la vitamine E sur l’anémie demande à être confirmé par des études contrôlées à grande échelle.
Vitamine C :
La vitamine C est capable de mobiliser des stocks de fer du système réticulo-endothélial ; elle potentialise aussi la réaction enzymatique d’incorporation du fer pour la synthèse de l’hème. Quelques études ont montré que la supplémentation en vitamine C améliorait la réponse à l’EPO chez les patients avec déficit fonctionnel en fer et ferritinémie élevée, ainsi que chez les patients avec statut martial normal. Il existe cependant une réticence à supplémenter les patients avec IRC car la surcharge en vitamine C pourrait entraîner une oxalose secondaire. Malheureusement, aucune étude contrôlée prospective à long terme n’a mesuré les taux d’oxalate et le risque d’apparition d’une oxalose sous vitamine C. Finalement les experts européens, considérant ce risque, ont décidé de ne pas faire de recommandation pour l’utilisation en routine de vitamine C.
Vitamines B6, B12, folates :
Les déficits en vitamines hydrosolubles dialysables telles que l’acide folique et la vitamine B12 sont des causes bien définies d’anémies associées à une macrocytose. Ces déficits peuvent survenir chez les patients avec IRC et doivent être recherchés et corrigés si la réponse au traitement par EPO diminue. Un article suggère un apport de pyridoxine (vitamine B6) de 5 mg j–1 chez les patients non traités par EPO et de 20 mg j–1 chez les patients sous EPO. Cependant, il n’y a aucune étude montrant l’intérêt de l’apport de vitamine B6 pour la correction de l’anémie. Concernant les suppléments de folates, les preuves ne sont pas concluantes chez les patients hémodialysés recevant une alimentation équilibrée adéquate. Une seule étude non contrôlée réalisée sur 13 patients suggère un bénéfice des suppléments en folates chez les patients recevant de l’EPO.
La plupart des études montrent que le taux de folate érythrocytaire est normal chez les patients avec IRC.
Carnitine :
La carnitine est un composé de petit poids moléculaire qui s’accumule au cours de l’IRC mais est éliminé par la dialyse. On peut observer un déficit chez les patients dialysés. La L-carnitine pourrait avoir un impact sur l’anémie en corrigeant des anomalies métaboliques telles que le stress oxydatif ou le turn-over des phospholipides. Une méta-analyse suggère un effet bénéfique des suppléments de L-carnitine sur le contrôle de l’anémie, en particulier chez les patients résistants à l’EPO. Cependant, la L-carnitine n’a d’intérêt que chez les patients traités par hémodialyse qui sont les seuls à pouvoir présenter un déficit.
Les études sont peu nombreuses, le nombre de sujets est faible et les effets des suppléments de carnitine sont limités et hétérogènes. Aucune des études n’a pris en compte les autres causes de résistance à l’EPO. Cette supplémentation n’est pas recommandée en routine.
Impact de l’état nutritionnel sur l’anémie :
Le syndrome malnutrition-inflammation-athérosclérose est très souvent associé à l’anémie. Il existe une association entre index de masse corporelle bas et anémie sévère.
À l’inverse, les patients avec IRC obèses ont des taux d’hémoglobine plus élevés et ont des besoins en EPO plus faibles que les patients non obèses. Une étude a montré que des apports caloriques élevés chez des patients hémodialysés étaient capables d’augmenter les taux sériques de leptine et d’améliorer la réponse à l’EPO.
Androgènes :
Ils agissent en stimulant la production rénale et hépatique d’EPO endogène. Ils peuvent potentialiser l’effet de l’EPO exogène et stimulent l’érythropoïèse en augmentant la différenciation des cellules souches. Ils augmentent l’hématocrite de 5 %. Les formes injectables, comme le decanoate de nandrolone (200 mg semaine–1 intramusculaire [i.m.]) semblent plus efficaces sur l’anémie que les formes orales. Les androgènes ne semblent pas améliorer la réponse à l’EPO chez des patients hémodialysés répondant correctement à de faibles doses d’EPO. En revanche, l’intérêt des androgènes a été montré lorsqu’ils sont utilisés seuls, et en particulier chez les patients de plus de 55 ans qui présentent une meilleure correction de l’anémie que les patients plus jeunes. Cela a été confirmé par Navarro et al. qui ont montré, chez des hommes de plus de 50 ans, une efficacité aussi bonne sur l’anémie avec le decanoate de nandrolone qu’avec l’EPO. De plus, dans cette population, les androgènes améliorent les paramètres nutritionnels. Les androgènes peuvent être une alternative efficace lorsqu’on ne dispose pas de l’EPO. Cependant, les effets secondaires sont nombreux : risque de maladie hépatique et de néoplasie, hirsutisme, virilisation, modification de la voix, priapisme, acné sévère.
Antioxydants :
Des études préliminaires et relativement anciennes ont suggéré un effet bénéfique du glutathion réduit administré par voie parentérale à la dose de 1 200 mg à la fin de chaque séance de dialyse. Cette étude a été sans suite. Plus récemment, dans une étude pilote, la pentoxyfilline s’est montrée capable d’améliorer la résistance à l’EPO en inhibant la production des cytokines pro-inflammatoires.
Transfusions :
Les transfusions érythrocytaires doivent être évitées dans la mesure du possible, chez les patients avec IRC compte tenu des risques d’infections virales, d’immunisation human leucocyte antigen (HLA) et d’hémochromatose. Les transfusions ne doivent pas être faites en dehors des cas particuliers suivants : anémie symptomatique (fatigue, angor, dyspnée) et/ou associée à des facteurs de risque (diabète, insuffisance cardiaque, coronaropathie, artériopathie, âge avancé) ; aggravation aiguë de l’anémie en raison de pertes sanguines (hémorragie ou chirurgie) ou hémolyse ; résistance sévère ou absence de réponse au traitement par EPO, en raison d’une maladie hématologique ou d’une maladie inflammatoire systémique sévère. Dans la mesure où le traitement par EPO doit être débuté de façon précoce, les transfusions sanguines ne doivent être nécessaires que chez des patients ayant des saignements aigus, une hémolyse aiguë, ou une inflammation sévère et uniquement dans le cadre de l’urgence. Lorsqu’on ne dispose pas du traitement par EPO, il est habituel d’accepter des concentrations d’Hb basses, de l’ordre de 8 g/dl.
Conclusion :
Parmi les données actuelles concernant l’anémie de l’IRC, deux points importants doivent être soulignés :
• le traitement par EPO permet théoriquement une correction totale de l’anémie. Cependant, les résultats des études d’intervention sur la survie, l’hypertrophie ventriculaire et la qualité de vie n’ont montré aucun bénéfice à avoir un taux d’Hb supérieur à 12 g/dl ;
• les mécanismes de l’anémie de l’IRC ne font pas seulement intervenir une carence en EPO mais aussi et principalement une anomalie de production de l’EPO en réponse à l’anémie et une résistance à l’EPO. Une meilleure connaissance de ces mécanismes devrait permettre dans l’avenir une meilleure prise en charge de l’anémie et une optimisation du traitement par EPO.