INTRODUCTION :
Les affections cardiovasculaires sont responsables de plus de 50 % des décès chez les patients insuffisants rénaux traités par hémodialyse chronique. À elles seules les complications cardiaques représentent 40 % de la mortalité. L’hypertrophie ventriculaire et l’insuffisance cardiaque ainsi que l’athérome artériel en sont les causes principales , alors que l’incidence de la péricardite, complication classique de l’urémie terminale, a diminué.
PÉRICARDITE URÉMIQUE :
C’est une complication classique de l’insuffisance rénale chronique (IRC), dont elle marquait le stade terminal. On en distingue deux types selon les circonstances et la chronologie d’apparition.
Forme classique « précoce » :
Cette péricardite survient à la phase terminale de l’insuffisance rénale ou au début du traitement de suppléance. Elle est actuellement retrouvée chez moins de 10 % des patients, en France. Dans son expression clinique, radiologique et échographique, elle ne diffère pas de la péricardite sérofibrineuse classique. Elle est souvent associée à une polysérite avec épanchement pleural, voire péritonéal. Son origine est attribuée à l’accumulation de « toxines urémiques » car elle est liée directement à la gravité de l’insuffisance rénale que reflète l’importance de l’urémie. L’institution d’un traitement de suppléance efficace de l’insuffisance rénale permet habituellement la guérison rapide de l’épanchement et de l’inflammation péricardique. Cette variété de péricardite est prévenue par l’institution suffisamment précoce de l’épuration extrarénale, en pratique avant que l’urée ne dépasse 40 mmol/L.
Forme tardive :
Ce sont les péricardites qui surviennent chez les patients en cours de traitement par hémodialyse et plus rarement par dialyse péritonéale. Elle diffère de la forme classique en ce qu’elle n’est pas directement liée à la gravité du syndrome urémique, du moins telle que l’on peut l’évaluer par les mesures de l’urée ou de la créatinine sanguine.
Les facteurs étiopathogéniques les plus fréquents sont : la dialyse inadéquate avec rétention de métabolites toxiques de poids moléculaire intermédiaire (« moyennes molécules »), l’hyperparathyroïdie, une surcharge hydrosodée, l’utilisation d’anticoagulants, les infections virales.
Les symptômes cliniques les plus fréquents sont un frottement péricardique (perçu chez plus de 90 % des patients), la fièvre, les douleurs thoraciques, une hépatomégalie et des troubles du rythme cardiaque. Une pression veineuse élevée et une hyperleucocytose sont retrouvées dans la majorité des cas. L’inadéquation du remplissage ventriculaire au cours de la diastole explique que ces patients manifestent très souvent une intolérance à l’ultrafiltration perdialytique et une hypotension artérielle au cours des séances d’hémodialyse. La radiographie du thorax montre un élargissement typique de la silhouette cardiaque et l’électrocardiogramme (ECG) est anormal dans plus de 90 % des cas (susdécalage de ST, bas voltage, extrasystoles, fibrillation auriculaire). Le diagnostic repose sur l’échocardiographie ultrasonique qui permet de détecter les formes asymptomatiques, de quantifier le volume de l’épanchement et d’en suivre l’évolution. Le traitement de ces formes de péricardite est basé sur l’intensification de l’épuration extrarénale avec réduction, voire suppression de l’héparinisation. L’utilisation de corticoïdes ou d’antiinflammatoires non stéroïdiens peut être envisagée en cas de fièvre et de syndrome inflammatoire prononcé.
Deux complications doivent être redoutées : la tamponnade péricardique et, à plus longue échéance, la péricardite constrictive.
La tamponnade est liée le plus souvent à une hémorragie intrapéricardique, et les signes classiques sont l’hypotension aiguë, la tachycardie, l’augmentation brutale de la pression veineuse et l’apparition d’un pouls paradoxal (diminution de la pression artérielle à l’inspiration). C’est une urgence nécessitant un drainage péricardique. L’évolution vers la constriction est rare chez l’insuffisant rénal. Elle survient en général dans les semaines ou les mois qui suivent un épisode de péricardite aiguë par organisation de l’épanchement fibrineux et hémorragique. Cliniquement elle ne diffère en rien des péricardites constrictives observées en dehors de l’insuffisance rénale.
« CARDIOMYOPATHIES URÉ MIQUES » :
L’introduction de l’échocardiographie ultrasonique et du doppler pulsé dans l’exploration cardiovasculaire a permis de mieux comprendre et analyser la physiopathologie des cardiomyopathies urémiques « primitives ». Les principales anomalies morphologiques observées chez les insuffisant rénaux sont l’hypertrophie et la dilatation du ventricule gauche (VG) . Elles peuvent s’accompagner d’altération des fonctions diastolique ou systolique, voire d’une insuffisance cardiaque. L’insuffisance ventriculaire gauche est classiquement responsable de 15 à 25 % de l’ensemble des décès des patients hémodialysés . La fréquence des « cardiopathies » s’explique par les multiples facteurs de risques cardiovasculaires observés dans cette population. Certains, non spécifiques de l’urémie, exercent un effet additif. D’autres sont propres à l’insuffisance rénale (toxines urémiques, carences diverses, anémie, hyperhydratation, hyperparathyroïdie) ou à son traitement (fistule artérioveineuse, membranes de dialyse, etc). Souvent, ils ne font que précipiter la décompensation fonctionnelle d’une affection cardiovasculaire jusqu’alors latente et cliniquement muette. Néanmoins, on connaît aussi l’existence de cardiomyopathies d’allure primitive chez l’insuffisant rénal.
Rappel physiopathologique :
L’hypertrophie ventriculaire gauche (HVG) est un mécanisme compensateur qui permet au ventricule de maintenir une tension pariétale constante face aux surcharges de pression ou de volume. Elle résulte de l’interaction entre des contraintes hémodynamique et de nombreux facteurs trophiques neurohumoraux systémiques ou d’activité autocrine ou paracrine locale . L’HVG a des effets bénéfiques mais aussi parfois délétères. Parmi les premiers, l’augmentation du nombre de sarcomères et de l’épaisseur pariétale permet non seulement de faire face à un travail accru, mais également de normaliser la tension pariétale du VG et de régulariser ses dépenses énergétiques. La loi de Laplace nous donne la relation entre la tension pariétale (T) la pression (P) et les dimensions du VG ramené à une sphère creuse de rayon R et d’épaisseur h (T = PR/2h). L’augmentation de T peut donc être due à une élévation de la pression et/ou du volume, ou à l’incapacité de la paroi myocardique à s’épaissir correctement. L’HVG se développe sur un modèle spécifique au type de surcharge. Une surcharge de pression induit une prolifération des sarcomères en parallèle aux sarcomères existants. L’augmentation de l’épaisseur du myocarde (h) qui en résulte permet de maintenir, pour un diamètre VG donné, une tension pariétale normale. Le rapport R/h (épaisseur pariétale relative) est abaissé (HVG concentrique).
Dans les surcharges de volume, l’augmentation de la pression et de la tension télédiastoliques induit une prolifération des sarcomères en série et une dilatation du VG qui limitent l’augmentation de la pression et de la tension télédiastoliques.
Simultanément, l’augmentation du volume ventriculaire accroît la tension télésystolique et induit une prolifération des sarcomères en parallèle et une hypertrophie des parois. Dans cette situation, et à condition que la pression systolique soit constante, l’augmentation du diamètre et de l’épaisseur du VG est proportionnelle et le rapport R/h demeure constant (HVG excentrique). Les différences morphologiques entre l’HVG par surcharge de pression ou de volume sont associées à un phénotype cardiocytaire distinct et à une expression différente des ARNm (acide ribonucléique messagers) des facteurs de croissance.
Les effets délétères de l’HVG sont liés à plusieurs facteurs dont : la diminution de densité des capillaires ; la diminution de la réserve coronaire et de la perfusion sous-endocardique ; le développement de la fibrose interstitielle responsable d’une diminution de compliance ventriculaire avec troubles du remplissage diastolique ; l’apparition de foyers ectopiques et de circuits de réentrée ; les troubles de la relaxation ventriculaire, etc.
Lorsque la surcharge ventriculaire devient chronique, le préjudice l’emporte et aboutit au développent d’une cardiopathie de surcharge et d’une insuffisance ventriculaire
Hypertrophie ventriculaire gauche dans l’insuffisance rénale :
L’HVG s’observe chez 40 % des insuffisants rénaux avant leur mise en dialyse et chez 60 à 80 % des patients en hémodialyse. Elle est un facteur indépendant de mortalité. Sa physiopathologie est complexe et bien que les facteurs hémodynamiques ne puissent être tenus pour seuls responsables, l’augmentation du travail cardiaque, liée aussi bien à une surcharge de volume qu’à une surcharge de pression en est la raison principale. L’HVG de l’insuffisant rénal associe les caractéristiques de l’hypertrophie excentrique à ceux d’une hypertrophie concentrique .
Surcharge volumique et hypertrophie ventriculaire chez l’insuffisant rénal :
L’augmentation du diamètre interne du VG (mais également de l’oreillette gauche) est fréquente chez l’insuffisant rénal . Elle est retrouvée chez 28 % des sujets au moment de leur mise en hémodialyse. Elle est modérée, à la limite supérieure des valeurs normales. Elle est due à une surcharge volumique et à une augmentation chronique du débit cardiaque. Trois facteurs y participent : la fistule et les court circuits artérioveineux (AV) ; la surcharge hydrosodée ; l’anémie.
Si ces facteurs ne sont pas propres à l’urémie, leur association chez un même patient peut être considérée comme spécifique.
Fistule artérioveineuse :
L’ouverture d’une fistule artérioveineuse (FAV) s’accompagne d’une augmentation immédiate du débit et du travail cardiaques liés à une diminution de la résistance au retour veineux (augmentation de la précharge) et des résistances artérielles (diminution de la postcharge). Dans un premier temps, cette augmentation du débit cardiaque ne suffit néanmoins pas à prévenir une diminution de la pression artérielle moyenne, entraînant une activation des réflexes cardiovasculaires. Il en résulte une augmentation du retour veineux par veinoconstriction et une augmentation du chronotropisme et de l’inotropisme cardiaques. La cardiomégalie avec insuffisance cardiaque, complication classique des FAV traumatiques des vaisseaux centraux, est exceptionnelle dans les FAV périphériques. Les premières études réalisées chez l’hémodialysé confirmaient cette notion et la création de FAV aux membres paraissait anodine jusqu’aux premières observations d’insuffisance cardiaque associées à des fistules à haut débit. Le rôle péjoratif de la FAV, dont témoigne la corrélation entre le débit de FAV et les dimensions du VG, a été prouvé par le retour à la normale de la fonction cardiaque après réduction chirurgicale du flux.
Rétention hydrosodée :
Plusieurs études réalisées chez les patients hémodialysés ont établi le rôle de la rétention hydrosodée dans la dilatation du VG et il existe une corrélation entre le volume sanguin et le volume du VG . Par ailleurs, le volume sanguin prédialytique est souvent élevé entraînant une augmentation du volume des cavités cardiaques, toutes choses corrigées au cours d’une séance de dialyse.
Anémie :
Quelles qu’en soient les causes, l’anémie s’accompagne d’une élévation du débit cardiaque par augmentation de la fréquence cardiaque et du volume systolique. Les résistances périphériques sont basses, tant par diminution de la viscosité sanguine que par vasodilatation anoxique. Par ailleurs, la résistance au retour veineux diminue, et du fait de l’activation du système sympathique, l’inotropisme et le chronotropisme cardiaques augmentent. Ceci réalise des conditions de surcharge volumique chronique responsable d’une dilatation du VG et d’un épaississement septal à l’échographie.
Chez l’insuffisant rénal il existe une corrélation entre le volume télédiastolique (et la masse) du VG et le degré d’anémie. Par ailleurs, chez l’insuffisant rénal, l’anémie est un facteur indépendant de développement de l’insuffisance cardiaque et de la mortalité cardiovasculaire. La correction permanente de l’anémie par l’érythropoïétine s’accompagne d’une diminution de la taille du VG et de l’oreillette gauche, ainsi que d’une diminution de la masse du VG .
Surcharge de pression et hypertrophie ventriculaire gauche chez l’insuffisant rénal :
Comme dans l’hypertension artérielle (HTA), on observe un épaississement des parois ventriculaires chez l’insuffisant rénal. Néanmoins, si le lien entre l’HTA et le degré d’hypertrophie pariétale est bien établi dans la population générale, il est loin d’être aussi évident chez l’urémique. En effet, bien que 80 à 90 % des patients en insuffisance rénale terminale soient hypertendus et le demeurent pour 10 à 25 % d’entre eux une fois traités par hémodialyse, la corrélation entre les chiffres tensionnels et la masse ventriculaire gauche est relativement faible, voire absente chez l’urémique . Ceci tient en partie au fait que la pression artérielle conventionnelle n’est qu’un reflet imparfait de la « charge de pression ». Celle-ci est déterminée par trois facteurs qui sont : la résistance vasculaire ; la compliance (distensibilité) artérielle ; l’intensité et le couplage des ondes de réflexion artérielles.
Rappel physiopatholoqique :
La résistance vasculaire représente l’opposition vasculaire à un flux sanguin continu. La résistance vasculaire est un déterminant de la pression artérielle moyenne. Considérant que les relations pression/débit sont linéaires, la résistance (R) représente la pente de cette relation. Elle est calculable à l’aide de la formule de Poiseuille : Q = r4 δP/8μL selon laquelle le débit (Q) est proportionnel à la quatrième puissance du rayon ® et au gradient longitudinal de pression (δP/L) et inversement proportionnel à la viscosité (μ). En pratique, elle est valorisée par la relation R = P/Q, P étant la pression artérielle moyenne et Q le débit cardiaque. Elle dépend du rayon ® et du nombre des artérioles et artères terminales et, dans une moindre mesure de la viscosité sanguine. La compliance artérielle et le couplage des ondes de réflexion artérielles s’opposent à la pulsatilité du flux sanguin. Alors que la compliance artérielle (δD/δP) mesure la variation diastolosystolique du diamètre artériel (δD) sous l’influence de la pression différentielle (δP), la distensibilité artérielle (δD/δP.D) se définit comme la variation relative de ce diamètre (δD/D ; D étant le diamètre diastolique de l’artère). L’inverse de la distensibilité exprime la rigidité artérielle. La diminution de compliance est responsable d’une augmentation des pressions différentielle et systolique pour deux raisons : l’éjection par le ventricule d’un volume sanguin donné dans une artère rigide induit une onde de choc (onde de pression incidente) de grande amplitude ; l’augmentation de la rigidité artérielle est responsable d’une augmentation de la vitesse à laquelle l’onde de pression (VOP : vitesse de l’onde du pouls) se propage dans le système artériel et d’un retour précoce de l’onde de réflexion au niveau de l’aorte ascendante qui, en se superposant à l’onde de pression incidente, augmente l’amplitude de la pression différentielle et systolique à ce niveau.
Contraintes de pression et HVG dans l’insuffisance rénale chronique :
Si l’on excepte les cas où coexiste une HTA systolodiastolique sévère ou maligne, les résistances artérielles sont normales dans l’IRC ou ne peuvent être considérées comme élevées qu’eu égard à une augmentation du débit cardiaque. Par ailleurs, il n’y a aucune corrélation entre l’élévation des résistances périphériques et le degré d’HVG. Les études cliniques et épidémiologiques ont montré que 32 % des patients en hémodialyse présentent une hypertension systolique isolée et/ou une élévation de la pression différentielle , dues avant tout à l’augmentation de la rigidité artérielle et au retour précoce des ondes de réflexion artérielles . Ces deux anomalies, typiquement observées chez l’insuffisant rénal chronique, sont responsables d’une augmentation de la contrainte télésystolique du VG et sont une cause majeure d’hypertrophie ventriculaire.
L’augmentation de la rigidité artérielle chez l’urémique est intimement liée au remodelage des artères sous la dépendance de contraintes hémodynamique similaires à celles affectant le VG et responsable d’une évolution parallèle des anomalies cardiaques et artérielles.
Facteurs non hémodynamiques et hypertrophie ventriculaire chez l’urémique :
Le retentissement clinique de l’HVG en réponse aux surcharges mécaniques est influencé par de nombreux facteurs incluant l’âge, le sexe, la race ainsi que l’importance de la fibrose interstitielle qui accompagne l’hypertrophie . La fibrose myocardique est plus marquée dans les surcharges de pression que dans les surcharges de volume. Ses causes sont multiples, telles la sénescence, l’ischémie, ainsi que les effets de nombreuses substances vasoactives comme l’angiotensine II, les catécholamines, l’aldostérone, etc.
Elle peut contribuer au développement d’une hypertrophie inadéquate aboutissant à une augmentation de contrainte cardiaque et à une insuffisance ventriculaire. La fibrose myocardique est caractéristique de l’insuffisance rénale. Les facteurs responsables ne sont pas connus avec certitude. On incrimine : la parathormone qui pourrait être à l’origine d’une hypertrophie inadéquate du VG et d’une cardiomyopathie dilatée ; la fibrose myocardique est plus prononcée dans les surcharges de pression accompagnées d’une activité accrue du système rénine-angiotensine-aldostérone (RAA). L’administration d’inhibiteurs de l’enzyme de conversion de l’angiotensine chez l’insuffisant rénal induit une régression de l’hypertrophie ventriculaire indépendante de l’effet antihypertenseur. Ceci suggère que l’activation du système RAA tissulaire pourrait jouer un rôle dans le développement de l’HVG et de la fibrose. Par ailleurs, les études expérimentales ont montré que l’aldostérone pouvait induire une HVG et une fibrose interstitielle. Du fait de l’acidose métabolique et de l’hyperkaliémie, l’aldostérone plasmatique est élevé dans l’insuffisance rénale et pourrait jouer un rôle dans la fibrose myocardique ; l’augmentation de l’activité sympathique et des catécholamines plasmatiques.
Retentissement fonctionnel de l’hypertrophie ventriculaire :
La fonction cardiaque est influencée par les propriétés intrinsèques du myocarde, ainsi que par les conditions de pré- et postcharge ventriculaire. Ceci est d’autant plus crucial chez l’insuffisant rénal hémodialysé soumis à d’importantes variations volémiques, tensionnelles et ioniques au cours des séances d’hémodialyse. La fonction ventriculaire devra être appréciée en fonction de ces divers facteurs, particulièrement lorsque l’évaluation est effectuée immédiatement après une séance. En effet la contraction volémique peut majorer (voire induire de novo) les troubles du remplissage ventriculaire, et au contraire majorer un trouble de la fonction systolique. De même, l’augmentation des taux plasmatiques de calcium ionisé au cours des séances d’hémodialyse peut avoir un effet inotrope positif en aigu et minorer une insuffisance ventriculaire . Pour toutes ces raisons, il est préférable d’évaluer la morphologie et la fonction ventriculaire à distance d’une séance d’hémodialyse, de préférence 24 heures après la séance. En effet, c’est à ce moment que la volémie est la plus proche de celle d’une population témoin et que le bilan dialysé. Cette méthode est peu reproductible et ne peut servir que d’appoint aux autres paramètres cliniques permettant d’évaluer le degré d’hydratation des patients.
Fonction systolique :
Selon les données de la littérature, 30 à 60 % des patients hémodialysés présentent un abaissement de la fraction d’éjection VG . Cet abaissement des indices fonctionnels s’observe surtout chez des sujets atteints d’affections cardiaques préexistant à l’insuffisance rénale (ou lorsque apparaît une dilatation ventriculaire gauche et une cardiopathie dilatée). Les insuffisants rénaux indemnes de tels antécédents et présentant une HVG simple, ont des indices de contraction systolique en général égaux à ceux de sujets témoins, voire parfois supérieurs (cardiopathie hypertrophique hyperkinétique) . Du fait de la contrainte volumique chronique, le débit cardiaque et la pression de remplissage du VG sont élevés, sans anomalie pour autant dans la relation pression-débit (courbes de fonction ventriculaire de Frank-Starling). Bien plus, du fait de la diminution des résistances vasculaires (due à l’anémie, et à la fistule) et de l’augmentation de la fréquence cardiaque, les courbes de fonction ventriculaires sont souvent décalées de sorte que, pour une pression de remplissage donnée, le débit cardiaque est plus élevé chez l’urémique. La principale conséquence de ces anomalies est l’augmentation chronique de la consommation d’oxygène du myocarde dont certains déterminants (la contrainte télésystolique, la fréquence cardiaque, voire l’inotropie cardiaque) sont ou peuvent être élevés chez l’hémodialysé. Cette consommation accrue d’oxygène est d’autant plus préjudiciable qu’elle se surajoute à une cardiopathie préexistante, souvent à une insuffisance coronaire.
La fonction systolique basale est normale ou élevée, mais aux dépens de la « réserve fonctionnelle » qui, elle, est entamée. Ceci explique en partie la mauvaise adaptation aux besoins métaboliques aigus, tels ceux déclenchés par l’effort physique .
Fonction diastolique :
Les études invasives de la relation pression-volume du VG et les études échographiques ont montré chez l’hémodialysé un abaissement significatif du rapport E/A des vitesses transmitrales , témoin des anomalies de remplissage du VG. Elles peuvent être dues à l’HVG elle-même et aux altérations de la géométrie qu’elle induit (diminution de la compliance de chambre). D’autre part, comme l’ont démontré certains travaux expérimentaux, la fonction du myocarde peut être également altérée (diminution de la compliance de paroi) en raison de l’intense prolifération des fibroblastes et du développement du tissu fibreux qui caractérisent l’HVG . La diminution de compliance du VG se caractérise par une influence très marquée du volume sur la pression . Ainsi, une faible augmentation de volume VG peut induire une congestion pulmonaire et un oedème aigu du poumon même si la fonction systolique ventriculaire est normale ou accrue.
Inversement, l’ultrafiltration perdialytique et la déplétion hydrosodée peuvent s’accompagner d’une chute brutale de la pression de remplissage, d’autant plus que l’hypovolémie s’accompagne d’une diminution du remplissage passif du VG (diminution du pic E de la vitesse transmitrale), qui n’est plus assuré que par la contraction auriculaire gauche. Cette sollicitation chronique de l’oreillette gauche est responsable de son hypertrophie et de sa dilatation typiquement observées chez l’insuffisant rénal.
L’hypertrophie et la diminution de compliance du VG peuvent avoir deux autres conséquences potentielles : une diminution de la réserve coronaire et une incidence accrue des arythmies et de mort subite . Ceci semble particulièrement vrai chez l’hémodialysé.
Rappelons que l’arrêt cardiaque inexpliqué représente 12 % des causes de décès chez ces patients.
Considérations thérapeutiques :
L’augmentation du diamètre ventriculaire associée à l’hyperpulsatilité et à l’augmentation de pression systolique artérielle induit chez l’hémodialysé une élévation chronique de la contrainte de paroi du VG et une consommation accrue d’oxygène. Cet état n’entraînant pas de troubles de la contraction peut être parfaitement toléré pendant des années en l’absence de pathologie cardiaque primitive. Il n’en va pas de même des patients atteints d’une cardiopathie préexistante chez lesquels des mesures thérapeutiques régresser l’HVG. Ainsi, la correction de ‘anémie par l’érythropoïétine permet d’obtenir une régression partielle de l’HVG , de même, la correction des hyperdébits de fistule et l’observance des règles limitant les apports hydrosodés. Le traitement de l’HTA est primordial. Les études les plus récentes ont montré que les inhibiteurs de l’enzyme de conversion étaient capables de réduire efficacement l’HVG en dehors même de leurs effets antihypertenseurs. On a dit l’incidence hémodynamique parfois dramatique des anomalies de la fonction diastolique. Elles nécessitent une surveillance étroite du bilan hydrosodé, une prudence dans l’ultrafiltration des patients et par là dans le raccourcissement des temps de dialyse. Les drogues inotropes positives sont inopérantes chez les sujets ayant une fonction systolique normale ou augmentée. Il en est de même des vasodilatateurs.
ATTEINTE ARTÉRIELLE CHEZ L’INSUFFISANT RÉNAL CHRONIQUE :
Rappel physiopathologique :
Le système artériel a deux fonctions distinctes : minimiser les fluctuations tensionnelles qui résultent de l’intermittence des contractions cardiaques – la fonction d’amortissement ; délivrer une quantité de sang adéquate aux organes et tissus – la fonction de conduit.
L’efficacité de la fonction d’amortissement est liée avant tout aux propriétés viscoélastiques et géométriques des artères, c’est-à-dire à leur compliance ou distensibilité. Elle est la principale cause d’altération de la fonction d’amortissement.
L’artériosclérose est avant tout une atteinte dégénérative et généralisée de la média de l’ensemble de l’arbre artériel. Elle s’accompagne d’une dilatation diffuse du système artériel, d’une hypertrophie intimomédiale des artères et d’une rigidité accrue. Ces changements sont plus prononcés au niveau de l’aorte et des artères centrales qu’au niveau des membres. L’artériosclérose est souvent considérée comme un phénomène « physiologique » lié au vieillissement, et souvent accéléré par l’HTA .
L’efficacité de la fonction de conduit des artères est avant tout liée à l’importance du diamètre des artères et leur faible résistance au flux, permettant de maintenir une pression artérielle moyenne pratiquement constante entre l’aorte et les artères terminales. Les anomalies de la fonction de conduit sont dues à l’existence de lésions occlusives, entraînant la diminution du diamètre artériel et l’ischémie en aval de ces lésions.
L’athérosclérose en est la cause la plus fréquente . C’est une maladie de l’intima, caractérisée par la présence de plaques ayant une prédilection pour certains territoires tels les coronaires, l’aorte abdominale, la carotide interne ou les artères fémorales. Les mécanismes de l’athérogenèse sont complexes et incluent les troubles lipidiques, le tabagisme, l’activation des facteurs de la coagulation, l’activation du système immunitaire et des médiateurs de l’inflammation, et l’effet des contraintes mécaniques, qu’il s’agisse de contraintes de tension ou de contraintes de cisaillement.
Artériosclérose dans l’insuffisance rénale :
Celle-ci se caractérise par une dilatation diffuse du système artériel et une hypertrophie des parois des vaisseaux . Cette hypertrophie intimomédiale des parois artérielles peut se voir en dehors de toute présence de plaques athéromateuses et se rapproche des changements observés au cours du vieillissement. Les principales modifications étroitement associé aux anomalies hémodynamiques observées chez l’insuffisant rénal, en particulier à la surcharge volémique et à l’augmentation chronique du flux sanguin systémique. Lorsqu’il ne s’y ajoute pas de lésions athéromateuses sténosantes, ces anomalies artérielles ne s’accompagnent pas de troubles de perfusion dans des conditions basales. En revanche, on observe une diminution de réponse vasodilatatrice, qu’il s’agisse d’une réponse à l’ischémie provoquée ou d’une réponse aux vasodilatateurs nitrés. Au plan fonctionnel, l’artériosclérose s’accompagne d’une perte de distensibilité responsable d’une augmentation de pression différentielle et de pression systolique, et de la postcharge ventriculaire .
Athérosclérose dans l’insuffisance rénale :
C’est une complication préoccupante chez les urémiques. Elle se traduit en particulier par une fréquence accrue des accidents ischémiques coronariens, responsables de 8 à 15 % des décès à l’origine de la théorie de l’athérogenèse accélérée chez ces patients.
Si cette théorie semble vérifiée chez la femme urémique en particulier du fait d’une ménopause précoce, elle reste controversée chez l’homme . En effet, lorsque l’on compare une population urémique à une population témoin à facteurs de risques identiques, ni les données épidémiologiques, ni les observations cliniques n’ont permis de mettre en évidence de différences dans la fréquence des maladies coronaires. Celle-ci varie en fonction des caractéristiques démographiques et géographiques. Tout comme dans la population générale, l’incidence de l’insuffisance coronaire est plus grande chez les Anglo-Saxons et les populations nordiques que chez les peuples méditerranéens, et sa fréquence augmente avec l’âge, le tabagisme et le diabète.
Le diagnostic d’ischémie coronarienne est souvent malaisé. L’ECG d’effort est souvent peu contributif en raison de la faible tolérance de beaucoup de patients urémiques à l’exercice physique du fait de complications telles l’anémie, l’amyotrophie, la polynévrite, etc. La scintigraphie myocardique au thallium, peu fiable lorsqu’elle est effectuée au repos, donne de meilleurs résultats si on la sensibilise par une perfusion de dipyridamole qui permet d’obtenir une tachycardie comparable à celle d’un test d’effort ainsi qu’une vasodilatation coronaire. Cet examen est utilement complété par la recherche d’une dyskinésie segmentaire en échocardiographie bidimensionnelle et/ou échocardiographie de contrainte à la dobutamine. L’angiographie reste le meilleur moyen diagnostique permettant d’évaluer la sévérité, la topographie et l’extension des lésions coronariennes. Cet examen n’est pas sans danger chez le patient dialysé car le pouvoir osmotique des produits de contraste utilisés (1 500 à 2 000 mOsm/L) entraîne une expansion volémique parfois responsable d’une surcharge circulatoire. C’est dire l’intérêt d’utiliser des produits osmotiquement moins actifs et de pratiquer une hémodialyse le plus tôt possible après l’examen. La coronarographie doit être réservée aux patients symptomatiques, résistant au traitement médical et présentant un risque important d’accidents aigus, enfin chez qui un acte thérapeutique peut être envisagé.
Le traitement de l’insuffisance coronaire n’a aucun caractère spécifique chez l’insuffisant rénal ; tout au plus faut-il limiter l’importance des facteurs de risques associés à l’urémie et à l’hémodialyse. Il importe de corriger l’anémie et l’HTA, d’éviter l’instabilité tensionnelle en hémodialyse (ajustement du sodium du dialysat, contrôle de l’ultrafiltration, dialysat au bicarbonate, utilisation de membranes biocompatibles, etc). Dans le cas d’angor réfractaire, le pontage coronarien peut être envisagé. Néanmoins, il faut être prudent dans ces indications car la mortalité périopératoire varie largement de 3 à 20 % selon les équipes, et la mortalité postopératoire de 24 %, quatre à cinq fois supérieure à celle observée dans une population à fonction rénale normale. La principale indication est la sténose serrée et isolée de l’artère coronaire gauche. La chirurgie n’est pas indiquée dans l’angor chronique avec atteinte pluritronculaire si la fraction d’éjection ventriculaire est supérieure à 50 %. L’angioplastie donne des résultats relativement satisfaisants à court terme mais avec une incidence de resténoses (60 à 80 %) à 4 mois, nettement plus importante que dans une population témoin.
En dehors de toute affection cardiovasculaire préexistante ou de la présence de facteurs de risque classiques, 25 à 30 % des patients hémodialysés présentant une symptomatologie clinique d’insuffisance coronaire sont indemnes de lésions hémodynamiquement significatives des troncs coronaires. Dans ces circonstances, l’ischémie peut être liée à une microangiopathie ou à une diminution de la réserve coronaire liée à l’hypertrophie et la diminution de compliance ventriculaire gauche, à la diminution de la distensibilité artérielle, et comme cela a déjà été mentionné, à l’anémie et à l’augmentation du travail cardiaque.
L’hypertrophie ventriculaire s’accompagne d’une diminution de densité des capillaires myocardiques et d’une augmentation de la distance de diffusion entre le capillaire et le myocyte. Par ailleurs il existe chez l’urémique un épaississement des parois des artérioles myocardiaques. La diminution de compliance artérielle s’accompagne d’un retour précoce des ondes de réflexion entraînant une augmentation de la pression systolique et un abaissement de la pression diastolique. L’augmentation de la pression systolique majore la consommation d’oxygène, alors que la diminution de la diastolique est responsable d’une chute du gradient de pression de perfusion des coronaires, d’autant que la pression diastolique du VG tend à s’élever du fait des anomalies de la fonction de remplissage du VG. Enfin, l’ischémie myocardique peut être majorée par l’existence de troubles du métabolisme oxydatif, la diminution de production d’ATP et du rapport phosphocréatine/ATP, les carences en L-carnitine, et autres.
VALVULOPATHIES CALCIFIANTES DANS L’INSUFFISANCE RÉNALE :
Les études échocardiographiques ont montré que 30 à 50 % des patients en hémodialyse chronique présentaient des calcifications valvulaires intracardiaques. Ces calcifications s’observent plus volontiers chez les sujets âgés, mais l’âge d’apparition, qui est habituellement supérieur à 70 ans dans la population générale, est bien plus précoce chez l’insuffisant rénal et on peut voir des calcifications valvulaires symptomatiques chez des sujets de moins de 40 ans. Parmi celles-ci, les calcifications aortiques sont particulièrement préoccupantes, car elles s’accompagnent dans 3 à 20 % des cas d’un rétrécissement aortique hémodynamiquement significatif . Elles ont comme caractère particulier d’évoluer très rapidement et il n’est pas rare de voir se constituer un rétrécissement aortique serré en l’espace de 15 à 18 mois. Les facteurs de risque invoqués sont l’âge, la durée du traitement, l’athérosclérose, et les troubles phosphocalciques, particulièrement l’hyperparathyroïdie secondaire. Hormis l’âge et la durée du traitement par hémodialyse, aucun de ces facteurs ne peut être incriminé de façon probante. Le pronostic est mauvais, la moitié des patients décédant dans les 2 ou 3 ans si aucune intervention n’est tentée ; d’où l’intérêt d’une surveillance régulière et d’une indication précoce à l’intervention.