Généralités :
DÉFINITION :
Décrites par Wintrobe et al en 1933, les cryoglobulinémies sont des protéines plasmatiques anormales qui précipitent ou forment un gel au froid.
Lerner et Watson ont montré, en 1947, que des immunoglobulines (Ig) entrent dans leur composition et Lospalluto et al, en 1962, que celles-ci peuvent appartenir à une ou plusieurs classes et avoir une activité de facteur rhumatoïde. En 1974, Brouet et al ont établi la classification des cryoglobulines.
Les cryoglobulines de type I sont composées d’une Ig monoclonale isolée de classe IgM plus souvent que IgG ou IgA, ou exceptionnellement d’une chaîne légère monoclonale. Une cryoglobuline IgG de type I peut avoir une activité anticorps dirigée contre une IgG polyclonale. Les cryoglobulines de type II sont composées d’une Ig monoclonale et d’IgG polyclonales. Cette Ig monoclonale a une activité anticorps dirigée contre les IgG polyclonales. Le composant monoclonal est une IgM kappa, ou rarement une IgG ou une IgA. Les cryoglobulines de type III sont composées d’une ou plusieurs classes d’Ig polyclonales. Les cryoglobulines de types II et III sont dites mixtes. Elles ont une activité facteur rhumatoïde et sont des complexes immuns.
Récemment, l’analyse par immunoblotting ou par électrophorèse bidimensionnelle a fait décrire des cryoglobulines de type II/III, dans lesquelles des IgG polyclonales sont associées à des IgM oligoclonales. L’apparition d’une cryoglobuline de type II/III pourrait marquer une étape entre les types III et les types II : l’ancienneté de l’hépatite est supérieure et le taux de la cryoglobuline plus élevé chez les patients porteurs de cryoglobuline de type II.
Des éléments non immunoglobuliniques, tels que la bêta-1C, des lipoprotéines, de l’acide ribonucléique (ARN) du virus de l’hépatite C (VHC) peuvent participer à la composition des cryoglobulines mixtes.
ÉTIOLOGIE :
Des cryoglobulines sont mises en évidence dans des circonstances variées.
Les cryoglobulines de type I s’observent au cours des syndromes lymphoprolifératifs habituellement malins, tout particulièrement la macroglobulinémie de Waldenström, le myélome multiple, mais aussi dans les gammapathies monoclonales bénignes.
Les cryoglobulines de type II s’observent principalement au cours des infections par le VHC, mais aussi au cours du myélome, de la macroglobulinémie de Waldenström, d’autres lymphomes non hodgkiniens, dont certains paraissent induits par le VHC, et de diverses maladies auto-immunes, dont le lupus érythémateux aigu disséminé, la polyarthrite rhumatoïde et le syndrome de Sjögren.
Les cryoglobulinémies de type III s’observent dans de très nombreuses circonstances : infections virales aiguës ou chroniques (mononucléose infectieuse, hépatite C), infections bactériennes et parasitaires (glomérulonéphrite aiguë poststreptococcique, endocardites subaiguës, syphilis, lèpre, maladies auto-immunes déjà citées à propos des cryoglobulinémies de type II) et cancers.
Les cryoglobulinémies de type III, et plus rarement les cryoglobulinémies de type II, peuvent survenir en l’absence de cause décelable. Elles sont alors dites essentielles. Une cryoglobuline de type III est mise en évidence chez plus de 4 % des sujets de plus de 60 ans apparemment en bonne santé. Mais l’apparition d’un lymphome ou d’une autre affection maligne dans les années suivant la découverte d’une cryoglobulinémie mixte n’est pas exceptionnelle.
FRÉQUENCE :
La fréquence respective de chaque type de cryoglobulinémie est difficile à préciser. Elle est évaluée différemment, dans les séries rapportées dans la littérature, selon la spécialité et le recrutement des différentes équipes. Les cryoglobulines de type III sont certainement les plus fréquentes, les cryoglobulines de type I et II beaucoup plus rares. Dans la série de Brouet et al par exemple, 25 % des patients sont porteurs d’une cryoglobuline de type I, 25 % d’une cryoglobuline de type II, et 50 % d’une cryoglobuline de type III.
MANIFESTATIONS CLINIQUES :
Les signes cliniques des cryoglobulinémies doivent être distingués de ceux induits par l’affection causale. Certains sont rapportés à une hyperviscosité plasmatique, d’autres à la déposition de la cryoglobuline dans les parois vasculaires. Le syndrome d’hyperviscosité est d’observation rare. Il survient au cours des cryoglobulinémies de type I et exceptionnellement des cryoglobulinémies de type II. La déposition de complexes immuns explique la plupart des manifestations des cryoglobulinémies de type II et III.
Les manifestations cliniques des cryoglobulinémies sont variées. Les cryoglobulinémies peuvent rester totalement asymptomatiques, ce qui est fréquent dans les types III. À l’opposé, les cryoglobulinémies de types I et II sont parfois responsables d’une grande maladie multiviscérale rapidement mortelle, mais cette éventualité est rare. Elles surviennent à tout âge chez l’adulte, mais préférentiellement entre 40 et 65 ans ; elles sont deux fois plus fréquentes chez les femmes que chez les hommes. Tous les organes peuvent être atteints au cours d’une cryoglobulinémie, mais la fréquence des différents symptômes (dépendant du mode de recrutement des malades) est difficile à évaluer, les grandes séries de la littérature associant diversement les différents types de cryoglobulines : triade de Meltzer 14-30 % (cf infra), purpura 60-80 %, neuropathie 8-27 %, atteinte articulaire 5-22 %, phénomène de Raynaud 4,5-37 %, néphropathie 4,5-37 % des cas. Ces chiffres surestiment vraisemblablement la réalité, les formes asymptomatiques pouvant passer inaperçues ou ne pas être incluses dans certaines études.
Au cours des seules cryoglobulinémies mixtes, la prévalence de l’atteinte rénale est également difficile à évaluer pour les raisons exposées ci-dessus. Plusieurs séries de la littérature mêlent les cryoglobulinémies de type II avec les cryoglobulinémies de type III.
D’autres sont purement néphrologiques, ou à large prédominance néphrologique. Les critères d’atteinte rénale varient d’une série à l’autre. Le dépistage systématique des anomalies urinaires n’est sans doute pas toujours effectué. Toutefois, dans une étude multicentrique et multidisciplinaire italienne regroupant 913 malades, la prévalence des signes rénaux est de 35 % dans les cryoglobulinémies de type II et de 15 % dans les cryoglobulinémies de type III, chiffres proches de ceux observés dans la série de Brouet et al.
À notre connaissance, aucun travail n’a été consacré spécifiquement aux éventuelles lésions rénales des cryoglobulinémies de type III. pratique, l’observation chez un même malade d’une cryoglobulinémie de type III et d’une glomérulonéphrite est banale mais l’affection responsable de la cryoglobulinémie peut expliquer à elle seule, dans la majorité des cas si ce n’est toujours, les lésions rénales. En tout état de cause, si tant est qu’elles existent, les lésions rénales dues à la seule présence dans le sérum d’une cryoglobuline de type III sont exceptionnelles. Elles ne seront pas abordées par la suite.
En définitive, seules les manifestations rénales des cryoglobulinémies de type II ont fait l’objet de nombreuses publications. Étant les plus fréquentes, elles seront décrites en premier. Un court chapitre à part est consacré aux manifestations rénales des cryoglobulinémies de type I.
Cryoglobulinémies de type II et néphropathies :
MANIFESTATIONS CLINIQUES :
Les premières manifestations des cryoglobulinémies de type II surviennent en général entre 50 et 60 ans, avec des extrêmes de 14 à 85 ans. Les femmes sont deux à trois fois plus souvent atteintes que les hommes, mais la différence est moins marquée si on ne prend en compte que les atteintes rénales. Les plus grandes séries ont été rapportées en Italie, en France, en Espagne, en Israël et à New York.
Symptomatologie rénale, anomalies hémodynamiques et volémiques :
Symptomatologie rénale :
Dans plus de la moitié des cas, l’atteinte rénale est révélée par une hypertension artérielle, une hématurie microscopique et une protéinurie sans syndrome néphrotique. En l’absence d’examen biologique des urines, l’hypertension artérielle passe longtemps pour essentielle, et les anomalies urinaires sont méconnues. Dans 20 % des cas, l’atteinte rénale se manifeste par un syndrome néphrotique impur, et dans les autres cas par un syndrome néphritique plus souvent subaigu qu’aigu avec protéinurie, hypoalbuminémie, hématurie microscopique abondante ou macroscopique (urines « bouillon sale » ou rouges), hypertension artérielle souvent mal tolérée avec oedème pulmonaire et insuffisance rénale. L’insuffisance rénale peut être grave. Une anurie est possible. Dans ces cas, le tableau clinique associe syndrome néphritique et syndrome de glomérulonéphrite rapidement progressive.
Quel que soit le mode de présentation, l’hypertension artérielle touche plus de 80 % des malades.
Les signes rénaux sont présents, lors de l’évaluation initiale des cryoglobulinémies, dans la moitié des cas. Dans les autres cas, un délai de quelques mois à plus de 10 ans les sépare des manifestations extrarénales. Enfin, il n’est pas exceptionnel qu’une cryoglobulinémie de type II soit révélée par une néphropathie isolée et que le diagnostic ne puisse être évoqué qu’après l’examen immunomorphologique de la biopsie rénale.
L’évolution de la néphropathie est imprévisible.
Dans environ un quart des cas, elle est émaillée par la survenue d’une ou plusieurs poussées s’échelonnant sur plus de 15 ans et se manifestant par un syndrome néphritique. Elles sont habituellement contemporaines d’une accentuation des symptômes extrarénaux.
La mort peut survenir au cours d’une de ces poussées dans un tableau de défaillance multiviscérale résistant à tous les traitements.
Cette évolution défavorable concerne environ 5 % des cas.
Dans un tiers des cas, une rémission partielle ou complète survient spontanément ou après traitement. Celle-ci est possible même après une poussée rénale grave. Elle est cependant plus fréquente (50 % des cas) lorsque la symptomatologie se limite à une protéinurie et/ou une hématurie.
Dans les autres cas, l’atteinte rénale n’évolue pas ou peu pendant de nombreuses années. L’hypertension artérielle en est la manifestation la plus préoccupante.
La néphropathie conduit 10 à 15 % des malades qui en sont atteints à l’insuffisance rénale chronique, puis à l’hémodialyse après plusieurs années d’évolution. Dans la série de 116 malades du groupe de Milan publiée en 1985, la survie actuarielle est de 70 % à 10 ans après le début de la maladie, et de 64 % après le diagnostic de cryoglobulinémie, la survie rénale de 68 et 48 % respectivement, alors que tous les malades étaient porteurs de lésions glomérulaires graves prouvées par l’examen anatomopathologique rénal. Le décès est survenu 170 ± 120 mois après les premiers signes de la maladie, et 29 ± 34 mois après le diagnostic. L’insuffisance rénale avait une ignification pronostique péjorative. Le pronostic est moins bon dans une série de 105 patients publiée 10 ans plus tard par le même groupe. La survie globale est de 49 % 10 ans après la biopsie rénale.
Au terme d’un suivi de 131 mois après les premiers signes de cryoglobulinémie et de 72 mois après la biopsie rénale, 42 des malades sont décédés d’une affection cardiovasculaire, hépatique ou infectieuse, 15 dépendent d’une forme d’épuration extrarénale, deux sont en rémission complète et 15 en rémission seulement rénale. Les facteurs de risque de décès ou de dialyse sont l’âge supérieur à 50 ans, un purpura, une splénomégalie, un cryocrite supérieur à 10 %, un taux de C3 inférieur à 54 mg/dL et une créatinine sérique supérieure à 136 ímol/L. L’insuffisance rénale ne doit plus influencer en tant que telle le pronostic vital dans les pays nantis, en raison des possibilités d’épuration extrarénale. De fait, l’insuffisance rénale est rarement la cause principale du décès. Celui-ci est principalement dû aux troubles hémodynamiques, à une vascularite multiviscérale, à une affection maligne, à une hépatopathie et aux infections. Le pronostic vital et rénal est beaucoup plus grave chez les malades co-infectés par le virus de l’immunodéficience humaine (VIH), avec une survie médiocre de 6,1 mois.
Anomalies hémodynamiques et volémiques :
Les troubles hémodynamiques répondent à divers mécanismes souvent intriqués sans qu’il soit possible de préciser la responsabilité précise de chacun d’entre eux.
La pression artérielle est souvent très élevée et difficile à maîtriser. Évoluant sur des années, elle favorise la survenue d’une cardiomyopathie hypertrophique ou dilatée comportant des troubles importants de la compliance ventriculaire gauche et d’une athérosclérose pouvant toucher tous les territoires, en particulier les artères coronaires. L’hypertension artérielle est due en partie à une inflation hydrosodée liée aux lésions glomérulaires. Cette explication est insuffisante car les seuls diurétiques ne permettent pas habituellement de la maîtriser.
L’inflation hydrosodée peut être majeure lorsque survient un syndrome néphritique, un syndrome néphrotique, ou l’association des deux. La prise de poids peut alors dépasser 10 kg. L’inflation hydrosodée est parfois sous-estimée lorsque les signes généraux de vascularite ont entraîné un amaigrissement. Elle se manifeste par des oedèmes généralisés touchant volontiers les quatre membres et le visage, comme au cours d’une glomérulonéphrite aiguë postinfectieuse, des épanchements dans les séreuses, principalement pleurales, et une majoration de l’hypertension artérielle habituellement mal tolérée, avec oedème aigu ou subaigu du poumon. Une hépatopathie chronique favorise la constitution d’une ascite. Ici encore, l’hypervolémie n’est pas la seule explication des oedèmes et des épanchements. Ils peuvent résister à une déplétion hydrosodée poussée jusqu’à la survenue de signes d’hypovolémie (hypotension artérielle orthostatique, majoration fonctionnelle de l’insuffisance rénale). Ils ne sont pas non plus expliqués par l’hypoalbuminémie. L’effet habituellement spectaculaire sur les oedèmes et les épanchements résistant à la déplétion hydrosodée des corticoïdes, en bolus intraveineux ou per os, suggère l’existence d’un trouble important de la perméabilité capillaire, lié à l’activation des cellules endothéliales et des macrophages par la cryoglobuline et à une production augmentée de cytokines.
Les signes rénaux et les troubles hémodynamiques peuvent être les seules manifestations d’une cryoglobulinémie de type II mais, dans la majorité des cas, ceux-ci surviennent au même moment que des manifestations extrarénales ou après celles-ci.
Symptomatologie extrarénale :
Les manifestations extrarénales les plus fréquentes constituent la triade décrite en 1966 par Meltzer et Franklin : purpura, arthralgies et asthénie.
Signes cutanés :
Le purpura est le symptôme le plus fréquent (70 à 93 % des cas). Il prédomine aux membres inférieurs et peut remonter jusqu’aux fesses et à l’abdomen. Il épargne habituellement la partie supérieure du corps. Il est fait de pétéchies et parfois de papules purpuriques.
Certains éléments peuvent être nécrotiques. Ces éléments peuvent être confluents, tout particulièrement au tiers inférieur de jambe et à la cheville. Il évolue par poussées parallèlement aux autres signes cliniques. Après plusieurs poussées, le purpura laisse des séquelles sous forme de taches ocres, de livedo, et parfois d’ulcères. Il peut être prurigineux et douloureux. Il serait provoqué ou aggravé par l’exposition au froid dans 30 % des cas. Comme tous les purpuras vasculaires, il est majoré par l’orthostatisme. Les nécroses cutanées prédominent dans les régions sus-malléolaires et peuvent intéresser également les orteils, les doigts, le nez et les oreilles. Elles sont peu fréquentes dans les cryoglobulinémies de type II. Cinquante pour cent des malades décrivent un syndrome de Raynaud.
Les signes cutanés s’associent diversement. Ils peuvent évoluer pendant des années, voire plusieurs décennies, sans qu’apparaissent de manifestations viscérales graves ni d’altération de l’état général.
Signes articulaires :
Des arthralgies affectent environ la moitié des malades. Elles sont symétriques et fixes. Elles intéressent principalement les mains, les pieds et les genoux, moins souvent les hanches et les coudes. Les articulations sont habituellement froides ou peu inflammatoires. Des destructions articulaires peuvent apparaître après plusieurs années d’évolution.
Signes neurologiques :
Les atteintes neurologiques sont peu fréquentes (5 à 30 % des cas), mais revêtent une gravité particulière car elles sont susceptibles de laisser de lourdes séquelles. Elles se manifestent principalement par une neuropathie périphérique, plus souvent sensitive que motrice, symétrique ou non, avec des paresthésies ou une anesthésie dans les territoires touchés et une altération des vitesses de conduction nerveuse. Des atteintes du système nerveux central ont été exceptionnellement rapportées. Dans notre expérience, elles s’inscrivent dans un contexte d’atteintes multiviscérales gravissimes mortelles.
Manifestations pleuropulmonaires :
Leur incidence est diversement appréciée : 3 à 43% selon les séries et les critères choisis. Ainsi, le scanner et la radiographie montrent une pneumopathie interstitielle dans 78 % des cas, minime dans plus de la moitié. Les épreuves fonctionnelles respiratoires et l’analyse des gaz du sang révèlent des anomalies dans 35 % des cas. Elles se manifestent par une dyspnée, une toux et des épanchements pleuraux, exceptionnellement par des hémoptysies et un asthme.
La survenue d’une détresse respiratoire nécessitant une ventilation assistée est rare. Celle-ci peut conduire au décès, dans un tableau d’hémorragie pulmonaire incontrôlable (observations personnelles).
Les mécanismes possibles des troubles respiratoires sont nombreux et difficiles à débrouiller du vivant du malade. Le scanner peut être ici très utile. Des épanchements pleuraux jouent souvent un rôle important ; leur abondance est sous-estimée par la clinique et la radiographie simple. Un oedème pulmonaire est fréquent ; il peut être lié à la conjonction d’une hypervolémie, d’un trouble de la perméabilité capillaire et d’une dysfonction ventriculaire gauche chez les malades hypertendus de longue date. Enfin, une hémoptysie fait discuter un oedème pulmonaire hémorragique ou une vascularite pulmonaire qui a pu être montrée à l’autopsie dans quelques observations.
Manifestations gastro-intestinales :
Elles concernent 2 à 20% des malades. Elles se manifestent par des douleurs abdominales et des troubles du transit. Des lésions de vascularite sont trouvées à l’autopsie. Évoluant par poussées suivies de rémissions, comme les autres signes, elles conduisent exceptionnellement à une intervention chirurgicale.
Signes généraux :
Les cryoglobulinémies peuvent n’entraîner aucune altération de l’état général, mais celle-ci est presque constante chez les malades souffrant de néphropathie symptomatique. L’asthénie est un des éléments de la triade de Meltzer et Franklin. Curieusement, elle est rarement mentionnée, alors qu’elle est fréquente et intense. Elle est souvent mise sur le compte d’un syndrome dépressif. L’anorexie est habituelle ; l’amaigrissement passe inaperçu lorsqu’il est masqué par les oedèmes dus à la néphropathie. La température est normale en l’absence de complications infectieuses.
SIGNES BIOLOGIQUES :
Le diagnostic de cryoglobulinémie repose sur la mise en évidence de la cryoglobuline dans le sérum.
Le sang doit être idéalement prélevé sur un malade à jeun et dans une pièce dont la température est maintenue à 37 °C. Il est mis à l’étuve à 37 °C et centrifugé également à 37 °C. Le sérum recueilli est alors placé à 4 °C. La température de précipitation est comprise entre + 4 et + 36 °C (habituellement entre 25 et 30 °C). La recherche de la cryoglobuline est effectuée après 8 jours de stockage, la précipitation étant un phénomène lent. Mais il faut savoir, pour les situations d’urgence, qu’elle est parfois détectable dans les 24 heures.
Après purification, le taux de la cryoglobuline est évalué en grammes par litre (g/L) ou, après centrifugation à 4 °C du sérum dans un tube pour hématocrite, en pourcentage (cryocrite), et sa composition définie. Les cryoglobulines se redissolvent habituellement à 37 °C et récupèrent leur propriété de précipiter au froid après chauffage à 56 °C. Toutefois, certaines d’entres elles, les pyroglobulines, précipitent irréversiblement à cette température.
Le cryocrite est compris entre 1 et plus de 70 %, le taux sérique de la cryoglobuline entre moins de 1 à plus de 20 g/L ; les taux les plus élevés sont observés dans les cryoglobulinémies de type I secondaires à un myélome, et les plus faibles dans les cryoglobulinémies de type III. Un cryocrite élevé peut provoquer un syndrome d’hyperviscosité. Le taux de la cryoglobuline n’a pas de valeur pronostique pour la majorité des auteurs ; toutefois, un cryocrite élevé est associé à un pronostic défavorable pour certains. Une corrélation entre amélioration clinique et diminution du taux de la cryoglobuline a été décrite. Mais dans la pratique quotidienne, on retient que le taux de la cryoglobuline peut varier sensiblement chez un malade donné, sans aucune modification de la situation clinique.
L’électrophorèse et l’immunoélectrophorèse du sérum, effectuées à 37 °C, mettent en évidence le composé monoclonal.
L’hypocomplémentémie est habituelle dans les cryoglobulinémies de type II symptomatiques. Elle porte essentiellement sur le C1q, le C4 et le CH50. Le C4 est abaissé dans 81 % des cas des cryoglobulinémies de type II (et 64 % des cas de cryoglobulinémies de type III).
Le sérum des malades porteurs d’une cryoglobulinémie mixte possède une activité facteur rhumatoïde. Les autres signes biologiques sont inconstants et non spécifiques. Une anémie modérée est commune. Une hypergammaglobulinémie et une élévation de la CRP (C reactive protein) sont fréquentes. En revanche, malgré le syndrome inflammatoire, la vitesse de sédimentation est souvent voisine de zéro.
HISTOLOGIE RÉNALE :
La biopsie rénale met en évidence un ensemble de lésions très caractéristique, et parfois spécifique.
Examen en microscopie optique :
La lésion glomérulaire la plus fréquente est une prolifération endocapillaire focale ou diffuse. Celle-ci est constituée principalement de monocytes activés en très grand nombre, parfois des polynucléaires neutrophiles, et par des lymphocytes T en particulier CD8. Dans les formes les plus exsudatives, des dépôts amorphes éosinophiles et PAS positifs (coloration acide périodique de Schiff) sont mis en évidence le long du versant interne de la membrane basale des capillaires glomérulaires. Ces dépôts peuvent occuper toute la lumière d’une anse capillaire et réaliser ainsi un « thrombus intraluminal ». L’association d’une infiltration monocytaire massive et de thrombi est très évocatrice de cryoglobulinémie de type II.
Les membranes basales glomérulaires sont épaissies, avec un aspect en double contour souligné par l’imprégnation argentique. Cet aspect est dû à une interposition de matrice mésangiale, de cytoplasme des monocytes, et des dépôts entre la membrane basale en dehors, et une néomembrane basale en dedans, en contact étroit avec ces dépôts. L’ensemble, prolifération endocapillaire et doubles contours, réalise une glomérulonéphrite membranoproliférative particulière.
Chez quelques malades, l’infiltration monocytaire est beaucoup moins marquée et les thrombi manquent. Ailleurs, elle est totalement absente et les lésions glomérulaires se résument à une prolifération mésangiale modérée, habituellement segmentaire. On peut également observer un aspect de glomérulonéphrite lobulaire avec une prolifération mésangiale prédominante et une hypertrophie marquée des matrices mésangiales, avec peu ou pas de dépôts visibles.
Très curieusement, les lésions glomérulaires n’évoluent habituellement pas ou peu vers la glomérulosclérose, et la transformation des glomérules en « pains à cacheter », même après des années d’évolution, n’est pas fréquente. Une nécrose d’anses capillaires glomérulaires et une prolifération extracapillaire sont d’observation rare. Cette dernière est presque toujours segmentaire et ne touche qu’un petit nombre de glomérules. Les thrombi peuvent disparaître totalement. Des lésions glomérulaires de microangiopathie thrombotique ont été décrites chez deux malades.
Une vascularite des artères interlobulaires et des artérioles afférentes est présente dans un tiers des cas. Elle est caractérisée par une nécrose fibrinoïde de la paroi, et une infiltration périvasculaire par des monocytes macrophages, qui peut constituer un granulome. La lumière artérielle est parfois obstruée. Ces lésions évoluent vers la sclérose de la paroi.
À la phase aiguë de la maladie rénale, l’interstitium est infiltré par des monocytes macrophages et des lymphocytes T, principalement CD8, et B parfois disposés en amas. Sur les biopsies effectuées tardivement, la fibrose est habituellement discrète.
Examen en immunofluorescence :
Les dépôts fixent les anticorps dirigés contre les constituants de la cryoglobuline, les sérums anti-IgM, anti-IgG, antichaînes légères beaucoup plus souvent qu’anti-C3, et parfois les sérums anti-C1q, anti-C4 et antifibrinogène. Toutefois, un ou plusieurs composants de la cryoglobuline peuvent ne pas être révélés. Les dépôts peuvent prendre trois aspects :
– dépôts volumineux remplissant la lumière des capillaires glomérulaires (thrombi) ;
– dépôts granuleux peu abondants et segmentaires dans la paroi des capillaires, en position sous-endothéliale ;
– dépôts granuleux abondants et diffus de même topographie.
Un même glomérule contient souvent des thrombi et des dépôts granuleux. Ces mêmes dépôts sont rencontrés dans les parois et les lumières artérielles dans un tiers des cas.
Examen en microscopie électronique :
Les dépôts sont électroniquement denses et apparaissent soit amorphes, soit organisés. Les dépôts organisés forment des microtubules de 100 à 1 000 nm de long, et 30 nm de diamètre en moyenne. En coupe transversale, ils apparaissent comme des anneaux à centre clair et dont la périphérie est soulignée par une couverture inconstante de matériel protéique peu osmiophile, qui peut se disposer en pointes. Les microtubules peuvent être dispersés de façon aléatoire, ou regroupés en amas. L’ultrastructure des dépôts est identique à celle du cryoprécipité chez un même malade. Ces dépôts sont trouvés dans la lumière des anses capillaires et dans les régions sous-endothéliales, rarement dans les aires mésangiales,
dans les régions sous-épithéliales et dans les monocytes macrophages. De telles structures peuvent être rencontrées en dehors des cryoglobulinémies. Le cytoplasme des cellules endothéliales, mésangiales, rarement des podocytes, contient occasionnellement des cristaux de formes variées qui pourraient être composés de cryoglobulines dénaturées. La microscopie électronique confirme que la prolifération endocapillaire est essentiellement le fait d’un afflux de monocytes macrophages, alors que la prolifération des cellules mésangiales est habituellement discrète ou absente. Les monocytes-macrophages sont remplis de grandes vacuoles protéiques dépourvues de structure cristalline. Les cellules, lorsqu’elles sont en grand nombre, participent à l’occlusion des capillaires glomérulaires. Leur cytoplasme s’interpose aussi, avec du matériel mésangial et des dépôts, entre la membrane basale native et les cellules endothéliales, dont elles sont séparées par une néomembrane basale, et participe à l’aspect en double contour des anses capillaires glomérulaires. Mais ce phénomène n’est pas aussi marqué que dans les glomérulonéphrites membranoprolifératives dites primitives.
PHYSIOPATHOLOGIE :
Rôle pathogène :
Le rôle pathogène des cryoglobulines de type II est démontré dans plusieurs modèles expérimentaux et fortement suggéré par les constatations cliniques.
Les cryoglobulines de type II prélevées sur des malades présentant une atteinte rénale et injectées, après avoir été solubilisées, dans le péritoine d’une souris, induisent une glomérulonéphrite membranoproliférative. Un hybridrome issu d’une souris MRLMpJ-/lpr-lpr synthétise une IgG3 possédant une activité cryoglobuline et facteur rhumatoïde. L’administration intrapéritonéale de cet hybridrome à une souris MRL/BAL B induit une vascularite cutanée et une glomérulonéphrite membranoproliférative très proche de celle observée en pathologie humaine, avec infiltration par des polynucléaires, prolifération mésangiale, dépôts mésangiaux et sous-endothéliaux en wire-loop accompagnés de thrombi. L’activité cryoglobuline est liée à la partie constante de la chaîne alpha 3. Les lésions rénales se développent indépendamment de l’activité facteur rhumatoïde. Ces deux modèles ont permis d’étudier la dynamique de la déposition.
Mécanismes de la déposition de cryoglobuline :
La cryoglobuline se dépose d’abord dans les cellules mésangiales, puis dans les régions sous-endothéliales. Le volume des dépôts mésangiaux augmente rapidement, ce qui aboutit à un comblement de la lumière des anses capillaires glomérulaires. En microscopie électronique, il y a continuité entre les dépôts mésangiaux, sousendothéliaux et les thrombi.
Les mécanismes responsables de la déposition sont imparfaitement connus.
La concentration des protéines plasmatiques pendant leur parcours dans les anses capillaires est une explication plausible de leur déposition dans le glomérule. De même, le taux plasmatique de la cryoglobuline joue vraisemblablement un rôle. Chez un même malade, les manifestations rénales disparaîtraient ou s’atténueraient lorsque le taux sérique de la cryoglobuline diminue, et inversement.
Toutefois, il n’est pas exceptionnel de voir disparaître les symptômes sous l’effet d’un traitement corticoïde, ou spontanément, en l’absence de modification importante du taux de la cryoglobuline.
Il existe une affinité biochimique entre les cryoglobulines de type II et certaines protéines matricielles et cellulaires. Les IgM kappa des cryoglobulines de type II se fixent in vitro sur un des composants importants de la membrane basale et de la matrice mésangiale, la fibronectine. Le complexe IgM kappa-fibronectine fixe les IgG polyclonales en solution. En revanche, les IgM kappa des patients atteints de maladie de Waldenström qui n’ont pas d’activité cryoglobuline sont dépourvues d’affinité pour la fibronectine.
Anomalies de l’épuration de la cryoglobuline :
Rôle des macrophages :
Des anomalies de l’épuration des cryoglobulines de type II sont observées chez les malades atteints de néphropathie grave. En comparaison avec les malades sans néphropathie, la demi-vie des cryoglobulines radiomarquées est augmentée, leur captation par le foie et la rate moindre, leur dégradation par les macrophages ralentie, alors que la capacité d’opsonisation de ceux-ci est normale.
Une des caractéristiques principales des lésions rénales est l’infiltration massive du floculus par des monocytes-macrophages.
L’intensité de cette infiltration est étroitement corrélée à l’expression du gène MCP I et de la protéine MCP I. De plus, celle-ci est maximale à proximité immédiate des dépôts de cryoglobuline. Le MCP I est une cytokine possédant une activité chimiotactique spécifique sur les monocytes-macrophages. Il est produit (in vitro) par les cellules mésangiales, les cellules endothéliales et les cellules du tube contourné proximal. Différentes cytokines et les IgG agrégées en stimulent la synthèse in vitro.
Enfin, les macrophages activés produisent de nombreuses cytokines qui activent les cellules résidentes rénales, ainsi que des enzymes lysosomiales et des radicaux libres de l’oxygène à l’origine d’altérations cellulaires et matricielles.
Rôle du virus de l’hépatite C :
Le VHC joue un rôle central dans les cryoglobulinémies de type II.
Jusqu’à une date récente, les cryoglobulines mixtes étaient attribuées à diverses affections bactériennes, auto-immunes, en particulier hépatobiliaire ou malignes. Elles peuvent effectivement être rencontrées au cours des endocardites bactériennes, de la polyarthrite rhumatoïde, du syndrome de Sjögren, de lymphomes malins principalement non hodgkiniens, de la maladie de Waldenström, rarement de la leucémie lymphoïde chronique et du myélome. Dans 30 % des cryoglobulinémies mixtes (types II et III), aucune cause n’était mise en évidence et la cryoglobulinémie dite essentielle. Puis l’idée a prévalu que l’activité anticorps de l’IgM kappa était dirigée non pas contre les seules IgG polyclonales, mais contre un complexe antigène-anticorps, l’antigène étant le virus de l’hépatite B (VHB) et jouant un rôle pathogène important. Mais la plupart des investigateurs n’ont pas retrouvé d’association entre le VHB et la cryoglobulinémie de type II.
Le rôle central du VHC a été mis en évidence au début des années 1990. Le sérum des patients porteurs d’une cryoglobulinémie de type II contient des anticorps anti-VHC dans 87 à 100 % des cas, et de l’ARN messager (ARNm) codant le VHC dans 71 à 100 % des cas.
De plus, l’ARNm codant le VHC est concentré jusqu’à 1 000 fois dans le cryoprécipité, et le cryoprécipité contient dans 94 % des cas des anticorps dirigés contre le VHC. Mais chez la moitié des malades, ceux-ci ne sont détectables qu’après élimination du facteur rhumatoïde. À l’opposé, 20 à 54 % des patients atteints d’hépatite C sont porteurs d’une cryoglobuline mixte de type III asymptomatique dans 90 % des cas, de type II de concentration plus élevée et habituellement symptomatique dans les 9 à 35% des cas restants.
Le rôle du VHC dans la survenue d’une néphropathie est encore suggéré par la mise en évidence, mais dans une courte série, de l’ARNm codant le VHC dans le sérum et le cryoprécipité de tous les malades atteints de néphropathie, alors que celui-ci est indétectable en l’absence de néphropathie.
La prévalence du génotype 2a/III est significativement plus importante chez les patients possédant une cryoglobinémie mixte que chez les contrôles (41 % versus 15 %), coïncidant avec un sousgroupe de malades indemnes de signes cliniques et biologiques d’atteinte hépatique (85 %). Une co-infection par le virus de l’hépatite G est fréquente, mais ne paraît pas jouer un rôle primordial.
Il existerait une prédisposition génétique à la survenue d’une cryoglobulinémie chez les patients porteurs du VHC. Celle-ci serait plus fréquente chez les sujets possédant les allèles HLA DR3, DR7, DR11 et B8.
Le VHC peut infecter les lymphocytes T et B et induire, à la longue, indirectement, une prolifération clonale, bien qu’il ne possède pas de transcriptase inverse, ni d’oncogènes. Il existe une association nette entre VHC et lymphomes non hodgkiniens de bas grade ou intermédiaire, les lymphomes liés au VHC ayant des caractéristiques cliniques et histologiques très particulières. À l’évidence, le caractère monotypique de l’IgM kappa des cryoglobulines de type II est le produit d’une prolifération B monoclonale. La biopsie médullaire met en évidence un lymphome de bas grade dans 38 % des cryoglobulinémies de type II.
TRAITEMENT :
Traitement classique :
Jusqu’à la fin des années 1980, le traitement comportait une corticothérapie à doses variables suivant les auteurs (1/4 à 1 mg/kg/j) et/ou du cyclophosphamide ou du chlorambucil per os, sans que l’efficacité de ce schéma thérapeutique ait été validée par des essais contrôlés, difficiles à mener dans cette affection peu fréquente et d’évolution capricieuse. Des bolus intraveineux de méthylprednisolone à la dose de 1 g, répétés trois fois, étaient ajoutés dans les formes rénales menaçantes, en raison d’un syndrome néphrotique ou néphritique avec insuffisance rénale rapidement évolutive . Le taux de la créatinine sérique s’abaissait dans la première semaine du traitement, et le débit de protéinurie dans le premier mois. Parallèlement, les signes extrarénaux disparaissaient ou s’atténuaient en moins de 1 semaine chez plus de 70 % des malades. L’hypocomplémentémie régressait et le taux de la cryoglobulinémie diminuait. Ces traitements étaient donnés pendant de courtes périodes, interrompus entre les poussées.
La survie des malades soumis à un tel régime thérapeutique était de 93 % à 1 an.
Les échanges plasmatiques sont crédités également d’une grande efficacité, mais qui n’a pas été comparée à celle des bolus de méthylprednisolone, beaucoup moins onéreux. Ils méritent cependant d’être prescrits lorsque le pronostic vital est menacé à court terme, soit en première intention, soit après échec des traitements décrits ci-dessus. Il est indispensable de les réaliser dans une pièce dont la température est portée au-dessus de celle qui entraîne la cryoprécipitation.
Interféron alpha :
La démonstration au début des années 1990 d’une relation de cause à effet entre le VHC et les cryoglobulines de type II a conduit à traiter celles-ci par de l’interféron alpha. Dès 1987, avant la découverte du VHC, un travail de Bonono et al avait suggéré que l’interféron alpha, à la dose de 3 millions d’unités (MU) par jour, pouvait améliorer la symptomatologie clinique et diminuer durablement le cryocrite.
De nombreuses observations isolées et un essai prospectif randomisé avec cross-over suggèrent que le traitement par l’interféron alpha est susceptible d’entraîner :
– une régression des signes généraux et rénaux qui peut aller jusqu’à la rémission complète ;
– la disparition ou la diminution marquée du taux de la cryoglobuline ;
– une disparition de l’ARN viral de la circulation, mais la probabilité de rechute est forte à l’arrêt du traitement.
Un essai prospectif randomisé comparant un traitement par interféron à la dose de 3 MU trois fois par semaine pendant 24 semaines, à l’absence de traitement dans un groupe de 53 malades dont la plupart n’avaient qu’une atteinte rénale modeste montre :
– que l’ARNm viral disparaît du sérum de 15 patients sur 25 traités, et persiste chez les patients contrôlés ;
– qu’une réponse clinique ne survient que si l’ARNm viral a disparu du sérum ;
– que le taux de la créatinine sérique diminue significativement chez les sujets répondeurs et augmente ou reste inchangé chez les sujets contrôles ;
– qu’une rechute survient constamment à l’arrêt du traitement.
Une étude prospective utilisant le même schéma thérapeutique sur un groupe de 34 malades atteints de néphropathies plus graves aboutit à des conclusions peu différentes : réduction significative de la protéinurie et non significative de la créatinine sérique, rechute à l’arrêt du traitement, absence d’amélioration si l’ARN viral reste détectable.
Un travail rétrospectif conduit à partir de 1985 a étudié les effets d’un traitement par 3 MU d’interféron alpha administrés quotidiennement pendant 3 mois, puis tous les 2 jours pendant les 9 mois suivants, chez 31 malades consécutifs. Une rémission clinique et biologique complète (cryocrite < 10 % de la valeur initiale) a été observée chez 62 % des malades avec un recul moyen de 33 mois (3 à 100 mois). Une élévation secondaire des enzymes hépatiques, témoin d’une activité de la maladie, survient chez tous les malades ayant reçu une dose cumulative inférieure à 621 MU, et seulement chez 8 % de ceux qui en ont reçu une dose supérieure. Les deux facteurs prédictifs d’une réponse durable sont une dose cumulative d’interféron élevée et la présence dans le sérum du seul anticorps anti-C22. Des cas isolés de cryoglobulinémies restant gravement symptomatiques malgré le traitement conventionnel et mises en rémission après augmentation des doses jusqu’à 10 MU/j ont été rapportés. Dans l’ensemble, un consensus semble se dégager en faveur d’une dose de 4,5 à 6 MU trois fois par semaine pendant 6 mois puis, pour les répondeurs, de 3 MU pendant 6 autres mois, avec un arrêt très progressif sur les 6 mois suivants.
L’adjonction de ribavirine à l’interféron améliore significativement l’efficacité à long terme du traitement des hépatites C. Une étude préliminaire et une observation isolée récentes, suggèrent qu’il en serait de même dans les cryoglobulinémies de type II. Mais les effets secondaires de la ribavirine (anémie, rash…) constituent pour l’instant un obstacle majeur à son emploi chez les patients atteints d’insuffisance rénale. L’interféron induisant régulièrement un rejet des allogreffes d’organes, quatre transplantés hépatiques souffrant d’hépatite C et de glomérulonéphrite membranoproliférative secondaire à une cryoglobulinémie de type II, avec insuffisance rénale et syndrome néphritique, ont été traités par de la ribavirine seule à la dose de 1 g/j. Dans les quatre cas, la symptomatologie rénale a régressé ou disparu sous traitement, alors que la charge virale est restée constante. L’interruption du traitement a entraîné une rechute. Une aggravation des manifestations cliniques de cryoglobulinémie, en particulier neurologique, au démarrage d’un traitement par interféron, a été signalée à plusieurs reprises.
Attitude pratique devant les formes rénales graves :
En attendant les résultats d’essais prospectifs randomisés, il semble encore sage de débuter le traitement des formes rénales les plus aiguës et les plus graves (syndromes néphritiques, insuffisance rénale rapidement évolutive, manifestations extrarénales menaçant le pronostic vital) par des bolus intraveineux de méthylprednisolone (ou des échanges plasmatiques), suivis d’une corticothérapie avec du cyclophosphamide ou chloraminophène per os, et de remettre à plus tard un éventuel traitement par interféron. Le principal risque d’une telle attitude serait hépatique. La survenue d’une aggravation cliniquement significative d’une hépatite C, déclenchée par le traitement corticoïde et immunosuppresseur d’une néphropathie liée à une cryoglobulinémie de type II, semble, sauf cas particulier, faible. De même, les décès survenant tôt au cours de l’évolution sont très rarement liés à l’hépatite C. Mais des rémissions de manifestations rénales graves ont été aussi observées après traitement par le seul interféron à doses conventionnelles ou majorées.
Traitement symptomatique :
Le traitement symptomatique des manifestations rénales des cryoglobulinémies revêt une importance considérable dans les formes les plus graves. L’hypertension artérielle et la rétention hydrosodée, souvent responsables d’une insuffisance cardiaque globale, nécessitent de fortes doses de diurétiques de l’anse, des vasodilatateurs en association, et une restriction hydrosodée stricte.
L’hémofiltration et l’épuration extrarénale ne doivent pas être mises en oeuvre trop tard. L’anorexie fréquente est responsable d’une dénutrition qui doit être combattue au besoin par une alimentation entérale ou parentérale. La prévention d’une infection nosocomiale ou opportuniste est une préoccupation constante.
Le traitement des lymphomes B venant compléter l’évolution des cryoglobulinémies de type II est du ressort de l’hématologie.
Néphropathies et cryoglobulinémies de type I :
GÉNÉRALITÉS :
Dans la série de Brouet et al, la prévalence des signes rénaux au cours des cryoglobulinémies de type I est de 25 %. Paradoxalement, le nombre de publications documentées de cryoglobulinémies de type I avec atteinte rénale est inférieur à 20, la plupart ne décrivant qu’un ou deux cas. Par ailleurs, les renseignements fournis dans les grandes séries publiées ne permettent pas de rattacher les atteintes rénales décrites à l’un des trois types de cryoglobulines. Il est admis que les manifestations rénales sont moins fréquentes dans les cryoglobulinémies de type I, que dans les types II. Dans les faits, il est rare qu’un malade atteint de cryoglobulinémie de type I soit hospitalisé en néphrologie.
SYMPTOMATOLOGIE RÉNALE :
La symptomatologie est souvent calquée sur celle observée au cours des cryoglobulinémies de type II : protéinurie abondante, syndrome néphrotique, hypertension artérielle, inflation hydrosodée, insuffisance rénale habituellement modérée. Une anurie est possible, éventuellement provoquée par une hypothermie au cours d’une intervention chirurgicale. Un syndrome d’hyperviscosité peut être observé, qui pourrait expliquer certaines insuffisances rénales qu’il serait hasardeux de documenter par une biopsie dans cette situation. L’hypocomplémentémie est inconstante. L’évolution rénale est souvent favorable après traitement de l’hémopathie causale dont la nature fixe le pronostic. L’association corticoïdesplasmaphérèse- chimiothérapie est parfois d’une efficacité immédiate remarquable sur les signes rénaux, dans les formes les plus graves et les syndromes d’hyperviscosité. Toutefois, le décès peut survenir précocement dans un tableau d’atteinte multiviscérale réfractaire au traitement ou de complications infectieuses.
HISTOLOGIE RÉNALE :
Les lésions histologiques varient d’une observation à l’autre. La lésion la plus communément décrite est une glomérulonéphrite membranoproliférative qui peut être segmentaire. La prolifération cellulaire est faite de cellules mésangiales et de polynucléaires.
Mais ces lésions ont été décrites à une époque où les cellules de la lignée monocytes-macrophages infiltrant le floculus n’étaient pas reconnues. Une observation récente signale la présence de cellules spumeuses dans le floculus, et d’autres une prolifération extracapillaire segmentaire et focale.
L’oblitération diffuse de toutes les anses capillaires glomérulaires par des thrombi, sans prolifération cellulaire, semblable à celle décrite dans la macroglobulinémie de Waldenström, peut être rencontrée. L’association d’une glomérulonéphrite membranoproliférative et de thrombi, ainsi que des lésions d’angéite artériolaire ont été publiées. L’étude en immunofluorescence avec les sérums antichaînes lourdes, antichaînes légères et anti-C3 montre des dépôts de complément et de l’immunoglobuline monoclonale dans les régions sous-endothéliales, dans les thrombi, et parfois dans les artérioles.
L’examen au microscope électronique montre des dépôts sousendothéliaux, denses aux électrons, moins souvent mésangiaux et extramembraneux, ainsi que des thrombi. Le matériel déposé peut apparaître sous forme de fibrilles de 80 Å de diamètre, courbes ou rectilignes, réunies en faisceaux de 700 à 2000 Å d’épaisseur dans les lumières des anses capillaires glomérulaires et dans le cytoplasme des macrophages infiltrant le floculus. Des cristaux rhomboïdes sont occasionnellement observés dans le mésangium, les cellules endothéliales et les podocytes. Dans un cas, les dépôts avaient l’aspect d’empreintes digitales.