Introduction :
Les dernières années ont été marquées par des avancées fondamentales considérables dans le domaine des métabolismes du calcium et du phosphate. Ces avancées ont permis de progresser très sensiblement dans la compréhension de la physiopathologie des désordres de ces métabolismes. On peut citer l’identification du peptide apparenté à la parathormone (ou PTH-rP), le clonage du gène du récepteur de la PTH, l’identification du récepteur sensible au calcium, l’identification moléculaire du mécanisme de cotransport membranaire sodium/phosphate et des mécanismes cellulaires de ses déterminants. Parallèlement, certains tableaux cliniques se sont modifiés et les méthodes diagnostiques se sont améliorées et structurées.
Physiologie du calcium :
BILAN DU CALCIUM :
L’organisme d’un adulte sain de 70 kg contient environ 25 000 mmol (1 000 g) de calcium, réparties majoritairement dans l’os (99 %) alors que moins de 1 % est présent dans le liquide extracellulaire (22 mmol ou 880 mg). Chez l’adulte sain, le capital calcique est constant dans le temps, alors qu’il est croissant chez l’enfant et l’adolescent, et décroissant chez la femme après la ménopause ainsi que chez l’homme âgé. Un adulte jeune ingère habituellement environ 800 à 1 000 mg/j de calcium, dont 30 à 35 % sont absorbés par la muqueuse de l’intestin grêle, en partie sous l’influence de la 1,25 (OH)2 vitamine D ; en raison d’une sécrétion de calcium du liquide extracellulaire vers la lumière intestinale, évaluée à 150 mg/j, l’absorption intestinale nette avoisine 150 mg/j. Une quantité identique de calcium (150 mg/j) est éliminée dans l’urine définitive et le bilan (externe) de calcium est nul. L’activité de remodelage osseux est, quotidiennement, responsable de la libération de 200 mg de calcium osseux (activité de résorption osseuse) et de l’incorporation dans l’os de 200 mg de calcium (activité de minéralisation de la matrice protéique osseuse nouvellement synthétisée) : ainsi, il n’existe normalement pas, chez l’adulte jeune, de flux net de calcium entre le liquide extracellulaire et l’os et le bilan interne du calcium est également nul.
Malgré l’extrême prédominance du calcium osseux, il apparaît que la variable régulée est la concentration extracellulaire de calcium et, plus précisément, la concentration de calcium ionisé. En effet, le calcium sérique total est une variable hétérogène et comprend plusieurs fractions : environ 50-55 % du calcium sérique total existe sous forme ionisée (libre) et constitue à la fois la fraction biologiquement active et la fraction régulée ; le reste est biologiquement inerte, composé d’une fraction liée aux protéines sanguines (albumine, principalement) et d’une fraction liée aux anions du sérum (bicarbonate, phosphate, citrate…). La somme du calcium ionisé et du calcium complexé aux anions de faible poids moléculaire représente le calcium diffusible ou ultrafiltrable.
Mesurées par spectrophotométrie d’absorption atomique, les valeurs normales, chez l’adulte, de la concentration de calcium sérique total sont comprises entre 2,10 et 2,53 mmol/L à jeun (intervalle de confiance à 95 % de la moyenne de la calcémie chez les sujets normaux) ; elles sont modérément supérieures, d’environ 0,1 mmol/L, chez l’enfant et l’adolescent. Il est important d’effectuer la mesure à jeun car, en période postprandiale, la concentration de calcium total augmente : la variation observée peut atteindre 0,15 mmol/L chez les sujets normaux, voire plus chez les sujets qui ont une hyperabsorption intestinale du calcium.
Bien que la variable régulée soit la concentration sérique du calcium ionisé, le diagnostic d’hypo- ou d’hypercalcémie peut régulièrement être établi sur la constatation d’une concentration de calcium total anormalement basse ou haute, respectivement, parce que les variations de la concentration du calcium libre s’accompagnent de variations parallèles de la concentration du calcium total.
Cependant, des anomalies de la concentration de protéines sériques et/ou des anomalies de l’état acide-base sont à l’origine de dissociations. Ainsi, une diminution de la concentration sérique d’albumine produit une diminution de la fraction du calcium total liée à cette protéine, et donc une diminution de la calcémie, en dehors de toute variation de la concentration de calcium ionisé ; à l’opposé, une augmentation de la concentration sérique d’albumine, ou des immunoglobulines (comme dans le myélome), entraîne une augmentation du calcium total sans modification du calcium ionisé. De même, les variations de la concentration sanguine des ions H+ (c’est-à-dire du pH extracellulaire), sont capables d’induire des variations de la fraction du calcium liée à l’albumine parce que les ions H+ et les ions Ca++ sont en compétition pour la liaison à l’albumine. Ainsi, une acidose aiguë, caractérisée par une augmentation de la concentration extracellulaire d’ions H+, entraîne une redistribution du calcium sérique entre ses différentes fractions ; le calcium lié à l’albumine diminue, le calcium libre augmente et la concentration de calcium total ne varie pas. Si la situation d’acidose se prolonge (acidose chronique), la concentration de calcium ionisé, variable régulée, se normalise, grâce à l’intervention des hormones « calciotropes » et la concentration de calcium total diminue. Des modifications opposées sont observées en cas d’alcalose extracellulaire. En particulier, une alcalose ventilatoire aiguë, qui peut apparaître au cours d’un prélèvement douloureux ou chez un sujet émotif, provoque une diminution brutale du calcium ionisé sérique et une augmentation du calcium lié aux protéines. Une telle variation de l’état acide-base est reconnue par les appareils de mesure du calcium ionisé, qui possèdent, outre l’électrode spécifique pour la mesure du calcium libre, une électrode pH. Ceci permet à ces appareils de proposer une valeur de concentration de calcium ionisé « corrigée », c’est-à-dire calculée pour un pH sanguin de 7,40. La prise en compte de cette valeur « corrigée » est licite en cas de perturbation brutale de l’état acidebase.
Elle est évidemment illégitime en cas de désordre prolongé de l’état acide-base.
En résumé, en l’absence d’anomalie des protéines sanguines et du pH extracellulaire, une anomalie de la concentration de calcium ionisé peut être détectée de manière fiable par la mesure du calcium total. En revanche, en cas de l’une et/ou l’autre de ces anomalies, la mesure directe de la concentration du calcium ionisé, grâce à une électrode spécifique, doit être effectuée. Cette mesure nécessite quelques précautions quant à la technique de prélèvement, celui-ci devant être effectué sur un membre au repos et, au mieux, sans garrot, pour éviter les variations du pH sanguin. Lorsque l’accès à cette mesure n’est pas possible, on peut calculer une calcémie corrigée, en sachant que chaque gramme d’albumine complexe normalement 0,02 à 0,025 mmol de calcium. Ainsi, chez un sujet dont l’albuminémie est mesurée à 20 g/L, on peut augmenter la calcémie mesurée de 0,4 à 0,5 mmol/L pour obtenir une calcémie « corrigée ». Cette procédure fournit un résultat assez approximatif.
RÉGULATION DE LA CALCÉMIE :
La calcémie d’un sujet normal se maintient à une valeur remarquablement stable grâce à la régulation des flux de calcium entre l’os et le liquide extracellulaire, d’une part, et entre le liquide extracellulaire et le rein, d’autre part. Habituellement, l’absorption intestinale du calcium alimentaire n’affecte la calcémie que transitoirement et n’est pas impliquée dans la régulation à court terme de la calcémie. Cependant, une absorption intestinale de calcium normale (150 à 200 mg/j) est nécessaire au maintien d’un capital calcique normal et, en particulier, à la stabilité du contenu calcique osseux. En effet, la calcémie est maintenue stable, à jeun, parce que la perte rénale de calcium qui existe obligatoirement dans cette situation est exactement compensée par une mobilisation du calcium osseux responsable d’un flux net de calcium de l’os vers le liquide extracellulaire. Ainsi, en l’absence d’un apport alimentaire suffisant (800 à 1 000 mg/j) et/ou d’une absorption intestinale du calcium normale, la calcémie se maintient aux dépens d’une diminution progressive du contenu calcique osseux. En situation normale, le contenu calcique osseux se maintient parce que le calcium osseux mobilisé lors du jeûne est remplacé par une quantité identique en période postprandiale. En conséquence, chez un individu normal ayant un apport et une absorption intestinale
du calcium normaux, la calciurie des 24 heures est égale à l’absorption intestinale nette de calcium.
Le remodelage osseux, c’est-à-dire l’activité continue de destruction et de renouvellement de l’os, ne participe pas au contrôle de la calcémie parce que ces deux activités (destruction assurée par les ostéoclastes et formation assurée par les ostéoblastes) sont très étroitement coordonnées, responsables chacune d’un flux de calcium entre l’os et le liquide extracellulaire identique, mais opposé, le flux résultant restant nul. Même en cas d’augmentation importante du remodelage osseux, telle que celle observée au cours de la maladie de Paget, la calcémie ne varie pas, pour autant que le couplage entre ces activités ostéoclastiques et ostéoblastiques persiste. Le remodelage osseux est un phénomène lent, de faible amplitude mais de grande capacité puisqu’il a potentiellement accès à l’ensemble du squelette.
Néanmoins, l’os participe au contrôle de la calcémie grâce à un système cellulaire différent, les ostéocytes, qui permet une libération rapide du calcium osseux. Ainsi (cf supra), le maintien de la calcémie à jeun est assuré par une entrée nette, dans le liquide extracellulaire, de calcium osseux, quantitativement identique à la perte rénale concomitante de calcium. À la différence du remodelage, la mobilisation de calcium osseux dépendante des ostéocytes est un phénomène rapide, de grande amplitude mais de faible capacité puisqu’il n’affecte que l’os récemment minéralisé.
La régulation de la calcémie est sous le contrôle de deux hormones, la PTH et le métabolite actif de la vitamine D ou 1,25 (OH)2 vitamine D (calcitriol), ainsi que de la calcémie elle-même par l’intermédiaire d’un récepteur membranaire sensible au calcium (calcium-sensing receptor, ou CaSR), récemment découvert : ce récepteur joue un rôle central dans le contrôle, par la calcémie, de la sécrétion de PTH et, vraisemblablement, dans la régulation de la réabsorption rénale du calcium. La PTH est une hormone peptidique qui agit sur ses organes cibles (l’os et le rein) grâce à un récepteur membranaire couplé à une ou plusieurs protéines G. Le calcitriol est une hormone stéroïde qui se lie à un récepteur cytosolique spécifique, présent dans de nombreux types cellulaires dont les cellules tubulaires rénales, les cellules de l’épithélium intestinal, ainsi que les cellules osseuses. Le complexe hormone-récepteur agit, dans le noyau, en modulant la transcription dans des sites spécifiques de la chromatine, appelés vitamin D responsive elements. Ces deux hormones stimulent la résorption osseuse ostéoclastique mais, en raison du couplage normal entre ostéorésorption ostéoclastique et ostéoformation ostéoblastique, la résorption osseuse nette résultante est minime et le capital calcique osseux varie peu ou pas. En d’autres termes, même lorsqu’il est stimulé par des concentrations supraphysiologiques de PTH, un remodelage osseux normalement couplé n’entraîne pas de modification appréciable de la calcémie.
Cependant, la PTH stimule l’ostéolyse ostéocytaire et, par ce biais, augmente la calcémie. De plus, la PTH augmente la réabsorption tubulaire rénale du calcium et stimule l’activité 1alpha-hydroxylase rénale et donc la production de calcitriol. Cette dernière hormone est indispensable à l’expression normale des effets biologiques de la PTH.
Une diminution de la calcémie provoque, en quelques secondes, une augmentation de la sécrétion de PTH ; en effet, les cellules parathyroïdiennes possèdent dans leur membrane plasmique un récepteur spécifique (CaSR) dont le calcium libre extracellulaire est le ligand physiologique ; le rôle de ce récepteur est d’adapter la sécrétion parathyroïdienne de PTH à la concentration de calcium libre extracellulaire. Ainsi, une baisse de la calcémie inactive le récepteur et entraîne une augmentation de la sécrétion de PTH. Si l’hypocalcémie se prolonge, l’hypersécrétion de PTH est amplifiée par une diminution de la dégradation intracellulaire de la PTH. Puis, l’expression du gène de la PTH est accrue, se traduisant par une augmentation de l’acide ribonucléique messager (ARNm) intracellulaire de la prépro-PTH. Enfin, une hypocalcémie chronique entraîne une augmentation de la masse de tissu parathyroïdien par division cellulaire (hyperplasie parathyroïdienne). Ainsi, en réponse à une hypocalcémie, plusieurs mécanismes d’adaptation apparaissent successivement qui permettent d’augmenter la sécrétion de PTH. Cet excès de PTH stimule la mobilisation du calcium osseux dépendante des ostéocytes, la réabsorption tubulaire rénale du calcium filtré et la synthèse rénale de calcitriol et normalise la calcémie. Inversement, une élévation de la calcémie inhibe la sécrétion parathyroïdienne de PTH, et donc la mobilisation du calcium osseux et la réabsorption tubulaire rénale du calcium, dans le but de corriger l’hypercalcémie.
Anomalies de la calcémie :
MÉCANISMES DES HYPERCALCÉMIES :
Deux types de désordres peuvent être à l’origine d’une hypercalcémie.
Le premier est un déplacement de la relation entre la calcémie et la sécrétion de PTH vers des valeurs de calcémie plus élevées, traduisant une diminution de la sensibilité de la sécrétion de PTH à la calcémie. Dans cette situation, l’augmentation de la sécrétion (et de la concentration) de PTH observée pour une valeur de calcémie normale provoque une augmentation de la mobilisation du calcium osseux et une augmentation de la réabsorption tubulaire rénale de calcium filtré, l’ensemble aboutissant nécessairement à une augmentation de la calcémie ; celle-ci se stabilise à une nouvelle valeur, plus élevée que la valeur normale, pour laquelle les entrées d’origine osseuse et les sorties rénales redeviennent identiques. Dans cette nouvelle situation, le bilan de calcium et, en grande partie, la masse minérale osseuse, restent inchangés par comparaison à une situation normale. L’hypercalcémie stable résultant d’une altération primitive de la sécrétion de PTH est, pour cette raison, qualifiée d’hypercalcémie en « équilibre ». Au nouvel état stable, la calcémie est élevée et la concentration sérique de PTH est élevée ou normale, inappropriée à l’hypercalcémie. La calciurie des 24 heures peut être normale ou augmentée ; dans ce dernier cas, elle reflète une augmentation de l’absorption intestinale de calcium, le plus souvent due à une augmentation de la synthèse de calcitriol induite par l’excès de PTH. Dans sa forme habituelle, l’hyperparathyroïdie primitive (HPTP) est un exemple typique d’hypercalcémie en « équilibre ».
La seconde situation est celle d’une altération primitive du remodelage osseux, résultant en une augmentation importante de la résorption osseuse nette, une diminution de la masse minérale osseuse et un bilan de calcium négatif. Ceci s’observe lorsqu’une augmentation de la résorption ostéoclastique s’associe à une formation osseuse ostéoblastique découplée (c’est-à-dire non augmentée voire inhibée). L’important flux net de calcium dans le liquide extracellulaire qui en résulte peut dépasser la capacité du rein à éliminer le calcium, provoquant une hypercalcémie progressive appelée hypercalcémie en « déséquilibre ». En effet, une diminution du volume extracellulaire s’y associe fréquemment en raison de vomissements et d’une diminution de la réabsorption rénale de sodium directement due à l’hypercalcémie : cette diminution du volume extracellulaire provoque une diminution du débit de filtration glomérulaire et une augmentation de la réabsorption tubulaire proximale du calcium, qui aggravent l’hypercalcémie. Plus généralement, tous les facteurs connus pour augmenter la réabsorption tubulaire rénale de calcium peuvent aggraver une hypercalcémie initialement due à une augmentation des entrées. En présence de l’hypercalcémie, la concentration sérique de PTH est basse, adaptée, et la calciurie est élevée, reflétant l’entrée excessive de calcium dans le liquide extracellulaire. L’hypercalcémie qui complique l’évolution de certaines néoplasies est un exemple typique d’hypercalcémie en « déséquilibre ».
CARACTÈRES GÉNÉRAUX DES HYPERCALCÉMIES :
Symptômes de l’hypercalcémie :
Quelle que soit sa cause, une hypercalcémie est d’autant mieux tolérée qu’elle est plus modérée ou, surtout, qu’elle s’installe plus progressivement. Ceci explique qu’un grand nombre d’hypercalcémies soit découvert fortuitement, chez des patients n’ayant aucun signe d’appel. Les symptômes attribuables à l’hypercalcémie, lorsqu’ils existent, concernent différents appareils : appareil cardiovasculaire, système nerveux central, appareil digestif, système rénal.
Diagnostic d’une hypercalcémie :
Hormis l’interrogatoire (précisant l’ancienneté de l’hypercalcémie, l’utilisation de traitements potentiellement hypercalcémiants, l’existence d’une maladie sous-jacente déjà connue) et l’examen clinique, le diagnostic d’une hypercalcémie requiert habituellement une démarche raisonnée au cours de laquelle la mesure de certaines variables biologiques est essentielle.
Estimation de la sécrétion de PTH :
La pierre d’angle du diagnostic d’une hypercalcémie est l’estimation de la sécrétion de PTH. En présence d’une hypercalcémie, une sécrétion de PTH élevée ou normale témoigne de son caractère inapproprié et permet d’établir le diagnostic d’hypercalcémie d’origine parathyroïdienne (HPTP ou, plus rarement, hypercalcémie familiale bénigne [HFB]). À l’opposé, une sécrétion de PTH basse, appropriée à l’hypercalcémie, fait porter le diagnostic d’hypercalcémie d’origine extraparathyroïdienne, dont les causes sont dominées par les cancers. La sécrétion de PTH n’étant pas cliniquement mesurable, elle est estimée par la mesure de la concentration sérique de PTH. La concentration de PTH ne varie proportionnellement à la sécrétion parathyroïdienne que dans la mesure où la clairance métabolique de l’hormone est stable, condition qui n’était pas vérifiée par les plus anciens des systèmes d’immunodosage. Les premiers systèmes de dosage utilisaient en effet des anticorps reconnaissant des épitopes présents à la fois sur la molécule de PTH intacte et sur le fragment carboxyterminal. Ils ne permettaient donc pas d’estimer de manière fiable la sécrétion de PTH biologiquement active par les cellules parathyroïdiennes. Cette faible spécificité était illustrée par le chevauchement entre les valeurs mesurées chez des sujets ayant une HPTP (où la sécrétion de PTH intacte est élevée) et ceux ayant une hypercalcémie des cancers (où la sécrétion de PTH intacte est faible). Plus récemment, une méthode de dosage immunoradiométrique (IRMA) de la PTH intacte circulante a été introduite : cette mesure utilise deux anticorps, l’un dirigé contre la partie aminoterminale et l’autre contre la partie carboxyterminale du peptide. À la différence des précédentes, cette technique de mesure est très spécifique et très sensible pour la mesure des faibles concentrations de PTH. Elle permet une excellente séparation entre les valeurs des patients atteints d’hyperparathyroïdie et ceux atteints d’hypercalcémie des cancers ou de sarcoïdose. En 10 ans d’utilisation, ce type de mesure a largement démontré ses performances diagnostiques. Une mesure immunométrique non isotopique de la PTH intacte est maintenant disponible ; dans cette technique, un des deux membres du couple d’anticorps utilisés est associé, non pas à l’iode 125 mais à un ester d’acridinium produisant un signal lumineux en présence d’un peroxyde alcalin. Pour cette raison, ce type de test est dénommé immunochemiluminometric assay (ICMA) et ses performances sont superposables à celles des tests IRMA.
Mesure de la calciurie à jeun :
Ainsi qu’exposé plus haut, la calcémie à jeun est maintenue stable parce que la perte rénale obligatoire de calcium qui existe alors est exactement compensée par une entrée nette du calcium d’origine osseuse. Ainsi, la calciurie mesurée à jeun estime la résorption osseuse nette, sous réserve qu’il n’y ait aucune entrée de calcium d’origine intestinale au moment de la mesure. Cette condition est, en général, satisfaite en imposant au sujet, en plus d’un jeûne nocturne total, une alimentation appauvrie en calcium, obtenue par l’éviction du lait, des produits laitiers et des eaux de boisson minéralisées, la veille de la mesure. Le débit urinaire de calcium doit être rapporté au débit de créatinine, de manière à s’affranchir des erreurs de recueil urinaire. Chez les sujets normaux, la valeur de ce rapport (exprimé en mmol/mmol) est comprise entre 0,03 et 0,36 selon une distribution qui n’est pas normale mais log-normale (comme la distribution de la calciurie des 24 heures, chez les sujets normaux).
Mesures de la production d’adénosine 3’, 5’ monophosphate cyclique néphrogénique et de la concentration de PTHrP
Les situations d’hypercalcémie au cours desquelles la concentration de PTH sérique est basse, adaptée, sont dominées par les cancers.
Dans ce groupe, le syndrome d’hypercalcémie humorale des néoplasies (HHC) rend compte de 80 % des hypercalcémies. Le PTHrP sécrété par la tumeur joue un rôle central dans ce syndrome : en se liant au récepteur rénal et osseux de la PTH, il explique une grande partie des signes biologiques caractérisant ce syndrome. Sa mesure constitue donc un élément essentiel pour établir le diagnostic d’HHC. Par ailleurs, en se liant au récepteur rénal de la PTH, il stimule la production d’AMPc par les cellules tubulaires, essentiellement proximales. Le débit de production d’AMPc par les cellules tubulaires constitue l’AMPc néphrogénique et la dissociation entre une concentration de PTH basse et une production d’AMPc néphrogénique élevée est pathognomonique du syndrome d’HHC.
Mesure des métabolites de la vitamine D :
En dehors du cadre des cancers, certaines hypercalcémies avec sécrétion de PTH basse sont dues à une intoxication par la vitamine D (ou un de ses métabolites) ou à une production endogène excessive de calcitriol par une granulomatose.
En pratique quotidienne, seules les mesures de la 25-OH vitamine D et de la 1,25 (OH)2 vitamine D ont un intérêt : la première parce qu’elle représente la meilleure estimation du capital en vitamine D et qu’elle seule permet le diagnostic de déficit ou d’intoxication à la vitamine D ; la seconde parce qu’elle est l’hormone biologiquement active.
La 25-OH vitamine D circulante est formée par hydroxylation hépatique du cholécalciférol (vitamine D3) d’origine endogène ou animale, et de l’ergocalciférol (vitamine D2), d’origine végétale.
L’hydroxylation hépatique étant directement fonction de la quantité de précurseur, la mesure de la concentration sanguine de 25-OH vitamine D reflète l’état du capital en vitamines D2 et D3. Après extraction et chromatographie séparative, le dosage (habituellement par radiocompétition) ne distingue pas entre cholécalciférol et ergocalciférol ; il ne reconnaît pas le dihydrotachystérol. Les valeurs normales diffèrent considérablement selon l’ensoleillement et les apports alimentaires. En France, les valeurs considérées comme normales sont de l’ordre de 5 à 40 ng/mL (12,5-100 nmol/L). Une valeur très élevée (supérieure à dix fois la valeur normale) est habituellement considérée comme nécessaire au diagnostic d’intoxication ; cependant, la tolérance au traitement par de fortes doses de vitamine D varie considérablement d’un patient à l’autre.
La synthèse de 1,25 (OH)2 vitamine D est essentiellement rénale et rigoureusement contrôlée par la calcémie et la phosphatémie (qui l’inhibent) et la PTH (qui la stimule). En raison même de cette étroite régulation, la mesure de la concentration de calcitriol ne constitue pas une estimation du capital en vitamine D. Les indications du dosage sont donc les situations dans lesquelles la synthèse est anormalement basse (déficit héréditaire de la synthèse de calcitriol, insuffisance rénale) ou anormalement élevée (granulomatoses, hypercalcémie idiopathique du nourrisson, lymphome), ainsi que les suspicions d’intoxication par le calcitriol (Rocaltrolt) ou l’alphacalcidiol (Un Alfat). Les valeurs normales chez l’adulte sont habituellement comprises entre 20 et 50 pg/mL (48 à 120 pmol/L) et sont négativement corrélées aux apports alimentaires de calcium.
Des valeurs physiologiquement plus élevées sont observées chez l’enfant et au cours de la grossesse (pendant laquelle il existe une production placentaire de calcitriol).
CAUSES DES HYPERCALCÉMIES :
Hypercalcémie d’origine parathyroïdienne :
Hyperparathyroïdie primitive :
L’HPTP est la première cause d’hypercalcémie. Elle se définit par une sécrétion excessive de PTH, inappropriée à la valeur de calcémie. De manière prédominante, l’HPTP affecte la femme après l’âge de 40 ans. Pendant de nombreuses années, l’HPTP a été considérée comme une maladie rare et grave, responsable de deux complications spécifiques : la lithiase calcique rénale et l’ostéite fibrokystique. Plus récemment, l’introduction de méthodes automatisées de mesure de la calcémie a totalement bouleversé l’épidémiologie apparente de l’HPTP, en permettant la découverte, chez des patients asymptomatiques, d’une hypercalcémie conduisant au diagnostic. Actuellement, la prévalence estimée de l’HPTP est de 100 cas pour 100 000 habitants et l’incidence absolue a été multipliée par 4. Les complications spécifiques sont devenues rares : la lithiase rénale n’est présente que chez moins de 20 % des patients, l’ostéite fibrokystique chez moins de 1 % et le syndrome neuromusculaire a virtuellement disparu. Ainsi, la grande majorité des patients n’a pas de signe directement attribuable à l’HPTP au moment du diagnostic.
Il est maintenant établi que la plupart, sinon la totalité, des tumeurs parathyroïdiennes sont monoclonales. La cause précise de l’HPTP n’est pas connue, même si cette affection apparaît favorisée par l’irradiation préalable de la région cervicale et plusieurs anomalies géniques.
L’hypercalcémie est habituellement modérée (2,7-3 mmol) et reste remarquablement stable pendant des années. La concentration sérique de PTH, mesurée par méthode IRMA ou par ICMA, est élevée chez 90 % des patients. Chez 10 % des patients, la concentration de PTH n’est pas franchement élevée, mais dans la moitié supérieure des valeurs normales, inappropriée à l’hypercalcémie. La réabsorption tubulaire rénale du phosphate est fréquemment diminuée, en raison de l’hypersécrétion de PTH, provoquant une hypophosphatémie chez 60 à 70 % des patients.
L’hypercalciurie est observée chez 40 à 50 % des patients, due à une synthèse accrue de calcitriol qui stimule l’absorption intestinale du calcium.
L’état acide-base est habituellement normal, une acidose métabolique hyperchlorémique n’étant observée qu’en cas de déplétion phosphatée sévère ou de néphrocalcinose.
D’excellentes revues générales ont été récemment consacrées aux conséquences osseuses de l’HPTP et à son traitement spécifique, qui ne seront pas détaillés ici.
Hypercalcémie familiale bénigne et hyperparathyroïdie néonatale sévère :
L’HFB (hypercalcémie-hypocalciurie familiale) est nettement plus rare que l’HPTP, mais elle en constitue le principal diagnostic différentiel qui contre-indique la parathyroïdectomie. Il s’agit d’une maladie autosomique dominante avec un haut degré de pénétrance, caractérisée par une hypercalcémie, le plus souvent asymptomatique, qui dure toute la vie, associée à une excrétion rénale de calcium comparativement basse puisque l’excrétion fractionnelle du calcium est habituellement inférieure à 1 %.
Typiquement, la concentration circulante de PTH est normale, inappropriée, et la magnésémie est modérément élevée ou dans les valeurs hautes de la normale. Les seuls symptômes sont, parfois, une pancréatite aiguë et une chondrocalcinose. De mariages consanguins dans des fratries atteintes d’HFB peuvent naître des enfants ayant une HPTP néonatale sévère. Ces enfants ont une hypercalcémie menaçant le pronostic vital et souffrent de retard de croissance, de déshydratation, de déminéralisation osseuse, de déformations de la cage thoracique, de multiples fractures et d’hypotonie dans les premières semaines de vie, ces complications nécessitant souvent une parathyroïdectomie totale. Le mode de transmission de ces deux maladies avait suggéré qu’elles puissent représenter un dosage différent d’une même mutation, l’HFB étant la forme hétérozygote et l’hyperparathyroïdie néonatale sévère étant la forme homozygote. Ces hypothèses ont récemment été confirmées : un allèle du gène codant le récepteur sensible au calcium (qui siège sur le bras long du chromosome 3 chez l’homme) est muté dans l’HFB alors que les deux allèles sont le siège d’une mutation dans l’hyperparathyroïdie néonatale sévère.
De nombreuses mutations ponctuelles ont été décrites à ce jour qui entraînent le plus souvent une modification non conservatrice d’un acide aminé. Les mutations décrites sont réparties dans l’ensemble du gène et peuvent affecter la traduction, le routage ou la fonction du récepteur.
Le traitement prolongé par lithium diminue la clairance du calcium et du magnésium et peut augmenter la sécrétion de PTH, provoquant ainsi une hypercalcémie qui régresse parfois lorsque le traitement peut être interrompu.
Hypercalcémie extraparathyroïdienne :
Hypercalcémies des cancers :
La survenue d’une hypercalcémie au cours de l’évolution d’un cancer est un événement fréquent puisque son incidence annuelle a été estimée à 150 nouveaux cas par million d’habitants. Cependant, toutes les néoplasies n’ont pas la même propension à se compliquer d’hypercalcémie : cet événement est fréquent dans les cancers bronchiques, les épithéliomas de la tête et du cou, le cancer du sein et certaines hémopathies malignes telles que le myélome multiple.
Dans tous les cas, le mécanisme initial de l’hypercalcémie est une ostéolyse intense résultant d’un découplage entre l’ostéoformation et l’ostéorésorption. Le flux de calcium entrant dans le liquide extracellulaire dépasse rapidement la capacité d’élimination rénale, surtout s’il existe une insuffisance rénale ou une augmentation de la réabsorption tubulaire du calcium. L’hypercalcémie apparaît et s’aggrave alors rapidement.
· Hypercalcémie humorale des cancers :
L’HHC est un syndrome survenant chez des patients atteints de néoplasies solides, le plus souvent dû à la production tumorale d’un facteur humoral circulant (endocrine) qui cause l’hypercalcémie. Il est important de noter que ces patients n’ont pas nécessairement de localisation osseuse secondaire de leur néoplasie. L’HHC est fréquente au cours de l’évolution des cancers épidermoïdes des bronches, de la tête et du cou, mais elle a également été décrite dans tous les types histologiques de cancers, y compris les hémopathies malignes. L’hypercalcémie d’aggravation rapide, mal tolérée, est associée à une concentration sérique de PTH basse, adaptée, contrastant avec une production d’AMPc néphrogénique élevée, une augmentation de la réabsorption tubulaire du calcium et une diminution de la réabsorption tubulaire de phosphate ; la concentration sanguine de calcitriol est normale ou basse et l’absorption intestinale de calcium diminuée. Le principal facteur impliqué dans la survenue d’une HHC est la sécrétion, par la tumeur, du PTHrP. En raison de la grande similitude de la séquence d’acides aminés des extrémités aminoterminales de la PTH et de la PTHrP, cette dernière se lie au récepteur rénal et osseux de la PTH et induit une hypercalcémie, une hypophosphatémie et une augmentation de la production d’AMPc néphrogénique. Cependant, le découplage du remodelage osseux et la diminution de la synthèse de calcitriol ne sont pas expliqués par la liaison de la PTHrP au récepteur de la PTH, et pourraient être dus à l’interaction de la PTHrP avec un autre type de récepteur et/ou à la cosécrétion, par la tumeur, de substances telles que le transforming growth factor alpha (TGFalpha).
· Ostéolyse locale maligne
L’ostéolyse locale maligne (OLM) rend compte de 20 % des hypercalcémies compliquant les cancers. Le mécanisme est une augmentation de la résorption ostéoclastique, activée selon un mécanisme paracrine par des cellules malignes infiltrant la moelle osseuse et sécrétant des cytokines (interleukine 1alpha, interleukine 1bêta, interleukine 6, tumor necrosis factor [TNF] alpha et bêta, TGFalpha) agissant sur les ostéoclastes. Typiquement, ce mécanisme est observé au cours du myélome et du cancer du sein. La calcémie est élevée, la phosphatémie habituellement normale, et la calciurie très élevée, témoignant de l’entrée massive du calcium osseux dans le liquide extracellulaire. Les concentrations de PTH, de calcitriol et la production d’AMPc sont basses, adaptées à l’hypercalcémie.
Enfin, une hypercalcémie liée à une production excessive et non régulée de calcitriol a été observée au cours de certains lymphomes malins. Le mécanisme de l’hypercalcémie est le même qu’au cours des granulomatoses.
Sarcoïdose et autres granulomatoses :
Une majorité des patients atteints de sarcoïdose ont une hypercalciurie et 10 à 20 % développent une hypercalcémie au cours de l’évolution de leur maladie. Le mécanisme physiopathologique admis associe une augmentation des entrées d’origine digestive et osseuse, à une diminution de la capacité du rein à excréter le calcium, en raison d’une insuffisance rénale liée à une néphropathie interstitielle spécifique. L’augmentation des entrées de calcium est attribuée à une synthèse excessive et non régulée de calcitriol par les macrophages des granulomes. L’activité 1alpha-hydroxylase des macrophages se distingue de celle normalement exprimée dans les cellules du tubule proximal, en ce qu’elle n’est pas régulée par les concentrations de calcitriol et de PTH : pour cette raison, la synthèse macrophagique de calcitriol est extrêmement dépendante de la disponibilité du substrat 25-OH vitamine D, ce qui explique que la survenue de l’hypercalcémie (et de l’hypercalciurie) soit favorisée par l’exposition au soleil et/ou par l’ingestion du vitamine D, même administrée à dose physiologique. De plus, l’activité 1alpha-hydroxylase des macrophages est stimulée par l’interféron gamma produit par les lymphocytes activés et l’oxyde nitrique (NO) ; à l’opposé, elle est inhibée par les glucocorticoïdes, la chloroquine et le kétoconazole, ce qui explique l’efficacité de ces traitements. En effet, les glucocorticoïdes, à la dose quotidienne de 40 à 60 mg de prednisone, produisent une diminution de la concentration de calcitriol en quelques heures et une normalisation de la calcémie et de la calciurie en quelques jours : ils constituent le traitement de choix de l’hypercalcémie des granulomatoses.
TRAITEMENT DES HYPERCALCÉMIES :
L’indication du traitement symptomatique d’une hypercalcémie dépend de plusieurs facteurs. Tout patient symptomatique ou dont la calcémie excède 3,25 mmol/L nécessite un traitement urgent. Un patient asymptomatique et dont la calcémie est inférieure à 3,25 mmol/L ne requiert pas de traitement immédiat, à l’exception des cas où cette hypercalcémie est due à un cancer parce qu’elle est alors susceptible de s’aggraver rapidement. Le traitement de l’hypercalcémie doit être individualisé en prenant soigneusement en compte plusieurs éléments : la cause de l’hypercalcémie, son mécanisme pathogénique, et l’existence de contre-indications spécifiques à un type particulier de traitement.
Les principes de base du traitement d’une hypercalcémie sont la correction de la contraction du volume extracellulaire, l’augmentation de la capacité du rein à éliminer le calcium, et la diminution des entrées de calcium dans le liquide extracellulaire.
La restauration d’un volume extracellulaire normal par la perfusion intraveineuse de soluté salé isotonique est la première étape du traitement d’une hypercalcémie sévère. L’administration quotidienne de 3 à 6 L de soluté salé isotonique augmente le débit de filtration glomérulaire et diminue la réabsorption tubulaire rénale de calcium, si bien qu’une diminution de la calcémie de l’ordre de 0,4 à 0,6 mmol/L peut être obtenue par ce seul traitement. La quantité de soluté administrée est, évidemment, guidée par la tolérance cardiovasculaire du patient.
L’utilisation de fortes doses d’un diurétique de l’anse a souvent été préconisée par le passé. Un tel traitement, qui nécessite que le volume extracellulaire soit préalablement normalisé, n’est plus utile, chez la majorité des patients, en raison de l’efficacité des traitements actuels. L’utilisation de doses modérées (20 à 40 mg/j de furosémide) peut cependant être utile chez les patients dont la tolérance cardiovasculaire à l’expansion du volume extracellulaire est médiocre.
Les médicaments qui inhibent la résorption osseuse constituent un moyen extrêmement efficace de traiter une hypercalcémie sévère, particulièrement lorsqu’elle est due à un cancer. La calcitonine inhibe la résorption osseuse et augmente l’élimination rénale de calcium. Administrée à la dose de 4 unités MRC/kg toutes les 12 heures par voie sous-cutanée ou intraveineuse, elle produit une baisse de la calcémie en quelques heures, avec un effet maximal obtenu en 12 à 24 heures. Cependant, l’effet de la calcitonine est en général modéré, la calcémie diminuant rarement de plus de 0,5 mmol/L, et surtout transitoire. C’est la raison pour laquelle il est nécessaire de l’associer à un traitement dont l’effet est plus prolongé tel que l’administration de diphosphonates. Les diphosphonates sont des analogues synthétiques stables du pyrophosphate et constituent de puissants inhibiteurs de l’activité ostéoclastique. Administrés par voie intraveineuse, l’étidronate, le clodronate ou le pamidronate (dans l’ordre croissant d’efficacité) entraînent tous une diminution de la calcémie qui n’apparaît que 24 à 48 heures après l’instauration du traitement, l’effet maximal étant observé au cours de la première semaine. Une dose unique de pamidronate en perfusion intraveineuse de 4 heures (30 à 60 mg si la calcémie est inférieure à 3,40 mmol/L, 90 mg si elle est supérieure à cette valeur) est en général suffisante pour entraîner une normalisation prolongée (parfois jusqu’à 1 mois) de la calcémie.
Les autres traitements antérieurement utilisés (mithramycine, nitrate de gallium, perfusion de phosphate) sont également efficaces, mais leur toxicité est élevée ce qui explique leur désaffection.
MÉCANISMES DES HYPOCALCÉMIES :
Dans la mesure où la PTH joue un rôle central dans le maintien de la calcémie à une valeur normale (cf Régulation de la calcémie), une hypocalcémie prolongée ne peut survenir que si la sécrétion de PTH est nulle ou insuffisante, ou s’il existe une résistance à l’action de la PTH dans ses organes cibles, ou, enfin, s’il existe un flux net de calcium vers l’os (ou les tissus mous) à condition qu’il soit d’intensité suffisante pour dépasser les effets « antihypocalcémiques » de la PTH.
Dans la première situation, une hypocalcémie stable et prolongée existe en raison d’une diminution primitive de la sécrétion parathyroïdienne de PTH. En conséquence, pour une calcémie normale, l’excrétion rénale de calcium est plus élevée que la normale et la libération de calcium osseux plus basse que la normale : il en résulte une baisse progressive de la calcémie jusqu’à un nouvel état stable caractérisé par une excrétion urinaire de calcium égale à la libération osseuse nette de calcium. La concentration sérique de PTH est alors basse ou normale, inappropriée à l’hypocalcémie et la calciurie des 24 heures basse ou normale. L’hypoparathyroïdie en est un exemple typique.
Dans la deuxième situation, l’hypocalcémie survient parce que l’os et le rein sont résistants à l’action biologique de la PTH. En conséquence, pour une calcémie normale, l’excrétion rénale de calcium est plus élevée que la normale et la libération de calcium osseux plus basse que la normale : il en résulte une baisse progressive de la calcémie qui stimule la sécrétion parathyroïdienne de PTH ; celle-ci peut, éventuellement, rétablir des effets périphériques de la PTH normaux mais au prix d’une hypocalcémie.
Dans cette situation, la concentration sérique de PTH est élevée, appropriée à l’hypocalcémie.
Enfin, dans la troisième situation, la formation osseuse entraîne un flux net de calcium du liquide extracellulaire vers l’os, suffisamment intense pour dépasser les mécanismes de maintien de la calcémie, même en présence d’une sécrétion de PTH élevée ; ce type d’anomalie s’observe essentiellement dans les phases de guérison des ostéopathies métaboliques et porte le nom de hungry bone syndrome.
CARACTÈRES GÉNÉRAUX DES HYPOCALCÉMIES :
Symptômes de l’hypocalcémie :
Quelle que soit sa cause, une hypocalcémie est d’autant mieux tolérée qu’elle est plus modérée ou, surtout, qu’elle s’installe plus progressivement. Les symptômes attribuables à l’hypocalcémie, lorsqu’ils existent, concernent, avant tout, le système neuromusculaire et l’appareil cardiovasculaire.
Diagnostic d’une hypocalcémie :
Hormis l’interrogatoire (précisant l’ancienneté de l’hypocalcémie, la notion de chirurgie cervicale, l’utilisation de traitements potentiellement hypocalcémiants, l’existence d’une maladie sousjacente) et l’examen clinique, le diagnostic d’une hypocalcémie requiert habituellement une démarche raisonnée au cours de laquelle la mesure de certaines variables biologiques est essentielle.
Comme énoncé à l’occasion du diagnostic des hypercalcémies, la pierre d’angle du diagnostic d’une hypocalcémie est l’estimation de la sécrétion de PTH par la mesure de la concentration sanguine de PTH intacte. En présence d’une hypocalcémie, une sécrétion de PTH basse ou normale témoigne de son caractère inapproprié et permet d’établir le diagnostic d’hypocalcémie d’origine parathyroïdienne (hypoparathyroïdie ou, plus rarement, hypocalcémie autosomique dominante). À l’opposé, une sécrétion de PTH élevée, appropriée à l’hypocalcémie, fait porter le diagnostic d’hypocalcémie d’origine extraparathyroïdienne. Ces situations sont dominées par les déficits en vitamine D ou en ses métabolites ; les syndromes de résistance à la PTH ou à la vitamine D sont plus rares.
CAUSES DES HYPOCALCÉMIES :
Hypocalcémies parathyroïdiennes :
Hypoparathyroïdies :
L’hypoparathyroïdie est la conséquence d’une insuffisance de synthèse et/ou de sécrétion de PTH. Dans cette situation, la calcémie diminue et peut atteindre une valeur aussi basse que 1,2 mmol/L.
Simultanément, la concentration de PTH est indétectable ou basse, inadaptée à l’hypocalcémie. Une hyperphosphatémie est fréquente, liée à l’augmentation de la réabsorption rénale de phosphate. La calciurie des 24 heures est basse puisque la synthèse de calcitriol et, par conséquent, l’absorption intestinale du calcium sont diminuées.
La cause la plus fréquente d’hypoparathyroïdie est la chirurgie cervicale. Les glandes parathyroïdes peuvent être retirées ou lésées lors de chirurgie cervicale étendue (cancer thyroïdien ou laryngé, interventions répétées sur les parathyroïdes) ; une hypoparathyroïdie transitoire ou définitive peut également être la conséquence d’un oedème ou d’hémorragies altérant la vascularisation des glandes parathyroïdes. Plus rarement, la destruction des glandes parathyroïdes est secondaire à une irradiation cervicale, à une exceptionnelle infiltration néoplasique ou granulomateuse, à une surcharge (maladie de Wilson, hémochromatose, thalassémie), à une atteinte auto-immune sporadique ou évoluant dans un contexte de maladie familiale dont la plus connue associe une hypoparathyroïdie, une maladie d’Addison et une moniliase (syndrome HAM ou polyglandular autoimmune disease type I).
L’agénésie ou l’hypoplasie congénitale des glandes parathyroïdes, isolée ou associée à d’autres anomalies embryologiques, provoque également une hypoparathyroïdie.
Enfin, la sécrétion de PTH peut être fonctionnellement altérée, en cas d’hypomagnésémie sévère.
Hypocalcémie autosomique dominante :
Cette affection, également connue sous le nom d’hypocalcémie hypercalciurique familiale, est la conséquence d’une mutation activatrice hétérozygote du récepteur sensible au calcium. La concentration de PTH est normale mais inappropriée à l’hypocalcémie. Le point important est que toute tentative de traitement par calcium et dérivé de la vitamine D se complique d’une hypercalciurie importante, d’une lithiase rénale calcique et/ou d’une néphrocalcinose, et d’une insuffisance rénale.
Hypocalcémies extraparathyroïdiennes :
Cet ensemble d’affections est caractérisé par une sécrétion de PTH élevée, appropriée à l’hypocalcémie : l’hypocalcémie survient à cause d’une résistance aux actions périphériques de la PTH, ou parce que le phénomène physiopathologique sous-jacent dépasse la capacité de la PTH à maintenir une calcémie normale.
Anomalies de la vitamine D et de ses métabolites :
Ces désordres se répartissent en trois groupes : le déficit absolu en vitamine D, les anomalies du métabolisme de la vitamine D et les syndromes de résistance aux actions de la vitamine D. Dans l’ensemble, l’hypocalcémie n’est pas cliniquement isolée mais s’intègre dans un tableau de rachitisme ou d’ostéomalacie.
Les carences en vitamine D résultent d’une exposition solaire insuffisante (pour des raisons géographiques, sociales ou coutumières), d’un apport alimentaire insuffisant ou d’un syndrome de malabsorption intestinale des lipides (maladie coeliaque, cirrhose biliaire primitive, pancréatite chronique, résections intestinales…).
Le défaut d’hydroxylation hépatique de la vitamine D, entraînant une carence en 25-OH vitamine D, peut s’observer au cours des hépatopathies chroniques cholestatiques ou de traitements prolongés par des inducteurs enzymatiques tels que les barbituriques ou la phénytoïne. Le défaut d’hydroxylation rénale de la 25-OH vitamine D en 1,25 (OH)2 vitamine D s’observe soit au cours du rachitisme vitaminodépendant de type 1, affection rare autosomique récessive caractérisée par un déficit fonctionnel de l’enzyme 1alpha-hydroxylase rénale, soit au cours de l’insuffisance rénale, par réduction de la masse néphronique fonctionnelle et de l’expression de l’enzyme.
Enfin, le rachitisme vitaminodépendant de type II, autosomique récessif, se caractérise par une résistance à l’action du calcitriol sur ses organes cibles par mutation des sites de liaison du récepteur de la vitamine D.
TRAITEMENT DES HYPOCALCÉMIES :
Le décision de traiter une hypocalcémie dépend de sa sévérité, de sa rapidité d’installation, et de sa tolérance clinique.
Quel que soit le contexte, une hypomagnésémie doit être recherchée et, le cas échéant, traitée ; en cas d’acidose métabolique associée, le traitement de l’hypocalcémie doit précéder, et non pas suivre, celui de l’acidose sous peine d’observer une aggravation de l’hypocalcémie.
Hypocalcémie aiguë :
Une hypocalcémie modérée, comprise entre 1,9 et 2,1 mmol/L, chez un patient asymptomatique, nécessite habituellement une supplémentation calcique orale (500 à 1000 mg de calcium-élément toutes les 6 heures) assortie d’une surveillance clinique et biologique.
En revanche, une hypocalcémie symptomatique ou sévère (inférieure à 1,9 mmol/L) justifie un traitement par voie parentérale.
Le gluconate de calcium à 10 % existe en ampoules de 10 mL contenant 94 mg de calcium élément. Après injection par voie intraveineuse d’une ampoule en 5 minutes, une perfusion de 10 ampoules diluées dans 1 L de soluté glucosé isotonique est administrée au débit de 50 mL/h (47 mg/h de calcium), le débit étant secondairement adapté au résultat désiré. Le chlorure de calcium à 10 % existe en ampoules de 10 mL contenant chacune 272 mg de calcium-élément, concentration élevée rendant cette préparation nettement plus agressive pour les veines.
Hypocalcémie chronique :
Le traitement d’une hypocalcémie chronique nécessite le recours à des apports calciques oraux ainsi que, le plus souvent, à la vitamine D ou à ses dérivés pour augmenter l’absorption intestinale du calcium.
Le calcium peut être apporté sous forme de carbonate, de gluconolactate, de citrate, de lactobionate ou de glubionate, le phosphate de calcium étant à éviter en raison du risque d’aggravation d’une hyperphosphatémie préexistante. La dose quotidienne est habituellement comprise entre 1 et 2 g de calcium élément, répartis dans la journée et ingérés à distance des repas. Le choix du dérivé de la vitamine D dépend de la situation. Les carences d’apport ou de synthèse de vitamine D justifient une supplémentation par vitamine D à dose physiologique (400 à 800 UI/j). Des doses plus élevées (50 000 à 100 000 UI) sont justifiées chez les patients atteints d’un syndrome de malabsorption intestinale du calcium. La 25-OH vitamine D, à la dose de 1 à 5 íg/j, est justifiée chez les patients ayant un déficit de l’hydroxylation hépatique de la vitamine D. Enfin, la 1,25 (OH)2 vitamine D (0,5 à 1 íg/j) ou la 1alpha-OH vitamine D (1 à 1,5 íg/j) sont nécessaires chez les patients dont l’hydroxylation rénale de la 25-OH vitamine D est déficiente.
Dans tous les cas, le traitement doit être adapté pour maintenir une calcémie modérément diminuée ou dans les valeurs basses de la normale ainsi qu’une calciurie inférieure à 6,5 mmol/j afin d’éviter le risque de lithiase rénale, de néphrocalcinose et d’insuffisance rénale.
Physiologie du phosphate, Bilan du phosphate et régulation de la phosphatémie :
Un adulte de 70 kg contient environ 23 mol de phosphate, réparties pour 85 % dans l’os sous forme de cristaux d’hydroxyapatite, pour 14 % dans le liquide intracellulaire où il joue un rôle essentiel dans de nombreuses fonctions cellulaires (synthèse d’adénosine triphosphate [ATP], d’acides nucléiques, de phospholipides, de phosphoprotéines, et régulation d’activités enzymatiques) et 1 % dans le liquide extracellulaire. Le phosphate extracellulaire existe, pour deux tiers, sous forme organique et, pour un tiers, sous forme inorganique ; cette dernière fraction est celle habituellement mesurée.
Le phosphate inorganique (Pi) plasmatique est faiblement lié aux protéines (10 %) et circule majoritairement sous forme libre (ionisée), une faible fraction étant complexée au calcium et au magnésium. La concentration normale de Pi est, à jeun, comprise entre 0,82 et 1,40 mmol/L chez l’adulte ; elle est physiologiquement plus élevée chez l’enfant et l’adolescent jusqu’à la fin de la croissance. La concentration extracellulaire de Pi n’est pas constante au cours du nycthémère : elle est minimale le matin à jeun puis s’élève au cours de la journée, ce qui souligne l’intérêt de réaliser la mesure le matin à jeun.
Le bilan de phosphate, différence entre les entrées et les sorties de l’organisme, est nul chez l’adulte normal, positif chez l’enfant et l’adolescent en croissance et négatif chez le sujet âgé.
L’entrée de phosphate dans l’organisme s’effectue uniquement par voie intestinale, à partir du phosphate contenu dans l’alimentation.
Les apports alimentaires habituels s’échelonnent entre 800 et 2000 mg/j de phosphore. Environ 70 % du phosphate ingéré est absorbé dans l’intestin, principalement dans le duodénum et le jéjunum. Dans ces segments, le transport de phosphate s’effectue selon un double mécanisme : un transport paracellulaire, diffusif, non saturable, non régulé, directement dépendant du gradient de concentration de phosphate entre la lumière intestinale et le liquide interstitiel, et un transport transcellulaire, saturable, régulé, utilisant un système de cotransport Na/Pi situé dans la membrane apicale des entérocytes. Ainsi, il apparaît que le transport paracellulaire domine en situation d’apport alimentaire normal ou élevé et que le transport transcellulaire domine en situation d’apport faible.
Plusieurs facteurs modulent le transport intestinal (transcellulaire) de phosphate :
– le calcitriol augmente l’activité du cotransport Na/Pi apical ;
– un régime pauvre en phosphate stimule le transport transcellulaire, via une action directe sur le cotransport Na/Pi et via une augmentation de la synthèse de calcitriol ;
– les apports élevés de calcium et magnésium, ainsi que les gels d’alumine, diminuent le transport intestinal de phosphate en entraînant la formation de complexes peu absorbables.
Chez un adulte normal, il n’existe pas, au cours du nycthémère, de flux net de phosphate entre l’os et le liquide extracellulaire, ni entre les cellules et le liquide extracellulaire. Cette situation n’est évidemment pas celle de l’enfant ou de l’adolescent en croissance chez qui un bilan positif de phosphate est nécessaire à la minéralisation osseuse et à l’augmentation de la masse cellulaire.
Chez l’adulte normal, le bilan de phosphate est maintenu à une valeur nulle parce que l’excrétion rénale de phosphate est égale à l’entrée intestinale nette. Dans la mesure où l’absorption intestinale de phosphate est peu régulée, le rein joue un rôle central dans le maintien d’un bilan de phosphate équilibré ainsi que dans le contrôle de la valeur de phosphatémie.
Le comportement rénal du phosphate répond à un processus de filtration-réabsorption. Quatre-vingts à 85 % du phosphate filtré est réabsorbé dans le tubule proximal qui constitue donc le site majeur, et le mieux connu, de transport rénal du phosphate. La réabsorption proximale de phosphate étant un phénomène saturable, il est possible de mesurer le transport rénal maximal (TmPi). Le rapport entre le TmPi et le débit de filtration glomérulaire (TmPi/DFG) définit le seuil rénal du phosphate, qui est la concentration plasmatique de phosphate au-delà de laquelle l’excrétion rénale de phosphate croît linéairement avec la phosphatémie. Le seuil rénal du phosphate est le facteur essentiel de régulation de la phosphatémie. En effet, lorsque les entrées de phosphate s’élèvent (à la suite d’un repas, par exemple), la phosphatémie s’élève au delà du seuil rénal, la phosphaturie augmente, permettant d’éliminer l’excès de phosphate, et la phosphatémie se normalise.
Inversement, lorsque les entrées de phosphate sont nulles, la tendance à la baisse de la phosphatémie s’interrompt dès que la phosphatémie atteint la valeur du seuil rénal puisque, pour cette valeur, l’intégralité du phosphate filtré est réabsorbée et la phosphaturie devient également nulle.
De plus, la détermination du seuil rénal de phosphate est un élément majeur pour juger du caractère rénal ou extrarénal d’une hypophosphatémie : il est, en effet, augmenté (l’excrétion rénale de phosphate est très basse ou nulle) dans les hypophosphatémies d’origine extrarénale, et diminué (la phosphaturie est maintenue) dans les hypophosphatémies d’origine rénale.
L’étape limitante de la réabsorption tubulaire rénale du phosphate est le transport à travers la membrane apicale des cellules du tubule proximal qui utilise un système de cotransport sodium/phosphate.
Trois groupes de cotransporteurs Na/Pi sont actuellement connus chez les mammifères et dénommés Na/Pi de type I, de type II et de type III. Si les cotransporteurs Na/Pi de type III sont distribués dans de nombreux types cellulaires, les cotransporteurs Na/Pi de type I et de type II sont préférentiellement localisés dans le rein et, particulièrement, dans la bordure en « brosse » des cellules du tubule proximal. De surcroît, seul le cotransporteur Na/Pi de type
II apparaît physiologiquement impliqué dans la réabsorption tubulaire de phosphate.
La réabsorption tubulaire rénale de phosphate est régulée par plusieurs facteurs, les deux plus importants étant sans doute la PTH et l’apport en phosphate.
La PTH inhibe la réabsorption rénale de phosphate. L’action de l’hormone s’explique par une augmentation de l’endocytose du transporteur apical Na/Pi de type II, par l’intermédiaire d’une activation des voies de l’adénylate cyclase et de la protéine kinase C.
Les variations de l’apport alimentaire de phosphate provoquent une variation rapide de sa réabsorption tubulaire. Cette régulation semble directe puisqu’elle survient indépendamment de modifications de la PTH, du calcitriol, de la calcémie et de l’hormone de croissance. La restriction des apports phosphatés s’accompagne, en quelques heures, d’une augmentation du transport proximal de phosphate et de l’expression à la membrane apicale du cotransporteur Na/Pi de type II, puis d’une augmentation de son ARNm. L’augmentation de l’apport en phosphate produit des variations opposées.
Un autre facteur humoral, aujourd’hui encore inconnu, pourrait participer à la régulation du transport proximal de phosphate. En effet, dans les modèles d’hypophosphatémie héréditaire chez la souris, l’expression apicale du cotransporteur Na/Pi de type II est diminuée, expliquant la diminution du transport de phosphate et l’hypophosphatémie observées. Pour autant, il n’existe pas d’anomalie du gène codant ce cotransporteur ; en revanche, un gène codant une molécule protéolytique (PHEX) est muté dans cette affection (cf Rachitisme hypophosphatémique lié à l’X). L’hypothèse est que PHEX contrôle un facteur endocrine impliqué dans l’expression rénale du cotransporteur Na/Pi de type II.
Anomalies de la phosphatémie :
MÉCANISMES DES HYPOPHOSPHATÉMIES :
Schématiquement, une diminution anormale de la phosphatémie peut survenir dans trois types de circonstances : lorsque les apports alimentaires sont réduits ou que les pertes intestinales augmentent de manière prolongée, lorsque la capacité du tubule rénal à réabsorber le phosphate diminue, ou, enfin, lorsqu’une partie du phosphate extracellulaire est transférée vers le secteur intracellulaire ou l’os ; cette dernière éventualité se produit essentiellement lors d’apports d’hydrates de carbone ou d’alcalose ventilatoire, deux situations stimulant la glycolyse intracellulaire et la consommation cellulaire de phosphate.
CARACTÈRES GÉNÉRAUX DES HYPOPHOSPHATÉMIES :
Symptômes de l’hypophosphatémie :
Une hypophosphatémie modérée, définie par une phosphatémie comprise entre 0,3 et 0,8 mmol/L, ne s’accompagne habituellement pas de symptôme particulier ; en revanche, une hypophosphatémie sévère (inférieure à 0,3 mmol/L) est en général symptomatique. Il est important de noter qu’une hypophosphatémie n’est pas obligatoirement synonyme de déplétion phosphatée et qu’inversement, une déplétion phosphatée, éventuellement sévère, peut exister en présence d’une phosphatémie conservée ou peu diminuée.
Les conséquences cliniques d’une hypophosphatémie sévère avec déplétion phosphatée reposent sur la diminution du contenu cellulaire en ATP et du contenu des hématies en 2,3- diphosphoglycérate, cette dernière situation étant responsable d’une augmentation de l’affinité de l’hémoglobine pour l’oxygène et d’une hypoxie cellulaire.
Diagnostic d’une hypophosphatémie :
Le diagnostic d’une hypophosphatémie est fortement orienté par le contexte dans lequel elle survient. Ainsi, une diminution modérée et transitoire de la phosphatémie traduit, le plus souvent, un transfert qui survient à l’occasion d’un apport d’hydrates de carbone ou d’une hyperventilation alvéolaire aiguë. Une hypophosphatémie prolongée doit, au contraire, faire envisager soit une perte digestive de phosphate (malnutrition globale, y compris alcoolisme chronique, syndromes de malabsorption, utilisation de chélateurs du phosphate), soit une perte rénale de phosphate. Il est possible de distinguer ces deux catégories de mécanismes par le calcul du seuil rénal du phosphate (TmPi/DFG) ainsi que par la mesure de la phosphaturie. Un seuil rénal d’excrétion de phosphate inapproprié à l’hypophosphatémie (bas, voire normal) ainsi qu’une phosphaturie conservée, supérieure à 5 mmol/24 h, indiquent une perte rénale de phosphate ; à l’opposé, un seuil rénal élevé et une phosphaturie CAUSES DES HYPOPHOSPHATÉMIES
Hypophosphatémies d’origine extrarénale :
Renutrition :
La mise en route d’une renutrition chez les patients dénutris, chez les brûlés, ou chez les alcooliques, permet une régénération cellulaire qui risque de se compliquer d’une hypophosphatémie par transfert, le besoin cellulaire en phosphate augmentant alors brutalement. Une telle hypophosphatémie est habituellement prévenue par un apport adéquat de phosphate accompagnant les autres nutriments : un apport de 0,5 mmol de phosphate par kilogramme de poids corporel idéal et par jour est nécessaire dans cette situation.
Utilisation prolongée de chélateurs du phosphate :
Les sels d’alumine ou de magnésium, utilisés dans le traitement des ulcères gastroduodénaux, complexent le phosphate et peuvent entraîner une déplétion en phosphate avec hypophosphatémie lors de traitements prolongés. Cependant, cette situation est devenue rare depuis l’apparition des autres traitements de la maladie ulcéreuse (inhibiteurs des récepteurs H2, inhibiteurs de la H/K-ATPase).
Hypophosphatémies d’origine rénale :
Syndrome de Fanconi :
La perte rénale de phosphate est une des composantes du syndrome de Fanconi, qui comprend également une perte rénale de glucose, d’acides aminés et de bicarbonate, témoignant toutes d’un défaut de fonctionnement du tubule proximal. Ce syndrome est rare chez l’adulte, chez qui il apparaît au cours des dysglobulinémies, ou des intoxications par des médicaments ou des métaux lourds.
Rachitisme hypophosphatémique lié à l’X (rachitisme vitamino-D-résistant) :
Ce syndrome, caractérisé par un déficit sélectif de la réabsorption de phosphate dans le tubule proximal par diminution de l’activité du cotransport Na/Pi de type II, associe une hypophosphatémie d’origine rénale, une ostéomalacie, et une concentration de calcitriol normale ou basse, inadaptée à l’hypophosphatémie. La cause de ce syndrome n’est pas une mutation du gène du cotransport Na/Pi de type II, mais une mutation inactivatrice du gène PHEX sur le chromosome X. Le produit de ce gène est vraisemblablement une endopeptidase neutre qui dégrade normalement un facteur circulant mal identifié (phosphatonine ?) inhibiteur du cotransport.
Une variante de ce syndrome associe, outre l’hypophosphatémie et le rachitisme, une augmentation de la synthèse de calcitriol et une hypercalciurie. Les mutations impliquées concernent un gène situé en 12p13 dont l’identification est en cours.
Ostéomalacie oncogénique :
Elle est définie par la survenue d’une perte rénale de phosphate, d’une ostéomalacie et d’une insuffisance de synthèse de calcitriol chez un patient porteur d’une tumeur mésenchymateuse, vasculaire ou autre, et dont l’ablation entraîne la disparition de la symptomatologie. L’hypothèse est que de telles tumeurs sécrètent un facteur thermosensible, inhibiteur du cotransport Na/Pi, appelé « phosphatonine ».
TRAITEMENT DES HYPOPHOSPHATÉMIES :
Une hypophosphatémie légère (0,6-0,8 mmol/L) ne justifie pas de traitement particulier en dehors de celui de la maladie causale sousjacente ; en particulier, une hypophosphatémie aiguë par transfert ne requiert pas d’apport de phosphate puisque le capital phosphaté de l’organisme est inchangé. Lorsque l’hypophosphatémie est modérée (0,4-0,6 mmol/L) ou qu’il existe des signes de déplétion phosphatée, un apport de phosphate est souvent justifié en complément de l’éradication de la cause (arrêt d’un traitement par antiacides, interruption d’une intoxication alcoolique, traitement par vitamine D en cas d’ostéomalacie carentielle, équilibre d’un diabète sucré…). La correction de la déplétion peut être assurée par un apport de lait (chaque litre contenant environ 1 g de phosphore) ou un apport par une préparation pharmaceutique. Une hypophosphatémie symptomatique est compatible avec un déficit d’environ 10 g de phosphore qui doit être corrigé en 1 semaine à 10 jours par un apport total d’environ 20 g de phosphore.
Une hypophosphatémie sévèrement symptomatique (coma, convulsions, hémolyse, insuffisance cardiaque…) justifie, en général, le recours à une administration par voie parentérale.
Enfin, dans le cadre des hypophosphatémies modérées d’origine rénale, un traitement prolongé par dipyridamole à forte dose (300 mg/j) a été rapporté comme entraînant une augmentation modérée de la phosphatémie et du seuil rénal d’excrétion de phosphate.
MÉCANISMES DES HYPERPHOSPHATÉMIES :
Le comportement rénal du phosphate étant le principal déterminant de la phosphatémie, une hyperphosphatémie peut survenir lorsque la capacité du rein à éliminer le phosphate diminue (par diminution du débit de filtration glomérulaire et/ou augmentation de la réabsorption tubulaire rénale du calcium), ou lorsque les entrées de phosphate augmentent à un tel point qu’elles dépassent la capacité d’élimination rénale du phosphate.
SYMPTÔMES DE L’HYPERPHOSPHATÉMIE :
L’hypocalcémie, éventuellement symptomatique, est une complication habituelle de l’hyperphosphatémie, surtout lorsque cette dernière s’installe rapidement. Le mécanisme en est la précipitation de phosphate de calcium dans les tissus mous et l’inhibition de la synthèse de calcitriol qui induit une résistance aux effets de la PTH.
Des calcifications ectopiques (vaisseaux, peau, cornée, tissu périarticulaire) sont fréquentes chez les patients ayant une hyperphosphatémie prolongée, mais peuvent également s’observer au cours d’hyperphosphatémies plus brutales.
Enfin, l’hyperphosphatémie, en inhibant la synthèse de calcitriol, joue un rôle important dans la physiopathologie de l’hyperparathyroïdie secondaire et de l’ostéodystrophie rénale des insuffisances rénales chroniques.
CAUSES DES HYPERPHOSPHATÉMIES :
Les causes des hyperphosphatémies peuvent être regroupées en fonction du mécanisme principal, augmentation des entrées endogènes ou exogènes, ou diminution de la capacité d’élimination rénale.
TRAITEMENT DES HYPERPHOSPHATÉMIES :
En dehors du traitement de la cause, le traitement d’une hyperphosphatémie repose sur la diminution des entrées de phosphate. Puisque le phosphate est largement répandu dans l’alimentation, une restriction importante des apports phosphatés est, en pratique, impossible sous peine d’entraîner une dénutrition globale. Il est cependant souhaitable de limiter modérément les apports protidiques, qui ne doivent pas excéder 1 g/kg/j.
Essentiellement, la diminution des entrées de phosphate est obtenue grâce à l’utilisation de substances complexant le phosphate dans la lumière du tube digestif et empêchant son absorption par la muqueuse intestinale. Bien qu’efficaces, les sels d’aluminium ont été abandonnés, en particulier chez l’insuffisant rénal chronique parce que leur utilisation prolongée était à l’origine d’une accumulation d’aluminium responsable d’une encéphalopathie, d’une ostéomalacie, d’une myopathie proximale et d’une anémie. Les sels de calcium, en particulier l’acétate, sont aujourd’hui utilisés avec une efficacité comparable aux sels d’aluminium.