Insuffisance rénale aiguë au cours de l’infection par le VIH

Insuffisance rénale aiguë au cours de l’infection par le VIHGénéralités :

L’insuffisance rénale aiguë (IRA) est une complication fréquemment observée chez les patients séropositifs pour le virus de l’immunodéficience humaine (VIH). Elle survient en moyenne 4,5 ans après le diagnostic de séropositivité. Les étiologies de l’IRA sont multiples. La nécrose tubulaire aiguë d’origine ischémique représente la première cause d’IRA chez les sujets VIH. Elle complique principalement les états de choc et le sepsis. Elle est favorisée par la déplétion volémique fréquemment observée dans cette population exposée aux vomissements, aux diarrhées et aux carences d’apports. Il faut noter la possibilité de nécroses tubulaires aiguës liées à une rhabdomyolyse notamment chez les toxicomanes. Les autres atteintes rénales décrites chez les patients VIH sont principalement la néphropathie liée au VIH, la microangiopathie thrombotique, mais également les glomérulonéphrites primitives et postinfectieuses, les néphrites interstitielles immunoallergiques et les cristalluries.

Différentes formes d’insuffisance rénale aiguë chez le sujet porteur du virus de l’immunodéficience humaine :

Néphropathie du virus de l’immunodéficience humaine :

La néphropathie liée au VIH est une maladie rénale progressive qui atteint à la fois le glomérule et le tissu tubulo-interstitiel. Elle représente 10 % des étiologies d’insuffisance rénale terminale (IRT). Elle affecte principalement les sujets masculins de race noire chez lesquels les projections épidémiologiques laissent supposer qu’elle sera la troisième cause d’IRT après le diabète et l’hypertension artérielle (HTA).

La physiopathologie reste obscure mais impliquerait des facteurs génétiques avec des réponses cellulaires rénales déclenchées par les protéines du VIH, comme cela a été démontré sur des modèles murins transgéniques. Elle se développe chez les patients séropositifs, le plus souvent au stade de syndrome de l’immunodéficience humaine (sida) (taux de CD4 < 250 μl–1) ; une notion de toxicomanie intraveineuse est trouvée dans plus de la moitié des cas.

La néphropathie liée au VIH évolue en quelques semaines ou en quelques mois vers l’IRT. Elle est grevée d’une forte mortalité, qui reflète en fait le stade évolué de la maladie VIH. Le diagnostic de néphropathie liée au VIH doit être évoqué chez tous les patients séropositifs devant l’existence d’une altération de la fonction rénale et d’une protéinurie.

L’intensité de la protéinurie est variable, celle-ci est parfois d’ordre néphrotique. L’analyse du sédiment urinaire peut révéler des débris de cellules épithéliales tubulaires dans le sédiment urinaire.

À l’échographie, les reins sont d’échogénicité normale et de grande taille.

La ponction-biopsie rénale (PBR) permet de confirmer le diagnostic en montrant une forme sévère de hyalinose segmentaire et focale avec lésions podocytaires (vacuolisation et hypertrophie), un collapsus du floculus glomérulaire, des dilatations microkystiques des tubules et une fibrose interstitielle parfois infiltrée par des cellules inflammatoires. L’atteinte glomérulaire en elle-même n’est pas spécifique, elle peut se rencontrer dans les glomérulopathies primitives ou chez les patients héroïnomanes. Toutefois, la mise en évidence de telles nomalies chez un sujet séropositif permet de retenir le diagnostic de néphropathie liée au VIH.

Les altérations histologiques sont aisément visibles en microscopie optique. L’immunofluorescence est non spécifique.

Elle peut révéler des dépôts glomérulaires de complément, d’immunoglobulines G (IgG) ou d’IgM et parfois même d’IgA. Les différentes stratégies thérapeutiques proposées s’appuient sur les inhibiteurs de l’enzyme de conversion (IEC), les associations actives d’antirétroviraux et les corticoïdes. Ces traitements préviennent l’évolution vers l’IRT.

Les IEC ont un effet néphroprotecteur à court et à long terme. L’administration de captopril (25 mg trois fois par jour) chez les patients recevant des traitements antirétroviraux permet de ralentir l’évolution de la néphropathie du VIH, des résultats analogues sont observés chez les patients traités par fozipril (10 mg j–1). Les IEC apparaissent d’autant plus efficaces qu’ils sont prescrits précocement.

Le réel espoir thérapeutique résiderait dans les associations actives de traitements antirétroviraux incluant un inhibiteur de la protéase du VIH. Celles-ci ont un effet favorable sur l’évolution de la néphropathie du VIH. La rémission de l’atteinte rénale s’observe parallèlement à la diminution de la charge virale, avec un maintien pendant plusieurs mois.

La corticothérapie (prednisone 60 mg j–1) améliore en 2 à 14 semaines la fonction rénale et réduit la protéinurie. Toutefois, elle ne modifie pas le pronostic vital : la survie à 2 ans demeure inférieure à 10 %. Dans une autre étude rétrospective française, le pronostic rénal était meilleur chez les patients traités par corticoïdes que chez les patients non traités (risque relatif = 0,39 pour la probabilité de mise en dialyse, p = 0,03). Dans ces trois études, l’administration des corticoïdes est probablement associée à une surmorbidité infectieuse, rendant l’indication des corticoïdes chez le sujet VIH immunodéprimé discutable.

Microangiopathies thrombotiques associées au virus de l’immunodéficience humaine :

Le syndrome hémolytique et urémique (SHU) est une des principales causes d’IRA chez le sujet infecté par le VIH. Il survient chez des sujets profondément immunodéprimés (taux moyen de CD4 = 43 μ l–1). Il semble fréquemment associé à une infection à cytomégalovirus. Des manifestations extrarénales, neurologiques ou digestives, sont fréquemment présentes.

L’anémie microangiopathique se caractérise par une schizocytose précoce précédant souvent le diagnostic d’IRA, une réticulocytose volontiers inférieure à 100 000 μl–1, et une

thrombopénie modérée sans autre trouble de l’hémostase.La mise en évidence d’une protéinurie très élevée est rare au cours de la microangiopathie thrombotique et plaide plutôt pour le diagnostic de hyalose segmentaire et focale. L’atteinte histologique est le plus souvent mixte et sévère et combine des anomalies artériolaires et glomérulaires. Il n’est pas rare que les signes histologiques soient présents en l’absence de stigmates d’anémie microangiopathique. Le traitement du SHU chez le patient infecté par le VIH fait appel aux échanges plasmatiques avec utilisation de plasma. Parfois les corticoïdes, la vincristine et la splénectomie sont proposés avec des succès variables.

Insuffisance rénale aiguë médicamenteuse chez le sujet porteur du virus de l’immunodéficience humaine :

L’IRA d’origine médicamenteuse est fréquente dans cette population. Elle est due à plusieurs mécanismes :

• une nécrose tubulaire aiguë d’origine toxique induite principalement par les aminosides, la pentamidine, le ténofovir ou l’aciclovir ;

• une néphrite interstitielle au triméthoprime-sulfaméthoxazole ;

• une cristallurie dont les principaux inducteurs chez le sujet VIH sont les sulfonamides, l’indinavir, l’aciclovir en bolus et la ciclosporine.

Le triméthoprime-sulfaméthoxazole potentialise l’action de l’indinavir. L’IRA, par dépôts intratubulaires de cristaux, est favorisée par la déplétion volémique, l’administration d’une posologie plus élevée que ne le voudrait le degré de filtration glomérulaire et les perturbations de l’équilibre acide-base.

Les sulfonamides sont des acides faibles qui précipitent dans des urines acides. L’incidence de la cristallurie chez les patients recevant de la sulfadiazine pour traiter une toxoplasmose ou une pneumocystose oscille entre 0,49 et 49 %. La cristallurie est favorisée par les fortes doses administrées et par l’hypoalbuminémie fréquemment observée chez ces patients qui entraîne une augmentation de la fraction de sulfadiazine plasmatique libre et donc filtrée par le glomérule. La cristallurie survient en moyenne au 7e jour de traitement. Elle se traduit par une IRA oligoanurique et par la présence de cristaux de sulfadiazine dans le sédiment urinaire. La récupération de fonction est observée à l’arrêt du traitement. La survenue de la cristallurie impose la suspension du traitement, l’alcalinisation des urines et l’expansion volémique. La prescription de sulfadiazine chez le sujet VIH doit être effectuée en adaptant la posologie à la fonction rénale et en assurant des apports hydrosodés et une alcalinisation pour maintenir une diurèse de l’ordre de 150 ml h–1.

L’indinavir précipite dans les urines alcalines. La symptomatologie fonctionnelle de la cristallurie induite par l’indanavir est bruyante, à type d’obstacle urinaire. Cette IRA touche le patient profondément immunodéprimé ; elle est généralement multifactorielle chez un sujet fébrile et déshydraté. Elle peut s’accompagner d’une hématurie. Les cristaux composés d’indanavir et de ses métabolites sont isolés dans les urines. La récupération de la fonction rénale est la règle à l’arrêt du traitement, qui peut cependant être poursuivi sous couvert d’une bonne hydratation.

L’administration d’aciclovir peut se compliquer de cristallurie, notamment lorsque le produit est administré en bolus rapide ou à une dose excessive en regard du degré de filtration glomérulaire.

L’analyse du sédiment urinaire montre, en général, une hématurie et une pyurie. La restitution de la fonction rénale est en principe observée à l’arrêt du traitement et après réhydratation. L’hémodialyse peut être proposée pour épurer l’aciclovir.

Le respect des posologies et la réalisation d’une expansion volémique assurant le maintien d’une diurèse supérieure à 150 ml h–1 préviennent cette complication.

Le syndrome de reconstitution immunitaire secondaire à l’instauration de la trithérapie antirétrovirale peut être une cause d’IRA à distance.

Conclusion :

Du fait de la fréquence des infections récurrentes et de l’exposition à des médicaments néphrotoxiques, les sujets infectés par le VIH développent fréquemment des IRA. La prévention de ces IRA passe par le maintien d’une hydratation satisfaisante et par l’adaptation des posologies médicamenteuses au degré de filtration glomérulaire. La mortalité associée à l’IRA est particulièrement élevée en cas de nécrose tubulaire aiguë ischémique, comme cela est observé en dehors de la pathologie VIH. La diversité des étiologies de l’IRA et la possibilité de traitements spécifiques soulignent la place importante de la PBR dans la stratégie de prise en charge de l’IRA chez ces patients.