Manifestations rénales des maladies auto-immunes systémiques

https://www.medical-actu.com/wp-content/uploads/2017/10/manifestations_renales_maladies_auto-immunes_systemiques.jpgIntroduction :

Les maladies auto-immunes systémiques peuvent comporter une atteinte rénale lourde de conséquences. La participation rénale peut être cliniquement silencieuse, mais peut aussi provoquer des lésions permanentes graves extrêmement dommageables pour le patient.

C’est pourquoi une grande vigilance s’impose vis-à-vis de l’atteinte rénale dans toute maladie systémique comportant ce risque. Dans le présent article, nous ferons le point des connaissances actuelles sur les complications rénales des principales maladies auto-immunes systémiques, ainsi que sur les modalités de dépistage et de prise en charge. La majorité des patients souffrant d’une maladie autoimmune systémique étant suivis simultanément ou successivement par des équipes de néphrologie, de rhumatologie ou d’autres spécialités, il est essentiel que s’établisse entre tous les intervenants une bonne communication.

Les maladies auto-immunes systémiques majeures qui affectent le rein avec une fréquence élevée sont le lupus érythémateux systémique et les vasculites systémiques. Cependant, de nombreuses autres affections systémiques, notamment la sclérodermie et la polyarthrite rhumatoïde, peuvent aussi être associées à une pathologie rénale. L’atteinte rénale est possible au cours de la polyarthrite rhumatoïde, mais peu fréquente, et résulte le plus souvent des traitements utilisés ou d’une amylose provoquée par l’état prolongé de la phase aiguë de l’inflammation. En particulier, les effets indésirables rénaux des anti-inflammatoires non stéroïdiens sont de mieux en mieux connus. Une vasculite sévère impliquant le rein peut apparaître dans la polyarthrite rhumatoïde et doit être traitées de la même façon que les vasculites primitives avec participation rénale. La présente revue sera centrée sur le lupus érythémateux systémique, les vasculites systémiques et la sclérodermie.

Lupus érythémateux systémique :

L’étiologie du lupus érythémateux systémique est mal connue. Il se caractérise par l’activation de cellules B polyclonales et la présence d’autoanticorps. En cas d’atteinte rénale, des anticorps et des composants du complément sont habituellement présents dans les reins. Dans une étude rétrospective portant sur environ 1 000 patients atteints de lupus érythémateux systémique hospitalisés dans un service de rhumatologie, 16 % avaient une atteinte rénale d’emblée et cette proportion s’élevait jusqu’à 50 % au cours du suivi. Dans les nombreuses autres séries publiées, le nombre de patients atteints de lupus qui développent une maladie rénale s’échelonne de 25 à 65 %. Dans la plupart des cas, la maladie rénale se développe dans les trois ans qui suivent le diagnostic de maladie systémique.

CLASSIFICATION DIAGNOSTIQUE :

La nature de la maladie rénale provoquée par le lupus érythémateux systémique est très variable d’un patient à l’autre et peut résulter de divers processus pathologiques. Il peut s’agir d’une néphropathie avec lésions minimes, d’une glomérulonéphrite proliférative, d’une glomérulonéphrite membraneuse, de lésions tubulo-interstitielles et, dans certains cas, d’une thrombose vasculaire rénale. Le système de classification le plus habituellement adopté est fondé sur l’aspect anatomopathologique et a été développé par l’Organisation mondiale de la santé. Les anomalies sont classées entre autres suivant le degré de prolifération cellulaire. Dans le type 1, il n’y a pas de prolifération cellulaire évidente. Le type 2 se caractérise par une prolifération cellulaire mésangiale. Dans le type 3, la prolifération cellulaire est focale (présente dans un certain nombre de glomérules seulement). Dans le type 4, la prolifération est diffuse (présente dans tous les glomérules). Des croissants peuvent apparaître dans les types 3 et 4 ; ils sont provoqués par la prolifération de monocytes dans la capsule de Bowman. La maladie de type 5 est une néphropathie membraneuse.

Bien que la classification de l’Organisation mondiale de la santé soit utile, différents types peuvent être observés à des degrés divers chez un même patient, simultanément ou consécutivement, et la classification ne met l’accent que sur les anomalies prédominantes. D’autres systèmes de cotation, qui quantifient le degré de fibrose chronique, en particulier celle qui touche les tubules et le tissu interstitiel, sont corrélés plus utilement avec le pronostic rénal à long terme. L’index d’activité/chronicité des National Institutes of Health américains apporte une mesure des degrés de l’activité actuelle de la maladie et des lésions chroniques irréversibles. Cela peut être utile pour évaluer le degré de réversibilité prévisible des lésions et, par conséquent, le bénéfice potentiel d’une immunosuppression. Environ 60-70 % des patients biopsiés ont des altérations tubulo-interstitielles.

Maladie proliférative :

Le tableau histopathologique le plus habituel est une glomérulonéphrite proliférative. La prolifération va de la prolifération mésangiale à la prolifération focale ou diffuse avec présence de croissants. Il y a habituellement des dépôts rénaux d’immunoglobulines et de complément qui peuvent être la cause directe des lésions rénales.

Maladie membraneuse :

Certaines localisations des dépôts immuns dans les glomérules peuvent, par le biais de la réaction inflammatoire qu’ils suscitent, s’associer à une néphropathie membraneuse. L’aspect habituel est celui de dépôts sous-épithéliaux d’immunoglobulines et de complément avec peu d’infiltration cellulaire ou de prolifération.

Maladie tubulo-interstitielle :

Toute inflammation rénale, qu’elle soit glomérulaire ou autre, peut aboutir à des modifications inflammatoires puis fibreuses dans les tubules rénaux et dans le tissu interstitiel, susceptibles d’endommager les tubules et le tissu interstitiel de support autour des tubules et des glomérules. Dans le lupus érythémateux systémique, il y a souvent des complexes immuns et un infiltrat inflammatoire dans le tissu interstitiel.

Thrombose vasculaire rénale :

La thrombose vasculaire rénale du lupus érythémateux systémique est associée à la présence d’anticorps antiphospholipides. Elle peut être artérielle ou veineuse. La thrombose des petits vaisseaux peut provoquer une micro-angiopathie non inflammatoire. L’occlusion thrombotique ou le rétrécissement des artérioles rénales provoque une ischémie glomérulaire qui déclenche la sécrétion de rénine et la production d’angiotensine II, à l’origine d’une hypertension sévère.

L’effet est semblable à celui constaté dans l’hypertension maligne.

La thrombose intraglomérulaire peut être responsable d’une perte définitive de la filtration et de la fonction glomérulaire sans protéinurie évidente ni autres anomalies urinaires. Un certain degré de thrombose intraglomérulaire coexiste souvent au cours du lupus érythémateux systémique avec une glomérulonéphrite proliférative focale ou diffuse. La thrombose des petits vaisseaux peut s’observer en l’absence d’anticorps antiphospholipides décelables, mais il existe parfois une thrombopénie et souvent un dépôt glomérulaire de complément et de complexes immuns.

FORMES CLINIQUES DE LA MALADIE RÉNALE :

L’atteinte rénale du lupus érythémateux systémique peut être à l’origine de toute une série d’anomalies, allant de la protéinurie asymptomatique ou de l’hématurie microscopique avec une fonction rénale normale jusqu’au syndrome néphrotique grave ou à l’insuffisance rénale aiguë. Des altérations modérées peuvent survenir de façon intermittente. Plusieurs tableaux cliniques peuvent être décrits.

Formes asymptomatiques :

Une atteinte rénale asymptomatique est habituellement détectable sous forme de protéinurie ou d’hématurie microscopique modérées.

La possibilité d’une atteinte rénale cliniquement silencieuse est bien établie ; quand des biopsies sont réalisées, des lésions glomérulaires prolifératives diffuses sont observées dans une proportion de cas qui peut aller jusqu’à 45 %. Typiquement, l’atteinte rénale fluctue parallèlement aux autres manifestations systémiques de la maladie et peut devenir plus grave à tout moment.

Syndrome néphrotique grave :

Un syndrome néphrotique peut se développer dans un contexte d’hypertension et d’hématurie avec développement assez rapide de lésions rénales significatives. Ces situations s’associent typiquement à une activité importante de la maladie extrarénale et l’alternance de rechutes et de rémissions est la même pour la maladie rénale que pour la maladie extrarénale. En l’absence de traitement, l’évolution se fait en règle vers l’insuffisance rénale terminale ou le décès en l’espace de 2 ans environ.

Syndrome néphrotique isolé :

Le syndrome néphrotique peut n’être accompagné que de lésions rénales discrètes, avec une hématurie simplement microscopique et parfois une hypertension modérée. L’évolution est alors habituellement lentement progressive et associée à des manifestations systémiques peu sévères. Pour la moitié environ de ces patients, l’évolution ultime se fera vers l’insuffisance rénale terminale, mais seulement après de nombreuses années.

Néphropathie rapidement évolutive :

Une minorité de patients se présentent d’emblée avec une maladie grave et rapidement évolutive, aboutissant à court terme à l’insuffisance rénale terminale en dépit le plus souvent d’une thérapeutique agressive. Il existe habituellement des manifestations extrarénales graves, une hypertension sévère et souvent une encéphalopathie avec oedème papillaire. On peut observer histologiquement des thrombi capillaires disséminés et parfois des croissants. Dans de rares cas survient une insuffisance rénale aiguë oligoanurique, en rapport avec l’activité de la maladie elle-même ou l’administration d’anti-inflammatoires non stéroïdiens. Le tableau clinique peut être très proche de celui du purpura thrombotique thrombocytopénique, avec une anémie hémolytique microangiopathique, des crises convulsives et une insuffisance rénale aiguë. Cela s’observe en particulier au cours de la grossesse et chez les patients ayant un anticoagulant de type lupique.

Acidose tubulaire distale :

Une acidose tubulaire distale peut se développer au cours du lupus érythémateux systémique, mais ses conséquences cliniques sont habituellement minimes, à l’exception possible d’une néphrocalcinose et de la formation de calculs.

TRAITEMENT :

Il est difficile d’élaborer un programme de prise en charge de l’atteinte rénale sans disposer d’une biopsie. Cependant, lorsqu’une thérapeutique active par le cyclophosphamide ou les échanges plasmatiques est de toute façon indiquée du fait de la gravité de la maladie extrarénale, il faut tenir compte du fait que les résultats de la biopsie rénale ne modifieront vraisemblablement pas le schéma thérapeutique et que ce geste n’est pas dénué de risques.

Anomalies rénales légères :

Lorsque la pression artérielle et la fonction rénale sont normales, que le sédiment urinaire ne contient pas de cylindres d’hématies et que la protéinurie est inférieure à 1 g j–1, aucun traitement spécifique n’est nécessaire pour des anomalies minimes ou mésangettes pures.

Les anti-inflammatoires non stéroïdiens doivent être utilisés avec précaution car ils peuvent réduire le débit de filtration glomérulaire.

Anomalies rénales modérées :

Des anomalies glomérulaires prolifératives focales n’impliquent pas nécessairement un traitement, bien que l’utilisation de faibles doses de corticoïdes et d’agents cytotoxiques ait eu ses partisans. En cas de prolifération segmentaire marquée avec protéinurie importante, insuffisance rénale et syndrome néphrotique, il est habituel de traiter les patients comme s’ils avaient une glomérulonéphrite proliférative diffuse.

Néphropathie membraneuse :

Habituellement, aucun traitement spécifique n’est indiqué pour les néphropathies membraneuses avec hématurie asymptomatique et fonction rénale stable. Les corticoïdes ne semblent pas à même de contrôler la protéinurie et le rôle des agents cytotoxiques n’est pas clairement établi. En cas de détérioration soudaine de la fonction rénale, une nouvelle biopsie est nécessaire pour éliminer un aspect plus actif de la maladie. Dans une étude de faible effectif, la ciclosporine a été utilisée dans la néphropathie membraneuse du lupus érythémateux systémique et la protéinurie a diminué chez tous les patients traités.

Anomalies prolifératives graves :

La glomérulonéphrite proliférative diffuse et les formes sévères de glomérulonéphrite proliférative focale sont habituellement traitées de façon agressive lorsqu’il existe un syndrome néphrotique, des anomalies du sédiment urinaire témoignant d’une activité ou d’une insuffisance rénale. Cependant, l’évolution est très variable d’un patient à l’autre et l’application rigide de protocoles issus d’essais cliniques peut exposer à une immunosuppression excessive les patients dont la maladie est peu sévère ou répond très bien au traitement. Les corticoïdes sont efficaces mais comportent, à forte dose, une morbidité non négligeable. La prednisolone par voie orale a été préconisée à la dose de 1 à 2 mg kg–1 j–1, mais la règle est actuellement de ne pas dépasser 60 mg j-1 environ. Le recours à des bolus de méthylprednisolone par voie intraveineuse (0,5 à 1 g j–1 pendant 3 jours) est susceptible de réduire à long terme les effets secondaires des corticoïdes sans perdre en efficacité. À la suite des bolus, la prednisolone est habituellement maintenue jusqu’à ce que la maladie entre en rémission puis disparaisse progressivement.

Il est habituel d’ajouter un agent cytotoxique ; cette attitude est fondée pour une large part sur les résultats d’une étude des National Institutes of Health dans laquelle les patients avec atteinte rénale ont été affectés par tirage au sort à l’un des cinq schémas thérapeutiques suivants : prednisolone à haute dose (1 mg kg–1 j–1 en dose d’attaque), azathioprine (jusqu’à 4 mg kg–1 j–1), cyclophosphamide par voie orale (jusqu’à 4 mg kg–1 j–1), cyclophosphamide et azathioprine combinés par voie orale (jusqu’à 1 mg kg–1 j–1) ou cyclophosphamide intraveineux (0,75 g m–2 tous les 3 mois, avec augmentation jusqu’à 1 gm–2 si le nadir des leucocytes n’était pas inférieur à 4 Å~ 109 l–1). De faibles doses de prednisolone (0,5 mg kg–1 j–1) étaient ajoutées à tous les traitements cytotoxiques.

Le risque de développement d’une insuffisance rénale a été plus grand chez les patients traités uniquement avec des corticoïdes que dans tous les autres groupes. Cependant, seule la différence entre les bolus intraveineux de cyclophosphamide et la prednisolone à haute dose était statistiquement significative. Chez les patients recevant des cytotoxiques, l’incidence des affections malignes était la plus faible dans le groupe recevant du cyclophosphamide. Le risque le plus élevé d’infection apparaissait dans le groupe traité par corticoïdes à forte dose. La cystite hémorragique, la myélosuppression et la toxicité gonadique n’ont été observées qu’avec le cyclophosphamide par voie orale.

La méthylprednisolone intraveineuse mensuelle pendant 6 mois a été comparée au cyclophosphamide intraveineux mensuel pendant 6 mois, relayé ou non par une perfusion d’entretien tous les 3 mois pendant les 2 années suivantes. Seuls les patients de ce dernier groupe avaient un avantage significatif en termes de progression de la maladie rénale et l’addition de doses trimestrielles de cyclophosphamide réduisait la fréquence des récidives de 50 à 10 % sur 5 ans. Les risques de ce traitement cytotoxique à long terme sont cependant importants. D’autres groupes ont obtenu de bons résultats en utilisant un traitement d’induction par la méthylprednisolone suivi d’un traitement d’entretien per os par la prednisolone et un agent cytotoxique. Une étude portant sur 65 cas de maladie proliférative diffuse grave a montré un taux de rémission de 29 % avec des injections intraveineuses mensuelles de méthylprednisolone, 65 % avec le cyclophosphamide mensuel et 85 % avec l’association des deux. En dépit de l’absence d’étude contrôlée portant sur un grand nombre de cas démontrant que le cyclophosphamide est supérieur à l’azathioprine, il existe un consensus pour penser que tel est bien le cas. Il semble y avoir un léger avantage à utiliser le cyclophosphamide intraveineux plutôt que le cyclophosphamide oral.

Rechute de la néphrite lupique et surveillance à long terme :

Les patients qui ont eu une maladie rénale doivent bénéficier tout au long de leur vie d’une surveillance tous les 3 à 6 mois de la pression artérielle, de la créatininémie (ou de la clairance de la créatinine) et de la bandelette urinaire. Lorsqu’il apparaît une détérioration de la fonction rénale, une protéinurie significative ou une hématurie, une biopsie rénale doit être envisagée et un néphrologue consulté.

Les néphropathies lupiques rechutent souvent après traitement ; si les caractères cliniques se sont modifiés ou si une période significative de temps s’est écoulée depuis la dernière biopsie rénale, cette dernière doit être répétée. En cas de maladie active sans lésions chroniques largement prépondérantes, il est habituel de reprendre l’immunosuppression, comme ci-dessus. Chez certains patients, les rechutes sont précoces et fréquentes, ce qui peut justifier l’essai d’un traitement plus expérimental, comme le mycophénolate.

Autres agents thérapeutiques :

Plusieurs publications suggèrent que le mycophénolate peut réduire la protéinurie et améliorer la fonction rénale. Dans une série de 13 sujets qui n’avaient pas répondu au traitement conventionnel ou avaient rechuté, le mycophénolate était associé à une diminution significative de la créatinine et de la protéinurie, ainsi qu’à une normalisation du sédiment urinaire. Dans une petite étude randomisée, 42 patients atteints de néphropathie proliférative diffuse ont été affectés par tirage au sort à l’association de prednisolone et de mycophénolate pendant 12 mois, ou de prednisolone et de cyclophosphamide pendant 6 mois puis de prednisolone et d’azathioprine pendant 6 autres mois. La réponse au traitement a été similaire dans les deux groupes. Cependant, l’essai excluait les patients dont la créatininémie était supérieure à 300 μmol l–1, ceux qui avaient des comorbidités mettant en jeu le pronostic vital telles qu’une atteinte cérébrale, ceux dont l’anamnèse laissait craindre un défaut d’observance, ceux qui avaient reçu du cyclophosphamide au cours des six derniers mois et enfin ceux qui avaient pris des doses modérées de prednisolone orale pendant plus de 2 semaines.

Une publication récente a rapporté une rémission totale ou partielle dans 12 cas de maladie proliférative traitée par le mycophénolate.

En revanche, seules deux réponses ont été observées sur six cas de néphrite membraneuse lupique et le suivi moyen n’était que de 15,3 mois. Le mycophénolate est largement utilisé dans les transplantations rénales et la posologie de référence serait de 1 g deux fois par jour pour un individu de 70 kg. Le médicament est bien toléré et il n’est pas nécessaire de surveiller en routine les concentrations sériques.

L’adjonction à la corticothérapie de la ciclosporine à la dose de 5 mg kg–1 j–1 a été associée à une amélioration de la fonction rénale. Les échanges plasmatiques n’ont fait preuve d’aucun bénéfice significatif dans la glomérulonéphrite lupique proliférative diffuse. D’après les résultats obtenus dans une petite série de patients, les immunoglobulines intraveineuses pourraient apporter un certain bénéfice dans la glomérulonéphrite lupique membraneuse ou membranoproliférative résistante au traitement conventionnel.

Chez 14 patients randomisés, les perfusions intraveineuses mensuelles d’immunoglobulines ont eu une efficacité comparable à celle du cyclophosphamide intraveineux comme traitement d’entretien, mais tous les patients avaient préalablement été mis en rémission par le cyclophosphamide.

Dans le cas général, le schéma thérapeutique de la glomérulonéphrite diffuse proliférative grave dans le contexte d’un lupus érythémateux systémique peut s’énoncer comme suit. La corticothérapie comporte l’administration de méthylprednisolone par voie intraveineuse à la dose de 0,5-1 g j–1 pendant 3 jours puis de prednisolone per os à la dose de 0,5-1 g kg–1 j–1, posologie qui est ensuite diminuée progressivement pour atteindre une dose minimale, si possible nulle. Le cyclophosphamide est habituellement ajouté à la dose de 1-2 mg kg–1 j–1 pendant 2 à 6 mois, puis l’azathioprine à 1-2 mg kg–1 j–1. Des bolus intraveineux de cyclophosphamide peuvent aussi être utilisés dans certains cas. En cas de contre-indication aux traitements précédents ou en l’absence de réponse, la ciclosporine peut être essayée à la dose de 5 mg kg–1 j–1. Selon les conclusions d’une méta-analyse récente, l’association de cyclophosphamide et de corticoïdes demeure la meilleure option pour préserver la fonction rénale des patients atteints de glomérulonéphrite lupique proliférative diffuse.

Défaillance rénale terminale :

Les patients qui ont perdu toute fonction rénale nécessitent un traitement de suppléance. En cas de détérioration rénale rapidement progressive, il faut mettre en place un suivi néphrologique régulier pour planifier la suppléance. Si la maladie était auparavant lentement progressive, elle reste habituellement relativement silencieuse sous dialyse. En revanche, si la maladie était agressive et rapidement évolutive, elle peut rester active et symptomatique. Pour une proportion importante de patients, le décès survient en peu de mois après l’instauration de la dialyse ; cependant 10 à 28 % d’entre eux, selon les séries, peuvent retrouver une fonction rénale suffisante pour interrompre la dialyse. La présence d’un anticoagulant de type lupique actif peut être responsable de thromboses de la fistule.

La transplantation est souvent différée pendant 1 an après le commencement de la dialyse pour attendre la récupération fonctionnelle rénale maximale et, dans certains cas, pour donner au patient le temps de récupérer après une immunosuppression antérieure. La néphrite du lupus récidive chez 3 à 4 % environ des patients transplantés.

Aspects généraux du traitement :

Les patients atteints de néphrite lupique peuvent avoir à faire face aux nombreux problèmes qui affectent tout malade souffrant de maladie rénale. L’hypertension peut favoriser l’aggravation des lésions rénales et constitue un facteur de risque cardiovasculaire, ce qui peut nécessiter la prescription de plusieurs médicaments antihypertenseurs. Chez les patients à peau noire, les inhibiteurs calciques ou les diurétiques peuvent être indiqués. Les diurétiques sont habituellement le traitement approprié chez tous les hypertendus avec rétention hydrosodée, particulièrement en cas de syndrome néphrotique. En l’absence de rétention hydrosodée, le premier choix est habituellement un inhibiteur de l’enzyme de conversion de l’angiotensine, qui peut réduire la protéinurie.

Lorsque la fonction rénale est fortement compromise, la pression artérielle peut être difficile à contrôler jusqu’à ce qu’une dialyse ou une hémofiltration soit instituée.

Tous les patients souffrant de néphropathie chronique ont un risque élevé de maladie vasculaire et sont souvent hyperlipidémiques, de sorte qu’un traitement hypolipémiant est a priori bénéfique.

Malheureusement, l’insuffisance rénale a souvent été un critère d’exclusion des essais thérapeutiques avec les agents hypolipémiants, de sorte qu’aucun essai randomisé n’a apporté de preuve formelle d’un bénéfice dans ce groupe. La règle n’en est pas moins de surveiller le profil lipidique et de traiter par une statine appropriée lorsque les taux de cholestérol total ou de cholestérol associés aux lipoprotéines de faible densité sont augmentés.

Perspectives :

Le toléragène des cellules B LJP 394 (abetimus sodium) est un composé synthétique qui se lie aux anticorps anti-acide désoxyribonucléique (ADN) natif fixés sur les cellules B ou présents en solution. Il réduit à court terme le taux des anticorps anti-ADN natif circulants, vraisemblablement en formant des complexes solubles, qui ne semblent pas activer significativement le complément. Chez le rongeur, le LJP 394 induit une tolérance des cellules B en établissant des ponts entre les immunoglobulines anti-ADN natif de la surface des cellules B et en déclenchant une anergie ou une apoptose des cellules B. Dans un essai randomisé, l’administration de LJP 394 à des patients dont les anticorps avaient une forte affinité pour son épitope ADN s’est accompagnée, par comparaison au placebo, d’un allongement du délai avant la poussée inflammatoire rénale suivante, d’une diminution du nombre de poussées et d’une réduction du nombre de périodes de traitement conventionnel. Le médicament a été bien toléré mais, si l’on s’en tient aux résultats de l’analyse en intention de traiter, le délai avant les poussées inflammatoires rénales et leur nombre n’étaient pas différents dans les deux groupes.

Dans les transplantations d’organe, un agent immunosuppresseur puissant, le CTLA4-Ig, en est au stade expérimental. Il se lie au CD80 et au CD86 et on pense qu’il interrompt les signaux de costimulation en direction des cellules T ; on a montré qu’il avait une certaine efficacité dans les modèles animaux de néphrite lupique.

Vasculites systémiques :

Les estimations de l’incidence des vasculites primitives se situent entre 7 et 15 nouveaux cas par million et par an. Les vasculites des petits vaisseaux sont les plus fréquentes. Selon un rapport européen, la granulomatose de Wegener et la polyangéite microscopique représentent 0,5 % des patients qui bénéficient d’une greffe de rein. La plupart des patients sont de phénotype caucasien blanc, et le pic d’incidence semble se situer dans les cinquième et sixième décennies. Dans une étude récente, le taux de survie cumulé des patients souffrant de vasculite systémique avec participation rénale était de 82 % à 1 an et de 76% à 5 ans. Une insuffisance rénale terminale se développait dans 28 % des cas et au moins une rechute était observée dans 34 % des cas, dans un délai médian de 13 mois après le diagnostic. La classification la plus communément utilisée pour les vasculites est le consensus de Chapel Hill, fondé sur la taille des plus petits vaisseaux impliqués.

Le terme de vasculite limitée au rein ou glomérulonéphrite rapidement progressive idiopathique se rapporte à une glomérulonéphrite nécrosante focale isolée résultant d’une vasculite touchant uniquement les petits vaisseaux du rein. Les causes secondaires de vasculite et de glomérulonéphrite incluent la polyarthrite rhumatoïde et le lupus érythémateux systémique.

SIGNES CLINIQUES DES VASCULITES DES PETITS VAISSEAUX :

Suivant le consensus de Chapel Hill, la granulomatose de Wegener est une inflammation granulomateuse touchant les voies aériennes, avec vasculite nécrosante des vaisseaux de petite taille ou de taille moyenne. La polyangéite microscopique est une vasculite nécrosante affectant les petits vaisseaux, sans inflammation granulomateuse et avec peu ou pas de dépôts immuns. Tous les signes de la polyangéite microscopique peuvent apparaître dans la granulomatose de Wegener, mais l’inverse n’est pas vrai.

Atteinte rénale dans les vasculites des petits vaisseaux :

L’atteinte rénale est variable mais n’est que rarement au premier plan du tableau clinique initial. Les premiers symptômes peuvent être, dans quelques cas, une hématurie macroscopique ou une protéinurie massive à l’origine d’urines mousseuses. L’hypertension n’est pas un signe majeur ; elle est présente chez environ la moitié ou moins de la moitié de l’ensemble des patients. En cas de suspicion clinique de vasculite, il importe de vérifier la fonction rénale et de rechercher par la bandelette urinaire la présence de sang et de protéines et, par l’examen microscopique, la présence de cylindres leucocytaires ou érythrocytaires. L’imagerie des reins est rarement utile, si ce n’est pour le recueil de données anatomiques avant une biopsie, bien qu’elle puisse montrer une échogénicité rénale accrue.

PONCTION-BIOPSIE RÉNALE :

Lorsqu’une maladie rénale est suspectée, il est habituel de le confirmer par biopsie rénale, à moins que l’attitude thérapeutique n’ait déjà été imposée par d’autres données, en particulier l’aspect histologique d’autres échantillons biopsiques. L’image dominante est habituellement celle d’une glomérulonéphrite nécrosante segmentaire et focale. Dans les formes actives évoluées, les lésions peuvent devenir diffuses, affectant alors tous les glomérules. Il peut s’y ajouter une prolifération extracapillaire et la formation de croissants dans les capsules de Bowman. Des lésions d’âge différent peuvent être observées, avec coexistence de modifications inflammatoires récentes et de lésions chroniques. Un infiltrat inflammatoire du tissu interstitiel peut également être présent. La recherche de dépôts d’immunoglobulines et de composants du complément par immunofluorescence est typiquement négative, bien qu’ils puissent être présents en petite quantité.

ANTICORPS ANTICYTOPLASME DES POLYNUCLÉAIRES NEUTROPHILES :

Deux profils majeurs de spécificité des anticorps anticytoplasme des polynucléaires neutrophiles (ANCA) ont été identifiés et ont un intérêt clinique. Les ANCA de distribution cytoplasmique en immunofluorescence sont appelés c-ANCA ; ils sont habituellement dirigés contre la protéinase 3 des granules neutrophiles. Ils sont typiquement présents au cours de la granulomatose de Wegener. L’autre type principal d’ANCA, de distribution périnucléaire en immunofluorescence, est appelé p-ANCA et est habituellement dirigé contre la myéloperoxydase granulaire. Ce type d’ANCA est typiquement associé à la polyangéite microscopique, la glomérulonéphrite rapidement progressive idiopathique et la maladie de Churg et Strauss. Le taux de rechute est environ quatre fois plus élevé chez les patients qui ont des c-ANCA, que chez ceux qui ont des p-ANCA. Des anticorps de distribution analogue à celle des p-ANCA, mais dénués de spécificité antimyéloperoxydase, sont présents au cours d’un grand nombre d’affections diverses, comme les maladies inflammatoires chroniques de l’intestin et les endocardites infectieuses. La présence de p-ANCA sans affinité vis-à-vis de la myéloperoxydase n’a qu’une faible spécificité pour le diagnostic de vasculite.

DIAGNOSTIC POSITIF :

Le diagnostic définitif repose habituellement sur les caractéristiques histologiques du tissu intéressé. La découverte histologique d’une glomérulonéphrite nécrosante focale dans un tableau clinique évocateur et la présence d’ANCA constituent des éléments indiscutablement suffisants pour instituer un traitement. La vasculite est parfois observée sur un échantillon biopsique rénal, mais ce n’est pas souvent le cas. Dans un contexte clinique évocateur, la découverte d’ANCA sera souvent un argument suffisant pour instaurer du traitement, notamment lorsque la biopsie ne peut être réalisée.

Diverses autres investigations peuvent conforter le diagnostic.

L’hémogramme peut montrer une anémie normochrome normocytaire (ou une anémie hypochrome microcytaire en cas d’hémorragie), une hyperleucocytose et une thrombocytose. La vitesse de sédimentation globulaire et le taux de la protéine C réactive sont habituellement augmentés. Une diminution de l’albumine et une élévation des phosphatases alcalines sont possibles, en lien avec la phase aiguë de la réponse inflammatoire.

Les immunoglobulines peuvent être augmentées. Les taux des fractions du complément sont habituellement normaux, mais la recherche de facteur rhumatoïde peut être positive. En cas d’atteinte rénale, les taux sanguins d’urée et de créatinine peuvent être élevés et l’on peut observer une hématurie microscopique ou une protéinurie accompagnées de cylindrurie leucocytaire ou hématique.

L’imagerie diagnostique peut être utile, notamment la tomodensitométrie pulmonaire à haute résolution. Les diagnostics différentiels importants sont la maladie de Goodpasture (ou maladie des anticorps antimembrane basale glomérulaire), la cryoglobulinémie, le purpura rhumatoïde et le lupus érythémateux systémique. Dans tous ces cas, des dépôts immuns sont clairement visibles sur l’échantillon biopsique rénal.

TRAITEMENT :

Une étude des National Institutes of Health a démontré clairement le bénéfice de l’utilisation combinée du cyclophosphamide et des corticoïdes dans la granulomatose de Wegener. Cependant, le schéma thérapeutique proposé comportait des doses élevées de cyclophosphamide pendant au moins une année après la rémission ainsi que des doses élevées de corticoïdes, responsables d’un taux élevé de complications : 8 % de diabètes, 21 % de cataractes, 17 % d’alopécies, 46 % d’infections sérieuses, 43 % de cystites hémorragiques (dont 2,5 % de cancers de la vessie) et 3 % d’ostéonécroses vasculaires. Après 1 an de cyclophosphamide, 57 % des femmes en âge de procréer avaient une insuffisance ovarienne biochimique, une aménorrhée ou une infertilité. Une augmentation significative du nombre d’hémopathies malignes était également constatée.

Le schéma thérapeutique développé à l’hôpital Hammersmith, au Royaume-Uni, s’est révélé réduire le taux des complications tout en conservant l’efficacité. Le cyclophosphamide est utilisé uniquement au début du traitement et les traitements complémentaires sont réservés aux formes graves et rapidement évolutives. Le cyclophosphamide est utilisé pendant 3 mois, puis le relais est pris par l’azathioprine. La dose de cyclophosphamide est réduite chez les patients âgés, particulièrement vulnérables aux effets secondaires. Les formes fulminantes sont traitées en outre par échanges plasmatiques ou bolus de méthylprednisolone. Après le traitement d’induction, le traitement d’entretien repose habituellement sur l’azathioprine, typiquement, à une dose maximale de 1 mg kg–1 j–1. Les corticoïdes sont diminués progressivement jusqu’à environ 5 mg j–1, puis plus lentement jusqu’à l’arrêt complet si possible. En cas de rechute, le cyclophosphamide est repris.

Le cyclophosphamide peut être administré sous forme de bolus intraveineux, ce qui réduit la dose totale et permet la coadministration de mesna, pour protéger d’une cystite hémorragique.

Dans une étude multicentrique randomisée et contrôlée portant sur des patients avec atteinte rénale, le recours aux bolus intraveineux permettait de réduire la dose cumulative de cyclophosphamide de 57 % par rapport au traitement oral. La survie, le taux de rémissions, le taux de récidives et le devenir rénal ne différaient pas entre les deux groupes, mais l’incidence d’une leucopénie grave, d’une infection sévère ou d’une toxicité gonadique était réduite dans le groupe traité par injection intraveineuse. Les bolus intraveineux pourraient cependant être moins efficaces pour contrôler la maladie, particulièrement la granulomatose. Le cyclophosphamide semble supérieur à l’azathioprine dans la granulomatose de Wegener mais cela n’a pas été établi dans la polyangéite microscopique.

Cependant, certains patients ne répondent pas correctement à l’azathioprine. Après 3 mois d’un traitement d’induction, le groupe européen d’étude des vasculites a comparé par tirage au sort un traitement d’entretien par le cyclophosphamide (1,5 mg kg–1 j–1) et par l’azathioprine (2 mg kg–1 j–1). Le taux de rechutes a été le même dans les deux groupes et se situait à environ 15 % sur 18 mois.

Traitement complémentaire des formes graves :

Les échanges plasmatiques ont été utilisés avec de bons résultats chez des patients atteints de glomérulonéphrite nécrosante focale.

Dans les cas assez graves pour justifier une hémodialyse, 10 des 11 patients traités ont pu interrompre l’hémodialyse, à comparer à seulement trois patients sur huit qui n’avaient pas bénéficié d’échanges plasmatiques. Il n’y avait pas de bénéfice significatif dans les formes moins sévères. Les bolus intraveineux de méthylprednisolone se sont également révélés utiles comme traitement d’appoint. Sur 23 patients traités, 16 ont pu interrompre la dialyse, contre aucun des neuf patients qui n’avaient pas reçu de bolus. Les échanges plasmatiques présentent l’inconvénient d’un coût élevé ; ils peuvent occasionner des saignements et des réactions allergiques et imposent la mise en place d’un accès vasculaire central. À l’inverse, la méthylprednisolone peut être associée à une majoration du risque infectieux et augmente la probabilité de diabète, d’ostéonécrose avasculaire, de cataracte et d’hypertension.

Autres approches thérapeutiques :

Le méthotrexate à la dose de 0,3 mg kg–1 semaine–1 a été associé à un taux de réponses de 75 %. Le cotrimoxazole apporte un certain bénéfice dans la granulomatose de Wegener localisée, mais il n’y a pas de preuve solide pour étayer son utilisation en cas d’atteinte rénale. La ciclosporine ne semble pas être très employée, en dépit de quelques publications anecdotiques de son utilisation comme adjuvant. En revanche, les immunoglobulines intraveineuses à la dose de 0,5 g kg–1 j–1 pendant 5 jours ont donné de bons résultats, sans difficultés majeures, lorsqu’elles étaient utilisées en association aux corticoïdes et aux agents cytotoxiques. Dans un essai randomisé, les immunoglobulines intraveineuses ont été comparées à un placebo dans des cas de vasculite déjà traités auparavant, pour lesquels une intensification thérapeutique était envisagée. Les immunoglobulines ont réduit l’activité de la maladie, comparativement au placebo, mais cet effet ne s’est pas maintenu à 3 mois. Dans les formes réfractaires, de très haute gravité, des anticorps dirigés contre les cellules immunitaires comme l’anti-CD52 ou l’anti-CD4 se sont révélés utiles, de même que les anticorps polyclonaux antithymocytaires.

Maladie rénale en phase terminale :

Les patients affectés d’une vasculite systémique qui atteignent le stade terminal de la maladie rénale nécessitent un traitement de suppléance. L’hémodialyse et la dialyse péritonéale sont généralement bien tolérées. La transplantation rénale est envisagée lorsque la maladie est en rémission depuis au moins 6 mois, mais une récidive peut apparaître et affecter le greffon. On ne dispose d’aucun argument décisif pour modifier les schémas d’immunodépression de référence en cas de transplantation chez les patients atteints de vasculite systémique.

Sclérodermie :

L’atteinte rénale de la sclérodermie peut être aiguë et menacer le pronostic vital, ou insidieuse et bénigne. Le tableau clinique le plus dramatique est celui de la crise rénale aiguë. Une vigilance constante vis-à-vis de ce risque s’impose au cours de la surveillance de routine des patients atteints de sclérodermie. Il existe souvent des anomalies rénales mineures, dont le retentissement clinique est habituellement minime. Dans une série venant du Royaume-Uni, l’incidence globale des complications rénales majeures était de 5,3 %. Elle était de 1,6 % dans les sclérodermies cutanées limitées et de 12 % dans les sclérodermies systémiques. Un facteur de risque majeur semble être l’atteinte étendue de la peau. Les autres facteurs de risque incluent l’origine africaine, la grossesse et une progression rapide de la maladie cutanée. Dans une série, l’incidence des crises rénales aiguës sclérodermiques atteignait 21 % chez les patients d’origine africaine contre 7 % chez les sujets de phénotype caucasien. Une crise rénale sclérodermique au cours du 3e trimestre de la grossesse peut être interprétée à tort comme une prééclampsie. Cependant, contrairement à la prééclampsie, une crise rénale sclérodermique peut aussi apparaître dans la période du post-partum. La crise rénale est plus fréquente en hiver et survient habituellement dans les 5 années qui suivent le diagnostic.

PHYSIOPATHOLOGIE DE LA CRISE RÉNALE AIGUË SCLÉRODERMIQUE :

La cause de la sclérodermie demeure inconnue. Les anomalies anatomopathologiques incluent cependant une prolifération du tissu conjonctif et des lésions vasculaires, ce qui peut diminuer la vascularisation des tissus et conduire à un dysfonctionnement des organes. Les altérations vasculaires du rein peuvent comporter une hyperplasie de l’intima et une nécrose fibrinoïde ; les taux de rénine plasmatique sont élevés. Le rétrécissement vasculaire, qui peut être dû à des altérations structurelles ou à une vasoconstriction, est responsable d’une diminution du flux sanguin rénal, qui stimule à son tour dans chaque néphron la production de rénine à partir de l’appareil juxtaglomérulaire.

La rénine déclenche la formation de l’angiotensine II, qui est un vasoconstricteur, ce qui provoque une vasoconstriction rénale supplémentaire et aggrave l’ischémie rénale. Il s’établit ainsi un cercle vicieux qui réduit rapidement le flux sanguin rénal et la filtration glomérulaire et qui, de plus, provoque une hypertension.

L’angiotensine II agit directement sur les récepteurs du tube proximal pour déclencher la réabsorption du sodium ; elle agit aussi sur le cortex surrénalien pour favoriser la production d’aldostérone, ce qui augmente la réabsorption tubulaire distale du sodium. La rétention de sodium et la rétention concomitante d’eau aggravent encore l’hypertension et peuvent contribuer à la formation d’un oedème pulmonaire.

ATTEINTE RÉNALE MINEURE :

Une atteinte rénale mineure insidieuse est sans doute plus fréquente qu’il n’est habituellement admis. Dans une série d’autopsies, des anomalies vasculaires ont été trouvées dans 60-80 % des cas.

Cependant, il faut tenir compte du fait que la maladie rénale est une cause majeure de décès en milieu hospitalier, là où se pratiquent habituellement les autopsies. Des explorations radio-isotopiques ont montré que le flux sanguin rénal pouvait être diminué en l’absence de tout autre élément en faveur d’une atteinte rénale. La même étude a aussi démontré que 36 % des patients atteints de sclérodermie avaient une protéinurie d’au moins 1+, 24 % une pression artérielle au-dessus de 140/90 mmHg, et 19 % une élévation de l’urée sanguine. Il est permis de penser que ces diverses anomalies sont le pendant des découvertes d’autopsie et ne sont pas une raison habituellement suffisante pour justifier une biopsie rénale dans le contexte d’une sclérodermie.

ATTEINTE RÉNALE MAJEURE : CRISE RÉNALE AIGUË SCLÉRODERMIQUE

Une crise rénale majeure peut survenir, marquée par l’apparition soudaine d’une hypertension grave et d’une détérioration aiguë de la fonction rénale. Le tableau clinique est celui de l’hypertension grave, avec des céphalées, des troubles visuels et des crises convulsives. À l’examen, la pression artérielle est élevée et il existe souvent des anomalies aiguës du fond d’oeil. La protéinurie est habituelle, mais n’est généralement pas de type néphrotique et peut précéder l’accès aigu. Une hématurie microscopique peut être présente, accompagnée de cylindres leucocytaires. Lorsque l’hypertension est grave et s’accompagne d’une importante rétention hydrosodée, un oedème pulmonaire peut survenir. Les tests sanguins montrent des taux élevés d’urée et de créatinine. L’examen morphologique des hématies sur le frottis sanguin peut être évocateur d’un processus hémolytique microangiopathique lorsque l’hypertension est grave. La présence d’anticorps antinucléaires, anti-scl 70, anticentromères et antiacide ribonucléique (ARN) polymérase est possible, mais il n’y a pas de marqueur sérologique spécifique de l’atteinte rénale.

PONCTION-BIOPSIE RÉNALE :

Une biopsie rénale est habituellement effectuée pour éliminer d’autres diagnostics possibles tels qu’une glomérulonéphrite aiguë.

La pression artérielle doit être bien équilibrée avant la biopsie afin de réduire le risque de saignement. Une biopsie est utile lorsqu’un traitement de suppléance rénale est envisagé car elle exclut d’autres causes possibles et peut influencer les décisions ultérieures à propos de transplantation. Parfois, de façon inespérée, la crise rénale aiguë sclérodermique peut être suivie d’une lente mais véritable rémission, ce qui justifie de reporter d’au moins 2 ans après la crise la décision de transplantation rénale.

Les signes histologiques caractéristiques de la crise rénale aiguë de sclérodermie sont bien connus. La prolifération de l’intima peut atteindre les parois des artères rénales ; lorsqu’elle est sévère, elle réalise l’aspect dit en « bulbe d’oignon ». Ce processus est particulièrement marqué dans les artères arciformes et interlobulaires et peut être responsable d’un rétrécissement de la lumière des vaisseaux avec pour conséquence une ischémie rénale.

Il peut aussi être noté une accumulation de glycoprotéines et de mucopolysaccharides dans les parois vasculaires. Des zones de nécrose fibrinoïde sont observées dans les petites artères et les artérioles. Il peut exister un épaississement de la membrane basale glomérulaire focal ou diffus, une thrombose glomérulaire et, au stade ultime, une sclérose glomérulaire. Des altérations tubulointerstitielles apparaissent à la longue.

PRISE EN CHARGE :

Un aspect clé de la prise en charge de la sclérodermie est la surveillance et la prévention des crises rénales aiguës. Black et Denton recommandent que pour tous les patients souffrant de sclérodermie diffuse la surveillance comporte une fois par mois une mesure de la pression artérielle et tous les 3 à 6 mois une mesure de la clairance de la créatinine et de la protéinurie. Ces modalités de surveillance doivent être maintenues pendant les cinq premières années puis espacées s’il n’y a pas d’éléments alarmants. Dans les sclérodermies localisées, le risque de crise rénale aiguë est plus faible et la surveillance peut être d’emblée espacée, avec une fois par an une estimation du débit de filtration glomérulaire. En présence du moindre signe d’atteinte rénale ou d’hypertension, il faut prescrire un inhibiteur de l’enzyme de conversion de l’angiotensine. Certaines données suggèrent que cette classe de médicaments peut contribuer à la prévention des crises rénales. Plus généralement, le traitement antihypertenseur est probablement utile pour le syndrome de Raynaud. Il a été suggéré que la corticothérapie à fortes doses et la ciclosporine pouvaient prédisposer aux crises rénales.

Dans une crise rénale, l’objectif principal du traitement est le contrôle très rigoureux de la pression artérielle par les inhibiteurs de l’enzyme de conversion de l’angiotensine. Le traitement est généralement réalisé en milieu hospitalier. La pression artérielle est réduite d’environ 10-15 mmHg par jour jusqu’à atteindre 120-130/70-80 mmHg. Une réduction trop rapide de la pression artérielle ferait courir le risque d’une aggravation indésirable de l’ischémie rénale. Les inhibiteurs calciques et d’autres classes de médicaments peuvent aussi être employés. La prostacycline à faible dose peut être utilisée bien qu’il n’y ait pas de preuve manifeste qu’elle est bénéfique ; elle peut contribuer à réduire la pression artérielle et peut agir de façon potentiellement utile sur le flux sanguin rénal. La fonction rénale doit être surveillée quotidiennement. De plus, un contrôle régulier de l’hémogramme, de la morphologie des hématies, des facteurs de coagulation et des produits de dégradation de la fibrine est important pour rechercher les signes d’une anémie hémolytique microangiopathique. Les agents néphrotoxiques, tels que les anti-inflammatoires non stéroïdiens et les produits de contraste, doivent être évités. Lorsque la pression artérielle est sous contrôle et que l’hémostase est normale, une biopsie rénale peut être effectuée pour confirmer le diagnostic.

MALADIE RÉNALE EN PHASE TERMINALE :

Une dialyse peut être nécessaire lorsque les lésions rénales sont graves, mais la transplantation doit être différée d’au moins 2 ans pour permettre le maximum de récupération rénale. Les inhibiteurs de l’enzyme de conversion de l’angiotensine doivent être poursuivis pendant cette période et la pression artérielle très rigoureusement contrôlée pour optimiser les chances de récupération rénale.

L’espérance de vie des patients sclérodermiques en insuffisance rénale terminale est significativement plus courte que celle des autres patients atteints de néphropathie en phase terminale.

Conclusion :

Il existe diverses raisons pour que se développe une maladie rénale dans les affections discutées ici, mais des thèmes communs se dégagent. Quel que soit le diagnostic, la stricte normalisation des chiffres tensionnels est essentielle et peut influencer l’évolution. La maladie rénale peut être silencieuse, justifiant une surveillance active des patients atteints d’affections qui peuvent toucher le rein. L’identification et le traitement précoce de l’atteinte rénale peuvent permettre une meilleure conservation de la fonction rénale que si on laisse la maladie progresser.

Dans certaines situations cliniques, des schémas thérapeutiques bien validés sont disponibles, mais dans d’autres les plans de traitement immunosuppresseur optimaux ne sont pas encore établis. Il peut être nécessaire d’adapter individuellement l’immunosuppression en fonction de l’âge du patient et de l’état général, ainsi que de la réponse au traitement. La diversité des aspects cliniques et la rareté de certaines formes de maladie auto-immune systémique rendent difficile la construction d’essais cliniques de grande envergure, même si des progrès sont accomplis dans ce sens.