Introduction :
L’histoire des oedèmes, observés depuis les prémisses de la médecine, est liée à celle de l’homéostasie, lorsque émerge la connaissance des secteurs liquidiens de l’organisme et leur régulation. Augmentation pathologique des liquides interstitiels, l’oedème généralisé traduit un dérèglement d’un mécanisme essentiel de la vie : le système contrôlant les volumes liquidiens corporels qui assure un équilibre exact entre les quantités de sel et d’eau absorbées et éliminées.
Pour l’essentiel, le sodium est confiné dans l’espace extracellulaire alors que les cellules contiennent surtout du potassium. Le maintien de cette répartition est en grande partie assuré par l’enzyme Na-KATPase (adénosine triphosphatase) membranaire, dont c’est la fonction homéostatique. Le rôle du sodium, tonomole retenant l’eau, est capital dans l’ajustement du volume extracellulaire. Ainsi, le dispositif central et véritablement moteur de la physiopathologie des oedèmes généralisés est celui du bilan sodique.
L’implication du rein dans la genèse des oedèmes est liée à son rôle qui consiste à maintenir la composition et le volume des compartiments liquidiens dans des limites physiologiques, et en particulier d’adapter l’excrétion urinaire du sodium aux entrées alimentaires. Le défaut d’excrétion rénale du sodium, eu égard aux entrées, provoque la constitution d’oedèmes généralisés, que l’altération soit primitivement rénale ou qu’elle dépende de processus extrarénaux dont les reins sont victimes. De nombreux mécanismes et leurs intrications rendent complexe la compréhension de la pathogénie des oedèmes, qui sont d’ailleurs rencontrés dans des conditions pathologiques variées. La thérapeutique vise à rectifier l’excès du bilan hydrosodé en modulant entrées et sorties de sodium, puis à maintenir en permanence un équilibre pour éviter la reconstitution des oedèmes, tant que la cause initiale persiste.
Depuis plusieurs décennies, la disponibilité de médicaments diurétiques de puissance et d’activité pharmacologique de mieux en mieux développées a transformé au quotidien la vie des malades oedémateux et réduit les complications les plus graves. Toutefois, certains oedèmes réfractaires n’ont pas définitivement disparu, et leurs mécanismes ne sont pas tous identifiés.
La pratique médicale actuelle s’attache à la prévention des oedèmes, lors d’affections y exposant, ou à découvrir précocement la cause d’une atteinte rénale, cardiaque, hépatique… révélée par un oedème ; l’idéal étant de disposer d’un véritable traitement étiologique.
Description et définitions des oedèmes :
OEDÈMES GÉNÉRALISÉS :
L’oedème est un symptôme clinique constitué par une accumulation anormale de liquide dans les tissus sous-cutanés. L’oedème généralisé est un accroissement de volume du secteur interstitiel du liquide extracellulaire, c’est-à-dire la partie non vasculaire du compartiment liquidien extracellulaire.
Cet accroissement de volume entraîne des déformations visibles.
Habituellement, les patients atteints d’oedème périphérique consultent pour un gonflement surtout vespéral, avec parfois difficulté à la marche due à l’accumulation de liquide dans les jambes ou pour une déformation inesthétique du visage.
Les oedèmes sont affirmés par le signe du godet : le doigt laisse une empreinte durable sur un plan profond, dur. Il est plus difficile de les mettre en évidence chez les malades chroniquement alités, où il faut les rechercher dans la région lombaire ou à la face interne des cuisses. Les oedèmes généralisés sont indolents. La déformation visible est palpable et persiste sous un revêtement cutané superficiel qui est normal, non inflammatoire ; en général, leur topographie est symétrique.
Avant même qu’ils ne soient visibles, les oedèmes se caractérisent par une augmentation déjà importante du volume liquidien infiltrant l’espace interstitiel. Les déformations sous-cutanées ne deviennent apparentes qu’à partir d’un accroissement d’au moins 5 % du volume extracellulaire. La prise de poids est l’élément fondamental de la mesure clinique des oedèmes. L’évolution de la courbe pondérale témoigne du succès ou de la résistance au traitement.
L’infiltration liquidienne peut constituer un transsudat et atteindre les séreuses comme la plèvre, le péricarde, le péritoine, voire les viscères, et en altérer le fonctionnement tissulaire. Les signes cliniques en sont bien connus.
L’oedème peut exposer à des accidents de haute gravité quand il infiltre le tissu cérébroméningé, lorsque l’effraction vers le tissu interstitiel cérébral déborde les capacités de réabsorption des cellules gliales. Cette encéphalopathie, souvent fruste au début, déroutante chez l’enfant, de pronostic toujours redoutable, est une urgence médicale.
L’oedème pulmonaire ne fait pas partie stricto sensu des oedèmes généralisés, bien que parfois il apparaisse comme une complication majeure de l’expansion extracellulaire. Quand il est d’origine hémodynamique, l’excès de volume et de pression hydrostatique de la petite circulation crée un transfert de fluide à travers le point de faible résistance, le capillaire pulmonaire, vers le milieu ouvert.
Les signes biologiques qui traduisent les oedèmes sont très variables et surtout désorientants. L’albuminémie et les protéines totales, l’hémoglobine plasmatique peuvent être abaissées, soit comme attendu par la dilution, soit en raison de la maladie responsable des oedèmes. Dans les urines, les concentrations d’ions sodium et chlore sont habituellement effondrées (hors intervention thérapeutique) alors que celle du potassium est élevée. L’analyse d’un liquide d’épanchement montre qu’il s’agit d’un transsudat sans critère inflammatoire. L’imagerie courante par échographie ou radiographie standard objective les épanchements séreux du thorax et de l’abdomen.
En investigation clinique, l’évaluation des oedèmes est d’abord corrélée à une première mesure, globale, de l’expansion du volume extracellulaire par une méthode de dilution (l’espace inuline ou isotopique du brome). Le volume plasmatique est secondairement soustrait en utilisant un autre traceur (l’albumine iodée couplée aux globules rouges marqués). Ce type de mesure, utilisé lors de programmes scientifiques, est surtout validé pour la répétition des valeurs obtenues dans le temps pour un même sujet.
Les oedèmes représentent une expansion du volume interstitiel mais ne préjugent pas de l’état de la volémie qui peut être normale, augmentée ou abaissée. Cette estimation, fonction de chaque cas particulier, est impérative car elle conditionne à la fois le pronostic et les décisions thérapeutiques.
L’hypervolémie s’accompagne souvent d’une hypertension artérielle dite volume-dépendante et comporte le risque majeur d’oedèmes viscéraux : encéphalopathie hypertensive, crise comitiale etc. Ils constituent des urgences médicales.
L’hypovolémie n’est pas toujours aisée à établir mais peut constituer une menace de collapsus. Une diminution de la volémie efficace, responsable de la perfusion tissulaire effective, peut être dépendante de la maladie ou de l’administration de diurétiques. Le volume circulatoire efficace ne peut être qu’apprécié car il n’est pas mesurable. Son estimation est cependant déterminante pour le traitement.
En raison de sa complexité, la mesure précise de la volémie est réservée à l’investigation clinique.
L’hydratation du secteur intracellulaire mesurée indirectement par la natrémie peut être elle aussi normale, augmentée ou diminuée.
Elle est sous la dépendance de la tonicité de l’organisme, donc du bilan d’eau sans électrolytes. La rétention hydrosodée oedémateuse est habituellement isotonique, donc la concentration du sodium extracellulaire et plasmatique reste normale. Si la rétention est hypotonique (bilan positif d’eau sans électrolytes), la tonicité et par conséquent la natrémie sont abaissées. La rétention isotonique appelle la restriction sodée, la rétention hypotonique appelle en plus une restriction hydrique. Ces notions soulignent qu’il n’y a pas de traitement « passe-partout » des oedèmes généralisés.
OEDÈMES LOCALISÉS :
Les oedèmes localisés se distinguent par leur caractère topographique limité et par la contribution habituelle d’un obstacle mécanique à leur constitution. Asymétrique, le gonflement siège en une zone unique, restreinte, sans le contexte de rétention générale de sodium. La perturbation ne touche qu’un segment corporel, en raison d’un déséquilibre local de la répartition du volume interstitiel.
Les oedèmes localisés, non inflammatoires, sans lésion cutanée de surface, sont dus à une altération circonscrite des forces de Starling responsables des échanges liquidiens dans un territoire limité.
Forces de Starling :
À l’état physiologique, les mouvements liquidiens dépendent des forces de Starling au niveau des vaisseaux capillaires. À l’entrée du capillaire, la pression hydrostatique tend à chasser les liquides du secteur intravasculaire vers l’espace interstitiel. Cette pression est d’autant plus élevée qu’on se trouve à la partie initiale, proximale du capillaire et elle dépend de la pression artérielle et du débit du retour veineux. Elle diminue progressivement le long du vaisseau.
Plus en aval, les liquides interstitiels peuvent réintégrer le lit vasculaire à l’extrémité distale du capillaire, en raison de la faible pression hydrostatique. À ce niveau, la concentration en protéines intravasculaires (pression oncotique) a augmenté. Le liquide interstitiel non drainé par les capillaires veineux l’est par la circulation lymphatique.
Mécanismes :
La physiopathologie des oedèmes localisés est souvent évidente : élévation de la pression hydrostatique, diminution de la pression oncotique, altération primitive de la perméabilité capillaire ou obstruction lymphatique.
L’obstruction au drainage veineux élève la pression hydrostatique capillaire en amont de l’obstacle. Il en résulte un transfert d’eau accru du secteur vasculaire vers l’interstitium et la constitution d’oedèmes veineux. Cette pathologie, qu’elle soit la conséquence d’une phlébite ou postphlébitique, qu’elle soit compressive ou liée à une insuffisance veineuse chronique, est très fréquente. Ce schéma n’apporte cependant que des solutions partielles au traitement de ces affections et de leurs séquelles trophiques. En dehors d’une attitude préventive ou d’une chirurgie de drainage, faute de disposer de médicaments veinotoniques actifs, ces oedèmes sont rebelles. L’obstruction du drainage lymphatique entraîne également une accumulation du liquide interstitiel. L’oedème peut aussi résulter d’une altération de l’endothélium capillaire qui permet une extravasation anormale de protéines vers le secteur interstitiel.
Ce phénomène dépend de l’activation de médiateurs locaux.
Sémiologie des oedèmes localisés :
Le diagnostic des oedèmes localisés est évident pour les maladies inflammatoires telles que phlébite, érysipèle ou crise de goutte pris à titre d’exemple, où la tuméfaction rouge, chaude et douloureuse se passe d’autre description. Pour les ecchymoses, les brûlures ou autres lésions caustiques, les accidents de photosensibilité, l’oedème de Quincke du visage, les algodystrophies etc, les circonstances et la simple inspection suffisent aussi à une reconnaissance aisée.
L’infiltration inflammatoire est le fait de médiateurs pharmacodynamiques, chimiotactiques et cytokiniques locaux issus de cellules invasives (lymphocytes, mastocytes, polynucléaires, macrophages) en réponse à l’agression physique, immunologique ou infectieuse.
L’accumulation locale de protéines donne au lymphoedème et au myxoedème une élasticité et une fermeté ne se déformant pas à la pression. Il est cependant quelques cas particuliers : l’ascite, en partie secondaire à des forces localisées complexes au niveau portal ; les syndromes caves où une lésion obstructive unique de la veine génère des oedèmes qui sont bilatéraux.
Certains oedèmes segmentaires, assez rares il est vrai, sont d’identification parfois déroutante, quand bien même la lésion est avérée sur un tissu identifiable. C’est notamment le cas des rhabdomyolyses (myocyte), des fasciites (aponévrose), des morphées (sclérodermie), des lymphangites, des éléphantiasis et des lymphocèles (lymphatiques).
En définitive, les oedèmes localisés sont habituellement facilement identifiés. Leurs causes spécifiques sont souvent découvertes et traitées en tant que telles : infectieuses, tumorales, immunoallergiques, trophiques, etc.
Physiopathologie des oedèmes généralisés :
CONDITIONS PHYSIOLOGIQUES :
Équilibre du bilan sodé :
L’oedème généralisé est une situation commune en médecine, reconnue de longue date. Il est maintenant bien établi qu’il s’agit d’une augmentation du contenu hydrosodé, le volume des liquides extracellulaires étant proportionnel au contenu en sodium.
Depuis une trentaine d’années, la plupart des situations oedémateuses ont donné naissance à des théories explicatives parfaitement logiques, donnant pleine satisfaction à la fois à l’enseignant, heureux d’exposer simplement un enchaînement cohérent, et à l’étudiant, comprenant sans mal des cascades évidentes d’événements. Ces déductions logiques, ne résistant en général pas aux progrès des investigations cliniques et aux études expérimentales, sont remplacées par d’autres, non moins logiques et indiscutables, jusqu’à ce que nos connaissances progressent encore un peu. Bien souvent, ces théories ont suggéré un comportement thérapeutique, et c’est l’échec ou le résultat imprévu de celui-ci qui a entraîné une nouvelle interprétation.
Notre connaissance du fonctionnement rénal a considérablement progressé depuis quelques décennies et nous pouvons décrire maintenant comment le rein s’adapte à l’apport sodé pour maintenir un volume extracellulaire physiologiquement adapté. Chez le sujet sain, l’excrétion urinaire du chlorure de sodium correspond aux apports. Lorsque ceux-ci augmentent, l’excrétion urinaire du chlorure de sodium devient équivalente, mais l’adaptation nécessite souvent plusieurs jours. L’excrétion s’accroît avec un léger retard et temporairement, le liquide extracellulaire augmente de volume avant d’atteindre un nouvel équilibre. Il existe une relation linéaire entre le volume du liquide extracellulaire et l’excrétion du chlorure de sodium. La valeur minimale du volume du liquide extracellulaire pour laquelle l’excrétion du chlorure de sodium devient nulle est le seuil d’excrétion. Il faut une valeur considérable d’apport sodé au sujet sain pour que l’augmentation expérimentale du volume extracellulaire corresponde à un très léger oedème.
Le sodium, principal cation maintenu dans le compartiment extracellulaire par l’activité de la Na-K-ATPase membranaire, est dilué dans l’eau de ce compartiment. Cette dilution mesurée dans l’eau plasmatique s’appelle natrémie. Pour maintenir l’égalité entre les tonicités extra- et intracellulaires (donc pour que le volume cellulaire ne varie pas), toute augmentation de la quantité de sodium doit s’accompagner d’un accroissement de la quantité d’eau (donc du volume extracellulaire).
Ce volume extracellulaire est soumis à des variations diverses, soit permanentes, soit intermittentes dans la journée et entraînant, les unes sa diminution (sueurs, pertes hydriques insensibles), les autres son augmentation (apports alimentaires). En définitive, l’urine excrétée représente le résultat de l’intégration rénale de ces altérations du liquide extracellulaire, du débit de la filtration glomérulaire (DFG) et de la réabsorption tubulaire pour assurer un volume extracellulaire correct.
En d’autres termes, il y a donc, réalisé au niveau rénal, un équilibre entre les entrées et les sorties hydrosodées, mais le niveau de cet équilibre dépend du niveau d’apport sodé.
Pour être permanente, la réalisation de cet équilibre n’a toutefois pas une exactitude de tous les instants, mais le bilan effectué sur quelques jours reste cependant bien nul. L’excrétion rénale de sodium dépend de l’état d’expansion du volume extracellulaire et plus précisément de la volémie, plus que de la masse des apports sodés.
Les oedèmes généralisés sont caractérisés par un changement de pente de la relation linéaire excrétion du chlorure de sodiumvolume du liquide extracellulaire et souvent par un déplacement du seuil d’excrétion.
Excrétion rénale du sodium :
Il est en dehors de notre sujet de décrire les mécanismes rénaux de transfert sodé. Rappelons que le DFG de l’ordre de 180 L/j correspond à la sortie dans l’urine tubulaire de plus de 25 000 mmol/j de sodium. Le travail rénal est donc d’assurer une réabsorption considérable. Elle s’effectue au travers de l’épithélium tubulaire dans lequel la situation basolatérale de la Na-K-ATPase oriente le transfert de sodium de la lumière vers l’espace interstitiel. De nombreuses influences neuroendocriniennes modulent cette réabsorption, dont l’un des effets essentiels est de tendre à restaurer un volume extracellulaire perpétuellement diminué par la filtration glomérulaire et fréquemment modifié par les relations organisme-environnement.
OEDÈMES DES MALADIES RÉNALES :
OEdèmes néphrotiques :
Élément clinique fréquemment associé au syndrome néphrotique, l’oedème est souvent modéré et le traitement associant restriction sodique et diurétique suffit. Dans un certain nombre de cas toutefois, l’oedème est désespérant et semble échapper à tout traitement.
Classiquement, l’oedème du syndrome néphrotique est l’un des plus faciles à expliquer pour l’étudiant en médecine : la protéinurie, élément majeur du syndrome néphrotique, entraîne une hypoprotéinémie d’où résulte une diminution de la pression oncotique plasmatique entraînant une diminution du volume plasmatique par extravasation du plasma dans le liquide interstitiel.
La diminution du volume plasmatique stimule la réabsorption rénale de NaCl et d’eau qui va augmenter l’oedème, la solution hydrosodée ainsi réabsorbée ne pouvant être maintenue dans les vaisseaux. Il en résulte une sorte de cercle vicieux dans lequel le trouble initial compromet l’équilibre de Starling au niveau de la circulation capillaire et le trouble secondaire entraîne la stimulation hypovolémique de la réabsorption hydrosodée.
La réalité est cependant bien différente et les éléments de ce schéma n’ont pas résisté aux études expérimentales d’une part, et surtout aux études cliniques précises d’autre part. Dans les années 1980, il est apparu que la notion de compensation d’une hypovolémie (underfill theory) n’était pas compatible avec les données recueillies chez les malades, d’abord chez les adultes, puis chez les enfants. La rétention rénale de sodium, perçue comme causée par l’extravasation du sérum, donc secondaire à l’oedème, s’est imposée comme étant primaire et à l’origine de l’oedème.
La notion d’oedème par tentative de compensation d’une hypovolémie reposait sur quatre types de données :
– albumine plasmatique réduite ;
– volume plasmatique diminué ;
– stimulation de l’axe rénine-angiotensine II-aldostérone ;
– importante activité sympathique.
Expérimentalement, la réduction de l’albumine plasmatique ne cause un oedème que lorsque la différence transcapillaire entre les pressions osmotiques sériques et interstitielles n’est pas maintenue. Or, lorsque les protéines plasmatiques diminuent, la concentration des protéines interstitielles diminue également : la sortie de sérum hors des vaisseaux dilue le liquide interstitiel, et surtout le débit lymphatique augmente. Il en résulte que la concentration plasmatique d’albumine diminuant, la pression oncotique absolue du plasma diminue, mais pas la différence des pressions oncotiques sérique et interstitielle qui demeure en faveur du maintien du liquide dans les vaisseaux. C’est seulement pour des valeurs très faibles de l’albumine plasmatique que ce mécanisme de protection contre l’oedème ne fonctionne plus.
L’oedème du syndrome néphrotique peut être observé chez des malades n’ayant pas une concentration d’albumine considérablement diminuée.
La mesure du volume plasmatique, chez l’adulte et chez l’enfant, donne le plus souvent une valeur normale. Il y a cependant un petit nombre de patients présentant une hypovolémie réelle, mais d’autres ont un volume plasmatique augmenté. La mesure de la pression artérielle donne des résultats beaucoup plus variables (certains malades sont hypotendus, d’autres hypertendus), la majorité ayant des valeurs normales.
Les stimulations du système rénine-angiotensine-aldostérone et de l’activité sympathique sont considérées comme des marqueurs physiologiques de l’hypovolémie. Ici encore, les données recueillies sont divergentes et nombreux sont les malades néphrotiques ne présentant pas cette hyperactivité de ces systèmes neuroendocriniens.
À l’opposé de ce concept d’oedème par hypovolémie, des arguments sont en faveur d’une rétention hydrosodée primitive par le rein. La diminution du DFG chez les sujets présentant une insuffisance rénale chronique en est une cause évidente parfois. Cependant, la plupart des malades présentant un oedème néphrotique ont un DFG correct maintenu.
Divers travaux mettent en cause une altération primaire du fonctionnement néphronique sans qu’une localisation précise soit déterminée. Une augmentation de l’activité de la Na-K-ATPase a été démontrée. Elle est due à une augmentation du turnover de cette enzyme (au moins expérimentalement) qui est peu sensible à l’ouabaïne. La sensibilité à l’aldostérone de la Na-K-ATPase est diversement rapportée, parfois diminuée, parfois augmentée. Du point de vue thérapeutique, les mêmes divergences sont observées. Certains utilisant un diurétique antialdostérone peuvent induire une balance sodée négative (alors même que l’aldostérone plasmatique est normale). D’autres, utilisant des inhibiteurs d’enzyme de conversion, diminuent l’aldostérone plasmatique de leurs malades mais sans modifier la natriurèse ou limiter l’augmentation de poids.
Le rôle du facteur atrial natriurétique (FAN) est l’objet de nombreuses investigations. On a montré que l’expansion du volume plasmatique chez certains malades s’accompagnait d’une diminution de la réponse à l’administration de FAN. Il faut remarquer que nos connaissances des mécanismes de la réabsorption sodée évoluent sans cesse et que le rôle de l’angiotensine II et du FAN sur la considérable réabsorption proximale se précisent davantage. Il est possible de décrire un équilibre entre les actions de l’angiotensine II et leur inhibition par le FAN au niveau de la cellule proximale.
Au total, il semble que l’on puisse identifier trois groupes de malades :
– ceux présentant une protéinurie discrète (incipiens) et une concentration proche de la normale des protéines plasmatiques, mais ayant une rétention sodée nette avec un débit plasmatique rénal élevé, une aldostérone plasmatique discrètement élevée et une adrénaline normale ;
– ceux ayant une protéinurie sévère avec hypoprotéinémie et des signes d’hypovolémie nette ; la rétention hydrosodée s’accompagne de concentrations plasmatiques élevées de rénine, aldostérone et noradrénaline ; la concentration du FAN est faible et le DFG est réduit ;
– les malades ayant une protéinurie et une hypoprotéinémie sévères mais sans signe d’hypovolémie : ils se présentent avec ces oedèmes mais des taux hormonaux plasmatiques normaux et une filtration glomérulaire non altérée.
En définitive, les oedèmes du syndrome néphrotique ne peuvent être expliqués seulement par l’hypovolémie. Dans tous les cas, la rétention sodée a une origine rénale primaire et elle précède souvent l’hypoprotéinémie.
OEdèmes de l’insuffisance rénale aiguë :
Les oedèmes à la phase aiguë des glomérulonéphrites sont associés à l’hypertension artérielle, l’hématurie, la protéinurie et souvent l’oedème aigu du poumon. À cette phase initiale des syndromes néphritiques aigus, les lésions inflammatoires et transitoires des glomérules créent un déséquilibre glomérulotubulaire brutal et passager. La réduction du DFG limite le débit de sodium délivré aux tubules. Cette quantité réduite du filtrat est en grande partie réabsorbée par les tubes rénaux restés intacts car en dehors du processus lésionnel. La natriurèse est donc très réduite alors que les apports alimentaires maintenus génèrent l’état oedémateux. En accord avec l’état d’expansion volémique, les concentrations de rénine et d’aldostérone sont habituellement abaissées. Quant au rôle de la diminution de facteurs natriurétiques, leur déficit reste à définir et il n’y a pas de preuve de l’intervention d’autres facteurs extrarénaux.
Au cours des insuffisances rénales aiguës oligoanuriques, l’extrême réduction du DFG et du débit urinaire rend explicite la constitution d’oedèmes dus au bilan devenant positif pour le sodium (apports oraux, perfusions…). L’apport de sodium doit être préventivement restreint dans toutes les formes anuriques ou oligoanuriques d’insuffisance rénale aiguë (déplétion exceptée) dès la constatation de l’atteinte rénale.
OEdèmes de l’insuffisance rénale chronique :
Dans l’insuffisance rénale chronique, pendant une phase prolongée de la maladie, les reins conservent une aptitude à équilibrer le bilan hydrosodé quotidien. La natriurèse et la diurèse sont conservées, il n’y a pas de variation de poids, les oedèmes ne surviennent qu’à une phase de réduction extrême du DFG (inférieur ou égal à 10 mL/min).
La capacité d’hyperfonctionnement tubulaire des néphrons intacts, restants, est présentée comme l’explication satisfaisante de cette observation. L’adaptation remarquable de cette activité distale n’est que partiellement connue. L’attention a été récemment attirée sur le rôle de peptides natriurétiques circulants. Une caractéristique de l’insuffisance rénale chronique est cependant la lenteur de l’amortissement d’une charge brutale. L’excès de sel (eaux alcalines, écarts alimentaires, médicaments modifiant l’hémodynamique rénale) expose plus qu’ailleurs aux accidents de surcharge de la petite circulation avant les oedèmes généralisés.
OEDÈMES CARDIAQUES :
La diminution du volume circulatoire efficace (volume sanguin artériel compris entre le coeur gauche et les résistances vasculaires périphériques) est la notion le plus communément avancée pour expliquer les oedèmes de l’insuffisance cardiaque congestive. Elle correspond à l’underfilling theory admise tant lors des insuffisances cardiaques à bas débit que lors des insuffisances cardiaques à débit élevé. Dans le premier cas, la diminution du volume circulatoire efficace est due à une insuffisance du débit cardiaque, donc du remplissage. Dans le deuxième cas, la diminution des résistances vasculaires périphériques (vasodilatation, shunts artérioveineux) empêche un remplissage correct du territoire artériel sensible, en dépit de l’augmentation du débit sanguin.
Le débat célèbre entre les théories d’hypovolémie et d’hypervolémie s’est compliqué dans ce domaine d’un débat entre les conséquences « précardiaques » (veineuses et pulmonaires) et postcardiaques (artérielles). Ces diverses notions ne sont d’ailleurs pas nécessairement contradictoires et peuvent être souvent considérées comme complémentaires.
La définition de l’insuffisance cardiaque, incapacité du coeur à maintenir un débit correct pour une pression normale de remplissage, aboutit à considérer uniquement l’aspect de déficit de la contractilité des cellules myocardiques. Or, cette défaillance a des causes, et ces causes ont elles-mêmes d’autres conséquences, essentiellement neuroendocrines.
La rétention hydrosodée ne peut pas être attribuée à la seule diminution du débit cardiaque puisqu’on l’observe aussi avec des débits cardiaques élevés. De même, dans l’infarctus myocardique chez l’homme, ou expérimentalement chez l’animal, une rétention hydrosodée se produit alors même que le débit cardiaque ou la pression veineuse peuvent ne pas être modifiés.
Le blocage adrénergique lors des insuffisances cardiaques humaines ou expérimentales produit une natriurèse marquée : l’administration d’un antagoniste b2 chez l’animal insuffisant cardiaque provoque une diminution de l’activité sympathique et une augmentation du volume urinaire. Le rôle de l’hyperactivité sympathique paraît donc net dans la réabsorption de sodium. De même, le système rénine-angiotensine, l’aldostérone, le FAN et l’endothéline (ET-1) sont impliqués dans cette réabsorption. L’augmentation de l’activité du système rénine-angiotensine-aldostérone a été montrée à diverses reprises. Les barorécepteurs de l’artériole afférente sont stimulés par une chute de la perfusion rénale. L’augmentation de sécrétion de rénine qui en découle est médiée par une production locale de prostaglandines. Les hyperactivités des systèmes sympathiques, rénine-angiotensine, et endothéliales vasculaires (ET-1, monoxyde d’azote [NO]) diminuent le DFG, favorisant ainsi la rétention sodée.
Le rôle du FAN est plus complexe. L’augmentation de la concentration plasmatique de FAN, retrouvée fréquemment, pourrait limiter l’élévation des concentrations de rénine et d’aldostérone plasmatiques. L’administration de FAN exogène ne provoque qu’une faible augmentation de l’excrétion sodée chez l’insuffisant cardiaque à bas débit. Au total, l’augmentation de la sécrétion du FAN lors de l’insuffisance cardiaque est insuffisante pour prévenir la rétention hydrosodée ; la réponse rénale au FAN est réduite ; enfin, son action est contrebalancée par l’augmentation des sécrétions ou de formation de rénine, d’angiotensine II, d’aldostérone et d’antidiuretic hormone (ADH).
D’origine barosensible, une hypersécrétion d’ADH est habituelle chez l’insuffisant cardiaque ; ses conséquences sont multiples. L’effet classique sur le tube collecteur favorise la rétention d’eau. Cette augmentation de la réabsorption d’eau entraîne surtout une hyponatrémie mais elle facilite peut-être l’oedème, d’autant plus qu’a été démontrée une up-regulation des aquaporines 2 des canaux à eau. L’ADH augmente les résistances vasculaires périphériques et pourrait entraîner une détérioration supplémentaire de la fonction cardiaque.
Les perturbations des échanges capillaires ont été très étudiées. La pression hydrostatique à l’extrémité veineuse augmente et contribue à la survenue de l’oedème. Ce mécanisme est contrebalancé par la constriction artériolaire qui limite la formation de l’oedème. La pression colloïde osmotique du plasma varie peu, alors que dans le liquide interstitiel elle diminue ; là encore, ce mécanisme limite la formation de l’oedème. L’équilibre de Starling est cependant altéré dans le sens de la constitution de l’oedème par différents mécanismes : transmission à tous les capillaires de l’augmentation de la pression veineuse, provoquant ainsi une modification du coefficient de filtration et une augmentation de la pression hydrostatique, et aussi le développement d’un débit lymphatique progressivement inadéquat.
La circulation capillaire glomérulaire est aussi modifiée. La perfusion rénale diminue précocement dans l’insuffisance cardiaque. Les actions convergentes de l’angiotensine II, du FAN et du système sympathique font que le tonus vasoconstricteur de l’artériole afférente augmente. Le DFG est donc maintenu, du moins au début de l’évolution, en dépit de l’hypoperfusion. Une conséquence est l’augmentation de la fraction filtrée, qui accroît la concentration des protéines sanguines dans la circulation péritubulaire. Ceci favorise une augmentation de la réabsorption proximale de sodium. Lorsque l’insuffisance cardiaque progresse, l’hypoperfusion rénale est plus importante, la filtration glomérulaire devient alors très dépendante de la formation de prostaglandines vasodilatatrices de l’artère afférente, limitant dans le territoire rénal la vasoconstriction générale provoquée par la défaillance cardiaque. La diminution progressive du DFG contribue à la rétention hydrosodée.
Enfin, différents facteurs, intervenant directement sur le transport sodé par l’épithélium rénal, ont été soit caractérisés, soit supposés.
La plupart de ces facteurs sont en fait surtout connus pour ralentir ou inhiber la réabsorption sodée. Ce que l’on ne sait pas, c’est pourquoi ils s’avèrent insuffisants pour prévenir la réabsorption excessive de sodium. Nous l’avons vu, cette même question se pose aussi pour le FAN.
En résumé, l’oedème de l’insuffisance cardiaque est multifactoriel : perturbations capillaires, d’où diminution du volume circulatoire efficace et exhémie plasmatique (shift) vers le liquide extracellulaire, diminution de la charge sodée filtrée par réduction de la perfusion rénale, mais surtout réabsorption hydrosodée considérable, considérée comme d’origine barosensible, déclenchée par la diminution du volume circulatoire efficace. Au début de l’évolution, ces mécanismes de réabsorption ont un effet compensatoire. Ces activations neurohormonales contribuent au maintien du débit cardiaque. Progressivement, elles deviennent délétères sur le coeur lui-même, générant hypertrophie, ischémie, et aussi sur la réponse rénale qui devient inappropriée.
Ces aspects complexes, mais classiques, ne sont sans doute pas définitifs et la possibilité que la rétention rénale de sodium dans l’insuffisance cardiaque soit un phénomène primaire et non exclusivement secondaire est envisagée.
OEDÈMES DES CIRRHOSES :
Une rétention majeure d’eau et de sel est un trait caractéristique des cirrhoses décompensées avec ascite. Les explications avancées vis-àvis des perturbations extrarénales responsables ont amené à l’affrontement de deux théories successives de sous- et surremplissage (underfilling/overflow) proposées maintenant sous forme complémentaire.
Selon la première hypothèse, le sous-remplissage du compartiment artériel déclenche une séquence d’événements activant de multiples systèmes neurohormonaux vasoconstricteurs. En résultent une stimulation de la réabsorption rénale de sodium, le défaut d’échappement à l’effet de rétention sodée de l’aldostérone et la résistance rénale au FAN. Les facteurs de la vasodilatation artérielle et splanchnique (en accord avec l’évidence clinique d’érythrose du visage et palmaire, d’angiomes stellaires, d’ascite, etc) restent encore débattus chez le cirrhotique. Sont notamment incriminés : le NO, les opioïdes endogènes, les prostanoïdes vasodilatatrices, le glucagon, la substance P, le vasoactive intestinal peptide….
Une libération non osmotique d’hormone antidiurétique intervient dans la fréquence élevée des hyponatrémies chez ces malades. Les aquaporines II sont augmentées dans les cirrhoses expérimentales et cette élévation est inhibée par les antagonistes des récepteurs V2. Ces nouveaux aspects ouvrent des perspectives intéressantes bien qu’encore partielles pour la compréhension et le traitement de ces oedèmes. Ces derniers restent chroniques, désespérants et sont obérés d’une morbidité-mortalité élevée. Les effets bénéfiques de la spironolactone (réputée abaisser aussi la pression portale) sont à rapprocher de ceux observés dans l’insuffisance cardiaque où l’aldostérone pourrait intervenir dans le turnover de la fibrose.
OEDÈMES IATROGÈNES :
L’excès d’appport en sel et/ou la prise de certains médicaments peut entraîner des oedèmes. La possibilité d’oedèmes iatrogènes doit être envisagée quand leur cause n’apparaît pas clairement. Le nombre croissant de médicaments à action rénale multiplie ces exemples.
Excès d’apports salés : la capacité d’excrétion sodée peut être dépassée par des apports excessifs : perfusion abondante de chlorure de sodium, de bicarbonate de sodium, médicaments à forte teneur en Na souvent méconnue, faim de sel pathologique… Les apports sodés peuvent devenir excédentaires lorsque la capacité d’excrétion est altérée : situation postopératoire, sujet âgé, diminution du DFG…
Rétention médicamenteuse rénale de sel : certains médicaments réduisent directement l’excrétion sodée. Le diagnostic de ces oedèmes induits est difficile s’il s’agit de sujets dont les symptômes ne relèvent pas primitivement d’une atteinte rénale, hépatique ou cardiaque, n’entraînant pas de contrôle de l’alimentation salée. Par ailleurs, une automédication peut paraître insignifiante ou être niée.
OEstrogènes : dans leurs formes alkylées utilisées en contraception orale, les oestrogènes n’influencent pas le flux sanguin rénal ni le DFG. La rétention sodée est attribuée à une synthèse excessive d’angiotensinogène, une augmentation des minéralocorticoïdes et possiblement une dysrégulation de la prolactine. Ces effets sont moins souvent observés avec la prescription de pilules minidosées.
Médicaments antihypertenseurs vasodilatateurs : des oedèmes généralisés peuvent être induits par les vasodilatateurs : le minoxidil et à moindre degré le diazoxide. La volémie ne varie pas, la vasodilatation artériolaire engendre une stimulation marquée des systèmes adrénergique, rénine-angiotensine et de l’hormone antidiurétique, d’où rétention sodée et oligurie. La prescription conjointe de diurétiques risque d’aggraver ces oedèmes par l’hypovolémie induite et les rend souvent réfractaires au traitement.
OEdèmes des anti-inflammatoires non stéroïdiens (AINS) : parmi les effets indésirables observés depuis longtemps lors de l’administration des AINS, inhibiteurs des prostaglandines synthétases, les oedèmes ont une fréquence de 3 à 23% selon les études. Les AINS agissent en inhibant la synthèse des prostanoïdes, médiateurs locaux de l’inflammation, mais aussi facteurs de régulation de l’excrétion sodée.
À côté des syndromes néphrotiques ou des insuffisances rénales aiguës induits par ces médicaments, il est des cas d’oedèmes isolés.
Ces oedèmes, chez l’homme, semblent la conséquence de modifications de l’hémodynamique intrarénale plutôt que systémique. Ils sont réversibles à l’arrêt du traitement. Avec les AINS, les effets observés n’apparaissent pas uniformes et dépendent de la molécule utilisée et surtout de l’état rénal initial. Chez le sujet en équilibre, l’administration d’AINS a peu ou pas d’effet sur le rein.
Si la perfusion rénale est altérée, la réduction du DFG peut être aggravée par l’AINS et l’oedème peut apparaître. La véritable thérapeutique est préventive, surtout dans la population âgée, très exposée.
OEdèmes de rebond à l’arrêt des diurétiques : ils sont observés chez des personnes consommant de façon habituelle et aléatoire des diurétiques, soit psychologiquement fragiles, soit chez des femmes soucieuses de leur esthétique et alarmées par un excès apparent de poids ou un gonflement des paupières. La prise du diurétique provoque une déplétion extracellulaire et une hyperactivité tubulaire augmentant la réabsorption distale du sodium. À l’arrêt du médicament, un bilan sodé positif s’instaure avec une natriurèse sensiblement nulle. L’hyperactivité tubulaire distale est lente à se corriger, d’où un phénomène de rebond pouvant provoquer des oedèmes. On les a parfois considérés comme « idiopathiques » alors qu’ils sont le fait d’apports alimentaires en sel, devenus excédentaires en regard des sorties diminuées par l’arrêt du diurétique.
La conduite consiste à interrompre les diurétiques en prescrivant préventivement et pour quelques jours une restriction raisonnée d’apports caloriques et sodés.
Médicaments anticalciques : ils sont à l’origine des oedèmes médicamenteux les plus fréquents. Les dihydropyridines utilisées pour traiter l’hypertension artérielle entraînent une fréquence élevée d’oedèmes pouvant motiver l’arrêt du traitement. Ce phénomène est constaté avec toutes les classes d’anticalciques. Ces oedèmes symétriques, restreints aux jambes et aux chevilles, n’ont que l’apparence d’oedèmes généralisés car le bilan sodé est réputé être à l’équilibre.
La survenue de flushes, de céphalées, consécutive à la prise de ces médicaments, suggère l’installation d’une vasodilatation. Le traitement des oedèmes des membres inférieurs associé aux anticalciques ne relève a priori pas d’une restriction sodée, ni d’une prescription diurétique. La réduction des doses s’avère peu efficace, souvent ces oedèmes brouillent la symptomatologie dans le suivi de la maladie en cause et, fonctionnellement gênants, obligent à s’orienter vers une autre famille de médicaments.
Divers : les oedèmes dus au citrate de clomifène, à la dapsone, à l’interleukine 2, aux inhibiteurs de l’enzyme de conversion (IEC) chez les dialysés sont connus. Des relations de cause à effet moins convaincantes ont été décrites pour la réglisse, le lithium, la bromocryptine, l’hormone de croissance recombinante, les stéroïdes anabolisants (dopage), les a1-bloquants… Une susceptibilité personnelle peut entrer en ligne de compte, tout autant que des habitudes de consommation excessive de sel. Les progrès de la pharmacovigilance, précisant mieux toutes ces données, permettront une prévention.
OEDÈMES CYCLIQUES :
OEdèmes cycliques idiopathiques orthostatiques :
Ces oedèmes périodiques, capricieux, surviennent par poussées de quelques jours ou quelques semaines chez des femmes en âge de fécondité, intellectuellement évoluées et socialement actives. Cet oedème déclive tend à se généraliser en fin de journée avec sensation d’empâtement de la taille et de tension mammaire. La variation pondérale peut être considérable et surtout brutale, de plusieurs kilogrammes après une station debout de quelques heures. Ce critère d’orthostatisme est fondamental dans la sémiologie. La rétention sodée semble due à l’orthostatisme comme en atteste la séquence clinique et l’amélioration par un décubitus strict. Les accès surviennent parfois lors d’une phase prémenstruelle, d’un épisode digestif, d’un événement affectif, mais souvent sans cause apparente.
S’associent des symptômes variés cardiovasculaires (hypotension orthostatique, arythmie…) et parfois une oligurie durant plusieurs heures sans conséquence métabolique décelable.
Habituellement, sont observés des symptômes fonctionnels chroniques, gynécologiques (perturbation du cycle, galactorrhée), digestifs (constipation), neuropsychiques (céphalée, dysmorphophobie, irritation, dépression, tétanie, paresthésies…).
L’enquête étiologique ne découvre aucune maladie organique et demeure toujours négative. Cette entité n’a qu’une définition clinique et pas de cause décelable. Faute de mesures préventives des accès, les malades déçus et ayant une psychologie instable se réfugient dans une prise chronique et désordonnée de médicaments diurétiques et laxatifs non dénués de potentialités graves : collapsus hypovolémique, hypokaliémie prononcée, accidents de thrombose.
Le phénomène principal semble être un transfert plasmatique du secteur vasculaire vers le secteur interstitiel. L’oligurie, la réduction en position debout de l’excrétion de sodium et d’eau sans électrolyte, la réponse hormonale appropriée des catécholamines, du système rénine-angiotensine et de l’hormone antidiurétique stimulée par l’hypovolémie concordent avec cette hypothèse.
La variation anormale de perméabilité vasculaire ainsi postulée s’avère réversible. Aucune lésion organique n’a été mise en évidence bien qu’on ait relevé des anomalies de la régulation oestrogénique ou de la prolactine…, ou plus récemment de la production rénale de dopamine. Ce phénomène de transfert est en partie corroboré par les études de cinétique de l’albumine marquée selon la technique de
Landis. En fait, les mécanismes de ces oedèmes cycliques restent à expliquer.
La mise au repos en clinostatisme, la diminution des apports sodés et glucidiques lors des poussées d’oedèmes, le port de bas de contention, la prise en charge psychologique, sont les mesures symptomatiques à proposer. Certains médicaments s’avèrent parfois efficaces : spironolactones, IEC, progestérone, bromocryptine, agents sympathomimétiques, dextroamphétamines, qu’il faut savoir moduler selon la sévérité des symptômes.
OEdèmes prémenstruels :
L’oedème idiopathique doit être différencié du syndrome prémenstruel (cyclique lui aussi) au cours duquel l’apparence de rétention sodée se résout à la survenue des règles. On incrimine une hyperoestrogénie, dont le traitement est en général suffisant.
OEDÈMES DE CAUSE EXCEPTIONNELLE :
OEdèmes angioneurotiques :
Héréditaires ou acquis, ils sont associés à un déficit en inhibiteur de la C1-estérase.
La forme héréditaire est autosomique dominante. Son diagnostic repose sur le caractère familial, la localisation symétrique à la face et aux extrémités, l’absence de lésion urticarienne, la fréquence de crises abdominales (oedème mésentérique) récidivantes et des épisodes d’oedème laryngé. L’antigène C1-estérase inhibiteur est absent (type I). D’autres mutants ont une protéine non fonctionnelle (type II). Les taux de C4 et C2, substrats naturels de C1, et l’activité CH50 sont abaissés. Les androgènes à effet atténué (danazol) corrigent le déficit biochimique et suppriment les accès.
Une forme acquise de déficit en C1 inhibiteur associée à des syndromes lymphoprolifératifs a les mêmes manifestations cliniques.
OEdèmes d’origine nutritionnelle :
Une carence protidique prolongée peut provoquer des oedèmes avec hypoprotidémie. Souvent s’ajoute une insuffisance cardiaque par déficit en vitamine B1, malnutrition, famine ou alcoolisme, selon le terrain. Les facteurs aggravants se conjuguent : modification du débit cardiaque, ouverture de shunts artérioveineux périphériques, hypovolémie efficace… pour créer une hypoperfusion tissulaire et entretenir l’oedème. La renutrition mal contrôlée augmente la ration de sel ingérée, elle contribue à entretenir l’oedème.
Dans les anorexies mentales, au cours desquelles la dénutrition n’est pas imposée par des événements extérieurs mais résulte d’une conduite psychologique, les oedèmes sont exceptionnels.
Syndrome de choc cyclique de Clarkson :
Très rare, le syndrome de Clarkson présente un risque létal en raison des accès d’état de choc impressionnants avec hypovolémie majeure. À côté du transfert plasmatique brutal hors du lit capillaire, existe une gammapathie monoclonale. La relation entre la dysglobulinémie chronique et la survenue des accès n’est qu’approchée (leucotriènes, interleukine 2-récepteurs…). Mais un traitement par théophylline et b2-agonistes semble protéger des rechutes.
Syndrome de Gleich :
Ce syndrome d’oedème généralisé avec hyperéosinophilie comporte des épisodes stéréotypés d’une dizaine de jours de fièvre, avec chute tensionnelle et leucocytose de 10 à 80 % d’éosinophiles. La dégranulation des éosinophiles est incriminée dans l’hyperperméabilité capillaire.
Divers :
L’hypothyroïdie, au cours de laquelle le myxoedème est localisé en zone prétibiale, est parfois associée à un oedème rétro-orbitaire.
Parmi les facteurs incriminés, une perturbation de la circulation lymphatique semble la cause essentielle.
Des oedèmes fréquemment observés sont toujours inexpliqués : lors du sevrage alcoolique, dans les suites immédiates des greffes hépatiques, lors de la correction d’acidocétose diabétique. D’autres, fréquents aussi, sont mieux connus, comme les oedèmes de posture, de la ventilation mécanique (réanimation prolongée), ou les oedèmes des voyageurs aériens transcontinentaux.
OEDÈMES SELON LE TERRAIN :
Chez les enfants :
Les oedèmes s’observent dans trois conditions différentes selon l’âge.
– Chez les grands prématurés, associée à l’hypoxie, l’instabilité hémodynamique induit des variations amples et imprévisibles du DFG. Interviennent d’autres éléments, multifactoriels, tels qu’immaturité tubulaire, apports en sel excédentaires en cours de réanimation…
– L’anasarque par incompatibilité foetomaternelle se découvre surtout dans sa forme liée au groupe Rhésus, lors de grossesses non déclarées et non suivies, les mères Rhésus-négatif n’ayant pas bénéficié du diagnostic et du traitement spécialisé anténatal.
– Chez les grands enfants, à côté des circonstances du kwashiorkor, la survenue d’oedèmes fait rechercher un syndrome néphrotique, une hyperéosinophilie, une entéropathie exsudative, un déficit en vitamine E.
Au cours de la grossesse :
La survenue d’oedèmes est fréquente au cours de la grossesse.
Précoce, elle suggère la décompensation d’une affection préalable à la conception ; tardive, elle annonce la prééclampsie. En fait, l’oedème n’est plus un critère de prééclampsie, d’autant que son absence est un indice de gravité.
Ces complications sont à différencier d’oedèmes isolés, plus souvent observés proches du terme. Il n’y a ni hypertension artérielle, ni protéinurie, ni anomalie du sédiment urinaire, et tous les paramètres sont ceux de la grossesse physiologique.
Cette constatation d’oedèmes n’est pas nécessairement inattendue puisque l’on estime que l’expansion normale des volumes liquidiens correspond au terme à une rétention de 700 à 900 mmol de Na+. Il n’y a pas cependant d’explication satisfaisante à ce phénomène, sauf à admettre qu’en plus d’un aspect postural, l’expansion est l’accentuation d’un état physiologique (charge orale excessive ?).
L’augmentation des débits circulatoires rénaux et la capacité de disposer de charges salées et hydriques normales ou supraphysiologiques sont les facteurs primaires qui favorisent l’hyperremplissage. D’un autre côté, la vasodilatation périphérique avec l’abaissement de la pression artérielle systémique qui survient tôt au cours de la grossesse, la stimulation du système rénineangiotensine, l’abondance de progestérone, la suppression du FAN, le seuil osmotique plus bas de libération d’hormone antidiurétique et la stimulation de la soif sont en accord avec l’hypothèse du sousremplissage.
L’expérience obstétricale suggère qu’une diététique pauvre en sel est associée à un risque gestationnel augmenté. Vraisemblablement surexpression, habituellement sans danger, d’un état physiologique, ces oedèmes sont pénibles et fatigants et justifient une intervention mesurée (repos, correction d’écarts diététiques, bas de contention).
Doit-on rappeler que, chez la femme enceinte, l’oedème pulmonaire (prééclampsie) est la seule indication reconnue des diurétiques ?
Principes thérapeutiques :
Pour traiter les oedèmes, les diurétiques modernes sont de prescription simple et d’efficacité éprouvée.
Généralement, la dose initiale s’avère efficace et la surveillance clinique (poids, pouls, pression artérielle, état respiratoire), encadrée de contrôles biologiques raisonnés (équilibre hydroélectrolytique, état rénal), permet la poursuite du traitement. Mais, habituellement, la cause des oedèmes persiste, chronique, et évolue pour elle-même.
Le traitement comporte donc deux aspects : ramener le volume extracellulaire à son état normal, en réduisant le bilan excédentaire en sodium, et supprimer autant que possible les conditions créant le bilan positif, c’est-à-dire traiter l’étiologie. Nous ne pouvons, ici, entrer dans le détail des mesures thérapeutiques propres à chaque étiologie des oedèmes et à son degré de gravité. Notons que la pharmacologie actuelle offre surtout des possibilités quant aux oedèmes d’origine cardiaque. Les thérapeutiques antiarythmiques, l’oxygénation coronarienne, les vasodilatateurs, les IEC, en bref tout ce qui améliore la performance myocardique, rectifient les anomalies de la précharge et du débit. Elles modifient les conséquences d’aval rapidement et durablement, donc les oedèmes.
Pour obtenir une déplétion extracellulaire, il faut à la fois restreindre les apports en sels de sodium (alimentaires, intraveineux, médicamenteux) et augmenter les sorties hydrosodées avec les médicaments natriurétiques.
La restriction sodée est modulée. Un régime strict, de moins de 80 mmol de sodium/24 h, n’est guère applicable au-delà de quelques jours. Sous nos climats, un régime usuel sans adjonction de sel aux aliments apporte encore quotidiennement près de 120 mmol de Na. Il est plus tolérable, mais l’observance diététique est un point crucial car la restriction sodée est une condition obligée pour rendre négatif le bilan du sodium sous l’effet des diurétiques. Le respect de cette condition fondamentale ne se pose pas qu’au domicile des malades. Même en milieu hospitalier, l’évaluation exacte des entrées n’arrive pas à être toujours exacte.
Or, nombre d’oedèmes supposés résistants ne sont que l’expression de la poursuite indue d’apports en sodium. Le dosage sur échantillon d’urines des concentrations d’ions sodium et chlore en cours de traitement peut être très éclairant sur ce plan. Utiliser dans ces cas de fortes doses de diurétiques comporte le risque d’induire une déplétion sodée qui stimule à son tour l’activation de mécanismes compensateurs (catécholamines, système rénineangiotensine, hormone antidiurétique…) et entretient, voire aggrave, une altération de l’état hémodynamique et rénal des malades (réduction du DFG et réabsorption accrue de sodium et de fluide tubulaire). L’appréciation de la volémie reste donc un point crucial avant et pendant toute la prescription de diurétiques.
Les diurétiques augmentent l’excrétion de l’eau et des électrolytes et ces deux activités sont inséparables. La restriction hydrique qui accompagne par tradition la limitation de sel n’est nécessaire que lorsqu’un excès d’eau sans électrolyte entraîne une hypotonicité du milieu extracellulaire (hyponatrémie). Cette mesure est préventivement souhaitable lorsqu’on choisit un diurétique thiazidique dont l’effet dipsogène et l’impact au site tubulaire distal de dilution exposent à ce type d’accident. Des progrès sont attendus de la disponibilité prochaine d’inhibiteurs de récepteurs V2 pour améliorer la correction de l’hypotonie plasmatique, particulièrement rebelle, des cirrhotiques et de certains cardiaques. Les principes du traitement des hyponatrémies aiguës ou chroniques s’ajoutent alors à ceux des oedèmes.
Doit-on rappeler que traiter les oedèmes n’implique pas obligatoirement de prescrire des diurétiques ?
Le repos au lit désactive les systèmes sympathique et rénineangiotensine…
Nécessaire chez les malades atteints d’oedèmes viscéraux, joint à la contention des membres inférieurs, il peut simplement suffire pour les oedèmes médicamenteux, chez une femme enceinte ou atteinte d’oedèmes cycliques… Des études contrôlées attestent que les ponctions sont le traitement de l’ascite.
Le débat reste ouvert sur l’opportunité des perfusions d’albumine pour traiter les oedèmes néphrotiques. La chirurgie instrumentale ou interventionnelle ne s’adresse pas qu’aux oedèmes compressifs (levée d’obstacle urinaire, réparation valvulaire, dérivation d’hypertension portale…).
Enfin, des méthodes instrumentales se sont imposées lors des dernières décennies, rendant caducs certains gestes techniques (ponctions de péricarde, de plèvre) ou anecdotiques (immersion) : techniques de dialyse chez les insuffisants rénaux, techniques d’hémofiltration lors des complications aiguës ou chroniques de l’insuffisance cardiaque, ou lors de la préparation des greffes hépatiques…
Le traitement au long cours des oedèmes suppose le maintien de la balance sodée, une fois obtenu son équilibre physiologique, lorsqu’est réduit l’excédent de chlorure de sodium. Il faut une adéquation entre les apports alimentaires de sel et les capacités d’excrétion rénale obtenues avec les diurétiques et les mesures étiologiques (tonicardiaques…). Le but est de se rapprocher de l’état physiologique, avec un bilan nul sans excédent ni déplétion néfaste.
C’est bien souvent un compromis, où les oedèmes doivent être limités et tolérables. Ce traitement, qui s’inscrit dans la durée, privilégie l’effet natriurétique des médicaments mais suppose des contraintes diététiques, pas toujours imposables en pratique. La résistance aux diurétiques est l’absence d’infléchissement ou la réapparition des oedèmes en cours de traitement. La réalité de ce syndrome s’envisage une fois considérés :
– l’absence d’évolutivité de la maladie initiale ;
– le respect de l’observance diététique et médicamenteuse ;
– l’impact d’éventuelles interactions (AINS) ou d’effets indésirables liés aux prescriptions.
Ces situations conduisent habituellement à prescrire du furosémide à doses croissantes ou du bumétanide, dont la biodisponibilité est réputée plus avantageuse.
En cas d’échec pour obtenir une concentration adéquate du diurétique à son site actif, la voie veineuse court-circuite les problèmes d’absorption intestinale, la perfusion continue évite les phénomènes de rebond. Il devient logique alors d’adjoindre un diurétique thiazidique (ou la spironolactone) car l’état de résistance reflète une capacité accrue de réabsorption du chlorure de sodium au niveau des tubes contournés distaux, en aval du site sensible aux diurétiques de l’anse. Cette combinaison s’avère synergique. L’échec ultime amène aux techniques d’hémofiltration/ dialyse.
Conclusion :
La physiopathologie des oedèmes généralisés privilégie, toutes causes confondues, le rôle de la rétention rénale du sodium. Elle éclaire la séquence thérapeutique qui vise d’abord à corriger l’expansion du volume extracellulaire. Trois interventions y concourent : le traitement de l’étiologie, l’observance diététique et les diurétiques. Ensuite, la deuxième phase, d’entretien, est celle d’un compromis permanent car la cause habituellement persiste et tend à accroître de nouveau les oedèmes, tandis qu’il faut maintenir l’équilibre des entrées et des sorties obtenues avec les diurétiques. C’est dans cette période d’entretien que l’observance diététique s’avère primordiale.