Syndrome hépatorénal

Syndrome hépatorénalDéfinition :

L’insuffisance rénale aiguë (IRA) au cours d’une insuffisance hépatocellulaire (IHC) a de nombreuses étiologies (insuffisance rénale fonctionnelle [IRF], tubulopathie et syndrome hépatorénal [SHR]). L’immense majorité des étiologies des IRA chez le malade cirrhotique est représentée par la nécrose tubulaire aiguë. L’IRA du SHR se caractérise par une dégradation de la fonction rénale sans altération histologique ; l’effondrement du débit de filtration glomérulaire (< 40 ml min–1) est lié à une réduction massive du débit plasmatique rénal par vasoconstriction corticale. Le SHR est un diagnostic d’élimination.

Deux formes de SHR sont distinguées selon le mode d’installation et l’évolution. Le SHR de type I est défini par un doublement de la créatininémie (> 220 μmol l–1) ou par une réduction de 50 % de la clairance de la créatinine qui devient inférieure à 20 ml min–1 en 2 semaines. Dans le SHR de type II, l’insuffisance rénale s’installe plus lentement et les patients sont généralement classés en ascite réfractaire.

Pronostic :

Le SHR est un désordre fonctionnel rénal qui devrait être réversible, comme le démontre la récupération de fonction rénale observée chez les transplantés rénaux qui reçoivent un greffon prélevé sur un patient décédé avec un SHR.

Dans le SHR de type I, la médiane de survie est inférieure à 2 semaines. Le décès survient dans un tableau mixte d’insuffisance hépatocellulaire et d’insuffisance rénale, sans que l’on puisse déterminer la part respective de responsabilité de chacune de ces défaillances dans la survenue du décès.

Les patients développant un SHR de type II ont généralement un pronostic plus favorable. Le reste du présent exposé est essentiellement consacré au SHR de type I.

Facteurs de risque de syndrome hépatorénal :

Les patients avec une cirrhose compliquée d’ascite mais indemnes d’insuffisance rénale développent un SHR à 1 an dans 18 % des cas et à 5 ans dans 39 % des cas. Le risque de survenue du SHR n’est lié ni à l’étiologie de la cirrhose ni au score de Child-Pugh mais semble plus fréquent en cas d’hyperréninisme, d’hyponatrémie et en l’absence d’hépatomégalie.

Une complication évolutive de la cirrhose telle que l’infection (même sans état de choc) et l’hémorragie digestive est observée une fois sur deux avant survenue du SHR.

Mécanismes :

La physiopathologie du SHR est complexe. Le SHR se développe chez les patients ayant une insuffisance hépatocellulaire avancée compliquée d’hypertension portale (HTP) et d’ascite. Classiquement, on considérait que l’HTP était responsable de l’ascite, qui induisait une hypovolémie à l’origine d’une réabsorption rénale hydrosodée. Des études plus récentes montrent que le volume sanguin est en fait augmenté dès la phase initiale chez ces patients. La rétention sodée précède alors le développement de l’ascite. L’HTP, par l’intermédiaire d’une réaction neurohormonale (réflexe hépatorénal), aboutit à une réabsorption rénale hydrosodée avec hypervolémie et ascite. Cette réaction est indépendante de toute altération hémodynamique.

Pour les auteurs anglo-saxons, le primum movens du SHR serait la vasodilatation artériolaire splanchnique induite par la libération de médiateurs vasodilatateurs au cours de l’HTP. Le NO jouerait, à cet égard, un rôle prépondérant. La diminution initiale des résistances artérielles dans l’ensemble des territoires crée une hypovolémie relative qui entraîne la mise en jeu réflexe des systèmes vasoconstricteurs (système sympathique, système rénine-angiotensine, libération d’arginine vasopressine, d’endothéline et d’adénosine…) afin de maintenir une pression de perfusion viscérale adéquate. La circulation splanchnique échappe à cette régulation. Au niveau rénal, la réponse neurohormonale vasoconstrictive est responsable de la réabsorption hydrosodée.

Critères diagnostiques :

La symptomatologie du SHR est celle d’une IRF qui survient chez un cirrhotique au stade de l’ascite. Le diagnostic de SHR impose deux étapes : affirmer la cirrhose puis exclure les autres étiologies à savoir :

– une hypovolémie par hémorragie, par diurétiques, ou par pertes digestives ;

– une tubulopathie ischémique (état de choc) ;

– une tubulopathie toxique (aminosides ou antiinflammatoires non stéroïdiens [AINS]) ;

– une glomérulopathie avec insuffisance rénale liée à la cirrhose ou à une autre étiologie.

Le diagnostic de SHR est actuellement établi d’après les critères de l’« International Ascites Club ». Il requiert la présence de cinq critères majeurs qui doivent tous être présents pour en affirmer le diagnostic.

Chez le patient cirrhotique, il faut cependant souligner certains éléments :

– en raison de la diminution de l’uréogenèse, l’élévation de l’urée est un marqueur peu sensible ; – la fonte musculaire fait de la créatininémie un mauvais reflet de la filtration glomérulaire. La surveillance routinière de la fonction rénale chez le cirrhotique doit être effectuée par le calcul de la clairance de la créatinine.

Traitement :

Le SHR reflète en fait la sévérité de la maladie hépatique. La prévention du développement du SHR chez les cirrhotiques est impérieuse et passe par le maintien d’une volémie correcte, l’administration d’albumine en cas de paracentèse ou d’ascite infectée, l’usage raisonné des diurétiques, la limitation des examens radiologiques avec injection de produits de contraste iodés, l’éviction des aminosides et des AINS. Lorsque l’insuffisance rénale est installée, son pronostic est étroitement lié au devenir de la fonction hépatique. Le SHR est fatal en l’absence d’amélioration de l’IHC. Le traitement du SHR est la transplantation hépatique. Les autres traitements : épuration extrarénale (EER), techniques de shunt et agents pharmacologiques sont des thérapeutiques d’attente de la transplantation hépatique.

Transplantation hépatique :

Au cours du SHR, la transplantation est grevée d’une surmorbidité et d’une surmortalité. En postopératoire, un tiers des patients seront transitoirement dialysés et 5 % le resteront définitivement. L’utilisation de foies artificiels (hépatocytes porcins) pourrait représenter une alternative.

Traitement d’attente de la transplantation hépatique :

Épuration extrarénale :

Chez les patients pour lesquels l’épuration extrarénale (EER) est envisagée, le meilleur mode d’épuration, diffusion ou convection, technique continue ou intermittente, n’est pas défini. L’EER est généralement débutée pour contrôler la surcharge hydrosodée majeure responsable d’un oedème aigu pulmonaire avec hypoxie, l’hyperkaliémie menaçante, l’acidémie métabolique sévère ou l’accumulation de déchets azotés. À la phase initiale, les techniques séquentielles sont généralement préférées en cas d’hyperkaliémie ou d’acidose menaçante pour obtenir une correction rapide de ces troubles. En cas d’hyponatrémie, les techniques continues sont volontiers proposées pour limiter le risque de correction trop rapide de l’hypo-osmolalité plasmatique et donc le risque de myélinolyse centropontine.

Au cours du SHR avec encéphalopathie hépatique, les techniques continues s’accompagnent d’une meilleure stabilité de la pression intracrânienne que les techniques séquentielles.

Dans le traitement au long cours, les techniques prolongées sont parfois proposées car elles seraient associées à une meilleure tolérance hémodynamique. Elles permettent d’adapter en continu l’ultrafiltration en fonction de la tolérance circulatoire et des apports. Compte tenu de l’altération du métabolisme du lactate liée à la cirrhose, les liquides de substitution de l’hémofiltration doivent être tamponnés par du bicarbonate et non par du lactate. L’anticoagulation du circuit peut être difficile à réaliser chez ces patients thrombopéniques qui ont fréquemment des troubles acquis de la coagulation plasmatique. En cas d’hémorragie active récente, les héparines de bas poids moléculaire seront préférées à l’héparine non fractionnée. Dans certains cas, on peut être amené à envisager une héparinisation limitée au circuit extracorporel avec neutralisation de l’héparine dans la ligne de retour veineuse par le sulfate de protamine et l’adjonction de prostacycline.

En l’absence de possibilité réaliste de guérison de l’IHC par transplantation hépatique, l’absence de recours à l’EER peut être d’emblée justifiée. Toutefois, cette attitude doit être pondérée compte tenu d’une part de la difficulté à établir formellement le diagnostic de SHR et d’autre part des améliorations de fonction rénale parfois observées au cours du SHR après shunt portosystémique intrahépatique par voie jugulaire (TIPS) ou administration d’agents vasoconstricteurs ou d’antioxydants.

Techniques de shunt :

Les dérivations portosystémiques ont été proposées initialement pour réduire l’hypertension portale et contrôler l’ascite réfractaire. Elles diminuent la pression veineuse portale et augmentent le volume circulant. Ces techniques peuvent améliorer transitoirement la fonction rénale.

L’anastomose péritonéoveineuse ne peut être recommandée en pratique routinière pour traiter le SHR, compte tenu de la forte mortalité accompagnant cette chirurgie (25 %) et de l’absence de bénéfice prouvé dans l’amélioration de la fonction rénale.

La réalisation d’un TIPS est suivie d’une réduction de l’activité sympathique et du système rénine-angiotensine, d’une augmentation de la natriurèse et d’une amélioration de la fonction rénale. Des résultats encourageants en termes de survie ont été rapportés dans une étude ouverte non randomisée chez des patients cirrhotiques non transplantables. Le bénéfice était net chez les malades dont la bilirubinémie était inférieure à 85 mol l–1 et dont le score de Child-Pugh était inférieur ou égal à 12.

“Molecular Absorbant Recirculating System” :

Le système Molecular Absorbant Recirculating System (MARS) représente une modalité de traitement du SHR. Le sang est dialysé contre un dialysat riche en albumine pour faciliter l’épuration de toxines liées à l’albumine (bilirubine, acides aminés aromatiques et substances hydrosolubles). Un essai clinique contrôlé randomisé prospectif a été conduit pour déterminer les effets du MARS sur la survie à J30 versus un traitement médical standard chez 13 patients atteints de SHR de type 1. Tous les patients traités de façon conventionnelle étaient décédés à J7, alors que deux patients sur huit survivaient à J30. Les séances de MARS sont pratiquées cinq fois par jour et sont associées à une diminution significative de bilirubinémie et de créatinémie. Des essais complémentaires sont nécessaires pour confirmer l’efficacité et l’innocuité de la technique MARS.

Traitements médicamenteux :

Traitements dont l’efficacité n’est pas démontrée :

Diurétiques. Chez les patients atteints d’IHC avancée, l’utilisation du furosémide semble pouvoir favoriser la survenue d’un SHR. D’une façon générale, le diagnostic de SHR ne peut être porté qu’après interruption des diurétiques. On ne dispose pas de données scientifiques permettant de recommander l’administration de furosémide au cours du SHR.

Traitements vasodilatateurs rénaux. La vasoconstriction artérielle rénale est un déterminant majeur dans la genèse du SHR. La dopamine et les prostaglandines ont été logiquement utilisées dans le SHR pour induire une vasodilatation rénale. Toutefois, ces médicaments se sont avérés inefficaces.

Traitements potentiellement efficaces :

Analogues de la vasopressine. Les analogues de la vasopressine (ornipressine et terlipressine) sont de puissants vasoconstricteurs splanchniques et systémiques. Ils inhibent la vasodilatation dans ces territoires. À terme, ils s’opposent à la vasoconstriction rénale réflexe d’origine neurohumorale. Leur utilisation prolongée s’accompagne d’une augmentation du débit de filtration glomérulaire et de la diurèse, sans majoration de l’excrétion sodée urinaire.

L’administration prolongée d’ornipressine s’accompagne une fois sur deux d’effets indésirables sévères (colite ischémique, extrasystoles ventriculaires, ischémie linguale…) ; l’ornipressine ne peut donc pas être recommandée au cours du SHR.

La terlipressine perfusée sur une courte durée (48 heures) est bien tolérée. Dans une étude non contrôlée, rétrospective, multicentrique portant sur 91 patients, l’injection de terlipressine à la posologie de 2 à 4 mg j–1 pendant une dizaine de jours améliore la fonction rénale dans 60 % des cas. La survie globale est de l’ordre de 30 % à 2 mois. Elle est significativement plus élevée chez les répondeurs. L’efficacité de la terlipressine en bolus intraveineux (1 mg, 2 à 4 fois j–1) sur la fonction rénale est majorée par une expansion volémique par albumine (1 g kg–1 le 1er jour, puis 20 à 40 g j–1 pendant 5 à 15 jours).

Autres traitements pharmacologiques. Des observations sporadiques montrent des améliorations de fonction rénale chez des patients atteints de SHR traités par noradrénaline, midrodine-octréotide et antagonistes sélectifs des récepteurs de l’endothéline (BQ-123). Les antioxydants pourraient représenter une voie de recherche thérapeutique. La N-acétylcystéine a été testée dans une étude ouverte non contrôlée chez 12 patients (bolus initial de 150 mg kg–1 i.v. en 2 heures suivi d’une perfusion continue de 100 mg kg–1 pendant 5 jours). La clairance moyenne de la créatinine est passée en moyenne de 24 à 43 ml min–1 entre le 1er jour et le 5e jour de traitement. Sept patients étaient encore vivants à 3 mois.

Conclusion :

La survenue d’une insuffisance rénale aiguë au cours de l’IHC revêt une signification pronostique péjorative et connaît de nombreuses étiologies qui englobent l’IRF, les nécroses tubulaires aiguës, les glomérulopathies et le syndrome hépatorénal (SHR). Ce dernier demeure un diagnostic d’élimination. Le traitement radical du SHR est la transplantation hépatique. Les autres traitements proposés s’inscrivent encore comme des traitements d’attente.

La fonction rénale doit être régulièrement évaluée à partir de la clairance de la créatinine et non de la créatininémie. La prévention de l’insuffisance rénale passe, plus encore que chez les autres patients, par le respect de la volémie et l’éviction des agents néphrotoxiques tels que les aminosides et les AINS.

L’utilisation des produits de contraste intraveineux doit faire l’objet d’une évaluation rigoureuse du ratio risque/bénéfice.