Introduction :
Le syndrome néphrotique à lésions glomérulaires minimes (SN-LGM) est caractérisé cliniquement par un syndrome néphrotique pur et histologiquement par des anomalies ultrastructurales minimes consistant en un effacement des pédicelles. Il s’agit de la cause la plus fréquente de SN chez l’enfant. La plupart des formes sont corticosensibles, mais des rechutes sont possibles.
Des progrès très importants ont été réalisés ces dernières années dans la compréhension des mécanismes physiopathologiques du SN-LGM.
Mécanisme de la protéinurie :
Le passage dans la chambre urinaire de protéines plasmatiques de poids moléculaire supérieur à 70 kDa à travers la paroi capillaire glomérulaire est normalement limité par deux barrières sélectives : une de charge et une de taille. La barrière sélective de charge est le fait des glycoaminoglycans polyanioniques, revêtant la membrane basale glomérulaire et les cellules avoisinantes, qui empêchent le passage de protéines plasmatiques anioniques de taille moyenne (70 à 150 kDa) dont l’albumine.
La barrière sélective de taille résulte de la présence de pores dans la membrane basale glomérulaire et dans les diaphragmes de fente épithéliale. Elle empêche le passage des protéines plasmatiques de poids moléculaire supérieur à 150 kDa. Le SN-LGM résulte principalement d’une perte de la sélectivité de charge alors que les autres glomérulonéphrites résultent essentiellement d’une perte de la sélectivité de taille.
SN-LGM : une maladie immunologique
Un certain nombre de faits cliniques soutiennent l’hypothèse de l’existence d’un désordre immunologique à l’origine du SN-LGM. Son incidence est augmentée chez les patients atopiques, ainsi que chez les sujets porteurs des allèles HLA A8, B13 et DR7. Il survient fréquemment au décours d’épisodes infectieux ou de pathologies allergiques et est sensible à l’action des corticostéroïdes et des immunosuppresseurs. Enfin, le SN-LGM complique l’évolution de maladie impliquant le tissu lymphoïde comme la maladie de Hodgkin, les thymomes, ou les leucémies à larges granules lymphocytes.
Des récidives précoces de SN-LGM ont été décrites après transplantation rénale. Par ailleurs, après transplantation de reins de patients atteints de SN-LGM, la protéinurie disparaît chez le receveur en moins de 6 semaines suggérant que le SN-LGM n’est pas une maladie primitivement rénale, mais une pathologie du tissu lymphoïde ou du lymphocyte dont la cible est le rein.
Lagrue et al. ont les premiers rapporté que l’administration à des rats de surnageants de culture de lymphocytes de patients atteints de SN-LGM en récidive induisait une protéinurie. Plus récemment, il a été montré que le plasma et les lymphocytes de patients atteints de SN-LGM diminuaient la quantité d’héparan sulfate sur les cellules épithéliales glomérulaires en culture.
L’ensemble de ces observations suggère l’hypothèse que le SN est une pathologie immunitaire où, sous l’influence d’un stimulus, une réponse lymphocytaire particulière génère la production d’un facteur circulant modifiant les propriétés de la barrière glomérulaire.
Lymphocytes T au cours du SN-LGM :
Phénotype de surface :
Depuis ces travaux pionniers, des progrès importants ont été réalisés dans la connaissance de l’activation lymphocytaire T au cours du SN-LGM.
Plusieurs études ont essayé de caractériser l’existence d’un phénotype lymphocytaire particulier au cours du SN-LGM. Il a été décrit au cours des rechutes de SN-LGM une expansion de lymphocytes TCD4+ CD25+. La nature précise de ces lymphocytes CD4+ CD25+ n’est pas connue. Il pourrait s’agir de lymphocytes T mémoires activés ou de lymphocytes T régulateurs.
Il n’existe pas d’études sur l’expression d’autres marqueurs des lymphocytes T régulateurs, tels que Foxp3, ou d’étude dynamique testant un effet suppresseur de cette population.
Certains auteurs ont également retrouvé une expansion de lymphocytes à phénotype mémoire (CD4+ CD45RO), mais ces résultats ont été contredits par d’autres études.
Orientation de la réponse lymphocytaire :
Plusieurs travaux concordants ont montré une orientation Th2 de la réponse lymphocytaire chez les patients atteints de SN-LGM. L’orientation de la réponse lymphocytaire vers un profil Th1 ou Th2 après le priming de cellules CD4+ naïves par un antigène dépend de la nature du signal TCR et de l’environnement cytokinique local.
Ce switch Th2 pourrait rendre compte d’un certain nombre de faits observés au cours du SN-LGM. La sensibilité aux infections pourrait résulter de l’impossibilité de mettre en place une réponse Th1 efficace. Par ailleurs, l’élévation fréquente du taux d’IgE chez les patients ayant un SN-LGM est sans doute liée à la production excessive d’interleukine (IL) 13. Enfin, l’orientation Th2 de la réponse immune pourrait rendre compte du déficit de la réponse d’hypersensibilité retardée, Th1 dépendante, observée chez les patients avec un SN-LGM.
Les lymphocytes Th1 se caractérisent par la synthèse d’interféron-c (IFN-c). La production d’interféron gamma (IFN c) a été rapportée normale ou augmentée chez les enfants en rechutes de syndrome néphrotique. Les lymphocytes Th2 synthétisent principalement l’Il 4, l’IL 5 et l’IL 13.
Récepteur de l’IL 12 :
Sahali et al. ont montré un défaut d’expression de la sousunité b2 du récepteur de l’IL 12 sur les lymphocytes T des patients ayant un SN-LGM en rechute, alors que la chaîne b1 était normalement exprimée. La chaîne b2 n’est exprimée que par les lymphocytes Th1 et joue un rôle dans la transduction du signal de l’IL 12 via la voie Jak/Stat. Il pourrait résulter de la sous-expression de la sous-unité b2 un défaut de production d’IL 12. L’IL 12 est une cytokine déterminante pour la différenciation Th1 des lymphocytes CD4+. L’absence d’IL 12 pourrait alors favoriser l’orientation Th2 de la réponse immune.
Peu de données sont disponibles sur la capacité de production d’IL 18, une autre cytokine importante dans la détermination Th1. Il a été rapporté une élévation des taux sanguins d’IL 18 chez les patients souffrant de SN-LGM. Néanmoins, ces fortes concentrations ne préjugent pas nécessairement d’une activité biologique exacerbée.
Rôle de c-maf :
L’expression du proto-oncogène c-maf est augmentée dans les lymphocytes T des patients ayant un SN-LGM. Le gène c-maf est localisé sur le chromosome 22 et transcrit en différentes formes d’ARNm générées par épissage alternatif. La forme courte de transcrit de c-maf est principalement induite dans les lymphocytes CD4+ des patients en rechute de SN-LGM. Son expression diminue progressivement pendant la rémission. c-maf favorise la différenciation Th2 et inhibe la voie Th1.
L’activation de c-maf et l’inhibition de l’IL 12 expliqueraient l’orientation Th2 de la réponse lymphocytaire.
La cible principale de c-maf est l’IL 4 et l’inhibition de la voie Th1 par c-maf est en partie IL 4 dépendante. Curieusement, malgré l’activation de c-maf, les taux d’IL 4 sont bas au cours des rechutes de SN-LGM. Les taux d’Il 4 sont plus élevés durant les périodes de rémission que lors des rechutes où les concentrations retrouvent des valeurs comparables à celles mesurées chez des témoins sains.
c-maf n’induit pas IL 13 dont la production dans le SN-LGM pourrait dépendre de NFjB. L’expression d’IL 13 est en effet augmentée chez les enfants en rechutes de SN-LGM et diminue après la rémission clinique. Des données similaires ont été rapportées par Kimata et al. L’IL 13 module les fonctions monocytaires en diminuant l’expression de CD14 et la synthèse de tumor necrosis factor alpha (TNF a) chez le sujet sain et au cours du SN-LGM. Cette diminution des fonctions monocytaires pourrait également rendre compte de la sensibilité aux infections.
Les raisons de l’activation de c-maf restent à préciser. Récemment, Grimbert et al. ont mis en évidence chez les patients atteints de SN-LGM l’expression d’une nouvelle protéine appelée Tc-mip (trucated c-maf inducing protein). Cette protéine est absente chez les sujets sains et chez les patients atteints d’autres glomérulopathies. Tc-mip est une forme anormalement épissée de c-mip qui pourrait simuler les signaux membranaires normalement induits par l’activation du récepteur T. Elle modifierait l’organisation du cytosquelette et induirait la transcription et la migration nucléaire de c-maf et l’orientation Th2.
Rôle de NFjB :
NFjB est activé dans les lymphocytes CD4+ durant les rechutes de SN-LGM. NFjB est impliqué dans l’activation de nombreux gènes de cytokines, IL 1, IL 6, IL 2, IL 8, TNF a, qui sont toutes augmentées dans le SN-LGM. Le promoteur du gène de l’IL 13 contient également des éléments de réponse à NFjB.
L’activation de NFjB est régulée par des protéines inhibitrices (IjB). Après l’activation des cellules T, IjB est phosphorylé et dégradé par le protéasome, permettant la translocation de NFjB dans le noyau où il active un certain nombre de gènes dont celui de son inhibiteur IjB. IjB est donc resynthétisé et séquestre NFjB dans le cytoplasme. Il existe dans le SN-LGM une dysrégulation de cette boucle entraînant une activation prolongée de NFjB caractérisée par une activation permanente de NFjB. Cette anomalie est probablement liée à une dégradation exagérée d’IjB dans le protéasome. Les corticoïdes induisent la transactivation du gène IkB permettant ainsi la séquestration du complexe NFjB dans le cytoplasme. La ciclosporine quant à elle inhibe la dégradation d’IjB par le protéasome.
NFjB est responsable de l’inhibition de la transactivation du gène de l’Il 4 par c-maf. L’influence de NFjB sur le phénotype lymphocytaire dépend en effet de la nature des complexes NFjB formés. Différentes formes de NFjB peuvent en effet être synthétisées qui forment des homo- ou des hétérodimères ayant des propriétés différentes. Durant les rechutes de SN-LGM, les cellules mononucléées expriment des niveaux élevés de NFjB, principalement sous la forme de complexes p50/RelA (p65). Les formes NF-jBp50 augmente la capacité de liaison de c-maf sur le promoteur de l’IL 4 alors que RelA inhibe la liaison au site de réponse. La normalisation des taux d’IL 4 lors des rémissions est probablement due aux stéroïdes qui inhibent l’activation de NFjB.
Rôle du switch Th2 dans le SN-LGM :
Différents éléments suggèrent que les lymphocytes Th2 jouent un rôle dans la physiopathologie du SN-LGM. Il existe à l’évidence comme décrite plus haut une association temporelle entre les modifications lymphocytaires et l’évolution clinique du SN-LGM. Une autre voie permettant de démontrer le rôle des cytokines Th2 repose sur les études de polymorphisme et la recherche d’une susceptibilité génétique à développer un SN-LGM en fonction de la capacité de production de certaines cytokines. Les études génétiques ne permettent pas de conclure sur le rôle du polymorphisme -590C/T du promoteur du gène de l’IL 4. Des données plus concordantes, mais qui méritent confirmation, suggèrent en revanche que les polymorphismes du gène de l’IL 13 pourraient influencer la survenue et l’évolution du SN-LGM.
Facteurs de perméabilité glomérulaire :
De nombreux travaux ont tenté de montrer l’existence et de caractériser la nature d’un ou de plusieurs facteurs de perméabilité glomérulaire (FPG). La transmission foetomaternelle transitoire du SN, l’existence de rechutes immédiates après transplantation et les rémissions induites par les échanges plasmatiques renforcent cette hypothèse.
Peu de candidats remplissent néanmoins les conditions attendues pour retenir un facteur comme un FPG potentiel : l’induction d’une protéinurie lors d’expériences de perfusion rénale ; la modulation de la barrière de charge de la paroi capillaire glomérulaire ; une relation temporelle entre les variations de l’activité de ce facteur et l’évolution clinique du SN-LGM ; une expression spécifique dans le SN-LGM par rapport aux autres maladies rénales ; la modulation de la production de ce facteur par les stéroïdes ou les immunosuppresseurs.
Bakker et al. ont les premiers caractérisé un facteur plasmatique chez des patients ayant un SN-LGM, capable de diminuer les sialoglycoprotéines glomérulaires et d’induire une protéinurie. Ce facteur a récemment été identifié comme étant l’hémopexine. L’activité de l’hémopexine est augmentée au cours des rechutes de SN-LGM. In vitro, elle accroît la perméabilité des cellules endothéliales humaines et réduit le nombre de sites anioniques ecto-ATPases. Dans des expériences de perfusion de reins de rats, elle diminue le nombre de sites anioniques dans la lamina rara interna suggérant que la cible de ce facteur in vivo est l’endothélium glomérulaire et la membrane basale sous-endothéliale. Actuellement, l’hémopexine est le mieux caractérisé des facteurs de perméabilité glomérulaire.
Néanmoins, plusieurs questions restent à résoudre. L’activité de l’hémopexine en présence de fortes concentrations d’a2-macroglobuline, un inhibiteur de l’hémopexine, n’est pas évaluée. Enfin, l’interface entre hémopexine et système immunitaire reste à préciser.
L’expression de l’ARNm de l’IL 8 dans les cellules mononucléées et de sa concentration dans le sérum sont augmentées chez les enfants atteints de SN-LGM. L’IL 8 augmente in vitro la sulfation de la membrane basale glomérulaire et elle est directement issue du système immun.
D’autres facteurs candidats ont été évalués. Le vascular endothelium growth factor (VEGF) module la perméabilité endothéliale et peut être produit in vitro par les cellules immunes. In vivo, les podocytes produisent du VEGF et les récepteurs du VEGF sont exprimés sur l’endothélium glomérulaire et les cellules mésangiales.
In vitro, le VEGF augmente la perméabilité des cellules endothéliales et in vivo, il induit une protéinurie chez le rat. Néanmoins, la plupart des travaux sur le rôle du VEGF dans le SN-LGM sont décevants.
Il a été proposé que la surexpression de l’héparanase dérivant de cellules immunes pouvait modifier la barrière héparan sulfate glycosaminoglycan chez les patients atteints de SN-LGM.
L’héparanase est une enzyme capable de moduler directement la perméabilité sélective de la membrane capillaire glomérulaire par sa capacité à dégrader les héparan sulfate glycosaminoglycan qui constituent la barrière de charge.
La ciclosporine pourrait être efficace dans le SN-LGM via des effets non immunologiques en augmentant l’expression d’héparan sulfate au niveau glomérulaire.
Conclusion :
De nombreux arguments soutiennent l’hypothèse que le SN-LGM est une maladie immunologique où un signal immun conduit chez un patient prédisposé à une réponse lymphocytaire T anormale caractérisée par une dysrégulation de l’activation de NFjB, un switch Th2 et la synthèse d’un facteur de perméabilité glomérulaire. Les corticoïdes et les immunosuppresseurs sont efficaces en agissant à différents niveaux de cette cascade d’événements biologiques.