Les douleurs diffuses chroniques sont un motif très fréquent de consultation. Si l’on se limite aux patients atteints de fibromyalgie, leur prévalence atteint 2 à 5 % de la population générale.
La démarche du médecin est d’abord d’écarter formellement toutes pathologies organiques susceptibles de se révéler par des douleurs articulaires et/ou musculaires et/ou osseuses diffuses, comme les formes de début des rhumatismes inflammatoires, les maladies musculaires métaboliques, inflammatoires ou iatrogènes, certaines infections chroniques, certaines maladies endocriniennes ou encore osseuses (carentielles ou néoplasiques).
Cette première étape, pas toujours simple, franchie, on s’oriente ensuite vers le « syndrome polyalgique idiopathique diffus » appelé maintenant fibromyalgie, et dont le diagnostic repose sur des critères officialisés par l’American College of Rheumatology.
Cette démarche diagnostique est avant tout clinique, aidée par quelques examens paracliniques à réaliser systématiquement en première intention.
En présence de tels patients deux écueils sont à éviter : multiplier inutilement ces explorations paracliniques et bien sûr de méconnaître une affection organique curable.
INTERROGATOIRE ET EXAMEN CLINIQUE :
Interrogatoire :
L’interrogatoire précise :
– l’ancienneté des douleurs, leurs modes de début : brutales ou progressives, localisées ou d’emblée diffuses ;
– leurs localisations : musculaires, articulaires, tendineuses ou osseuses, axiales et/ou périphériques, l’atteinte ou non des articulations distales ;
– leurs horaires et circonstances de survenue : permanentes ou uniquement d’effort, leur caractère insomniants, l’existence d’un dérouillage matinal, de fluxion articulaire, etc. ;
– l’existence d’un défi cit musculaire ;
– les manifestations associées : fatigue chronique, colopathie, cystalgies, céphalées, etc. ;
– la prise de médicaments et notamment d’hypolipémiants.
Examen clinique :
Complet, l’examen complet s’intéresse d’abord aux articulations et aux muscles :
– recherche de signes objectifs d’arthrosynovite, d’un enraidissement rachidien de douleurs des sacro-iliaques, etc. ;
– recherche d’un défi cit musculaire, d’une amyotrophie focalisée ou diffuse, de douleurs à la pression des masses musculaires ;
– recherche d’un érythème péri-unguéal ou d’un oedème des paupières évocateurs d’une dermatomyosite, etc. ;
– recherche d’une douleur à la pression des0 points de fibromyalgie ;
– enfin, examen général en recherchant notamment des signes d’hypothyroïdie, de syndrome sec, de manifestations cutanées de dermatomyosite, etc.
EXAMENS PARACLINIQUES :
Certains examens paracliniques sont à réaliser systématiquement en présence d’un syndrome douloureux chronique, à la recherche notamment d’un rhumatisme inflammatoire ou d’une maladie musculaire. D’autres examens ne sont à réaliser qu’en deuxième intention en fonction du contexte clinique (encadré 1).
Encadré 1. Examens complémentaires face à un syndrome polyalgique
Examens de première intention
Vitesse de sédimentation globulaire (VSG), C-réactive protéine, numération formule sanguine, plaquettes
Électrophorèse des protéines
Ionogramme sanguin, fonction rénale, glycémie
Fer sérique
Facteur rhumatoïde, anticorps antikératine, anticorps antinucléaires
Bilan phosphocalcique
Transaminases, Phosphatases alcalines
Enzymes musculaires (créatine-phosphokinases [CPK])
Hormone thyréostimulante (TSH)
Radiographies standards mains, pieds, squelette axial
Examens de deuxième intention ou en fonction du contexte clinique
Sérologies infectieuses orientées selon l’anamnèse (VHC, borrélioses)
Recherche de syndrome sec et biopsie de glandes salivaires accessoires
Enzyme de conversion de l’angiotensine
Électromyogramme des 4 membres et des muscles paravertébraux
Scintigraphie osseuse au technétium
Épreuve d’effort métabolique, dosage d’enzymes musculaires après effort
Biopsie musculaire
Imagerie par résonnance magnétique (IRM) musculaire, articulaire
ORIENTATION DIAGNOSTIQUE :
Au terme de ce bilan, deux cas de figure se présentent : dans le premier, les anomalies cliniques et/ou paracliniques sont en faveur d’une cause organique ; dans le second, rien ne vient expliquer le syndrome douloureux diffus et l’on s’oriente alors vers le diagnostic de syndrome polyalgique sans explication lésionnelle dont le tableau le plus achevé est la fibromyalgie.
Rhumatismes inflammatoires :
Dans ce cas, les arthralgies ont un horaire inflammatoire. Persistantes au repos et notamment la nuit, elles s’accompagnent d’un dérouillage matinal prolongé. On retrouve surtout à l’anamnèse, comme à l’examen clinique, des signes objectifs d’atteintes inflammatoires articulaires.
On constate souvent des anomalies du bilan inflammatoire (élévation de la vitesse de sédimentation, de la protéine C réactive [CRP]).
La scintigraphie au technétium révèle des foyers d’hyperfixation articulaire. L’imagerie (radiographie standard, IRM et échographie articulaire) et les marqueurs biologiques des rhumatismes inflammatoires (facteurs rhumatoïdes, anticorps antipeptide citrullinés, anticorps antinucléaires, HLA27, etc.) orientent plus précisément le diagnostic : polyarthrite rhumatoïde, spondylarthropathie, lupus érythémateux systémique, syndrome de Sjögren, etc.
Maladies musculaires :
Des myalgies spontanées ou à l’effort et une élévation des créatine-phosphokinases (CPK) orientent vers une pathologie musculaire :
– au cours des myosites, les myalgies sont fréquentes et accentuées par la pression. Il existe surtout un déficit musculaire prédominant en règle au niveau des ceintures. Les CPK sont élevées de façon variable, et l’électromyogramme, l’IRM et la biopsie musculaires confirment le diagnostic ;
– au cours des myopathies métaboliques, les myalgies surviennent surtout à l’effort, à type de crampes aboutissant à une diminution des performances musculaires. Des anomalies du métabolisme musculaire sont constatées à l’épreuve d’effort, et la biopsie reste indispensable pour typer la maladie ;
– beaucoup plus rarement, on dépiste une dystrophie musculaire qui en règle est plus déficitaire que douloureuse.
Causes diverses :
De nombreuses affections pouvant se manifester par des douleurs diffuses sont listées dans l’encadré 2.
Encadré 2. Causes diverses d’algies diffuses
Pathologie articulaire infl ammatoire : rhumatisme inflammatoire débutant, forme « enthèsalgique » des spondylarthropathies
Maladie systémique : lupus érythémateux diffus, syndrome de Sjögren, pseudopolyarthrite rhizomélique
Fibromyalgie, syndrome de fatigue chronique
Syndromes infectieux et post-infectieux : parvovirose, virus de l’hépatite, borréliose, toxoplasmose, toxocarose, syndrome post-poliomyélitique tardif
Endocrinopathies : dysthyroïdie, hyperparathyroïdie
Causes osseuses : ostéomalacie, myélome, métastases osseuses, diabète phosphoré
Maladies musculaires douloureuses : myosites, myopathies métaboliques et iatrogènes
Dépression ou pathologie psychiatrique avérée
Dans la majorité des cas, en pratique, aucune anomalie objective n’est retrouvée. On s’achemine vers le diagnostic de fibromyalgie, par l’ancienneté des douleurs, leurs caractères diffus axiales et périphériques, de part et d’autre de la ceinture, les signes d’accompagnements parmi lesquels au premier plan l’asthénie et la douleur à la pression des points de fibromyalgie.
Fibromyalgie :
Ce terme est apparu dans les années 1980, bien que l’affection soit connue de longue date sous d’autres noms. Elle reçut une reconnaissance internationale en 1990 par la publication des critères de l’American College of Rheumatology.
La fibromyalgie est un syndrome de cause inconnue, se caractérisant par des douleurs diffuses et chroniques, musculotendineuses et articulaires, exacerbées par la pression, sans explication lésionnelle, et associées à des signes d’accompagnements dont la fatigue est l’élément le plus constant. Sa prévalence est de l’ordre de 2 à 5 % de la population, avec une prépondérance féminine (3 à 9 femmes pour 1 homme). L’âge moyen du diagnostic est de 45 ans, mais la fibromyalgie peut survenir à tout âge et même chez l’adolescent.
Manifestations cliniques :
L’installation des douleurs peut être brutale (20 % des cas) et d’emblée diffuse, ou plus souvent progressive avec une douleur volontiers initialement localisée. Lorsque le tableau est constitué, les douleurs sont diffuses, bilatérales de part et d’autre de la ceinture, souvent mal localisées par le patient : articulaires et/ou tendineuses et/ou musculaires. Les douleurs sont permanentes, diurnes et nocturnes parfois insomniantes.
Elles sont favorisées par les efforts physiques, le froid ou le stress. Elles s’accompagnent d’un enraidissement articulaire matinal qui peut orienter initialement vers une origine inflammatoire mais il n’y a en règle jamais de signe objectif d’inflammation, de fluxion articulaire. De façon caractéristique, ces douleurs sont accentuées par la pression en regard des zones d’insertion tendineuse (Fig. 1).
* Signes d’accompagnements :
Ils sont de première importance dans les manifestations cliniques.
Fatigue :
Elle est constante, d’évolution chronique, globale à la fois physique et psychique. Elle s’accompagne d’une fatigabilité musculaire douloureuse à l’effort, d’une diminution des performances physiques, mais il n’y a pas de défi cit objectif, et la force musculaire est préservée. Cette fatigue est très voisine de celle qui est observée dans le syndrome de fatigue chronique, et il existe un chevauchement entre ces deux affections.
Troubles du sommeil :
La plupart des patients se plaignent de troubles du sommeil avec un endormissement difficile et de fréquents réveils nocturnes. Il existe une association fréquente et non fortuite entre fibromyalgie et pathologie du sommeil, notamment le syndrome d’apnée du sommeil et le syndrome des jambes sans repos. La recherche d’un trouble de la vigilance par l’échelle de somnolence d’Epworth doit être systématique et au moindre doute une polysomnographie est justifiée.
Troubles cognitifs :
Ils sont présents chez près de 80 % des patients : troubles mnésiques, troubles de la concentration.
Autres manifestations :
Diverses manifestations fonctionnelles peuvent s’associer aux douleurs musculosquelettiques : troubles fonctionnels digestifs avec syndrome du côlon irritable, sensations vertigineuses, paresthésies ou dysesthésies, sensation de frilosité, dystonie temporomandibulaire, cystalgies, etc.
Éléments dépressifs :
Les antécédents dépressifs plus ou moins anciens sont retrouvés chez 50 à 70 % des patients, mais une dépression modérée ou sévère évolutive n’est constatée que chez 30 à 40 % d’entre eux. Ces éléments dépressifs sont peut être différents de ceux observés dans d’autres pathologies douloureuses chroniques et ce serait sans doute une erreur de ne considérer la fibromyalgie que comme l’expression d’une détresse psychologique ou d’une dépression masquée.
Diagnostic :
Le diagnostic repose sur les critères de classification établie par l’American College of Rheumatology en 1990 et fi gurant dans l’encadré 3. On y remarque, l’absence de critère d’élimination, et il est loin d’être exceptionnel qu’une authentique fibromyalgie vienne s’associer à un non moindre authentique rhumatisme inflammatoire.
Encadré 3. Critères de l’American College of Rheumatology pour la classification de la fibromyalgie, 1990 (traduction intégrale et littérale)
Tableau de douleur diffuse
Une douleur est considérée comme diffuse si tous les éléments suivants sont présents :
– douleur du côté gauche du corps
– douleur du côté droit du corps
– douleur au-dessus de la taille
– douleur en dessous de la taille
– de plus, une douleur squelettique axiale (colonne cervicale ou paroi antérieure de la colonne dorsale ou lombalgie) doit être présente ; dans cette défi nition, une douleur de l’épaule ou de la fesse est à considérer comme telle pour chaque côté atteint ; une lombalgie est une douleur du segment inférieur
Douleur à la palpation digitale de 11 des 18 points sensibles
Une douleur à la palpation digitale doit être présente à au moins 11 des 18 points sensibles suivants :
– occiput : bilatéral, à l’insertion des muscles sous occipitaux
– cervical bas : bilatéral, à la partie antérieure des espaces intertransversaux au niveau C5-C7
– trapézien : bilatéral à la partie moyenne du bord supérieur (du muscle)
– suspineux : bilatéral, à l’insertion au-dessus de l’épine de l’omoplate, près de son bord interne
– 2e côte : bilatéral, à la seconde jonction chondrocostale, juste à côté de la jonction à la surface supérieure
– épicondylien latéral : bilatéral, à 2 cm au-dessous des épicondyles
– fessier : bilatéral, au quadrant supero-externe de la fesse, au pli fessier antérieur
– trochantérien : bilatéral, en arrière de la saillie du grand trochanter
– genou : bilatéral, vers le coussinet graisseux médian, proche de l’interligne
Ainsi au cours du syndrome de Sjögren, on retrouve des éléments fibromyalgiques chez au moins 25 % des patients. Des associations existent également avec la polyarthrite rhumatoïde ou le lupus érythémateux systémique. En pratique, il faut savoir reconnaître des éléments fibromyalgiques chez ces patients pour éviter une escalade thérapeutique par corticothérapie et/ou immunosuppresseurs, qui n’apporteraient que leurs effets secondaires.
Pour satisfaire l’objectif de classification, les patients seront tenus pour avoir une fibromyalgie d’associer les 2 critères de l’encadré 2.
La douleur diffuse doit avoir été présente au moins 3 mois. La palpation (pression) digitale doit être faite avec une force approximative de 4 kg. Pour qu’un point douloureux soit considéré comme présent, le sujet doit signaler que cette palpation est douloureuse ; sensible n’est pas considéré comme douloureux. La présence d’un tableau clinique associé n’exclut pas le diagnostic de fibromyalgie.
PRISE EN CHARGE THÉRAPEUTIQUE :
Il est important d’apporter aux patients une étiquette diagnostique précise reliant tous ces symptômes ce qui met souvent un terme à l’incompréhension de l’entourage y compris médical et stoppe le nomadisme médical et la multiplication inutile des examens complémentaires.
La prise en charge thérapeutique doit être globale et idéalement multidisciplinaire associant trois éléments clefs :
– correction des troubles du sommeil quand ils existent ;
– réadaptation musculaire à l’effort ;
– traitements médicamenteux.
Correction des troubles du sommeil :
La correction nécessite d’abord la recherche et le traitement spécifique d’une pathologie du sommeil. En cas d’insomnie, il est possible de recourir aux hypnotiques type zolpidem ou zopiclone, en évitant les benzodiazépines qui ont l’inconvénient de perturber l’architecture du sommeil.
Réadaptation musculaire à l’effort :
Le traitement non pharmacologique repose sur des programmes d’exercices aérobies dont l’efficacité a été démontrée par de nombreuses études.
On conseille ainsi marche, jogging, vélo, natation, ou séances de balnéothérapie. Cette réadaptation à l’effort doit être progressive, pour ne pas décourager les patients en raison de l’aggravation de la fatigue et de la douleur ressentie après l’effort en début de programme.
Traitement médicamenteux :
Il fait appel aux antidépresseurs et notamment aux tricyclides : l’amitriptyline (20 à 50 mg/ jour) a été le médicament le plus utilisé après la publication d’études montrant son efficacité supérieure au placebo. Malheureusement, elle semble limitée dans le temps avec un échappement thérapeutique. Les inhibiteurs de la recapture de la sérotonine ( IRS) se sont également révélés plus efficaces que le placebo dans certaines études. L’association IRS-amitriptyline pourrait se potentialiser.
Parmi les antalgiques, le tramadol soulage le patient lors des poussées douloureuses. Les opiacés sont en règle contre-indiqués.
Une prise en charge thérapeutique permet souvent d’améliorer les symptômes notamment la douleur, mais les rémissions complètes sont encore malheureusement rares.