Devant un patient qui se plaint d’une baisse de l’acuité visuelle (BAV) brutale, l’interrogatoire a un rôle fondamental dans l’orientation diagnostique :
– intensité de la baisse visuelle ;
– mode d’installation brutal ou progressif ;
– uni ou bilatéralité ; symptômes accompagnateurs : douleurs (aux mouvements oculaires), rougeur, sensation de corps étranger, photophobie, diplopie, …
– terrain connu (pathologie générale pouvant se compliquer d’une baisse visuelle).
Le médecin généraliste doit pouvoir disposer de petits moyens d’examen : une lumière (stylo lumière par exemple) permet de reconnaître si la cornée est bien claire avec un beau reflet transparent, d’étudier les pupilles : taille, symétrie, réactivité à la lumière.
Il peut même rechercher un défi cit pupillaire afférent relatif (encore dénommé « pupille de Marcus Gunn »). Pour cela, on fait passer alternativement et régulièrement la lumière d’un oeil à l’autre. L’oeil qui a la baisse d’acuité visuelle, a une atteinte de son nerf optique si la pupille de cet oeil, au lieu de se contracter, se dilate lorsqu’elle est, à son tour, frappée par la lumière ;
– un collyre à la fluorescéine (disponible en unidose) visualise une ulcération cornéenne en la colorant en jaune-vert ;
– des tables (ou grilles) d’Amsler ou un simple papier à carreaux avec matérialisation du point central pour aider à la fixation, permet une analyse subjective assez précise de la vision centrale. En fixant le point central oeil par oeil, le patient est ainsi en mesure de dessiner un scotome ou des métamorphopsies (ondulation des lignes).
Le médecin généraliste doit également être capable d’apprécier la pression oculaire par une palpation bidigitale du globe (les deux index posés sur le même oeil exercent alternativement une pression sur celui-ci, le patient regardant vers le bas). Cela permet d’évaluer la dépressibilité du globe. La comparaison entre les deux yeux permet d’apprécier une élévation pressionnelle unilatérale, comme dans la crise de glaucome aigu par fermeture de l’angle. Aidé par d’autres signes associés éventuels (cf. infra), on évitera ainsi un retard diagnostique préjudiciable.
Un traitement urgent pourra être débuté en attendant la prise en charge ophtalmologique.
Le but de cet exposé est d’aider à reconnaître les cas où le symptôme visuel est un signal d’alarme devant amener, notamment, à une prise en charge cardiovasculaire lorsque le pronostic vital est en jeu ou s’il conduit à évoquer une maladie de Horton chez le sujet âgé. Par contre, ni les urgences traumatiques ni la pathologie pédiatrique ne seront abordées.
BAISSE D’ACUITÉ VISUELLE TRANSITOIRE :
Amaurose fugace ou cécité monoculaire transitoire :
Chez un sujet âgé ou ayant un terrain vasculaire connu, c’est l’amaurose fugace ou cécité monoculaire transitoire (CMT). Le patient décrit bien la perte totale de la vision de cet oeil ou la sensation d’être « comme dans du coton ».
L’occlusion de l’autre oeil l’aurait rendu incapable de se déplacer. La récupération est totale, généralement en quelques dizaines de minutes, en tout cas en moins de 24 heures. Mais cela ne doit pas rassurer. Il s’agit d’un véritable accident ischémique transitoire et il en partage le pronostic. Il peut être le signe avant-coureur d’un accident vasculaire cérébral ou d’un infarctus du myocarde dont on connaît la morbidité et la mortalité importantes. Une cardiopathie emboligène et des facteurs de risque vasculaire seront recherchés par un examen clinique avec échographie cardiaque et écho doppler des vaisseaux du cou. Un traitement anticoagulant et/ou antiagrégant pourra être envisagé. Il est surtout indispensable d’éliminer une maladie de Horton (signes fonctionnels et physiques, mais surtout VS et CRP, voir Encadré 1). Dans ces circonstances, la consultation ophtalmologique ne doit en aucun cas retarder la mise en route des mesures thérapeutiques urgentes.
Encadré 1. Maladie de Horton
Après 65 ans, tout symptôme visuel (baisse visuelle brutale, diplopie binoculaire ou simple fl ou binoculaire…) est une maladie de Horton jusqu’à preuve du contraire.
Rechercher une perte d’appétit avec ou sans amaigrissement, des douleurs dans les épaules, des céphalées, une sensibilité ou une douleur dans le cuir chevelu au passage du peigne, une claudication intermittente des mâchoires. À l’examen, les artères temporales sont épaissies, indurées, sensibles. Si le pouls est aboli, l’artère reste néanmoins palpable sous la forme d’un cordon épais induré.
VS et CRP sont demandés en urgence et le traitement débuté sans attendre (bolus I.V.) du fait du risque oculaire (la cécité du 2e oeil peut suivre celle du 1er oeil en quelques heures !). La biopsie d’artère temporale n’est pas négativée par les corticoïdes avant quelques semaines.
Déficit transitoire de l’hémichamp en disposition latérale homonyme :
Un tel déficit est révélateur d’un accident vasculaire ischémique transitoire dans les territoires cérébraux postérieurs, en arrière du chiasma, et conduira à la même attitude que supra. Le fond d’oeil est normal hormis les stigmates d’artériosclérose du terrain vasculaire.
Il faut noter que très peu de patients pensent à étudier séparément la vision de chaque oeil (en cachant alternativement un oeil puis l’autre avec la main) et pensent à tort que seul l’oeil atteint en temporal est concerné par le déficit.
Dans cette circonstance, l’interrogatoire peut être trompeur.
Déficit transitoire horizontal qui s’arrête sur la ligne horizontale d’un oeil :
Le diagnostic évoqué est celui d’une neuropathie optique ischémique antérieure aiguë (NOIAA) (en réalité souvent définitive). La maladie de Horton doit toujours rester la première préoccupation urgente.
BAISSE TRANSITOIRE DE L’ACUITÉ VISUELLE AVEC PERCEPTION DE LUMIERES SCINTILLANTES CHEZ UN SUJET JEUNE :
Les phénomènes visuels positifs sont la perception de lumières colorées qui scintillent et s’étendent en « fortifications » vers la périphérie du champ visuel (« aura migraineuse »), sur une vingtaine de minutes. Il faut un minimum de 4 minutes de progression entre le tout-début et le maximum des manifestations visuelles pour les qualifier de marche migraineuse. Un scotome scintillant peut atteindre la vision centrale. Là aussi, la symptomatologie visuelle est souvent considérée comme unilatérale par les patients car ils ne prêtent attention qu’à l’oeil dont la partie temporale est concernée. En réalité l’autre oeil a une atteinte de son hémichamp nasal homonyme, évidente pour peu qu’on la recherche.
Ainsi averti, le patient saura la reconnaître à la prochaine crise. Des céphalées migraineuses en hémicrânie peuvent suivre, mais sont inconstantes.
Le diagnostic est celui de migraine ophtalmique.
Il n’y a le plus souvent aucune exploration à pratiquer, sauf atypie ou apparition récente et répétition fréquente de la migraine.
BAISSE D’ACUITÉ VISUELLE UNILATÉRALE PERMANENTE – L’OEIL N’EST PAS ROUGE :
Occlusion de l’artère centrale de la rétine :
S’il s’agit d’un sujet âgé, le diagnostic le plus probable est celui d’une occlusion de l’artère centrale de la rétine (OACR) avec baisse de l’acuité visuelle brutale, d’emblée maximale, souvent constatée le matin au réveil (probablement en relation avec l’hypotension artérielle matinale).
L’acuité visuelle n’est pas mesurable et le fond d’oeil montre des plages d’ischémie (oedème des fibres nerveuses) avec macula rouge cerise par contraste, car la couche des fibres nerveuses y est absente. Dans les rares cas où il s’est écoulé moins de six heures depuis l’occlusion, il peut être intéressant d’hypotoniser le globe par du Diamox® et de le masser dans l’espoir d’améliorer la circulation artérielle rétinienne et /ou de faire migrer l’obstacle circulatoire plus loin, au-delà d’une fourche vasculaire. La mise sous anticoagulants voire la prise en charge en milieu neuroradiologique interventionnel peuvent être discutés. Les facteurs de risque en sont l’artériosclérose, plus rarement les cardiopathies emboligènes ou, encore une fois, la maladie de Horton. Le pronostic fonctionnel est malheureusement sombre avec une récupération visuelle médiocre ou nulle. Mais il n’y a généralement pas de complications néovasculaires ischémiques rétiniennes à long terme.
À part, les rares cas où il peut y avoir une épargne maculaire par présence d’une artère ciliorétinienne (variante anatomique) qui reste perfusée avec vision tubulaire.
Occlusion de la veine centrale de la rétine :
Si cette baisse d’acuité visuelle unilatérale brutale survenue est moins profonde ou même modérée, il peut s’agir d’une occlusion de la veine centrale de la rétine (OVCR) avec pour facteurs de risques, là aussi, l’artériosclérose, l’hypertension artérielle, certaines hémopathies, le syndrome des antiphospholipides et également un glaucome mal équilibré. La baisse d’acuité visuelle est d’intensité variable, plus importante si l’occlusion est massive avec retentissement sur la circulation artérielle (forme dite ischémique d’emblée). Le fond d’oeil montre des veines dilatées et tortueuses avec des pétéchies disséminées sur tout le territoire concerné.
L’occlusion peut siéger au niveau de la veine centrale de la rétine, d’un hémitronc veineux supérieur ou inférieur ou seulement d’une branche, (le plus souvent au niveau d’un croisement artérioveineux).
Une angiographie de la rétine à la fluorescéine est indiquée pour faire la distinction entre les formes oedémateuses et les formes ischémiques, ces dernières nécessitant un traitement au laser de pan photocoagulation rétinienne, indispensable pour éviter des complications néovasculaires (hémorragie dans le vitré, glaucome néovasculaire…).
Cependant, il faut savoir qu’une forme oedémateuse peut se transformer en forme ischémique et donc une surveillance ophtalmologique reste nécessaire. La forme oedémateuse est responsable d’une baisse de la vision, en général moindre que la forme ischémique.
Neuropathie optique ischémique antérieure aiguë :
Le diagnostic de neuropathie optique ischémique antérieure aiguë (NOIAA) est à considérer chez le sujet âgé. L’atteinte peut être totale, mais peut également être altitudinale (défi cit horizontal qui s’arrête sur la ligne horizontale).
L’acuité visuelle est variable. Il existe un déficit pupillaire afférent relatif ou pupille de Gunn.
Le champ visuel montre très souvent un déficit altitudinal dit « vasculaire ». Au fond d’oeil existe un oedème papillaire pâle avec quelques pétéchies. Les causes sont le plus souvent non artéritiques (artériosclérose, plus rarement hypoperfusion, lors d’un état de choc par exemple) mais la hantise reste encore et toujours la maladie de Horton dont c’est la manifestation visuelle la plus fréquente, et qui doit absolument être diagnostiquée (on l’a vu : symptômes fonctionnels, signes physiques, VS et CRP) et traitée en urgence, sans attendre la biopsie d’artère temporale qui peut attendre plusieurs jours. Le pronostic est lié à l’atteinte possible du second oeil, parfois très rapide, conduisant alors à une désastreuse cécité totale bilatérale.
Il faut aussi savoir que les formes non-artéritiques (c’est-à-dire non gigantocellulaires, non Horton) et qui sont les plus fréquentes, sont volontiers associées à une morphologie particulière de la papille, petite et pleine. Ce critère ne peut être étudié sur la papille de l’oeil atteint qui est souvent le siège d’un oedème blanc qui en estompe les bords, mais sera apprécié sur l’examen du fond d’oeil controlatéral (les papilles étant généralement symétriques). Une bilatéralisation est à craindre dans les années à venir et l’on peut proposer la mise sous antiagrégant plaquettaire et, en tout cas on doit éviter toutes les situations d’hypotension artérielle médicamenteuse (médications antihypertensives, Viagra®…) ou chirurgicale (en donner une information écrite au patient à destination de ses autres médecins). Il faut rechercher et traiter une éventuelle hypertonie oculaire et une apnée du sommeil.
Névrite optique rétrobulbaire :
Si cette baisse d’acuité visuelle brutale unilatérale profonde survient chez un sujet jeune, en particulier une femme, s’installant souvent sur quelques heures dans un contexte de douleurs accentuées par les mouvements oculaires, le diagnostic le plus probable est celui d’une névrite optique rétrobulbaire (NORB), possible première manifestation d’une sclérose en plaques.
La baisse d’acuité visuelle est de profondeur très variable. L’examen des pupilles montre un déficit pupillaire afférent relatif de l’oeil concerné qui signe le diagnostic de neuropathie optique, d’autant plus facile à mettre en évidence que l’atteinte est profonde. Le fond d’oeil est normal : « le patient ne voit rien et l’ophtalmologiste non plus ». Le champ visuel présente un déficit de morphologie très variable. Les PEV montreraient l’atteinte du nerf optique. L’IRM est l’examen-roi car elle permet, outre l’examen du nerf et une éventuelle visualisation d’une plaque sur son trajet, de mettre en évidence des anomalies de signal de la substance blanche évocatrices de SEP.
Il faut souligner que depuis plusieurs années déjà, les études multicentriques américaines ont montré qu’il est contre-indiqué de traiter une NORB par une corticothérapie orale seule car celle-ci semble augmenter le risque de passage à une sclérose en plaques.
DÉFICIT PARTIEL DU CHAMP VISUEL D’UN OEIL – L’OEIL N’EST PAS ROUGE :
Décollement de rétine, parfois précédé par un décollement postérieur du vitré :
Au départ, l’atteinte est localisée en périphérie du champ visuel et ne s’accompagne pas de baisse d’acuité visuelle. Mais ce défi cit progresse plus ou moins vite de la périphérie vers le centre. Quand il rejoint le centre visuel, il y a effondrement de l’acuité visuelle. Les jours ou semaines précédentes, des phosphènes ont pu être perçus (éclairs blancs mieux perçus dans la pénombre), ainsi que des corps flottants d’apparition brusque (qualifiés de mouches volantes par les patients, nommés myodésopsies par l’ophtalmologiste), l’ensemble constituant les symptômes d’un décollement postérieur du vitré (DPV) (Encadré 2). Les phosphènes ne sont cependant pas constants. Parfois le patient signale avoir vu une fumée qui monte, ce qui signifie souvent la présence d’un saignement qui descend par gravité dans le vitré, à l’intérieur de l’oeil. Il s’agit probablement d’un décollement de rétine et la conduite à tenir est urgente, surtout s’il n’y a pas encore de baisse d’acuité visuelle. En effet, un décollement de rétine traité tôt avec macula non décollée a de bien meilleures chances, par une seule chirurgie, d’être guéri avec sauvegarde fonctionnelle de la vision, alors qu’au stade où l’acuité est effondrée par soulèvement maculaire, la récupération visuelle peut être médiocre malgré une réapplication rétinienne anatomique. La prise en charge ophtalmologique est donc urgente par un ophtalmologiste spécialisé dans la chirurgie rétinovitréenne et qui, en outre, posera éventuellement l’indication d’une prévention au laser sur l’autre oeil.
Encadré 2. Recommandations à apporter au patient lors d’un DPV
Il est bon de donner les recommandations suivantes au patient : après la survenue de mouches volantes, de corps flottants, et si lors de la consultation ophtalmologique, l’examen du fond d’oeil avec dilatation pupillaire a confirmé qu’il s’agit d’un décollement postérieur du vitré non compliqué, une autosurveillance est utile. Tant qu’il y a des phosphènes, le vitré n’a pas fi ni de faire son décollement postérieur et il reste un risque de déchirure de la rétine et donc de décollement de rétine. Cette période active où le patient voit des phosphènes peut durer plusieurs semaines, voire mois. Il est donc indispensable qu’il assume lui-même la surveillance, puisqu’il n’est évidemment pas question de lui faire subir tous les jours un fond d’oeil avec dilatation. Il doit fixer, oeil par oeil, un point central pour être en même temps conscient de bien voir la totalité de son champ visuel. Si dans le champ visuel de l’oeil concerné apparaît une zone manquante, absente, grise, etc., il est indispensable de consulter très rapidement un spécialiste. En effet, cette atteinte permanente périphérique est évocatrice d’un décollement de rétine encore localisé. Traité à temps, son pronostic sera meilleur.
Un DPV qui s’est accompagné d’une hémorragie dans le vitré signe qu’il y a bel et bien eu déchirure, sinon de la rétine, du moins de la paroi d’un vaisseau, et la surveillance doit être beaucoup plus rapprochée, car le risque de décollement de rétine monte aux environs de 50 %. De même lorsque le DPV s’accompagne d’une hémorragie importante au point de masquer le fond d’oeil, il est indispensable de faire pratiquer une échographie oculaire pour diagnostiquer au plus tôt un décollement de rétine et le traiter chirurgicalement avant qu’il ne s’aggrave encore.
Enfin les myodésopsies s’atténuent en général avec le temps, mais peuvent persister, ce dont le patient doit
être averti.
Occlusion d’une branche artérielle :
Chez un patient qui a une affection (en particulier cardiaque) potentiellement emboligène, l’apparition d’un déficit d’une partie du champ visuel d’un oeil peut être la conséquence d’une occlusion de branche artérielle rétinienne. Ce déficit que le patient peut dessiner et le champ visuel objectiver est non systématisé. Le fond d’oeil montre une zone d’ischémie localisée et parfois l’embol, volontiers bloqué à une bifurcation artérielle. Plus tard, les signes d’ischémie au fond d’oeil disparaîtront, mais le défi cit persistera le plus souvent.
BAISSE D’ACUITÉ VISUELLE AVEC PERCEPTION D’UN SCOTOME CENTRAL AVEC OU SANS MÉTAMORPHOPSIES :
Un scotome central positif est un scotome vu par le patient, c’est-à-dire que celui-ci voit une tache noire qui lui masque l’endroit fixé. Il peut la dessiner sur une grille d’Amsler ou tout autre papier quadrillé avec matérialisation d’un point central à fixer. Ce scotome central peut être associé à des métamorphopsies ou à des micropsies.
Il s’agit alors très vraisemblablement d’une maculopathie.
Dégénérescence maculaire liée à l’âge :
Si le sujet est âgé, la probabilité est forte d’une dégénérescence maculaire liée à l’âge (DMLA) dans sa forme exsudative (la forme atrophique ne donne pas de métamorphopsies mais uniquement un scotome central ou para-central négatif). La forme exsudative avec aggravation récente et apparition de métamorphopsies est une urgence à adresser à un centre compétent pour bénéficier des examens complémentaires et des traitements hyperspécialisés indiqués (angiographies, laser, éventuellement photothérapie dynamique, injections intra-vitréennes d’anti-VEGF). Dans ces circonstances également, un traitement précoce a de meilleures chances de succès.
Le risque de bilatéralisation est malheureusement important et les moyens de prévention à ce stade sont relativement faibles. On peut néanmoins citer la protection contre les ultraviolets, l’arrêt d’un éventuel tabagisme et semblerait-il une alimentation riche en antioxydants voire des compléments vitaminiques et alimentaires (lutéine, zéaxanthine, oméga-3).
Tache de Fuchs du fort myope :
Si le patient est jeune avec une myopie très forte, là aussi, il peut s’agir d’une atteinte maculaire qui nécessite la même conduite à tenir en urgence (la maculopathie myopique est la principale cause de baisse définitive de l’acuité visuelle chez le sujet jeune).
Choriorétinopathie séreuse centrale :
S’il s’agit d’un sujet jeune qui n’a pas de myopie forte, plus volontiers de sexe masculin, particulièrement stressé et qui se plaint au niveau d’un oeil de métamorphopsies avec micropsies (les images sont vues plus petites) et souvent hypermétropisation, (c’est-à-dire que l’ophtalmologiste arrive à l’améliorer en ajoutant une ou deux dioptries positives à sa correction), le diagnostic le plus probable est celui d’une choriorétinopathie séreuse centrale (CRSC). Le fond d’oeil montre la présence d’une bulle de décollement séreux du neuro-épithélium maculaire, l’angiographie la confi rme et détecte le point de fuite. L’O.C.T. (Optical Coherence Tomography), examen simple non invasif en permet la surveillance.
L’amélioration est souvent spontanée.
Il faut éviter toute corticothérapie (même sous forme locale, apparemment à faibles doses) car celle-ci a un rôle aggravant voire déclenchant.
Autres ou divers :
Quel que soit l’âge, mais plus particulièrement chez un sujet jeune, il faut garder à l’esprit la possibilité de maculopathies inflammatoires par atteinte toxoplasmique, plus rarement sarcoïdosique.
On peut également citer les décollements rétiniens exsudatifs sans déchirure rétinienne causale, souvent bilatéraux de la maladie de Vogt-Koyanagi-Harada ou, plus rares des toxémies gravidiques.
BAISSE D’ACUITÉ VISUELLE AVEC OEIL ROUGE : LES TROIS CAUSES CLASSIQUES
Lorsque la baisse d’acuité visuelle unilatérale s’accompagne d’une rougeur oculaire avec douleur d’intensité variable, les causes sont schématiquement au nombre de trois : crise de glaucome aigu par fermeture de l’angle, uvéite et kératite.
Elles sont toutes potentiellement graves.
Savoir reconnaître la rougeur est important car celle-ci peut être relativement discrète. Elle prédomine autour du limbe (c’est-à-dire qu’elle prédomine autour de la cornée, d’où son nom de cercle périkératique), contrairement à la rougeur de la conjonctivite qui prédomine dans les cul-de-sacs conjonctivaux. Toujours contrairement à la conjonctivite, il n’y a pas au réveil de sécrétions collant les cils, et il y a une baisse de l’acuité visuelle.
Crise de glaucome aigu par fermeture d’angle :
La crise de glaucome aigu par fermeture de l’angle survient classiquement chez la femme âgée ayant une cataracte non encore opérée et souvent hypermétrope. En réalité elle peut survenir chez des personnes beaucoup plus jeunes et pas forcément hypermétropes. La physiopathogénie en est la survenue d’un blocage pupillaire sur un oeil prédisposé du fait de l’étroitesse de sa chambre antérieure, rendant l’angle iridocornéen apte à se fermer. La pression intraoculaire s’élève alors rapidement et peut atteindre 70 mmHg (normalement elle est autour de 10 à 20).
La douleur oculaire est au premier plan et peut s’accompagner de nausées et de vomissements, susceptible de dévier l’attention vers la sphère digestive. De même, elle peut s’accompagner de céphalées et faire errer les explorations vers des causes neurologiques. L’examen des yeux va rectifier facilement le diagnostic en montrant une atteinte oculaire unilatérale marquée par un cercle de rougeur périkératique, une cornée moins transparente (car oedémateuse) avec un reflet terne, une pupille dilatée en semi mydriase et à la palpation bi-digitale un oeil franchement dur (classiquement décrit en bille de verre), plus facile à apprécier en comparant à l’oeil adelphe.
La vision est abaissée de manière variable. Il peut y avoir ou non un facteur déclenchant (prise médicamenteuse avec effet anticholinergique, atropinisation lors d’une anesthésie générale…).
La prise en charge doit être urgente, d’abord par l’injection lente de Diamox® en intraveineux ou à, défaut son administration par voie orale pour hypotoniser le globe. Une fois cette hypotonisation obtenue, parfois au prix d’une administration de Mannitol par voie intraveineuse, l’ophtalmologiste pourra resserrer la pupille par des collyres adaptés et pratiquer une iridotomie a laser YAG d’emblée si elle est réalisable, sinon obligatoirement au décours de la crise. L’autre oeil (également à risque pour des raisons de symétrie anatomique) doit impérativement être protégé d’une telle attaque par la pratique préventive d’une iridotomie au laser.
Uvéite :
La baisse d’acuité est d’importance variable. Il y a souvent une photophobie importante. Le début peut être plus ou moins rapide. L’oeil peut être plus ou moins larmoyant. L’examen montre un myosis relatif par rapport à l’autre oeil. Il peut exister déjà un terrain connu de spondylarthropathie avec HLA B 27 positif (auquel cas, ces uvéites antérieures sont très synéchiantes, ce qui impose de les traiter de manière urgente pour éviter des synéchies irido-cristalliniennes, notamment par collyres corticoïdes et mydriatiques administrés plusieurs fois par jour, voire des injections de corticoïdes en péri-oculaire).
L’examen à la lampe à fente montre un effet Tyndall au niveau de la chambre antérieure et des précipités rétro-descemétiques (c’est-à-dire déposés à la face postérieure de la cornée). Le tonus peut être augmenté ou abaissé. Le fond d’oeil doit être impérativement réalisé et peut révéler un foyer choriorétinien. La prise en charge par un ophtalmologiste est urgente et celui-ci peut référer les cas graves à un interniste pour recherche et prise en charge des éventuelles manifestations systémiques associées.
Un cas particulier est la baisse d’acuité visuelle + douleur et rougeur dans la période postopératoire précoce de chirurgie oculaire ; il s’agit alors d’une endophtalmie à adresser en extrême urgence dans un service d’ophtalmologie.
Kératite :
Il y a une photophobie et une sensation de corps étranger. La baisse d’acuité visuelle est variable selon la localisation de l’atteinte cornéenne.
L’état souvent très larmoyant de l’oeil y contribue aussi. Il peut s’agir d’une kératite ponctuée superficielle, d’une ulcération traumatique ou herpétique… Une goutte de fluorescéine permet bien souvent, même à l’oeil nu, de mettre l’ulcération en évidence.
Il peut également s’agir d’un abcès de cornée, en particulier chez les porteurs de lentilles de contact, surtout souples hydrophiles. L’examen montre un infiltrat blanc de taille variable. Il s’agit d’une urgence sérieuse à prendre en charge de manière immédiate par un traitement agressif et adapté. Sur un plan préventif, il faut recommander aux porteurs de lentilles de contact une hygiène très rigoureuse en particulier vis-à-vis de l’eau du robinet (risque de contamination amibienne variable selon les régions mais de traitement difficile et potentiellement de très grande gravité).
BAISSE D’ACUITÉ VISUELLE SUR UN TERRAIN À RISQUE CONNU :
Rétinopathie diabétique :
Il en est ainsi du diabétique notamment avec plus de 10 ans de diabète, mal équilibré, mal suivi sur un plan ophtalmologique. La baisse d’acuité visuelle peut être due à un oedème maculaire, ou même à une rétinopathie diabétique proliférante qui nécessite une prise en charge spécialisée avec angiographie, et laser voire chirurgie. Les rétinopathies proliférantes peuvent être inaugurées par un épisode d’hémorragie dans le vitré ou se compliquer d’un décollement de rétine tractionnel, voire même, aboutir à un glaucome néovasculaire. La meilleure prévention en est l’équilibre glycémique et de la pression artérielle, ainsi que le suivi ophtalmologique régulier.
Neuropathies optiques toxiques ou héréditaires :
Les neuropathies toxiques ou héréditaires entraînent le plus souvent une baisse d’acuité visuelle progressive bilatérale, par exemple une neuropathie alcoolo-tabagique, une neuropathie à l’éthambutol. Dans le cas d’une neuropathie alcoolo-tabagique, l’arrêt de l’intoxication, la correction du défi cit vitaminique et d’une malnutrition sont indispensables sous peine de poursuite de l’aggravation visuelle. L’atteinte visuelle est en règle assez symétrique avec au niveau du champ visuel un scotome centrocaecal.
Une neuropathie alcoolo-tabagique qui ne s’améliore pas à l’arrêt réel de l’intoxication ou survenant en l’absence d’intoxication doit faire évoquer une maladie de Leber (la maladie de Leber est une neuropathie optique isolée, héréditaire due à une mutation de l’ADN mitochrondrial (donc d’origine maternelle) du patient. Les femmes sont seules transmettrices, mais ne la transmettent pas à tous leurs descendants. La baisse d’acuité visuelle est souvent importante et brutale, bilatérale d’emblée ou survenant avec un décalage de moins de 2 mois. L’âge moyen de début se situe aux alentours de la trentaine, mais il peut y avoir des cas avant 10 ans ou après 50 ans. Le diagnostic de certitude est obtenu par la recherche de mutations de l’ADN mitochondrial. Un autre diagnostic, souvent mal connu, est l’atrophie optique dominante.
Maculopathies toxiques ou médicamenteuses :
Une baisse d’acuité visuelle peut aussi être causée par une maculopathie toxique. Il en est ainsi de l’atteinte bilatérale de la vision dans la maculopathie aux antipaludéens de synthèse, pathologie rare survenant le plus souvent audelà
de 100 à 250 grammes de Plaquénil® en doses cumulatives. La baisse est progressive et définitive, mais elle est heureusement exceptionnelle lorsque la surveillance ophtalmologique est bien pratiquée. Celle-ci est surtout fondée sur la vision des couleurs, le champ visuel à 10° (l’atteinte est en effet péri-fovéolaire), l’EOG (électro-oculo-gramme) et, si on en dispose, l’ERG (électrorétinogramme) multifocal.
Maculopathies héréditaires :
La maladie de Stargardt ou fundus flavi maculatus est une des affections oculaires héréditaires les plus fréquentes.
RÉVÉLATION BRUTALE D’UNE BAISSE D’ACUITÉ VISUELLE PROGRESSIVE :
Il n’est pas rare qu’un patient soit surpris par la révélation apparemment brutale d’une vision basse méconnue d’un oeil, dont il ne prend conscience que le jour où il masque le bon côté. « Auriez-vous pu avoir cette baisse depuis longtemps sans vous en rendre compte ? » est la question à poser.
Presbytie :
La baisse d’acuité visuelle de la presbytie qui survient vers l’âge de 45 ans peut ainsi apparaître comme relativement brutale. Le patient voit relativement bien de loin avec sa correction habituelle, mais ne peut plus lire de près.
L’âge de début de la gêne est plus précoce chez l’hypermétrope surtout non corrigé et plus tardif chez le myope. Il suffit simplement de l’adresser à un ophtalmologiste pour une prescription de lunettes, lequel mettra à profit cette consultation pour dépister un glaucome, une atteinte de la rétine, une cataracte débutante…
Cataracte :
La baisse d’acuité visuelle de la cataracte peut en effet, elle aussi, sembler brutale, surtout si elle était déjà obturante sur un oeil. Il s’agit d’un sujet âgé qui a une baisse d’acuité visuelle de loin et de près et souvent un éblouissement à la lumière, mais l’acuité n’est pas effondrée (sauf rares exceptions). On peut parfois deviner un reflet blanc derrière la pupille. La consultation ophtalmologique conduira à une chirurgie si un changement de lunettes ne suffi t plus à donner une acuité visuelle convenable. Il est à noter que les collyres anti-cataracte sont inefficaces et potentiellement délétères pour la surface de l’oeil du fait des conservateurs et doivent donc être proscrits.
Glaucome chronique à angle ouvert :
Le glaucome chronique à angle ouvert n’est pas une cause immédiate de baisse d’acuité visuelle.
Il se traduit au début uniquement par des scotomes négatifs du champ visuel paracentral, qui sont très longtemps inapparents pour le patient et ne sont mis en évidence que par l’examen instrumental du champ visuel automatisé. La baisse de vision survient au stade terminal de quasi-cécité définitive et ne peut donc pas servir de signe d’appel utile. Le dépistage par des examens systématiques avec prise de la pression oculaire et examen du fond d’oeil est un objectif de santé publique car le glaucome chronique est avec la DMLA et le diabète une des grandes causes de cécité dans les pays développés.
Donc dépistage systématique pour tous dès la première consultation de presbytie, dépistage beaucoup plus précoce pour les sujets à risque (antécédents familiaux, race noire, diabétiques, myopes forts…). Dépistage systématique du risque de crises subaigües et peu symptomatiques de fermeture de l’angle sur les yeux âgés non opérés de cataracte.
BAISSE D’ACUITÉ VISUELLE PAR ATTEINTE NEUROLOGIQUE :
Baisse d’acuité visuelle révélatrice d’une atteinte neurologique, comme une tumeur du nerf optique, de l’hypophyse ou du chiasma, que mettra en évidence l’IRM, éventuellement après la découverte d’une papille optique oedémateuse au FO (Rappel : un fond d’oeil normal n’élimine pas une hypertension intracrânienne).
Enfin la cécité corticale est une raison très rare de baisse d’acuité visuelle brutale bilatérale par atteinte ischémique des lobes occipitaux. Il n’y a pas d’anomalie du segment antérieur de l’oeil ni au niveau du fond de l’oeil, ni au niveau des réflexes pupillaires. Par contre, il n’y a plus de réflexe de clignement à la menace, ni de réflexe d’accommodation-convergence et le patient d’ailleurs ne ressent pas clairement cette baisse visuelle à cause des hallucinations. Le regard est vide, il n’existe aucun mouvement de fixation et de poursuite. Le contexte est très évocateur.
CONCLUSION :
Il est important de savoir reconnaître le caractère grave d’une baisse d’acuité visuelle (par opposition à une simple petite difficulté qui n’est que de loin, ou que de près, et qui nécessite des lunettes), analyser ses caractéristiques, les symptômes associés (rougeur, contexte) pour diriger le patient en urgence vers l’ophtalmologiste ou le cardiologue. La maladie de Horton doit être une préoccupation permanente chez le sujet âgé (VS, CRP d’indication très large).
Dégénérescence maculaire liée à l’âge, glaucome et diabète sont les principales causes de baisse de vision, voire de cécité dans nos pays développés.
La consultation chez l’ophtalmologiste à l’âge où la presbytie y conduit le patient est la bonne occasion pour permettre le dépistage d’affections potentiellement cécitantes et souvent évitables ou curables.
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