Le ronflement prête à rire et semble davantage une gêne sociale source de conflit conjugal qu’un problème médical. Il se complique pourtant de surdité et, plus redoutable, dans 10 % des cas, d’un syndrome d’apnées obstructives du sommeil, insidieux et d’autant plus grave qu’il demeure longtemps ignoré. Burwell en 1956 décrit un cas « d’une obésité extrême associée à une hypoventilation alvéolaire, une insuffisance cardiaque droite et une somnolence », qu’il a dénommé « syndrome de Pickwick » en souvenir du personnage de Dickens, Joe, cocher obèse, qui s’endormait partout. En 1965, Gastaut décrit les pauses respiratoires nocturnes d’un cas de syndrome de Pickwick. Même si le syndrome de Pickwick ressemble peu au syndrome d’apnées du sommeil dont il constitue le tableau clinique le plus évolué et le plus rare, il a permis d’attribuer la somnolence diurne à un trouble respiratoire nocturne. Par la suite, les enregistrements nocturnes de patients somnolents ont montré que des sujets ni très obèses ni atteints d’insuffisances cardiaque ou respiratoire pouvaient, eux aussi, s’arrêter de respirer pendant la nuit.
Grâce aux ordinateurs qui rendent plus simple et plus rapide l’interprétation des enregistrements du sommeil, un réel essor a été donné au dépistage du syndrome d’apnées obstructives du sommeil (SAOS), à son traitement et à la recherche clinique. Le SAOS est aujourd’hui considéré comme la cause la plus fréquente de somnolence diurne, en particulier au volant d’un véhicule, ce qui en fait un problème de Santé publique majeur.
L’arrêté de loi publié le 7 mai 1997 interdit la conduite automobile aux sujets atteints de pathologie du sommeil.
SOMMEIL ET MÉCANISME DU SAOS :
Le SAOS est actuellement défi ni par la répétition d’occlusions complètes (apnées) ou incomplètes (hypopnées) du pharynx. Dès l’endormissement, les muscles du pharynx, dont le tonus est réduit par le sommeil, sont littéralement «aspirés» dans les voies aériennes sous l’effet de la pression négative intrathoracique et les bloquent comme le ferait un corps étranger. La respiration cesse, c’est une «apnée», ou elle est très réduite, c’est alors une hypopnée. Le cerveau envoie, plus ou moins vite, l’ordre aux muscles du thorax et de l’abdomen de se contracter pour augmenter la pression thoracique et lever l’obstacle.
Cette contraction musculaire provoque un «microéveil» (un éveil bref d’une durée d’une seconde environ) qui ne réveille pas complètement le patient, mais qui empêche la progression du sommeil vers les stades profonds. Le patient se rendort, le même phénomène se reproduit : aspiration des muscles, blocage de la respiration et microéveil. Cela se traduit par un sommeil de nuit fragmenté, mal organisé et peu profond.
Le sommeil normal est organisé en 4 à 6 cycles de 60 à 90 minutes, comportant, dans l’ordre, les stades 1 et 2, stades légers du sommeil, puis les stades 3 et 4, stades profonds du sommeil, puis le sommeil de rêve, appelé sommeil paradoxal.
Après le sommeil paradoxal, un nouveau cycle commence avec les stades 1 puis 2, etc. Le SAOS, qui provoque des microéveils, déstructure l’architecture du sommeil, altère sa continuité et réduit l’abondance des stades profonds et du sommeil paradoxal. Dans les cas sévères, il ne reste qu’une succession de stades 1 et 2 et de microéveils, les stades profonds et le sommeil paradoxal ayant totalement disparu.
Ce sommeil, qui n’est pas récupérateur, est même devenu dangereux, car, lors de chaque apnée, survient une hypoxie. Fait aggravant, la fin d’une apnée s’accompagne d’une réponse de stress (sécrétion de catécholamines), qui à son tour provoque des troubles du rythme cardiaque et de la pression artérielle. Au cours du SAOS, les muscles pharyngés sont soumis à la fois à des efforts locaux constants et à un contrôle central perturbé par l’hypoxie et la somnolence.
Leur dynamique et leur structure histologique en sont modifiées. Spontanément, le SAOS, non réversible, ne peut que s’aggraver.
ÉPIDÉMIOLOGIE DU SAOS :
La meilleure étude épidémiologique a été réalisée aux États-Unis, parmi une population saine d’employés de l’État du Wisconsin, âgés de 30 à 60 ans : un SAOS peu sévère (indice d’apnées < 5/heure) était présent chez 1 adulte sur 5 et un SAOS modérément sévère (indice d’apnées > 15/heure) chez 1 adulte sur 15. Cette étude montrait aussi que le diagnostic du SAOS est encore très sous-estimé et que, parmi les patients somnolents, 93 % des femmes et 82 % des hommes n’avaient pas été reconnus.
L’existence d’une anomalie anatomique maxillofaciale congénitale ou acquise, le sexe masculin et l’âge sont des facteurs de risque clairement identifiés de survenue du ronflement et du SAOS. Mais, dans la majorité des études épidémiologiques, l’obésité reste le facteur prédictif le plus sûr.
Certaines conditions favorisent l’apparition d’apnées chez la femme : l’obésité morbide tronculaire, la grossesse et la ménopause. La distribution graisseuse joue un rôle, les obésités tronculaires entraînant plus d’apnées que les obésités gynécoïdes. Ces femmes représentent environ 12 % de la population apnéique totale. Pendant la grossesse, le ronflement s’installe, surtout pendant les trois derniers mois.
La prise de poids, les changements hormonaux, la congestion nasale et l’oedème pharyngé peuvent expliquer ces modifications respiratoires.
Chez la femme enceinte, le ronflement paraît être un risque, indépendant du poids, de l’âge et du tabagisme, de développer une hypertension artérielle et une prééclampsie. Après la ménopause, le sommeil se désorganise, l’insomnie devient très fréquente. Le ronflement et le SAOS sont également plus fréquents et favorisent l’apparition d’hypertension artérielle. L’âge, les modifications hormonales, le gain de poids et l’utilisation de médicaments anxiolytiques, hypnotiques ou antidépresseurs sont autant de facteurs à l’origine des anomalies respiratoires du sommeil chez les femmes ménopausées. Dans ce groupe, la prévalence du SAOS est évaluée à au moins 2,5 %.
Chez l’homme comme chez la femme, le SAOS est parfois secondaire à une hypothyroïdie qui provoque une infiltration des tissus mous de l’oropharynx et une macroglossie. Lors du diagnostic d’un SAOS, il est conseillé de demander un dosage de la TSH. Dans notre population de patients 6 % d’entre eux souffraient d’une hypothyroïdie qui n’avait pas été reconnue. Des études montrent toutefois que la prévalence de l’hypothyroïdie chez la femme apnéique est comparable à celle de femme du même âge non apnéique, c’est-à-dire environ 5,9 %. L’acromégalie est classiquement associée au SAOS, car elle provoque, entre autre, une macroglossie et une modification de la structure oropharyngée. La chirurgie de l’adénome hypophysaire responsable n’améliore pas toujours le SAOS, ce qui suggère que certaines anomalies structurales ou biochimiques dues à l’acromégalie et responsables du SAOS ne sont pas réversibles.
Le SAOS idiopathique est considéré comme une maladie génétique complexe. L’étude de familles de plusieurs pays a montré l’agrégation familiale de l’indice d’apnées-hypopnées et des symptômes cliniques chez les adultes et les enfants.
Aux facteurs génétiques sont associés certains marqueurs phénotypiques déjà cités tels que les anomalies des voies aériennes supérieures, les troubles du contrôle ventilatoire et l’obésité. La composante génétique du SAOS apparaît influencée par l’ethnie. Dans les familles caucasiennes ont été identifiées des liaisons génétiques sur la carte du génome humain commun au SAOS et à l’obésité.
Un continuum physiopathologique entre ronflement et SAOS de sévérité croissante est une hypothèse attrayante : après 10 ans de ronflement, la structure des muscles oropharyngés s’est modifiée, ce qui les rend à la fois plus volumineux et plus faciles à se collaber.
DIAGNOSTIC :
Clinique :
Le diagnostic est évoqué devant deux symptômes majeurs, le ronflement et la somnolence.
La nycturie et les pauses respiratoires nocturnes décrites par le conjoint sont deux signes d’appel sérieux. Les autres symptômes les plus fréquents sont l’obésité androïde, les céphalées matinales et l’HTA nocturne. Le diagnostic doit être également envisagé chez un ronfleur dépressif, chez un céphalalgique chronique, chez un hypertendu incontrôlable, chez un nycturique, et chez un patient porteur d’une polyglobulie d’origine inconnue (Tableau I). Aucun examen clinique ne permet de faire le diagnostic de SAOS. Seules la polygraphie et la polysomnographie peuvent évaluer la respiration d’un dormeur.
Polygraphie ventilatoire :
Cet examen est proposé en première intention à tout patient suspect de souffrir d’un SAOS.
Elle comprend l’enregistrement du ronflement et des paramètres respiratoires (débit aérien, saturation en oxygène, mouvements thoraciques et abdominaux, position et rythme cardiaque).
Elle permet de départager les ronfleurs simples (ronflement sans désaturation en oxygène, moins de 10 apnées ou hypopnées par heures) des apnéiques sévères (plus de 30 apnées par heure qui entraînent une désaturation oxyhémoglobinée cyclique importante). Dans 80 % des cas, cet examen est suffisant pour entreprendre un traitement.
Polysomnographie :
Cet examen, plus complet, qui nécessite en général une hospitalisation, est effectué lorsque l’indice d’apnées enregistré sur la polygraphie est intermédiaire entre 10 et 30 apnées par heure. La polysomnographie comporte les paramètres de la polygraphie ventilatoire et les paramètres du sommeil (électroencéphalographie, électro-oculographie, électromyographie).
Puisqu’elle illustre la qualité du sommeil, elle permet de répondre aux questions suivantes : le patient a-t-il dormi ? Le sommeil était-il normalement organisé ou existait-t-il des éveils répétés ? Une fragmentation par des microéveils ? Une agitation nocturne ? L’indice d’apnées, la désaturation de l’hémoglobine en oxygène et la perturbation de l’architecture du sommeil sont les trois facteurs qui vont permettre de choisir un traitement.
COMPLICATIONS DU SAOS :
Complications neurologiques :
Somnolence :
La somnolence, c’est-à-dire la survenue d’endormissements involontaires et inappropriés est le premier symptôme d’un SAOS chez un ronfleur. Il ne s’agit ni de fatigue ni de manque d’énergie, ces deux plaintes survenant de façon indépendante. Les endormissements dans la journée n’ont aucun caractère irrépressible ou récupérateur. La somnolence est évaluée en questionnant le patient ou, de façon plus formelle mais toujours subjective, en lui faisant remplir des échelles analogiques (Karolinska, Stanford, etc.) ou plus circonstancielles dans lesquelles le pouvoir soporifique de chaque situation intervient directement, comme l’échelle d’Epworth, par exemple. Celle-ci a le mérite de permettre une forme de « pondération » de la somnolence, plus acceptable si l’endormissement survient dans des circonstances passives et monotones (long voyage en transport public, par exemple) que lors d’une situation plus stimulante comme une discussion avec un ami.
Même l’échelle d’Epworth n’est pas infaillible et son utilité dépend beaucoup de l’honnêteté et de la motivation du patient. Il existe des tests plus objectifs, comme ceux de latence multiple d’endormissement et de maintien d’éveil, bien codifiés et valables dans leurs résultats, mais ils sont plus lourds et onéreux. La pupillométrie repose sur l’observation qu‘une vigilance intacte s’accompagne d’une pupille dilatée et stable, tandis qu’une baisse de vigilance entraîne une pupille petite et instable. Elle a été testée en aéronautique et en conduite automobile, mais sa valeur est incertaine pour le dépistage de la somnolence, puisque plusieurs conditions médicales et médicamenteuses modifient aussi le diamètre pupillaire.
Troubles neuropsychologiques :
Troubles de la mémoire, ralentissement psychomoteur, baisse de l’attention sans rapport avec la somnolence apparaissent chez tous les patients non traités. Cette détérioration, de type sous-cortical, est caractérisée par une dysfonction cognitive exécutive de type frontal (ralentissement psychomoteur pour des taches nécessitant une programmation dans le temps et l’espace, une adaptation au changement de consigne et une habileté constructive). Les tests psychométriques montrent une grande dispersion des données et, notamment, l’absence de corrélation linéaire avec l’indice d’apnées, les désaturations oxyhémoglobinées nocturnes et la fragmentation du sommeil.
La personnalité se modifie aussi et les scores des patients sont très élevés pour les items « obsession- compulsion » et « dépression-paranoïa ».
Le trait dépressif est extrêmement fréquent chez la plupart des patients apnéiques. Il ne s’agit pas d’une véritable dépression mais d’un « état dépressif » caractérisé par un manque de motivation, de goût pour la nouveauté et par un désintérêt global. La libido est souvent diminuée.
Il est actuellement impossible de dire avec certitude si les troubles intellectuels et les modifications de la personnalité sont dus à la fragmentation du sommeil ou à l’hypoxémie nocturne. Il semblerait toutefois que la somnolence soit responsable d’un déficit d’attention et de mémoire tandis que l’hypoxémie nocturne rendrait compte du ralentissement des processus exécutifs.
Ces troubles ne disparaissent pas toujours avec le traitement du SAOS.
Céphalées et douleur :
Les céphalées du syndrome d’apnées du sommeil sont fréquentes, mais ne sont caractéristiques ni par leur intensité ni par leur localisation ou leur durée. Les céphalées matinales sont en général holocrâniennes et constrictives. Elles disparaissent vers 11 heures. Elles sont dues aux modifications de la tension artérielle liées aux apnées, à la vasodilatation cérébrale induite par l’hypoxémie, à l’effet direct de l’hypoxémie sur le parenchyme cérébral. Elles sont parfois imputées aux mouvements cervicaux importants qui accompagnent la reprise respiratoire en fin d’apnée.
Les céphalées nocturnes, migraines, algies vasculaires de la face, douleurs constrictives non spécifiques, sont d’autant plus marquées que l’architecture du sommeil est perturbée.
Dans presque 100 % des cas de SAOS important, il existe des céphalées au réveil ou nocturnes, et dans 55 % des cas de céphalées nocturnes un trouble du sommeil peut être illustré par la polysomnographie.
La perturbation du sommeil se manifeste par une augmentation de la quantité de sommeil léger, ce qui favorise la sensation de douleur.
La douleur est elle-même source de déstructuration du sommeil. Il existerait donc des relations réciproques entre la qualité du sommeil et la douleur.
Épilepsie :
L’épilepsie et le SAOS sont rarement associés. Toutefois, chez un épileptique bien contrôlé, la réapparition des crises, un gain de poids et la notion d’un ronflement suggèrent l’éventuelle survenue d’un SAOS. Le sommeil, très fragmenté, induit une privation chronique du sommeil qui favorise les crises.
Troubles hémodynamiques et accidents vasculaires :
Plusieurs études chez des sujets apnéiques sélectionnés rétrospectivement au sein de cohortes prospectives suggèrent fortement que le SAOS est associé à une mortalité excessive, d’origine essentiellement cardiovasculaire. He et al, après analyse de la survie de la population des patients suivis à l’Hôpital Henri Ford (Detroit, USA) entre 1978 et 1986, ont rapporté une mortalité plus élevée chez les patients les plus sévères. La probabilité moyenne de survie à 8 ans était de 96 % lorsque l’indice d’apnées initial était inférieur à 20 par heure et de 63 % lorsque cet indice dépassait 20, la mortalité étant essentiellement liée à des accidents aigus cardiovasculaires.
Aucun des patients traités efficacement par trachéotomie ou par ventilation en pression positive continue (VPPC) n’est décédé pendant cette période.
Hypertension artérielle (HTA) :
Plus de 50 % des patients apnéiques sont hypertendus.
Des études épidémiologiques ont établi une relation « dose-réponse » entre la sévérité d’un SAOS et le risque d’apparition d’une HTA quatre ans plus tard. Cette démonstration a été faite dans la population générale en contrôlant tous les autres facteurs de risque connus. Les facteurs impliqués dans la genèse de cette HTA sont l’hypoxie transitoire et le microéveil qui accompagnent chaque apnée.
Cependant le traitement par VPPC ne provoque pas systématiquement de baisse franche de la tension artérielle et ne permet même pas, dans la grande majorité des cas, de réduire le nombre de médicaments antihypertenseurs.
Arythmie :
L’arythmie survient dans 18 % des cas de SAOS et elle est en règle uniquement nocturne. La stimulation des systèmes sympathique et parasympathique provoque des extrasystoles auriculaires et ventriculaires. L’intervalle QT s’allonge significativement pendant les apnées pour se raccourcir brutalement lors de la reprise ventilatoire.
Ces anomalies de la repolarisation peuvent favoriser la survenue d’arythmie. La mort subite par arythmie est cependant exceptionnelle. La fibrillation auriculaire est très souvent associée à un SAOS : 49 % des patients porteurs d’une fibrillation auriculaire souffrent également d’un SAOS.
La VPPC supprime les arythmies nocturnes chez la plupart des patients.
Insuffisance cardiaque gauche :
La prévalence du SAOS chez les patients qui souffrent d’une insuffisance cardiaque grave est de 31 %. Dans les insuffisances cardiaques congestives, le syndrome d’apnées du sommeil peut être obstructif ou central. Le SAOS de l’insuffisant cardiaque n’offre pas de particularités clinique et polysomnographique. Le syndrome d’apnées centrales constitue de 30 à 50 % des syndromes d’apnées de l’insuffisant cardiaque et prend souvent l’aspect très particulier de ventilation périodique de Cheyne-Stokes. La stimulation sympathique exacerbée provoque une augmentation de la postcharge du ventricule gauche et l’accélération de la fréquence cardiaque, ce qui provoque une augmentation de la consommation d’oxygène du myocarde. Ce besoin accru en oxygène survient lorsque celui-ci est le moins disponible en raison de l’hypoxémie induite par les apnées.
Le traitement par VPPC améliore la fonction cardiaque gauche en supprimant les apnées et l’hypoxie nocturne, tant pour les syndromes d’apnées obstructives que centrales, au prix d’une baisse du retour veineux et du débit cardiaque.
Il en résulterait toutefois une amélioration globale de la tolérance à l’effort.
Insuffisance coronarienne :
Une association significative entre ischémie myocardique et SAOS a été démontrée notamment par l’étude de jumeaux. Il existe également une association significative entre angor et SAOS.
Accident vasculaire cérébral :
Les accidents vasculaires cérébraux constituent une complication plus rare que les précédentes et dont la fréquence est difficile à estimer (environ 7 % des patients apnéiques risquent de faire un accident vasculaire cérébral). Que les études soient prospectives ou rétrospectives, la part revenant au SAOS dans la survenue d’accidents vasculaires cérébraux est toujours biaisée et contestable. En effet, les patients souffrant d’un SAOS ont déjà de nombreux facteurs de risque de faire un accident cérébrovasculaire (hypertension, diabète, obésité, tabagisme, hyperlipémie).
Certaines études l’évaluent comme facteur de risque indépendant aux alentours de 2,3. À l’inverse, 70 % des patients porteurs d’un infarctus cérébral souffrent d’un SAOS, et 30 % ont un indice d’apnées de plus de 40 par heure. Quelques cas d’accidents ischémiques transitoires guéris par la ventilation à pression positive continue rendent encore plus probable le lien entre infarctus cérébral et SAOS. Les IRM cérébrales et les dopplers cervicaux ne mettent cependant pas en évidence plus de lésions que dans une population du même âge non apnéique.
Les perturbations semblent de nature hémodynamique sur un endothélium modifié et sont surtout localisées au niveau sous-cortical.
Enfin de nuit, surtout pendant le sommeil paradoxal, alors que le métabolisme cérébral est augmenté, l’hypoxémie est maximale, les apnées sont très longues, la vasodilatation est maximale, le cerveau reçoit donc un sang désaturé sous basse pression. Une thrombose et/ou un bas débit provoquent un infarctus cérébral. Le patient se réveille hémiplégique.
Perturbations du système génito-urinaire :
La pollakiurie nocturne est un symptôme fortement suggestif de SAOS chez des patients qui ne souffrent pas de troubles prostatiques. La sécrétion inappropriée du peptide auriculaire natriurétique, lié à un phénomène mécanique bien identifié, la dilatation auriculaire droite pendant les apnées, paraît en être responsable tout comme elle l’est des oedèmes du visage et des membres inférieurs fréquents chez les apnéiques sévères. Le traitement par VPPC fait disparaître immédiatement ces symptômes. L’énurésie est un symptôme très rare lors du SAOS.
En revanche, 20 % des patients qui souffrent d’un SAOS se plaignent d’impuissance et 50 % des hommes qui consultent pour une impuissance organique souffrent d’un SAOS. C’est dire que l’association entre les deux maladies est majeure. Lorsque le sommeil est très perturbé, les hormones hypophysaires ne suivent plus les schémas de production habituels. Il existe une diminution sélective de la testostérone et de la protéine liée aux hormones sexuelles (SHBG).
Trois mois après le traitement par la ventilation en pression positive continue, il se produit une augmentation de la testostérone et de la SHBG. Dans le syndrome d’apnées du sommeil, la production hormonale d’origine hypophysaire est probablement affectée par l’hypoxie nocturne.
Un autre facteur susceptible d’expliquer la baisse de certaines hormones est l’obésité extrême dont souffrent certains patients et qui entraîne également une baisse des taux de testostérone et de SHBG. Le lien qui unie les deux maladies est cependant plus complexe que le seul déséquilibre hormonal : le patient apnéique est hypertendu, hypercholestérolémie, diabétique, cardiaque. L’artérite de l’artère dorsale de la verge ou une neuropathie diabétique peuvent être la cause de l’impuissance.
Finalement, fatigue, somnolence chronique et état dépressif contribuent à entretenir l’impuissance qui ne disparaît pas toujours après le traitement par la VPPC.
Système endocrinien :
Le manque de sommeil modifie de nombreux cycles hormonaux liés au rythme veille-sommeil.
La prolactine, responsable de la libido et de la fécondité, la TSH, le système rénine angiotensine aldostérone, l’hormone de croissance, les hormones sexuelles, et beaucoup d’autres, ont altérés, à un degré très variable, par un SAOS, ce qui aboutit à des réponses inappropriées.
Fatigue chronique, bouffées de chaleur, pollakiurie et polyurie nocturne sont habituelles.
Les modifications des taux de l’hormone de croissance sont probablement responsables, au moins en partie, de la difficulté à maigrir de ces patients. Chez les patients diabétiques non insulinodépendants, la prévalence du SOAS est d’environ 18 % et l’hyperinsulinisme est exacerbé indépendamment de la masse corporelle.
La leptine produite par les adipocytes contrôle l’appétit, les dépenses énergétiques et agit comme un signal régulateur de la masse grasse par une action sur les récepteurs des noyaux hypothalamiques.
La leptine agit sur les cellules endothéliales et les cellules musculaires lisses des vaisseaux et provoque une altération de la distensibilité artérielle. Lors du SAOS, il existe une étroite corrélation entre la leptinémie et l’indice d’apnées-hypopnées.
L’hyperleptinémie diminue lors de la mise en marche de la VPPC.
Système digestif :
Les patients se plaignent de régurgitation acide nocturne. Les efforts thoracoabdominaux exercés pour garder les voies aériennes ouvertes provoquent une hernie hiatale fonctionnelle.
L’estomac est aspiré dans la cavité thoracique.
D’autre part, l’hypoxémie nocturne altère la muqueuse gastrique ce qui entraîne une hypersécrétion d’acide chlorhydrique.
Les régurgitations acides disparaissent dès la première nuit de traitement par la VPPC.
Complications oculaires :
Une neuropathie optique d’origine ischémique, manifestée par un défi cit du champ visuel nasal et dans certains cas du champ visuel paracentral, a été observée chez certains patients apnéiques. Le rapport entre les drüses et le SAOS demeure mystérieux.
Certains patients porteurs de drüses du nerf optique (corps hyalins de la membrane de Bruch de la rétine) et souffrant d’un SAOS sévère ont vu leur champ visuel considérablement amélioré par la VPPC.
Sur 114 patients évalués pour un SAOS, 3 avaient un glaucome primaire à angle ouvert et 2 un glaucome à pression normale. Ce pourcentage de patients atteints de glaucome (7,2 %) est nettement supérieur à celui de la population générale (2 %), ce qui pourrait faire du SAOS un facteur de risque majeur de développer un glaucome.
Selon les auteurs, le SAOS modifie la vascularisation de la papille en altérant son autorégulation ou en réduisant son oxygénation. Le floppy eyelid syndrome doit faire évoquer un SAOS. Il s’observe habituellement chez les hommes d’âge moyen et associe une conjonctivite papillaire chronique uni- ou bilatérale à une hyperlaxité de la paupière supérieure, qui est facilement éversée. Pendant le sommeil, l’éversion de la paupière supérieure est constante.
Complications ORL :
Plusieurs études concernent les audiogrammes et les potentiels évoqués auditifs (PEA) des patients apnéiques. Les résultats sont disparates.
Certains notent des « trous auditifs » sur l’audiogramme à la fréquence du ronfl ement. D’autres mettent en évidence des atteintes endocochléaires.
Pour certains, des signes orientent vers une atteinte du tronc cérébral supérieur.
Modifications sanguines :
L’augmentation du tonus sympathique provoque celle de l’activation plaquettaire. Il existe également une augmentation des taux de fibrinogène circulant, de l’hématocrite, de la viscosité sanguine et une réduction de la fibrinolyse.
Toutes ces modifications sont réversibles sous VPPC.
Chez les apnéiques, il existe une perturbation du système immunitaire, secondaire à la fragmentation du sommeil, au manque de sommeil profond, à l’hyperactivité du système nerveux autonome et à l’hypoxie nocturne. Les taux de la protéine C-réactive, de l’interleukine 6, des lymphocytes CD4+ et le rapport CD4+/CD8+ sont augmentés.
Une seule nuit de traitement par VPPC normalise tous ces paramètres.
Divers :
Chez la personne âgée, le SAOS peut se manifester par une insomnie. Les apnées sont obstructives et/ou centrales, elles fragmentent le sommeil et provoquent des éveils de longue durée.
Le diagnostic de SAOS ne s’impose pas d’emblée, car il n’existe pas de somnolence diurne dans cette catégorie de population, mais plutôt une fatigue importante et un état dépressif. Les vertiges du matin au réveil constituent un autre symptôme relativement fréquent. Ces vertiges sont attribués aux nombreux mouvements cervicaux qu’effectuent les apnéiques lorsqu’ils reprennent leur souffle. Des cervicobrachialgies, plus rares, ont probablement la même origine.
De nombreux patients se plaignent d’acouphènes.
Dans quelques cas, ces acouphènes ont disparu sous VPPC, ce qui suggère qu’ils dépendent du SAOS ou des perturbations vasculaires associées.
Quelques patients dépourvus de maladie cardiaque ou respiratoire, nous ont dit respirer beaucoup mieux, pendant la journée, depuis qu’ils étaient sous VPPC. Le SAOS provoquait chez eux une sorte de « difficulté à respirer profondément » pendant la journée.
TRAITEMENT :
Règles hygiénodiététiques :
La suppression de l’alcool et des hypnotiques au moins deux heures avant le coucher doit être systématiquement recommandée. L’excès pondéral est pris en charge, si possible. Dans la grande majorité des cas, ces mesures sont insuffisantes et doivent être associées à un traitement plus ciblé.
Traitement positionnel :
Lorsque la polysomnographie a montré un facteur positionnel net, le plus souvent une prédominance des apnées et des hypopnées en décubitus dorsal, un traitement positionnel peut être proposé (balles de tennis insérées dans plusieurs poches cousues dans la veste de pyjama, par exemple). L’efficacité de ce traitement doit être confirmée par une nouvelle polysomnographie.
Ventilation en pression positive continue par voie nasale (VPPC) :
Introduite en 1981 par C. Sullivan, la VPPC est aujourd’hui le traitement de référence du SAOS.
Son efficacité constante, son innocuité, la simplicité de son mode d’emploi expliquent son succès. Le niveau de pression positive continue doit être déterminé au cours d’une polysomnographie, car la VPPC doit être efficace dans tous les stades du sommeil, y compris en sommeil paradoxal, et dans toutes les positions, y compris en décubitus dorsal. Un seuil de 30 apnées et hypopnées par heure a été adopté pour que la prise en charge du traitement par l’Assurance maladie soit acceptée. Cette limite arbitraire donne lieu à discussion, certains patients étant objectivement somnolents avec un indice d’apnées moindre. La prise en compte de l’indice des microéveils (le nombre de microéveils par heure) intervient donc aussi dans l’appréciation de la sévérité de la maladie. Aujourd’hui, plus de 20 000 patients sont traités en France et le rythme de prescription est d’environ 5 000 par an.
Malgré son caractère contraignant, l’extrême efficacité de ce traitement favorise une remarquable compliance (plus de 5 heures par nuit chez plus de 70 % des patients). La somnolence diurne excessive s’amende en une quinzaine de jours. Le nombre d’accidents de la circulation et de la vie domestique est réduit significativement.
Si les complications importantes sont rarissimes, rapportées dans la littérature au cas par cas (pneumoencéphalie, hypertension intracrânienne, etc.), les effets secondaires ne sont cependant pas rares. Outre la claustrophobie ressentie par certains patients et les irritations cutanées dues à la pression par le masque, une sécheresse des muqueuses, une épistaxis, une rhinite surviennent chez presque un patient sur deux. Ils sont liés à l’air sec issu du générateur de débit et aux fuites buccales associées.
L’addition d’un humidificateur chauffant au circuit permet dans la majorité des cas de compenser ces inconforts.
Environ 8 % des patients restent somnolents sous VPPC et il faut rechercher d’autres causes à la somnolence. Il reste pourtant environ 2 % des cas où aucune explication n’est trouvée : il s’agit d’une somnolence résiduelle sous VPPC qui peut être traitée par des stimulants de la vigilance.
Toutefois, même si le traitement est efficace, une fois débarrassés de leur somnolence, 50 % des patients préfèrent l’arrêter. Il faut alors leur proposer un autre traitement.
Orthèse d’avancée mandibulaire :
Ce traitement est indiqué en cas d’échec ou de refus de la VPPC. Son principe consiste à agrandir la voie aérienne oropharyngée et rétro basilinguale en propulsant la mandibule, le voile du palais et la langue. Il s’agit d’une prothèse amovible, de port nocturne. Seules les prothèses réalisées individuellement par des chirurgiensdentistes ou des stomatologistes sont efficaces.
Schématiquement, il existe deux types de prothèses : les orthèses bi bloc de propulsion mandibulaire et les orthèses monobloc éventuellement associées à un piégeur de langue.
La titration de la prothèse pour juger de son efficacité s’effectue dans un premier temps sur la disparition des symptômes cliniques en particulier du ronflement, puis dans un deuxième temps avec une polygraphie ventilatoire de dépistage.
Plusieurs réglages de la prothèse sont souvent nécessaires avant d’observer une efficacité maximum. Les indications sont réservées surtout au SAOS modéré et moyen. Les orthèses peuvent cependant se révéler efficaces pour les SAOS sévères sauf en cas d’obésité majeure.
Les contre-indications sont liées à des problèmes locaux tels qu’une édentation importante ou un problème de parodonte, ainsi qu’une mauvaise hygiène buco-dentaire. Le choix de la prothèse s’effectue en fonction des analyses céphalométriques permettant de bien cerner la position des maxillaires par rapport à la base du crâne. L’efficacité de ce traitement est de l’ordre de 80 % mais sa compliance à plus d’un an est inférieur à 50 %.
Traitement chirurgical :
Les patients jeunes en échec de VPPC et d’orthèse dentaire sont les meilleurs candidats à la chirurgie. Le principe du traitement chirurgical vise à corriger les anomalies anatomiques retrouvées dans le SAOS, de manière à restaurer une meilleure perméabilité de la voie aérienne supérieure.
Le site de l’obstruction peut être unique ou multiple, qu’il s’agisse d’une hypertrophie vélo amygdalienne, d’une macroglossie ou d’une rétro position mandibulaire et/ou maxillaire.
La détermination du site obstructif fait appel à de nombreuses méthodes, sans qu’aucune ne soit parfaitement fiable. Fibroscopie et imagerie par téléradiographie de profil pour analyse céphalométrique sont les plus fréquemment réalisées.
Plusieurs techniques chirurgicales sont possibles : l’uvulo palato pharyngoplastie avec amygdalectomie est réservée au patient présentant une hypertrophie vélo amygdalienne majeure.
L’ANAES a recommandé en 1999 de ne réserver cette intervention qu’aux patients présentant un syndrome d’apnées du sommeil modéré (Index Apnée-Hypopnée/Heure : IAH/H < 30) sans rétrusion maxillo-mandibulaire majeure sur l’analyse céphalométrique.
La chirurgie du voile du palais peut être réalisée en ambulatoire par laser ou radiofréquence mais reste toujours réservée au syndrome d’apnées du sommeil modéré.
Les interventions visant à antérioriser les insertions de la langue par transposition de l’apophyse géni, suspension hyoïdienne, donnent des résultats inconstants. La chirurgie d’avancée maxillo-mandibulaire constitue un geste lourd mais couronné d’un taux de succès très important et durable dans le temps.
Enfin, la chirurgie de réduction linguale peut également être utile pour certains patients présentant une macroglossie sans rétrusion maxillo-mandibulaire.
Les chirurgies bimaxillaires ou linguales sont réservées au syndrome d’apnées du sommeil sévère en échec de VPPC ou d’orthèse dentaire. Les contre-indications sont liées à l’âge et à l’état général.
À coté de ces chirurgies, d’autres gestes peuvent être associés :
– la chirurgie nasale vise à reperméabiliser la voie aérienne nasorhinopharyngée par septoplastie ou turbinectomie associée. Elle est souvent associée à d’autres chirurgies mais peut être pratiquée de manière isolée avant de réintroduire la VPPC ou une orthèse dentaire ;
– la chirurgie de l’obésité (anneau gastrique ou dérivation) peut être un traitement efficace du SAOS à travers le traitement de l’obésité.
Traitements en cours d’évaluation :
De nombreuses recherches chirurgicales sont envisagées pour le traitement du syndrome d’apnées du sommeil :
– les stimulations linguales par stimulation transcutanée ou simulateur implanté sur le nerf hypoglosse, vise à réaliser une protraction linguale au moment de l’apnée ;
– la distraction mandibulaire. Après avoir réalisé des sections simples, corticales osseuses du maxillaire ou de la mandibule, un dispositif est mis en place, permettant une avancée progressive des maxillaires jusqu’à correction des anomalies respiratoires obstructives ;
– la radiofréquence est un traitement peu invasif, instrumental et non chirurgical, entrainant un effet de réduction volumétrique. La radiofréquence peut être réalisée au niveau nasal, vélo amygdalien, basilingual, en site unique ou en traitement multisites. Les résultats sont encore en cours d’évaluation, en particulier pour le syndrome d’apnées du sommeil sévère.
CONCLUSION :
Le SAOS est une maladie fréquente, qui concerne 4 à 6 % des adultes entre 30 et 60 ans. Les deux signes cliniques essentiels sont le ronflement nocturne et la somnolence diurne ou un de ses équivalents tels que la sensation de sommeil non récupérateur ou l’asthénie matinale.
Ce syndrome est responsable d’HTA et constitue un facteur de risque indépendant et important de maladie cardiovasculaire. Spontanément, le SAOS ne fait que s’aggraver.
Toutes les facettes du SAOS, maladie hautement multidisciplinaire, font l’objet de développements spectaculaires et suscitent une activité de recherche importante, car persiste une part considérable d’inconnues cliniques et épidémiologiques dans cette maladie.