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Adolescents et tabac

Adolescents et tabac
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Introduction :

Le tabagisme est dans les pays industrialisés la première cause de mortalité évitable. En France, elle est cause de 66 000 décès prématurés par an et les prévisions tablent sur 135 à 165 000 morts d’ici à 2020. Les efforts pour réduire ces chiffres réalisés ces dernières années en France ont été importants : informations et campagnes de sensibilisations, loi Evin, modification de la législation, augmentation des prix, interdiction de la vente aux moins de 16 ans, professionnalisation de l’aide à l’arrêt du tabagisme, moyens financiers pour le développement des structures de prises en charge depuis la circulaire d’avril 2000. L’ensemble de ces mesures a eu un effet indéniable sur le tabagisme des Français qui s’est réduit et n’est plus aujourd’hui considéré comme une simple habitude. Et pourtant chaque jour de nouveaux adolescents expérimentent le tabac. Pourquoi est-ce à l’adolescence que l’on commence à fumer, l’adolescence qui « est probablement l’une des périodes les plus difficiles à vivre » : selon Philippe Jeammet ? Comment réduire cette initiation ? Comment aider ceux qui sont déjà « accros » à s’arrêter le plus rapidement possible ?

Épidémiologie :

De nombreuses enquêtes européennes et françaises permettent aujourd’hui de suivre l’évolution du tabagisme des jeunes et aident à la compréhension des déterminismes du tabagisme au travers des spécificités nationales : l’enquête HBSC (Health Behaviour in School-aged Children study) concernant les élèves de 11, 13 et 15 ans de 2002 à laquelle 30 pays européens ont participé ; l’enquête Espad (European School Survey on Alcohol and Other Drugs) de 2003 portant sur un échantillon de 102 946 jeunes de 16 ans ; l’enquête Escapad (Enquête sur la santé et les consommations lors de l’appel de préparation à la Défense) de 2005 incluant les jeunes de 17 ans participant à la journée d’appel de préparation à la Défense (JAPD) ; le baromètre santé 2005 de l’Institut national de prévention et d’éducation à la santé (INPES).

En moyenne, 15 % des jeunes Européens ont déjà fumé à 11 ans, pour atteindre 62 % à 15 ans et 67 % à 16 ans. Les Français sont au 20e rang européen avec 12 % à 11 ans, 62 % à 15 ans et 68 % à 16 ans (17ème rang européen pour cet âge) : d’après Choquet, si à 11 ans les filles sont moins nombreuses à avoir déjà fumé que les garçons (respectivement 9,7 % versus 14,4 %), le rapport s’inverse entre 13 et 15 ans. À 16 ans 71 % des filles ont fumé au moins une fois dans leur vie contre 66 % des garçons. Cette tendance féminine à cet âge n’est pas confirmée dans le baromètre santé 2005 de l’INPES. À 17 ans en 2005 7 jeunes sur 10 déclarent avoir déjà fumé au moins une cigarette au cours de leur vie (74 % des filles et 71 % des garçons).

Tabagisme quotidien :

À 11 ans, en moyenne 0,6 % des jeunes déclarent avoir fumé quotidiennement au moins une cigarette par jour depuis les 30 derniers jours. Ils sont 3 % à 13 ans, 8 % à 15 ans et 24 % à 16 ans. Là encore, si les garçons sont plus nombreux à fumer régulièrement à 11 ans, la tendance s’inverse (entre 15 et 16 ans) ; il y a plus de fumeuses régulières (24 %) que de fumeurs réguliers (21 %) à 16 ans.

Âge de la première cigarette :

Dans l’enquête européenne HBSC en 2002, les jeunes de 15 ans déclarent avoir fumé leur première cigarette à l’âge de 12 ans et 3 mois (avec un écart type de 6,5 mois). En moyenne, les garçons ont fumé leur première cigarette 4 mois avant les filles. Les jeunes de 17 ans interrogés lors de la journée d’appel de préparation à la défense (enquête Escapad 2005) situent leur première cigarette au milieu de la treizième année (13,3 ans chez les garçons et 13,5 ans chez les filles). Ces chiffres confirment le rajeunissement du premier essai déjà décrit dans le baromètre santé 2000 ; début à 16,5 ans pour les hommes nés entre 1924 et 1934 versus 15,6 ans pour ceux nés entre 1965 et 1973 ; 18,6 ans et 15,8 ans pour les femmes nées les mêmes années !

Décroissance du tabagisme des jeunes en France :

L’enquête Espad 2003 a montré une réduction de 20 % de la proportion de fumeurs quotidiens en 4 ans (2000-2003), et ce quel que soit le sexe. Alors que la France était en tête des pays européens quant au nombre d’usagers de tabac à 16 ans, en 1999, elle est passée en 2003 dans le groupe de pays se situant dans la moyenne. L’enquête Escapad 2005 confirme une baisse de la proportion de fumeurs quotidiens et de fumeurs de plus de 10 cigarettes par jour. Cette décroissance est confirmée dans le baromètre Santé 2005, chez les jeunes Français de 12 à 15 ans de 14,4 % en 2000 à 8,6 % en 2005.

Idem pour les 16-19 ans qui passent de 43,9 % à 34,2 %.

La baisse de la consommation notée dans les études des années 2000-2003 se confirme dans l’étude Escapad de 2005. En effet, le nombre de fumeurs de 17 ans déclarant fumer plus de 10 cigarettes par jour se réduit de 12 à 10 %. Cette baisse peut être relativisée quand on sait que nombre d’entre eux inhalent autant de produits nocifs sur un nombre réduit de cigarettes ou encore passent au tabac à rouler. En revanche, signe certainement encourageant, la proportion d’expérimentateurs qui déclarent ne pas être devenus fumeurs a augmenté, passant de 26 % en 2003 à 28 % en 2005. Le nombre de cigarettes fumées augmente toujours avec l’âge, signe du développement des dépendances au tabac.

Autres utilisations de tabac :

Si la cigarette reste le mode de consommation le plus utilisé par les jeunes, d’autres modes de consommations encore peu employés en France, ont tendance à se développer. Depuis plusieurs années déjà, la consommation du tabac à rouler augmente, en particulier chez les adolescents. Depuis la hausse les prix des cigarettes en 2003 et 2004, 20 % des jeunes de 17 ans interrogés en 2005 ont déclaré s’être tournés vers le tabac à rouler. Les autres modes de consommations qui se développent sont les bidis (petites cigarettes de tabac fabriquées en Inde et considérées par les jeunes comme « naturelles » qui produisent trois fois plus de monoxyde de carbone (CO) et de nicotine et cinq fois plus de goudrons que des cigarettes industrielles), le narghilé dont l’usage social est en pleine progression et le tabac sans fumée (snus) venu des pays nordiques où il concurrence la cigarette.

Tabac et autres addictions à l’adolescence :

La consommation de tabac à l’adolescence ne peut être étudiée sans prendre en compte l’usage des autres produits.

L’étude Espad 2003 montre le développement conjoint des autres addictions, en particulier alcool et cannabis. En France, la consommation de cannabis se fait principalement sous forme de joint, résine de cannabis associée à du tabac à rouler. Il s’agit donc systématiquement d’une polyconsommation.

Choquet, à partir de l’enquête nationale de 1993 des études Espad 1999 et 2003, a conclu que le risque de consommation de cannabis augmentait si l’adolescent fumait du tabac (odds ratio [OR] (ajusté sexe, âge et niveau culturel parents) : consommation occasionnelle tabac OR = 10,9) surtout si cette consommation était quotidienne (OR = 43,5).

Facteurs d’initiations au tabagisme :

Plus le début du tabagisme est précoce et plus le nombre de cigarettes fumées par jour à l’adolescence puis à l’âge adulte est élevé, plus grand sera le risque de développer une maladie liée au tabac. La précocité de l’initiation du tabagisme est donc un souci majeur de santé publique.

Le tabagisme est un comportement renforcé par une dépendance physique dont la nicotine est la principale responsable . Certains auteurs s’accordent pour penser que le cerveau « addict » ne fonctionne pas selon la norme avec altération des mécanismes cérébraux, du plaisir, de la souffrance et de la gestion des émotions. Les altérations neurobiologiques se situent principalement dans le système dopaminergique mésocortico-limbique encore appelé « système de récompense et de punition ». Ce système est formaté dès l’enfance en fonction des expériences précoces de plaisir et de déplaisir corporels puis émotionnels liés à la qualité du maternage et au développement des liens d’attachement.

La prise de la première cigarette est la résultante de l’interaction entre trois facteurs :

• des facteurs de risques liés au produit ;

• des facteurs individuels de vulnérabilités ;

• des facteurs de risques environnementaux.

Facteurs de risques liés au produit :

Bien que la norme sociale évolue régulièrement, le tabac reste encore socialement accepté. Les premières cigarettes sont souvent fumées par comportement d’imitation résultant de modèles qui peuvent être réels, symboliques ou imaginaires.

De la force attractive de ces modèles mais aussi des réactions de l’individu vis-à-vis de la cigarette dépendra la poursuite ou l’arrêt du tabagisme. Pomerleau a émis l’hypothèse que du degré de sensibilisation et du développement de la tolérance à la nicotine découle une évolution vers un comportement de fumeur à forte consommation si les effets de récompense sont importants et s’il existe une tolérance forte aux effets aversifs des premières cigarettes. À l’inverse, si la tolérance reste faible, ces effets aversifs seront très présents, l’adolescent ne tirera pas d’effets positifs de cette première expérience et restera non-fumeur.

Le développement du tabagisme d’abord irrégulier vers un tabagisme quotidien se fera en fonction de l’importance de ces ressentis (à la fois psychologiques et physiques) mais aussi, semble-t-il des possibilités génétiques de développement d’une dépendance physique à la nicotine (et sans doute à d’autres produits contenus dans la fumée de tabac). Des études récentes confortent la notion d’une prédisposition génétique de la dépendance : faculté de la tolérance à la nicotine, polymorphisme génétique du cytochrome P450 de type 2A6 (CYP2A6) qui inactive les propriétés de la nicotine en la transformant en cotinine.

Facteurs individuels de vulnérabilité :

Tempérament :

Il semble que certains traits de tempérament soient particulièrement liés à la prise de substances addictives. On peut retrouver un niveau élevé de recherche de sensations (modèle de Zuckerman), de recherche de nouveauté (modèle de Cloninger) et un faible évitement du danger. La recherche de sensation serait le moteur essentiel des comportements à risque chez l’adolescent, dont le tabagisme. D’après Pélissolo, concernant la nicotine, les résultats des recherches sont plus hétérogènes, montrant globalement la relation entre le score de recherche de nouveauté et le risque d’initier la consommation, alors que le score d’évitement du danger serait corrélé au niveau de dépendance et à la difficulté à arrêter de fumer.

Comorbidité psychiatrique :

L’association de troubles psychopathologiques aux conduites addictives, notamment chez l’enfant et l’adolescent utilisateur de drogues, y compris du tabac, a été soulignée dans de nombreuses études.

Anxiété :

La dimension de neuroticisme (ou névrosisme) apparaît de plus en plus corrélée avec le début du tabagisme ainsi qu’avec le tabagisme régulier. Il s’agit d’une dimension de personnalité désignant une vulnérabilité générale à vivre les affects négatifs, l’anxiété. La dimension dépressive au sein du neuroticisme semble jouer ici le rôle le plus important. De plus, plusieurs études génétiques ont montré le lien entre neuroticisme et dépression.

Un nombre important de travaux montrent que la diminution de l’anxiété en fumant est une des motivations majeures des fumeurs pour expliquer leur tabagisme. C’est aussi une des motivations évoquées par les plus jeunes pour commencer à fumer ! Cependant, des travaux récents montreraient que la nicotine possède des pouvoirs anxiogènes et peut induire des difficultés respiratoires favorisant l’émergence d’anxiété. De plus, le DSM IV (Diagnostic and Statistical Manual) relève également l’anxiété comme l’une des sensations de manque de nicotine. Parmi les troubles anxieux, Sonntag suggère dans une étude prospective portant sur plus de 3000 adolescents que la phobie sociale serait en lien avec le développement de la consommation de tabac et de la dépendance à la nicotine chez l’adolescent.

Dépression :

Les liens entre dépression et tabagisme ont été largement décrits. Mais ils restent complexes : facteurs favorisants, conséquences, simples co-occurrences. La dépression précéderait le tabagisme. Pour Patton, dans une population de 2032 adolescents de 14-15 ans, il existe un lien entre dépression et initiation au tabagisme. Breslau a quant à lui trouvé dans une étude portant sur 4414 personnes de 15 à 54 ans que la préexistence au tabagisme de désordres psychologiques, dont la dépression majeure, augmentait le risque de devenir fumeur régulier et fumeur dépendant. Dans la même étude, Breslau conclut que l’existence de ces antécédents psychiatriques n’influence pas l’arrêt. Ce risque augmenté de devenir dépendant au tabac en présence de symptômes dépressifs est confirmé dans une étude de suivi pendant 2 ans et demi de 113 adolescents par Karp sur les facteurs de risques de dépendance chez les adolescents fumeurs. Le tabagisme mène à la dépression. C’est ce que suggère Steuber, dans une étude de 2006, montrant que, dans une population de 14 634 adolescents dont le statut tabagique a été suivi pendant 2 ans, la prévalence de la dépression augmente après l’initiation au tabagisme. Plusieurs études ont démontré le lien entre dépression, sérotonine et usage du tabac. Audrain-McGovern et son équipe suggèrent une association entre le récepteur de la dopamine DRD2 (allèle A1) et la progression du tabagisme chez les adolescents, association potentialisée par les symptômes de la dépression. Au total, l’hypothèse actuelle la plus probable reste celle de facteurs de risques communs qui prédisposeraient à la fois au tabagisme et à la dépression et qui seraient d’ordre génétique et/ou psychologiques et environnementaux.

De nombreuses questions restent donc posées sur les liens entre dépression et tabagisme, nécessitant une lecture approfondie de la littérature et certainement de nouvelles études. Ce d’autant que Dierker, dans une recherche de liens génétiques avec le tabagisme, ne trouve pas de lien entre tabagisme et dépression (OR 1,1) mais en trouve entre tabac et dysthymie (OR 7,6). Il n’en reste pas moins que plusieurs études ont relevé le rapport qui existe entre tabagisme et tentative de suicide. Dans une enquête de la DRASS de Bretagne, l’odds-ratio d’être fumeur quand l’individu a fait une tentative de suicide est de 2,8. Binder a fait du tabagisme un facteur prédictif de la tentative de suicide chez les adolescents à rechercher systématiquement par les médecins généralistes.

Autres troubles :

Des liens ont été retrouvés entre d’autres troubles et le tabagisme. C’est le cas du trouble d’hyperactivité avec défaut de l’attention (TDHA) dans, entre autres, une étude de suivi de 15 197 adolescents entre 1995 et 2002. L’existence de symptômes du TDHA augmente la probabilité de devenir fumeur régulier. Bailly postule quant à lui que chez certains sujets, un trouble d’anxiété de séparation de l’enfance se poursuit et s’enrichit à l’adolescence d’autres troubles anxiophobiques conduisant secondairement aux troubles addictifs.

Enfin, d’après Guilbaud et al. (étude portant sur 767 personnes), les sujets dépendants au tabac ne sont pas plus alexithymiques (étymologiquement incapacité à exprimer ses émotions avec des mots) que les sujets non dépendants ; en revanche, ils retrouvent dans cette étude chez les hommes dépendants une élévation de la composante cognitive de la dimension alexithymique.

Dans une thèse de psychologie, la prévalence de sujets fumeurs alexithymiques est inférieure à celle retrouvée dans d’autres addictions et conduites addictives mais supérieure à celle généralement retrouvée dans la population générale.

Troubles de la personnalité :

Les éléments psychopathologiques sous-jacents liés à un trouble de la personnalité (antisociale, limite, abandonnique) facilitent l’accès à l’abus nocif de substances psychoactives.

La personnalité antisociale (selon les critères du DSM IV) serait associée à la consommation de tabac, alcool et cannabis. Cette même personnalité antisociale rendrait plus difficile l’arrêt du tabagisme avant 25 ans.

Facteurs liés à l’environnement :

Les facteurs socioculturels interviennent dans l’initiation et la régulation de la consommation de tabac comme des autres produits. Il existe plusieurs types de facteurs environnementaux.

Facteurs culturels et sociaux :

L’exposition au tabac dans une société ou une microsociété donnée : facteur d’entraînement que l’on peut retrouver par exemple dans certaines classes d’un lycée et pas dans d’autres ou dans certains sports (collectifs plus que sports individuels) . L’action de la publicité pour les produits du tabac est également à prendre en compte. Il est prouvé que les jeunes exposés à ces publicités sont plus fumeurs que ceux qui ne les ont pas vues.

Facteurs familiaux :

Consommation de tabac : habitude tabagique de la famille, tabagisme de la mère (y compris tabagisme maternel pendant la grossesse), des frères et soeurs mais pas celui du père, l’absence d’interdit de consommation familial et/ou religieux, explications données sur l’attitude parentale ou non…. De même, l’arrêt du tabagisme des parents semble avoir une influence sur le tabagisme des enfants si cet arrêt se fait avant l’âge de 10 ans.

Fonctionnement familial : conflits, événements vitaux ont un rôle important également dans la consommation de produits psychoactifs. L’abus sexuel dans l’enfance est un facteur de risque tabagique très important.

Rôle des pairs :

Les pairs ont un rôle majeur dans l’initiation de la consommation de tabac. Les adolescents interrogés par Choquet dans une enquête sur leurs comportements et attentes déclarent à 82 % fumer plus que d’habitude quand ils sont avec des copains. Le risque est particulièrement augmenté si le meilleur ami (la meilleure amie) fume.

Revue critique de la littérature :

Elle a été réalisée en 1998 par Tyas et Pederson concernant les facteurs psychosociaux liés au tabagisme des adolescents.

Les auteurs recommandaient que de nouvelles études soient menées utilisant des définitions communes des variables et que des analyses multivariables soient réalisées afin de vérifier les différentes hypothèses.

Facteurs génétiques :

Ils semblent également jouer un rôle important dans le tabagisme. Stallings et al. concluent dans une étude portant sur des jumeaux monozygotes que l’initiation au tabac (comme à l’alcool) est plutôt influencée par des facteurs environnementaux alors que le passage de l’initiation à une consommation régulière dépendrait davantage de facteurs génétiques.

Développement du tabagisme :

Après la phase d’initiation, le tabagisme va se développer progressivement. Plusieurs facteurs jouent un rôle dans ce développement. Contrairement à l’alcool et au cannabis, les jeunes fumeurs ne recherchent pas dans la cigarette l’ivresse.

L’usage du tabac est plus social, 82 % des adolescents disent fumer plus que d’habitude quand ils sont avec des copains, 31 % quand ils assistent à une fête de famille (plus les garçons (36 %) que les filles (26 %)). Les adolescents y recherchent également une aide. La contrariété, le cafard ou la tristesse et la solitude sont d’après eux des moments propices au tabagisme, et ce plus chez les filles que chez les garçons. Parfois c’est l’effet de la nicotine sur l’attention et la concentration qui est recherché.

Wahl retrouve comme facteurs faisant fumer les adolescents : le goût de la cigarette, le contrôle du poids, l’ennui et les affects négatifs. Outre l’anxiété citée plus haut, l’aide à la gestion de situations conflictuelles et anxiogènes et la détente sont les motivations à fumer citées le plus souvent par les adolescents.

La consommation autothérapeutique visant à réduire les sensations de mal-être, à réfréner les phobies sociales, à calmer un vécu dépressif a été décrite aussi pour le tabac. Enfin, le tabagisme s’intègre au développement d’une image de soi qu’il s’agit de donner à l’extérieur mais parfois à l’usage de publics déterminés . La construction de l’image de soi adulte avec la cigarette peut expliquer certaines difficultés à arrêter exprimées par les fumeurs : « je ne me vois pas sans cigarette ».

La dépendance au tabac et l’apparition des symptômes de sevrage sont bien sûr responsables d’un maintien du tabagisme.

Évaluation de la dépendance tabagique à l’adolescence :

De 30 à 50 % des expérimentateurs deviennent des fumeurs réguliers. La dépendance et les symptômes négatifs de sevrage qui en découlent sont des obstacles parfois majeurs pour cesser de fumer. Plusieurs études ont montré que ces symptômes existent chez les adolescents. Rojas et al. dans une étude portant sur 249 adolescents ayant fumé au cours des 30 derniers jours et ayant essayé d’arrêter de fumer ont retrouvé un besoin intense de fumer chez 45 % d’entre eux. Environ 30 % ont décrit une nervosité, une incapacité à rester calme ou une irritabilité. Pour 25 % une augmentation de l’appétit, 22 % une incapacité de concentration, 15 % une tristesse et 13 % des troubles du sommeil.

L’évaluation de la dépendance au tabac est donc souvent une nécessité pour aider le jeune fumeur à s’arrêter. Certaines questions du test de Fagerström, habituellement utilisé chez l’adulte, ne sont pas applicables chez l’adolescent. L’expérience montre que le jeune malgré sa dépendance est à même d’influer sur sa consommation en fonction des éléments de vie comme différer l’heure de la première cigarette de la journée afin de ne pas la fumer à la maison (question 1 du test) ou s’abstenir dans les lieux d’interdiction (question 2). De plus, les jeunes peuvent être dépendants et présenter des symptômes de sevrage même avec une faible consommation de cigarettes. Les réponses à certaines questions du test de Fagerström s’en trouvent faussées conduisant à une erreur d’interprétation de la dépendance dans cette population. DiFranza et al. ont développé un questionnaire dont la base théorique repose sur le fait que la dépendance commence au moment où le sujet perd le contrôle de sa consommation : HONC (Hooked on nicotine checklist).

Dans l’étude DANDY utilisant ce questionnaire, DiFranza et al. ont montré que la dépendance s’installerait avant même la consommation quotidienne de cigarettes. Le besoin impérieux de fumer serait présent avant même le passage à une cigarette quotidienne.

Dans une étude récente portant sur 1293 jeunes suivis pendant 6 ans et interrogés tous les 3-4 mois, Karp et al. ont montré que le risque de devenir dépendant au tabac (selon les critères de l’International Classification of Diseases, version 10) est associé à l’intensité de la consommation pendant cette période de la vie. Mais aussi que le risque est plus grand chez les métaboliseurs lents de la nicotine et chez ceux qui ont plus de symptômes dépressifs.

Prévention primaire :

Prévention des facteurs de risque :

Permettre aux jeunes de ne pas commencer à fumer est du fait du développement rapide de la dépendance un enjeu majeur. De nombreux programmes de prévention primaire se sont développés dans le monde comme en France : à titre d’exemple « Club Pataclop » de la Ligue contre le cancer, « Jamais la première » de la Fédération française de cardiologie.

Les interventions en milieu scolaire sont nombreuses. Une évaluation a été faite en 2006 par la base Cochrane. Les auteurs ont passé en revue toutes les interventions dans les écoles sur la conduite des enfants (de 5 à 12 ans) et des adolescents (de 13 à 18 ans) ayant pour but de les dissuader de fumer et ayant un groupe témoin avec mesure du statut tabagique à l’entrée dans l’étude. Cinq types d’intervention scolaire ont été étudiés : les simples informations (sur le tabac, les risques, la prévalence et l’incidence du tabagisme) ; les interventions sur les compétences sociales (habileté sociale, autogestion, augmentation de l’estime de soi, lutte contre le stress et l’anxiété, interaction avec autre sexe…) ; celles sur l’influence sociale (entraînement à la résistance) ; les actions combinant plusieurs méthodes (compétences et influences sociales) ; et les programmes multiples (scolaires, programmes pour les parents et actions législatives [prix, interdiction…]). Les résultats étaient mesurés sur la prévalence des non-fumeurs dans les suites de l’intervention parmi ceux qui ne fumaient pas au départ (la validation biochimique du statut tabagique n’était pas exigée) ; certaines études donnaient également des résultats à long terme. Une méta-analyse n’a pu être réalisée du fait de l’hétérogénéité des analyses. Sur 209 enquêtes témoins étudiées, 94 études randomisées ont été retenues et seules 24 ont une haute qualité méthodologique : une étude sur l’information seule, deux sur les compétences sociales, 13 sur l’influence sociale, trois sur une combinaison des deux précédentes, une comparant un travail sur l’influence sociale et l’information et enfin quatre programmes « multiples ». La seule étude sur l’information seule donne des résultats positifs (OR = 0,61) mais elle est trop unique pour pouvoir conclure sur l’efficacité de cette méthode d’après les auteurs. Les deux études sur les compétences sociales ne donnent pas de résultats significatifs.

Dans le groupe important des études évaluant les programmes sur l’influence sociale, l’étude la plus grande et la plus rigoureuse est l’étude Hutchinson Smoking Prevention, qui malgré un programme intensif sur 8 ans, n’a pas démontré d’effets à long terme. Dans le groupe incluant un travail sur les compétences sociales et l’influence sociale, la Life Skills Training fait état d’une réduction de la prévalence de 25 % de fumeurs mensuels, hebdomadaires et des gros fumeurs et le programme TNT project réduit l’initiation du tabagisme et de l’utilisation du tabac non fumé de 30 %. Enfin, trois des quatre programmes multiples donnent des résultats positifs.

Les auteurs de l’étude Cochrane concluent à la nécessité d’une évaluation rigoureuse des études pour pouvoir résoudre et initier de nouvelles recherches.

Prévention renforçant les facteurs protecteurs :

Les facteurs protecteurs du tabagisme ont été beaucoup moins étudiés que les facteurs de risques. Dans une revue récente de la littérature, Schepis retrouve comme facteurs protecteurs les attentes des parents de bon comportement de leurs enfants, la surveillance parentale et leur participation à la vie des plus jeunes. La religion semble également jouer un rôle protecteur.

Bricker a étudié le statut tabagique d’adolescents à 17-18 ans selon le tabagisme des parents. Il suggère que l’arrêt du tabagisme d’un des parents avant que l’enfant atteigne 8/9 ans réduit le risque de 25 % que ce dernier devienne fumeur à l’âge de 18 ans. Cette réduction est de 39 % si les deux parents s’arrêtent.

L’application de l’interdiction de fumer dans les lieux fréquentés par les jeunes joue un rôle très important dans la « dénormalisation » du tabagisme et la diminution du nombre de fumeurs.

Aide à l’arrêt du tabagisme chez l’adolescent :

« Il semble que le désir de cesser de fumer se manifeste maintenant plus tôt qu’auparavant, avant même la fin du lycée.

En fait, il semble souvent s’installer dès que le nouveau fumeur reconnaît qu’il est dépendant. Toutefois, l’envie de cesser et la satisfaction de cette envie sont deux choses tout à fait différentes comme le candidat au sevrage l’apprend vite. » (Kwechansky Marketing research, Inc pour le compte d’Imperial Tobacco Ltd [Canada], mai 1982).

Plus d’un adolescent sur deux souhaite arrêter de fumer.

Mais les difficultés à l’arrêt sont nombreuses, liées aux facteurs de risques environnementaux, à ceux du produit et aux facteurs de vulnérabilité psychologique déjà décrits qui entraînent un manque de motivation réelle. Le changement d’un comportement comme celui de fumer nécessite un temps de maturation et le passage d’un certain nombre d’étapes décrites par Prochaska et Diclemente. De l’étape de « fumeur consonnant » ou « fumeur satisfait » à celle d’ex-fumeur, le sujet tabagique selon les évènements de vie, ses croyances, ses capacités et les informations reçues va avancer plus ou moins rapidement sur ce chemin. Afin d’aider l’adolescent à le parcourir plus rapidement, l’aide motivationnelle semble nécessaire. Étudiée dans la prise en charge des adolescents utilisateurs de cannabis, une approche motivationnelle inspirée de l’entretien motivationnel de Miller et Rollnick s’est montrée efficace. Elle devrait être utilisée pour l’adolescent fumeur de tabac et évaluée comme elle l’est chez l’adulte [75]. Les approches psychothérapeutiques de type comportemental et cognitif ont fait preuve d’efficacité dans l’aide à l’arrêt du tabac.

Elles ont été recommandées dans la Conférence de Consensus sur l’arrêt de la consommation de tabac. L’approche la plus utilisée comporte quatre phases : alliance thérapeutique, phase d’auto-observation, phase de modification comportementale, phase de suivi et de prévention des reprises . Une étude randomisée incluant 261 jeunes de 16 ans en moyenne dans deux groupes, un groupe recevant quatre sessions de thérapie comportementale et un groupe sans intervention n’a pas retrouvé, 12 mois après, de différences significatives quant aux nombres d’arrêt du tabac dans les deux groupes.

La prise en charge financière des traitements d’aide à l’arrêt du tabac pourrait être un élément intéressant chez les adolescents. D’après l’Institut National de la Santé publique du Québec (http : //www.inspq.qc.ca/pdf/publications/468-ProgrammeRembAidesPharmacoArretTabac-PhaseI.pdf) les études chez l’adulte mesurant l’impact d’un remboursement des aides ou leur gratuité montrent, pour la plupart d’entre elles, un effet positif sur le taux d’utilisation des aides et le nombre de tentatives d’arrêt. Elles démontrent aussi un effet positif sur le taux d’abstinence de ceux qui les ont utilisées.

Traitements :

Plusieurs traitement médicamenteux ont obtenu en France et en Europe l’indication « aide à l’arrêt du tabac ». Ce sont la substitution nicotinique, le Zyban® (Bupropion) et la varénicline.

L’aide thérapeutique chez les adolescents a fait l’objet de peu d’études.

Smith et al. ont administré un timbre de 22 mg/j à 22 adolescents de 13 à 17 ans fumant entre 20 et 35 cigarettes par jour : 19 ont fini l’étude, un seul était abstinent à 6 mois.

Dans une autre étude utilisant des timbres de 15 mg/16 heures proposés à 101 adolescents fumant de 10 à 40 cigarettes/j, 11 % d’abstinents étaient trouvés à la fin du traitement de 6 semaines et seulement 5 % à 6 mois.

Dans une enquête portant sur l’utilisation des substituts nicotiniques (TSN) aux États-Unis, parmi les fumeurs de moins de 18 ans, 17 à 20 % ont déjà utilisé ou utilisent des substituts nicotiniques pour arrêter de fumer ou réduire leur consommation. Mais presque 30 % des fumeurs de cette étude disent utiliser simultanément cigarettes et TSN. Cela pose question : la réduction obtenue avec les TSN favorise-t-elle le développement de la dépendance ou au contraire aide-t-elle à s’en libérer ? Enfin, 18 % des utilisateurs de TSN disent n’avoir jamais fumé. Cela incite à étudier les raisons qui amènent ces jeunes à utiliser les substituts nicotiniques.

Les autres traitements d’arrêt du tabac, le Zyban® (Bupropion) ainsi que la varénicline qui est commercialisée aux États-Unis depuis 2006, ne sont pas indiqués avant 18 ans.

Peu d’études de bonne méthodologie ont été faites sur l’intérêt des programmes communautaires chez les adolescents.

Chez l’adulte, les programmes de prise en charge personnelle (self-help), les brochures, les programmes télévisuels, les systèmes experts de conseils téléphoniques (en France, Tabac-Info-Service, 0 825 309 310 0,15 Q la minute), Internet, ont montré leurs intérêts. Ils sont d’autant plus efficaces s’ils sont associés.

Le conseil bref donné par un professionnel de santé (conseil minimal) a également prouvé son efficacité et est recommandé dans les consensus nationaux.

Au total, nous pouvons conclure qu’il est nécessaire d’informer les étudiants sur les possibilités de prise en charge et de développer plusieurs niveaux de prise en charge comme chez l’adulte (aide à la motivation, association de substitution nicotinique et de prise en charge psychothérapique). Ces actions seront renforcées par les actions collectives à l’aide individuelle.

Conclusion :

Les conduites de dépendance sont parmi les conduites qui renvoient à des troubles psychopathologiques celles qui interrogent le plus le clinicien sur les frontières entre le normal et le pathologique, dimension qui participe à expliquer l’engouement que ces troubles suscitent tant dans le grand public que chez les chercheurs et les thérapeutes. Parmi celles-ci, le tabagisme est le problème le plus important de santé publique. Commençant le plus souvent à l’adolescence, des efforts majeurs doivent donc être portés vers cette population, afin de l’aider à ne pas commencer ou à sortir du tabac le plus rapidement possible ; efforts à porter par tous, grand public, chercheurs et thérapeutes.

Les études publiées sur le tabagisme chez les adolescents ces dernières années permettent de tirer quelques enseignements. Il semble utile d’accompagner un enfant puis un adolescent dans sa réflexion sur le tabagisme en l’aidant à se construire une identité de non-fumeur valorisante et en développant les compétences sociales et les moyens de résistance à l’influence sociale. C’est le rôle des parents, de la famille mais aussi de tous les éducateurs et acteurs qui vont l’accompagner dans sa construction. La dénormalisation du tabagisme dans la société est également un élément déterminant face à l’influence des adultes fumeurs, des parents, des pairs mais aussi des personnes auxquels les plus jeunes s’identifient dont les chanteurs et les acteurs. Le développement de la prévention, du dépistage et du traitement des troubles de la personnalité et des troubles psychiatriques naissant dans l’enfance ou l’adolescence est aussi un élément majeur de cette prévention. Mais des études restent à faire, en particulier afin de mieux comprendre les actions de la nicotine sur le cerveau en formation des adolescents et sur les mécanismes sous-tendant le développement des dépendances physiques et psychocomportementales. Enfin, il reste à améliorer ou mettre en place de nouvelles stratégies d’aide à l’arrêt spécifiques pour les adolescents, puis les évaluer.

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