Introduction :
La question des classifications est aussi ancienne que la psychiatrie elle-même. Comme dans d’autres domaines, la démarche de connaissance des premiers aliénistes a en effet débuté par un regroupement et un classement des individus placés sous leur responsabilité. Par la suite, c’est souvent à travers de nouvelles propositions nosographiques que différents auteurs ont cherché à traduire leurs conceptions de la pathologie mentale. Parallèlement, dès la fin du XIXe siècle s’est manifesté le souci de disposer d’une classification unifiée. C’est de ce double mouvement que résulte la complexité de la situation actuelle. Nous allons l’envisager, en ayant en vue les problèmes spécifiques que pose la nosographie en psychiatrie de l’enfant.
Parler de classification, implique une réflexion épistémologique sur le statut des signes (sémiologie) et de leurs groupements (syndrome, maladie) dans le champ de la psychiatrie. Il faut rappeler aussi qu’aucune classification et même aucune sémiologie ne saurait être indemne de préconceptions théoriques et idéologiques. Certains auteurs adoptent, sans arrière-pensée, un modèle médical et défendent une approche supposée objective, reposant sur l’observation du comportement ; ceux pour qui, au contraire, la clinique inclut la prise en compte de l’inconscient et de ses effets, insistent sur les dimensions subjectives et intersubjectives de toute clinique.
En deçà même de cette réflexion, développée dans d’autres articles de cet ouvrage, il faut s’arrêter un instant sur la question préalable de l’intérêt, mais aussi des éventuels effets négatifs d’une classification psychiatrique chez l’enfant. L’utilité d’une approche nosographique est, en effet, mise en doute par nombre de psychiatres d’enfants qui y voient même le risque que l’attribution d’un diagnostic contribue à fixer des processus pathologiques encore peu structurés. Les inconvénients potentiels, ou même les dangers de « l’étiquetage », existent bien réellement. On cite souvent, à ce sujet, les études sur l’effet « Pygmalion », biais positif ou négatif du jugement sur le comportement ou les performances d’un sujet quel que soit son âge, lorsque l’examinateur possède une information préalable sur lui. Ce risque est accru par la situation clinique en psychiatrie de l’enfant : même s’il présente des symptômes témoignant d’une évidente souffrance, l’enfant est rarement lui-même porteur d’une plainte ou d’une demande. En fait, c’est en grande partie à travers le discours de l’entourage que le praticien va former son jugement clinique et c’est toujours à un groupe familial qu’il est confronté. Les exemples abondent de situations dans lesquelles l’attribution d’une étiquette plus ou moins sophistiquée à un comportement a pu empêcher tout accès à une compréhension de sa signification psychologique, par l’entourage.
Les critiques à l’égard des classifications doivent donc être sérieusement prises en considération et être rappelées pour mettre en garde contre les possibles mésusages qu’on peut en faire.
Cependant, une forme ou une autre de classification apparaît incontournable dès lors que l’on cherche à regrouper son expérience clinique et théoriser sa propre pratique, et plus encore, si l’on a l’intention de communiquer avec d’autres collègues. De plus, la psychiatrie de l’enfant, autant que la psychiatrie de l’adulte, a besoin de développer sa recherche et, pour cela, des regroupements et des définitions précises des cas sont indispensables.
Classifications et leur évolution :
Il existe plusieurs systèmes de classifications psychiatriques qui ont, jusqu’à une époque récente, connu des évolutions parallèles et indépendantes. Cependant, on note depuis quelques années des influences réciproques entre la classification américaine et celle de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) qui tendent à se rapprocher.
DSM-III ET IV
Jusqu’à sa troisième édition, le Manuel Diagnostique et Statistique des Troubles Mentaux édité par l’Association psychiatrique américaine n’était qu’un simple glossaire, peu diffusé en dehors des États-Unis. Le DSM-III a fait rupture par rapport aux classifications antérieures en introduisant deux changements fondamentaux :
– d’une part, chaque entité pathologique décrite a été définie par un ensemble de critères exprimés en termes de comportement, dans l’intention d’améliorer la fidélité interjuges ;
– d’autre part, la terminologie a été modifiée dans plusieurs domaines. Le changement le plus connu est l’élimination des notions de névrose, de psychose et de troubles réactionnels qui constituaient, jusque-là, les axes de référence de la psychopathologie.
Ces changements terminologiques ont concerné le champ de la pédopsychiatrie : des termes nouveaux ont été introduits : « troubles globaux du développement » (pervasive developmental disorders, mieux traduit ultérieurement par troubles envahissants du développement) désignant les psychoses spécifiques de l’enfance ; « trouble déficitaire de l’attention », correspondant à l’instabilité psychomotrice des auteurs français ; « angoisse de séparation », jusque-là concept psychopathologique, repris en tant que syndrome.
Après une édition réussie (DSM-III R 1987) une quatrième édition plus profondément modifiée a été publiée en 1994.
Psychopathologie de l’enfant dans le DSM-IV :
Le DSM-III et IV consacre à l’enfant un chapitre « troubles, habituellement diagnostiqués au cours de l’enfance et de l’adolescence » ; celui-ci comporte dix sections. Par rapport au DSM-III, les différences sont nombreuses. Les troubles de l’identité sexuelle qui figuraient dans les chapitres consacrés à l’enfant du DSM-III sont désormais regroupés avec l’ensemble des troubles sexuels de l’adulte. La plupart des autres changements vont dans le sens d’un rapprochement avec la classification de l’OMS CIM-10. C’est le cas notamment pour les troubles envahissants du développement : ce chapitre reprend à quelques détails près, la CIM-10 et les critères sont formulés de façon très similaire. En revanche, il persiste encore des différences notables dans la description des troubles des conduites et des troubles du déficit de l’attention.
En dehors de ces catégories spécifiques, les autres chapitres du DSM s’appliquent indépendamment de l’âge (des indications sur les modifications des critères en fonction de l’âge sont données pour certains syndromes, par exemple les troubles dépressifs).
Le DSM-III a apporté une autre innovation : un système multiaxial dont le développement s’est poursuivi dans les versions suivantes.
Dans le DSM-IV les cinq axes sont formulés ainsi :
– axe I :
· troubles cliniques ;
· autres situations pouvant faire l’objet d’un examen clinique ;
– axe II :
· troubles de la personnalité ;
· retard mental ;
– axe III : affections médicales générales ;
– axe IV : problèmes psychosociaux et environnementaux ;
– axe V : évaluation globale du fonctionnement.
L’accent est ainsi mis sur la nécessité de prendre en considération d’autres aspects que le diagnostic catégoriel pour évaluer la situation d’un patient. C’est important aussi pour l’enfant, chez qui les caractéristiques de l’environnement familial et social comme les pathologies médicales sont particulièrement importantes à considérer. D’autres classifications ont d’ailleurs suivi cette démarche multiaxiale.
CIM-10
La Classification Internationale des Maladies de l’OMS (CIM [en anglais : International Classification of Diseases] ou ICD) est l’héritière de l’ancien projet de classification « universelle ».
Rappelons que, la CIM-9 (1975) avait introduit quelques nouvelles entités pour la psychiatrie de l’enfant :
– les psychoses spécifiques de l’enfance (dont l’autisme infantile) ;
– les troubles de l’affectivité spécifiques de l’enfance ;
– l’instabilité de l’enfance.
Le chapitre 5 de la dixième version de la classification de l’OMS (CIM-10), tout en tenant compte des classifications en usage dans différents pays, a été visiblement très influencée par les innovations terminologiques et la conception générale du DSM-III. Cependant, seule la version destinée à la recherche comporte des critères analogues à ceux du DSM. Dans la version de base, pour chaque item sont données des descriptions cliniques accompagnées de directives pour le diagnostic.
Psychopathologie de l’enfant dans la CIM-10 :
Il faut rappeler que la classification psychiatrique de l’OMS correspond en fait au chapitre V « Troubles mentaux et troubles du comportement » d’une classification générale de l’ensemble des pathologies et causes de mortalité.
Le chapitre 5 de la CIM-10 ne comporte que deux sections spécifiquement dédiées à l’enfant : les « troubles du développement psychologique » et les « troubles du comportement et troubles émotionnels apparaissant habituellement dans l’enfance » – le retard mental étant traité dans un chapitre autonome.
Les troubles du développement psychologique incluent les troubles envahissants du développement. Pour ce dernier chapitre, la CIM-10 a repris la terminologie et la conception d’ensemble du DSM-III et du DSM-III R. Cependant, alors que le DSM-III-R ne différenciait que le trouble autistique et le trouble envahissant du développement non spécifié, la CIM-10 a introduit, à côté du trouble autistique, plusieurs catégories qui ne figuraient dans aucune classification psychiatrique jusque-là : le trouble hyperkinétique avec retard mental et mouvements stéréotypés, le syndrome de Rett, ainsi que le syndrome d’Asperger. Ces deux derniers items ont été repris par les DSM-IV.
Le chapitre « Troubles du comportement et troubles émotionnels apparaissant habituellement dans l’enfance », reprend, avec des regroupements différents, une grande partie des items du DSM-III et du DSM-III R. Cependant, si on retrouve le « trouble hyperactif avec déficit de l’attention », la CIM-10 introduit une catégorie spécifique pour les « troubles hyperkinétiques associés à des troubles des conduites ».
Les « troubles des conduites » sont subdivisés d’une manière différente de celle adoptée dans le DSM-IV ; en outre, la CIM-10 a introduit un groupe supplémentaire : les « troubles mixtes des conduites et des émotions » dans lesquels sont individualisés, en particulier, les « troubles des conduites avec dépression », catégorie qui n’est pas reprise dans le DSM-IV.
On peut noter aussi qu’on ne retrouve ni les « troubles de l’alimentation », ni les « troubles du sommeil » dans les chapitres consacrés à l’enfance (ils sont situés dans d’autres chapitres de la classification).
Enfin, la CIM-10 maintient, contrairement au DSM-IV, un chapitre traitant les aspects particuliers des troubles anxieux au cours de l’enfance sous le terme de « troubles émotionnels apparaissant spécifiquement dans l’enfance ».
Bien que cela apparaisse moins explicite que pour les DSM-III et IV, la CIM-10 peut faire l’objet d’une utilisation multiaxiale, dans la mesure où les systèmes de recueil permettent d’associer plusieurs codes y compris s’ils figurent dans différents chapitres. Il est ainsi possible d’utiliser des codes correspondant à des pathologies somatiques ainsi que les « codes Z » du chapitre XXI : « Facteurs influant sur l’état de santé et motifs de recours aux services de santé », parmi lesquels sont citées des situations psychosociales, importantes pour la pédopsychiatrie.
CLASSIFICATION FRANCOPHONE DES TROUBLES MENTAUX DE L’ENFANT ET DE L’ADOLESCENT :
Seule classification spécifique à l’enfant et à l’adolescent, la Classification Francophone des Troubles Mentaux de l’Enfant et de l’Adolescent (CFTMEA) – publiée en 1988 sous la direction de R. Misès – correspond à la mise en forme d’une tradition nosographique qui s’est élaborée au cours du développement de la pédopsychiatrie dans notre pays au cours des années 1960-1970, et qu’on trouvait déjà représentée dans la classification développée par le centre Alfred Binet à Paris.
La liste des termes proposés est assortie d’un glossaire donnant une brève description de chaque catégorie, ainsi que des équivalences avec les termes de la CIM-10.
La CFTMEA, classification de référence pour le recueil des statistiques des secteurs de psychiatrie infantojuvénile, fait l’objet d’un large consensus dans notre pays, comme l’ont montré plusieurs enquêtes. Elle a été admise, conjointement à la CIM-10, comme référence pour l’enregistrement du diagnostic longitudinal, dans le cadre du projet d’application du PMSI à la psychiatrie.
La CFTMEA est également une classification multiaxale : à côté de l’axe I qui regroupe les catégories cliniques, elle propose sur l’axe II de coder des pathologies somatiques ou des situations familiales fréquemment associées aux troubles rencontrés chez l’enfant.
La CFTMEA s’appuie sur une réflexion psychopathologique inspirée de la psychanalyse. Elle privilégie la notion de structure psychopathologique.
Les quatre premiers chapitres (psychoses, troubles névrotiques, pathologies de la personnalité, troubles réactionnels) correspondent au contexte d’organisation psychopathologique dans lequel se situent les symptômes. Il est demandé au clinicien de repérer, dans la mesure du possible, les troubles présentés par l’enfant dans l’une de ces catégories qui sont exclusives les unes des autres ; il peut ainsi considérer qu’il s’agit de variations de la normale.
Les autres catégories servent à noter des éléments descriptifs (troubles fonctionnels ou symptômes) qui peuvent s’inscrire dans l’une des organisations structurales.
L’axe 1 de la CFTMEA vient de connaître une révision importante ; elle vise à une meilleure prise en compte de la pathologie du bébé ainsi que de celle de l’adolescent, en même temps qu’une meilleure compatibilité avec la CIM-10.
Cette quatrième révision dénommée CFTMEAR 2000 introduit d’importantes innovations qui portent exclusivement sur l’axe I.
Au chapitre 1, l’intitulé de la catégorie psychoses précoces porte désormais la mention conjointe Troubles envahissants du développement ; cela souligne la similitude des cas recouvrant ces deux dénominations ; mais cela sans modifier la perspective multifactorielle offerte, du point de vue étiologique, par la classification française. Figurent aussi, dans la nouvelle version, le syndrome d’Asperger et les troubles désintégratifs de l’enfance.
Dans le cadre des schizophrénies, d’importantes précisions concernent ces troubles à l’adolescence. Enfin, une sous-catégorie détaillée des troubles thymiques apparaît, dans la mesure où ces derniers obèrent temporairement le rapport au réel et s’associent, souvent chez l’adolescent, à des manifestations psychotiques.
Le chapitre 3 introduit une sous-catégorie à dominante comportementale : elle est destinée aux nombreux cas où l’organisation limite s’exprime, surtout chez l’adolescent, par des troubles des conduites.
Le chapitre 4 se voit doté d’une sous-catégorie : syndrome de stress post-traumatique.
Le chapitre 7 répond aux orientations, de plus en plus répandues, qui valorisent les expressions comportementales. Cependant, la classification française impose de n’utiliser cette rubrique, en catégorie principale, que dans les cas où l’étude clinique permet d’écarter une pathologie sous-jacente qui commande le classement prioritaire dans l’une des quatre premières catégories de l’axe I : dans cette éventualité, l’expression comportementale apparaît en catégorie complémentaire.
D’autres innovations concernent les correspondances entre la CFTMEA et la CIM-10 : elles figurent désormais dans le glossaire avec chacune des sous-catégories de l’axe I. Les conceptions différentes qui spécifient respectivement la CIM-10 et la CFTMEA 2000 n’ont pas toujours permis de strictes équivalences, néanmoins des progrès importants ont été réalisés dans les correspondances proposées.
Axe I bébé (compléments de l’axe I général) :
Un certain nombre de situations psychopathologiques concernant le très jeune enfant sont déjà répertoriées et donc classables au sein des différents chapitres de la classification générale, mais les développements récents de la psychiatrie du bébé rendent nécessaire la création d’une section spécifique pour les troubles du très jeune enfant (0 à 3 ans).
Il s’agit en effet de permettre au clinicien un repérage clinique plus facile et plus congruent, compte tenu de l’évolution des connaissances dans ce champ et de rendre possible le classement d’un certain nombre de situations qui ne trouvent pas leur place au sein de l’axe général.
La psychiatrie du bébé et la psychopathologie précoce ont ceci de particulier qu’elles imposent de centrer le regard sémiologique simultanément sur le bébé lui-même, mais aussi sur la nature du lien entre le bébé et l’adulte qui dispense les soins et enfin sur l’adulte de référence (soit sur l’environnement relationnel de l’enfant).
Alors que la clinique du bébé et du lien nécessitent une codification spécifique en axe I (axe I bébé), les particularités de l’environnement peuvent être codées en se servant de l’axe II de la classification générale dans la mesure où les notions de stress traumatique, de carence, de maltraitance et de parents en grande souffrance par exemple s’y trouvent déjà prises en compte.
Certaines situations pourront nécessiter un double codage, voire plus, pour l’enfant (en axe I bébé), ainsi qu’une cotation (en axe I général) correspondant à la problématique des adultes qui lui dispensent les soins (« caregivers »).
On remarque que la notion de stress apparaît à la fois en axe I bébé (en tant que possible facteur étiologique principal) et en axe II (comme facteur associé).
Certains chapitres de la psychopathologie du bébé ne font pas encore l’objet d’un consensus absolu entre les différents cliniciens et les propositions énoncées ci-dessous ne constituent donc qu’un matériau initial qui demande à être progressivement affiné, voire remanié, en fonction des avancées qui ne pourront manquer d’avoir lieu dans ce domaine au cours des années à venir.
Deux remarques à propos de l’axe I :
Les troubles de l’attachement n’ont pas été retenus comme rubrique classificatoire.
On sait en effet qu’en dépit du profond renouveau théorique qu’a apporté la théorie de Bowlby, les différents types de schémas d’attachement qui ont été décrits (attachement secure, attachement insecure, attachement évitant, attachement désorganisé) apparaissent davantage comme des catégories expérimentales que comme des catégories étroitement corrélées avec tel ou tel profil psychopathologique.
Autrement dit encore, certains enfants à l’attachement secure peuvent fort bien présenter des troubles du développement psychique alors que certains enfants insecure ou évitants en situation d’évaluation peuvent fort bien fonctionner de manière cliniquement satisfaisante.
Seul le schéma de type désorganisé semble actuellement témoigner d’un risque potentiel de dysfonctionnement clinique.
Les troubles de l’identité de genre n’ont pas non plus été retenus, étant donné la difficulté pour les repérer avant l’âge de 3 ans.
En dépit des résultats énoncés par certaines études, la majorité des cliniciens actuels met en effet en doute la possibilité même de parler de troubles de l’identité de genre chez l’enfant préoedipien.
À cette époque de la vie, seuls seraient déjà repérables d’éventuels facteurs de risque dont la description et la valeur prédictive sont, à l’heure actuelle encore, fortement sujets à caution.
On signale dans l’axe I de la classification générale, au niveau de la rubrique « troubles de l’identité de genre », que des précurseurs peuvent éventuellement être pris en compte et cotés avant l’âge de 3 ans cf Annexe.
Problèmes posés par les classifications actuelles :
INSTABILITÉ DES SYSTÈMES CLASSIFICATOIRES :
En 15 ans, trois versions du DSM et une version de la classification de l’OMS ont été publiées, avec des différences portant sur la terminologie, ainsi que sur l’extension des catégories (modifications des critères). Ainsi dans une étude de Volkmar et al les critères du DSM-III, du DSM-III R et de la CIM-10 ont été appliqués à un même groupe de patients présentant des troubles envahissants du développement : le DSM-III-R attribuait le diagnostic d’autisme à 25 % de sujets de plus que les deux autres classifications. On comprend que de telles différences rendent difficiles la comparaison de recherches faites à quelques années de distance.
PRISE EN COMPTE PARTIELLE DES ASPECTS SPÉCIFIQUES DE LA PSYCHOPATHOLOGIE DE L’ENFANT :
La position de principe du DSM comme de la CIM-10, qui recommandent d’utiliser, chaque fois que possible, les mêmes catégories et les mêmes critères chez l’enfant et chez l’adulte, va à contre-courant des travaux visant à individualiser les aspects les plus spécifiques de la psychopathologie de l’enfant. Elle conduit à n’envisager la pathologie de l’enfant qu’à travers la pathologie adulte : ainsi, dans les travaux récents, la dépression, les troubles obsessionnels, les troubles anxieux sont abordés chez l’enfant à partir de critères adultes. Cette approche tend à privilégier les manifestations cliniques qui, au cours de l’enfance, annoncent une pathologie au long cours, au détriment d’autres aspects non moins importants, qui sont liés au développement
Parmi les domaines propres à l’enfance, la pathologie du nourrisson est particulièrement mal étudiée par l’ensemble des classifications actuelles. De nouvelles classifications ont été proposées pour cet âge (voir proposition sur l’axe 1 bébé).
Les spécificités de la pathologie à l’adolescence étaient également insuffisamment envisagées par les classifications disponibles jusqu’ici. Les modifications introduites dans la version révisée de la CFTMEA visent à corriger cette insuffisance.
VALIDITÉ DES DIAGNOSTICS :
Comme le rappellent Pull et al, la construction des DSM-III et IV a privilégié l’établissement de critères assurant une amélioration de la fidélité interjuges. Mais cela ne résout pas la question de la validité des critères ni celle des catégories définies par cette classification. Celle-ci repose avant tout sur le consensus d’un certain nombre d’experts. La compétence de ces spécialistes n’empêche pas l’influence de facteurs idéologiques, culturels ou des modalités d’exercice professionnel qui diffèrent d’un pays à l’autre : on n’a probablement pas la même perception des troubles psychotiques ou autistiques selon que l’on voit les patients ponctuellement dans le cadre d’un examen d’évaluation, qu’on les suit en psychothérapie ou qu’on les voit quotidiennement dans le cadre d’un hôpital de jour. La validation proprement dite des catégories est, comme le rappellent Dugas et Zann, une démarche complexe qui fait appel à la fois à une validation interne (cohérence des symptômes – appréciée, notamment, à l’aide de méthodes statistiques – analyse de cluster – qui étudient la corrélation des symptômes sur de grands groupes) et à une validation externe (données épidémiologiques, études longitudinales, études génétiques des agrégats familiaux, études biologiques etc). Les recherches de ce type restent encore peu nombreuses.
PERSPECTIVE CATÉGORIELLE OU DIMENSIONNELLE :
Les classifications actuelles privilégient la catégorisation de syndromes, c’est-à-dire qu’elles considèrent le champ de la psychopathologie comme formé d’entités cohérentes, exclusives les unes des autres, selon le modèle médical des entités morbides (maladies). Or, le point de vue dimensionnel, autre alternative de la réflexion nosographique est particulièrement important à prendre en considération pour l’enfant. La plupart des troubles décrits impliquent la référence au développement : soit que le symptôme ne prenne valeur qu’à la condition de tenir compte du développement normal (par exemple les manifestations phobiques), soit que ce que l’on considère comme symptôme corresponde à un écart, par rapport à une norme développementale. Il en est ainsi, en particulier, pour les troubles du développement du langage oral ou écrit, ou pour le trouble hyperkinétique dont les différents symptômes (inattention, hyperactivité, impulsivité) sont à évaluer, en tenant compte de l’âge. L’utilisation, comme critère diagnostique, d’un écart statistique par rapport à la moyenne, n’est qu’une convention transformant un paramètre dimensionnel, se situant donc dans un continuum, en un critère catégoriel créant, plus ou moins artificiellement, une discontinuité.
PROBLÈME DE LA COMORBIDITÉ :
L’axe dimensionnel de la psychopathologie amène aussi à évoquer la notion de pluridimensionnalité de certaines pathologies, dont la notion de comorbidité – conçue comme la juxtaposition de phénomènes pathologiques indépendants – ne rend que partiellement compte. Lorsque l’on constate qu’un retard mental coexiste dans deux tiers des cas d’autisme infantile, ne doit-on pas considérer que l’on a affaire à une pathologie pluridimensionnelle plutôt que de se contenter de signaler l’association de deux syndromes (autisme et retard mental) ?
De même, les études épidémiologiques montrent que dans un grand nombre de cas, le trouble déficitaire de l’attention avec hyperactivité est associé à d’autres symptômes :
– des troubles des apprentissages (retard de langage, dysphasie) ou du langage écrit, retrouvés dans près 50 % des cas ;
– des troubles du comportement, notamment le trouble oppositionnel, ainsi que des troubles des conduites. Dans l’étude de Biederman et al la coexistence de troubles oppositionnels atteint 65 % de cas ;
– enfin, dans 25 % à 30 % des cas, on signale l’association de troubles émotionnels : troubles anxieux (anxiété généralisée ou phobie) ou troubles dépressifs.
Ces données posent la question de l’homogénéité du syndrome hyperkinétique tel que le délimitent les classifications actuelles. En d’autres termes, est-il justifié de considérer le syndrome hyperkinétique comme une entité spécifique et cohérente, susceptible d’être associée à d’autres pathologies supposées indépendantes, comme le suggère la présentation issue du DSM ?
N’est-il pas plus pertinent du point de vue clinique de considérer qu’à côté des cas d’hyperactivité « pure », relativement minoritaires, il existe d’autres cas dans lesquels une agitation instable vient s’intégrer à un tableau clinique de troubles du comportement ou de troubles anxieux, voire dépressifs ?
HÉTÉROGÉNÉITÉ DE LA PATHOLOGIE PSYCHIATRIQUE :
Le DSM-IV comme la CIM-10 sont des classifications dites syndromiques, c’est-à dire qu’en les rangeant sous le même terme « trouble » (disorder), elles tendent à mettre sur le même plan des manifestations de nature très hétérogène :
– des organisations pathologiques comme l’autisme ou la schizophrénie ;
– des déficiences des acquisitions scolaires dans lesquelles il reste difficile de dissocier la part de retard de développement, de pathologies, et de facteurs socioculturels ou pédagogiques ;
– des situations relationnelles comme la rivalité fraternelle (item de la CIM-10) ;
– des conduites déviantes, pour lesquelles intervient une multiplicité de facteurs relationnels et sociaux.
Ces catégories, juxtaposées et critérisées toutes sur le même mode, sont implicitement abordées selon un modèle médical dont la pertinence est à discuter.
Il faut noter, cependant, l’innovation intéressante apportée par le DSM-IV qui propose des codes supplémentaires, non critérisés, pour un certain nombre de « situations pouvant faire l’objet d’un examen clinique » (par exemple, les abus sexuels, les maltraitances, les conduites antisociales, les problèmes scolaires, les problèmes relationnels, etc).
Conclusion :
Les classifications constituent un cadre dont dépendent nos capacités de perception et de discrimination : le clinicien – particulièrement s’il est débutant – tend à ne retenir de la réalité clinique que ce qu’il peut nommer et à négliger ce qu’il ne peut placer sous une étiquette préexistante. En d’autres termes, la nosographie tend à créer les objets de la clinique.
Le DSM-III et IV énoncent dans leur préambule des mises en garde. Il est souligné, notamment, que l’usage approprié de cette classification nécessite une formation clinique spécialisée. Cette mise en garde paraît plus que jamais nécessaire, surtout dans le domaine de la psychiatrie de l’enfant dont l’enseignement, variable d’un pays à l’autre – et même dans notre pays d’une faculté à l’autre – reste assez limité. Des professionnels insuffisamment expérimentés (médecins généralistes, pédiatres ou autres acteurs « primaires » de santé) risquent de délivrer des diagnostics et des traitements, à partir de l’application mécanique des critères du DSM ou de la CIM. On peut d’ailleurs observer que la CIM-10, comme le DSM depuis sa troisième édition, sont présentés sous forme de manuels très complets sans doute promis à devenir des supports majeurs de l’enseignement et de la pratique clinique.
On peut donc conclure que les classifications sont un outil utile sans doute, mais peut-être à ne pas mettre entre toutes les mains et dont l’abus pourrait être dangereux pour la santé !
Annexe : Propositions pour l’axe I bébé
Bébés à risque autistique ou psychotique
Il s’agit de bébés dont le repérage précoce est essentiel pour les activités de prévention dans la mesure où ce sont des enfants dont le développement semble présenter des zones de vulnérabilité ou de fragilité susceptibles de les faire s’engager dans un fonctionnement ou une organisation de type autistique ou psychotique.
De nombreuses recherches sont actuellement en cours pour préciser ou affiner les limites de ces groupes d’enfants dont le devenir ne peut bien sûr être prédit ou figé dans une annonce qui ne viendrait que cristalliser le risque évoqué.
Un certain nombre de symptômes – dont les regroupements peuvent être variables d’un enfant à un autre – doivent ici avoir valeur d’appel.
À titre d’exemples, on cite :
– l’évitement ou la perte du regard. Les conduites de détournement du regard peuvent avoir la même valeur en privilégiant l’utilisation du regard périphérique au détriment du regard central (angoisse d’être pénétré par le regard d’autrui) ;
– le maintien au-delà de plusieurs semaines d’un regard adhésif en bidimensionalité sans acquisition stable d’un regard pénétrant en tridimensionalité ;
– une insomnie précoce, parfois massive en temps et calme (sans appel vis-à-vis de la présence de l’adulte) ;
– une anorexie primaire grave ;
– des phénomènes cliniques de pseudosurdité. Des cris monotones, monocordes et sans valeur relationnelle ou significative repérable ;
– l’absence d’instauration de l’angoisse de l’étranger autour du 8e mois de vie ;
– des phobies multiples, variables, insolites et parfois intenses ;
– un évitement ou un retrait relationnel (en excluant les évitements ou les retraits observés en cas de dépression, d’asthénie ou de douleur physique) ;
– des troubles du tonus (en hyper- ou en hypo-) sans cause neuropédiatrique reconnue.
C’est le regroupement et le maintien conjoint dans le temps d’un certain nombre de ces symptômes qui doivent attirer l’attention du clinicien.
Dépressions du bébé :
« Les dépressions du bébé peuvent être liées à des situations de carence relationnelle quantitative ou qualitative » (M Ainsworth).
En cas de carence relationnelle qualitative, on inclut ici les situations de « syndrome du comportement vide » et celles de « dépression blanche » décrites par L Kreisler en fonction de la date de survenue et de la durée de la situation carentielle.
Parmi les symptômes devant faire évoquer une organisation dépressive chez le bébé, on peut citer :
– l’atonie psychique : manque du tonus vital qui imprègne normalement le fonctionnement psychique du bébé avec absence de curiosité et d’ouverture envers le monde des objets et envers le corps propre (absence d’instauration ou extinction progressive des autoérotismes) ;
– le retrait interactif qui correspond à une absence d’engagement dans l’échange relationnel ;
– le ralentissement psychomoteur avec mouvements répétitifs et partiels, s’interrompant avant d’avoir atteint leur but et avec une lenteur prédominant sur les racines tandis que les extrémités conservent une motricité déliée (à la différence du ralentissement asthénique) ;
– des troubles psychosomatiques d’appel ou d’épuisement : au début de l’épisode dépressif, on a le sentiment que les divers troubles fonctionnels de l’enfant visent à réanimer l’environnement et à solliciter son attention tandis qu’à l’issue d’une certaine période d’évolution, les défenses recrutées sont débordées et les troubles fonctionnels de l’enfant traduisent alors un débordement et un effondrement de son équilibre psychosomatique;
– l’absence de structuration de l’angoisse de l’étranger.
Bébés à risque d’évolution dysharmonique
À l’heure actuelle, il s’agit ici d’un cadre d’attente dont la pertinence est encore sujette à caution puisqu’il paraît difficile d’affirmer la filiation nosologique entre ces tableaux cliniques et le groupe des pathologies limites ultérieures.
Ces enfants se voient rangés sous la rubrique « MultiSystem Developmental Disorders » (MSDD) dans la classification « 0 to 3».
On y inclut les enfants présentant des atteintes sévères, mais non totales, de la capacité à engager une relation émotionnelle ou sociale, des atteintes marquées de la faculté d’établir, de maintenir ou de développer certaines formes de communication (gestuelle, symbolique et verbale), des dysfonctionnements significatifs dans le traitement des diverses informations sensorielles (auditives, visuospatiales, tactiles, proprioceptives ou vestibulaires par exemple).
États de stress :
Dans le cadre de l’axe I (bébé), on prend ici en considération les états de stress semblant intervenir en tant que facteur étiologique principal et non pas seulement en tant que facteur associé (alors codé sur l’axe II).
Suspectés devant des remémorations plus ou moins angoissées, des cauchemars répétitifs, un comportement de détresse à l’occasion d’un rappel du traumatisme ou des reviviscences imprévisibles, on prend en compte comme critère d’inclusion une baisse de réactivité ou une entrave au rythme du développement sur l’un au moins des critères suivants : accentuation du retrait social, restriction du champ des affects, régressions temporaires diverses, diminution ou réduction des activités ludiques habituelles.
Sont également considérés comme critères d’inclusion, différents symptômes d’augmentation de la vigilance (terreurs nocturnes, difficultés d’endormissement, réveils nocturnes, troubles de l’attention et de la concentration, hypervigilance et réactions de sursaut), ainsi que l’apparition soudaine ou progressive de symptômes qui n’existaient pas avant l’événement traumatique (agressivité, peurs, angoisses…).
Hypermaturité et hyperprécocité pathologiques :
Celles-ci peuvent concerner tout ou partie des registres cognitif, émotionnel ou social du développement de l’enfant. Elles peuvent se développer en secteurs (problèmes des surdons) ou, au contraire, de manière globale. Elles peuvent être ou non une réponse à une psychopathologie parentale. Dans le premier cas, elles ont une valeur conflictuelle, dans le second cas un fondement développemental.
Retards d’acquisition divers (dans le champ du développement psychomoteur, langagier, cognitif…) :
Se reporter à la catégorie 6 de l’axe I général.
Troubles des grandes fonctions psychosomatiques (sommeil,alimentation) :
Rubrique à prendre en compte quand les troubles fonctionnels considérés ne s’intègrent pas dans un tableau dépressif caractérisé.
Distorsions du lien :
On ne peut pas décrire, dans l’absolu, une qualité du lien qui serait dite « normale ». Seuls comptent en fait les aspects dynamique, ouvert et créatif du lien parent-enfant et notamment du lien mèreenfant dont il importe ainsi de prendre en compte de nombreuses possibilités de variations de la normale.
La pathologie du lien renvoie à un double registre, qualitatif et quantitatif.
Le registre quantitatif des distorsions du lien implique l’idée qu’une modalité particulière du lien devient prévalente, répétitive et monotone, imprégnant la relation adulte-enfant de telle sorte que celle-ci se fige en perdant alors tout degré de souplesse et de liberté.
À titre d’exemples, on retiend pour l’instant les rubriques suivantes :
– variations de la normale ;
– contrôle intrusif ;
– relation adhésive ;
– troubles de la régulation (hypersensible, sous-réactive, impulsive, autre) ;
– relation chaotique (désorganisée, inclassable).