Introduction :
Après avoir considéré la dépression comme un état normal de l’adolescence, la majorité des cliniciens distinguent les sentiments dépressifs modérés et transitoires, appartenant au développement normal de l’adolescence, des différentes formes que peut prendre une dépression proprement dite à cet âge. L’origine de ces dépressions de l’adolescence n’est pas univoque.
Les changements développemental, hormonal, affectif, cognitif et psychosocial durant la période pubertaire constituent des facteurs de risque dans la prévalence de la dépression chez l’adolescent. Si des vulnérabilités neurobiologiques sont incontestables, une cause fréquemment retrouvée est constituée par les situations familiales (deuil, parent déprimé, conflits familiaux, divorce) ou existentielles (déception sentimentale, échec scolaire, maladie physique). Un autre facteur est incontestablement la pression culturelle et sociale qui amène, à cet âge où l’espoir et l’idéalisation sont des mouvements naturels, certains jeunes à vivre le monde comme décevant, trop contraignant ou inquiétant par rapport à l’avenir.
Données épidémiologiques :
Les variations d’humeur des garçons et des filles âgés de 13 à 20 ans ont été négligées et souvent attribuées au processus normal de l’adolescence. La prévalence de la dépression oscille entre 2 et 8 % de la population générale (en fonction des études) pour l’Épisode Dépressif Majeur (EDM) selon les critères du Diagnostic and Statistical Manual (DSM)-IV à l’adolescence.
Cette prévalence augmente avec l’âge au moment de l’adolescence et il existe globalement une prédominance féminine (2 filles pour 1 garçon). La dépression de l’adolescent est également en augmentation depuis 30 ans (mais aussi mieux reconnue). À côté de cette dépression « grave », il existe une ambiance dépressive dont la fréquence va de 28 à 44 % de la population générale et réalisant un véritable gradient dépressif allant de la « normalité » à l’état dépressif grave.
La prévalence de la dépression à l’adolescence est nettement supérieure à celle de l’enfance (2 à 5 fois plus importante).
De nombreux épisodes dépressifs de l’adolescence n’ont pas été précédés dans l’enfance d’un premier accès dépressif. Mais l’ensemble des études confirme que la survenue d’un trouble dépressif dans l’enfance constitue un facteur de risque important de survenue d’un autre épisode dépressif quand l’enfant grandit, puis devient adolescent. Les travaux de Kovacs ont permis de différencier le risque de rechute ou de chronicisation selon le type de trouble dépressif initial. Ils montrent un risque important de rechute dépressive à l’adolescence chez les enfants ayant présenté un premier épisode dépressif majeur et/ou dysthymique.
En revanche, un trouble dépressif réactionnel secondaire à un problème passager ne représente a priori aucun risque d’évolution péjorative.
Clinique :
Plus ou moins apparent, un EDM doit être systématiquement recherché à l’adolescence. Il repose sur les signes caractéristiques décrits dans le DSM et en particulier l’humeur dépressive et/ou l’irritabilité, la diminution marquée de l’intérêt et du plaisir, deux symptômes présents pratiquement toute la journée et tous les jours pendant 2 semaines. Si les symptômes dépressifs à l’adolescence sont très proches de ceux de l’adulte, il existe néanmoins quelques particularités :
• malgré le ralentissement psychomoteur, l’adolescent ne présente presque jamais un « masque de dépression ». Son visage n’a pas un aspect dépressif ;
• des levées transitoires de l’inhibition motrice sont fréquentes à l’adolescence (la gestualité retrouve sa vivacité et sa fluidité le temps d’une activité) mais elles ne peuvent en aucun cas permettre de réfuter un syndrome dépressif ;
• le DSM précise que l’irritabilité remplace souvent l’humeur dépressive ;
• l’adolescent dit rarement qu’il est triste et déprimé mais il dit « qu’il en a marre », « qu’il a la tête vide », « qu’il s’ennuie ». La relation clinique est très importante à l’adolescence.
C’est en faisant preuve d’un « souci de soin » et en lui posant les questions adéquates dans un contexte d’alliance thérapeutique positive que le consultant peut permettre à l’adolescent de reconnaître puis de révéler ses symptômes de souffrance que très souvent il cherche à dénier ou à taire.
De nombreux symptômes peuvent masquer un syndrome dépressif à l’adolescence et peuvent être considérés comme des équivalents dépressifs : agressivité, passages à l’acte (fugues, vols), conduites centrées sur le corps (anorexie mentale, obésité, plaintes somatiques), conduites sexuelles anarchiques, toxicomanie, instabilité, phobie scolaire, accidents à répétition. De tels symptômes doivent donc systématiquement faire rechercher un syndrome dépressif.
Les filles et les garçons n’expriment pas leur dépression de la même façon. Les premières manifestent ce malaise par leurs préoccupations sur l’image de leur corps, leur poids, des douleurs plus ou moins diffuses qui n’inquiètent pas au premier abord mais dont l’intensité, la persistance et surtout la prise en compte de l’appel implicite doivent être tout particulièrement évaluées. Les seconds montrent plus leur dépression sous une forme comportementale, agressive, déchargeant ainsi leur tension et la souffrance qu’ils ressentent en relation avec l’image négative qu’ils ont d’eux-mêmes, cachée par une apparente insolence ou une réaction violente qui n’en sont que les expressions manifestes.
Comorbidité :
La comorbidité de la dépression avec les divers troubles psychiatriques atteint des taux de 40 % à 70 % dans l’EDM et 40 à 90 % dans les troubles dépressifs.
Troubles anxieux (30 à 80 %) :
C’est l’association la plus souvent rencontrée. En cas d’association entre un trouble anxieux et la dépression à l’adolescence, la dépression est plus sévère et plus difficile à traiter.
Troubles des conduites (10 à 80 %) :
Il s’agit de comportements d’infraction aux règles et aux normes sociales : école buissonnière, fugues, vols, mensonges, violences.
Consommations de produits (20 à 30 %) :
Chez les adolescents déprimés, la consommation de produits serait multipliée par deux pour le tabac, par trois pour l’alcool, par quatre pour le cannabis et par dix pour les autres drogues.
Tentatives de suicide (TS) :
Il existe une corrélation nette entre dépression et tentative de suicide. De 50 à 70 % des sujets qui ont effectué une TS présentent une problématique dépressive évidente. La présence d’un trouble dépressif multiplie d’un facteur de 11 à 27 le risque de TS par rapport à la population générale. Environ 50 % des adolescents déprimés présentent des idées ou des comportements suicidaires. Il existe une corrélation entre la gravité de la TS et la profondeur de la dépression.
Plusieurs études rapportent une élévation du taux de TS lorsque la dépression est associée à des troubles comorbides précédemment cités (trouble anxieux, trouble du comportement, consommation de produits).
Approche psychopathologique : les différents types de dépression à l’adolescence
La présentation des différents types de dépression repose ici sur une compréhension psychodynamique du fonctionnement psychique de l’adolescent déprimé. La problématique dépressive (qui survient en raison de facteurs variés) retentit sur l’organisation globale de la personnalité de l’adolescent, en y renforçant certains traits ou en désorganisant une stabilité difficilement acquise ou transitoire (comme c’est le plus souvent le cas au cours de l’adolescence).
Identique quel que soit l’âge de la vie, la problématique dépressive est marquée par la perte d’objet, le repli narcissique et la fixation orale, l’ambivalence et l’agressivité. L’adolescence comme étape de développement de tout individu est souvent décrite en des termes qui s’appliqueraient tout aussi bien à la description d’une dépression ou d’une lutte contre la dépression.
La présence plus ou moins intense de ces aspects au cours du processus normal du développement de l’adolescent représente un argument en faveur de l’hypothèse qu’il n’existe pas d’adolescence sans dépressivité.
Les manifestations affectives à l’adolescence (humeur dépressive, ennui, morosité) rencontrées de façon habituelle semblent devoir être considérées comme un signal d’alarme ou des attitudes défensives vis-à-vis de la dépression et non comme des états dépressifs proprement dits.
Problématique dépressive à l’adolescence :
L’adolescence est une étape du développement marquée par de multiples transformations, tant physiques que psychiques : bouleversement hormonal avec développement jusqu’à maturation des caractères sexuels primaires et secondaires, reviviscence des conflits infantiles oedipiens et archaïques, remaniements des équilibres narcissiques et objectaux, réémergence des pulsions libidinales avec possible accession à une sexualité et une agressivité agies. Tout ceci impose la reprise du processus de séparation-individuation amorcé dans l’enfance. Les identifications sont perpétuellement interrogées et remaniées.
Durant cette période physiologique de réorganisation de la personnalité, un affect dépressif est fréquent sans qu’il s’agisse pour autant d’une authentique maladie dépressive. Tout adolescent est confronté lors de son développement à un débordement dépressif du fait de la double menace de blessure narcissique et de perte objectale liée à l’indispensable travail d’autonomisation-individuation (réaménagements des relations avec les premiers objets d’amour parentaux ; recherche d’objets d’amour nouveaux en dehors de la famille). La dépression clinique n’apparaît qu’en cas d’échec d’élaboration par l’appareil psychique de cette menace, et témoigne encore d’une capacité de défense, celle de « construire », et de maintenir ce type de réponse (et éviter la désorganisation psychotique). Cet échec et ses conséquences sont le plus souvent en rapport avec une vulnérabilité préexistante (soit des liens infantiles, soit de l’estime de soi, soit des deux qui sont interdépendants) liée à l’histoire du sujet.
Pertes et séparations :
L’affect dépressif à l’adolescence est lié à une problématique de deuil en raison de sentiments de perte :
• perte du corps infantile et du lien maternel primaire du fait des transformations pubertaires ;
• perte des images parentales idéalisées ;
• perte engendrée par la confrontation entre les aspirations personnelles et parentales de l’adolescence et la réalité, s’accompagnant d’une diminution de l’estime de soi.
Mais la dépression n’est pas tant liée à ces vécus de pertes inéluctables qu’à une nécessité d’adaptation de la psyché de l’enfant à son développement ou à l’évolution de son statut.
Remaniement de l’équilibre narcissico-objectal :
C’est à l’adolescence que le sujet doit se positionner face aux problématiques de séparation/individuation et de dépendance/autonomie par rapport à l’objet, c’est-à-dire pour l’essentiel, définir sa relation à l’objet en tant qu’objet de besoin, de désir, de jouissance.
La question de la dépression va avoir affaire tant avec l’objet interne et la constitution du sujet, engendrant ici un axe narcissique de la dépression, qu’avec l’objet externe induisant alors un mode dépressif différent : la dépression d’objet. Ces deux pôles étant bien évidemment en lien et parfois en interdépendance et en interaction. Les conceptions psychanalytiques ne s’opposent pourtant pas à une perspective neuro-biophysiologique ou génétique de la dépression. En effet, c’est aussi avec celle-ci que l’individu a affaire pour se constituer. Mais le sujet humain ne se constitue (en tant qu’humain et sujet) que dans un rapport à l’autre. Il se constitue donc autour et à travers ses relations d’objet.
Avec le processus de séparation-individuation, l’adolescence réactualise les premières expériences de séparation et de perte.
Au moment de franchir la frontière du monde de l’enfance et du monde familial, l’adolescent va se trouver confronté à la mise à l’épreuve de son monde interne et de la qualité des premières relations et intériorisations. L’adolescent doit se séparer de ses parents tout en s’appropriant une partie de ce qui vient d’eux. Pour tout adolescent, l’évolution nécessaire des liens peut représenter un danger, d’autant plus que les liens précoces auront été problématiques, du fait d’un défaut ou d’un excès de présence. La prise de distance nécessaire, en éprouvant les acquis auprès des parents, va réactiver les angoisses de séparation et mettre en évidence les dysfonctionnements de l’attachement précoce.
Avec l’avènement pubertaire, les objets d’investissement libidinal ne peuvent plus être identiques aux objets d’investissement narcissique, quel que soit au début de la poussée génitale, le désir intense du jeune pubère de les faire coïncider.
Désormais, il existe un écart irréductible entre « les objets d’amour primaire », et « les objets d’amour génitaux ». Cet écart est à l’origine du conflit narcissico-objectal qui apparaît comme une spécificité de l’adolescence. En effet à cet âge, tout se passe comme si les investissements d’objets ne pouvaient se faire qu’aux dépens des investissements narcissiques et vice versa.
L’attirance pour l’objet est vécue par l’adolescent comme une menace dans son intégrité narcissique. Il y a en effet une sollicitation pulsionnelle accrue et physiquement réalisable : réveil des désirs incestueux et parenticides et du conflit oedipien, sans que des choix objectaux nouveaux aient pu en assurer la satisfaction et constituer des déplacements suffisants par rapport aux imagos parentales.
La dépression à l’adolescence peut être due à l’impossible renoncement à un « objet comblant » (excès de lien aux objets internes), à une tentative pour triompher d’un « objet défaillant » (défaut de tissage narcissique), ou pour détruire un « objet excitant » (fragilité narcissique en lien avec une relation d’objets de type symbiotique). L’adolescence agit comme un révélateur et un interrogateur de la qualité des identifications et de façon plus générale des intériorisations. Les carences narcissiques précoces renforcent à leur tour le besoin objectal et l’importance des objets, leur conférant un pouvoir antinarcissique, accroissant leur rôle excitant et leur sexualisation.
Au remaniement des relations aux parents s’ajoutent les aléas des relations aux pairs. L’adolescence est la période des premières amours. La manière dont celles-ci vont être perçues et gérées dépend beaucoup de ce que l’adolescent se représente pour lui-même au sein des relations, sachant que cette représentation s’inscrit dans la continuité des relations d’enfance.
Syndrome subdépressif : l’en deçà de la dépression à l’adolescence
Humeur dépressive, ennui, morosité :
L’humeur dépressive est « un regard dévalorisant porté sur soi-même et qui vient colorer de déplaisir les représentations, les activités et les affects ». Elle est fréquente chez les adolescents.
Elle n’est cependant pas constante, les fréquentes « sautes d’humeurs » étant beaucoup plus caractéristiques à cet âge qu’une humeur stable et continue quelle qu’elle soit. Cette humeur dépressive représente néanmoins une menace et peut être un signe d’alarme vis-à-vis d’une perte d’estime de soi. Mais le plus souvent chez l’adolescent, elle est intermittente et rapidement dissipée par le surgissement d’un mouvement inverse lié à un idéal du moi de rechange extériorisé sur une action, une idéologie, un groupe ou un individu.
Selon Georgiades, parmi les neuf critères du DSM, seule l’humeur dépressive a un caractère prédictif d’un EDM dans l’année qui suit, à l’adolescence, mais ce risque est majoré par l’association avec d’autres symptômes (anhédonie, troubles alimentaires, troubles du sommeil, asthénie, sentiment de dévalorisation ou culpabilité excessive, difficultés à penser).
L’ennui se caractérise par un manque d’intérêt, une sensation que le temps ne s’écoule pas, qu’il ne sert à rien de faire un effort pour obtenir quelque chose, que tout est toujours pareil.
Néanmoins à la base de l’ennui, il y a toujours une sorte d’attente. L’ennui est une sensation fréquente à l’adolescence.
L’ennui s’accompagne presque toujours d’inhibition : inhibition des affects, inhibition motrice, inhibition intellectuelle. Il paraît faire écran aux conflits internes, aux fantasmes angoissants. Il semble souvent être le représentant d’un état dépressif plus ou moins latent ou profond. Cependant, l’expérience de l’ennui reste essentielle à l’adolescence avec l’expérience concomitante du temps qui passe.
La morosité est un aspect particulier de la « déprime » de tout adolescent décrit initialement par Pierre Mâle. Pour ce dernier : « nous n’avons pas trouvé d’autres mots pour définir cet état particulier à certains adolescents qui n’est pas la dépression avec son caractère d’angoisse, d’inhibition formelle, de culpabilité exprimée, etc… et qui n’est pas la psychose… C’est un état qui manifeste plutôt un refus d’investir le monde des objets, des êtres… Rien ne sert à rien, le monde est vide. Ces formules peuvent paraître dépressives, mais elles ne sont pas intégrées dans le cadre thymique. Elles sont compatibles avec une énergie apparemment conservée. » Ainsi Pierre Mâle explique très bien la différence entre la dépression et cette sensation vague, diffuse, à la limite du normal et du pathologique.
Comme l’ennui, la morosité est un état instable, susceptible de changement qui maintient l’adolescent sur une sorte de ligne de crête, dans un état de désinvestissement, mais en même temps prêt à investir quelque chose, dans un état d’attente, en contestant tout espoir.
Qu’il s’agisse de l’ennui, de la morosité ou de l’humeur dépressive, il faut insister sur l’intermittence de ces états, sur leurs fluctuations et leurs changements rapides. L’adolescent conserve ses investissements positifs (scolaires, culturels, sportifs, affectifs). Ces états n’appartiennent pas au champ de la pathologie mais peuvent y mener.
« Syndrome de menace dépressive » :
Il s’agit d’une organisation qui n’est ni la crise d’adolescence décrite par Mâle ou Kestemberg qui recouvre en fait le processus d’adolescence normal avec ses avatars habituels liés en particulier au travail de deuil caractéristique de ce processus, ni l’envahissement de l’ensemble de la personnalité par l’organisation dépressive, ne laissant plus aucune place à tout autre modalité de fonctionnement. Cette organisation dite « menace dépressive » associe toujours deux représentations angoissantes, celle d’une séparation d’avec les objets parentaux et celle d’une liaison avec un nouvel objet sexuel. Mais en raison de facteurs liés à des aspects situationnels et personnels rentrant en résonance, ces deux représentations deviennent d’une conflictualité telle que le danger représenté pour le moi par l’une et par l’autre, et plus encore par leur conflictualité, amène le sujet à ressentir un sentiment de débordement, et par là même de risque d’impuissance et de renoncement dans lequel l’investissement d’objet et la libido sexuelle sont menacés d’être supplantés par l’investissement narcissique et l’agressivité retournée contre le sujet. À cette organisation psychopathologique, correspond un syndrome clinique se manifestant par l’apparition plus ou moins brutale d’une appréhension ou même d’une terreur intense de se sentir envahi par la tristesse, le cafard et les idées suicidaires. La perturbation prédominante de ce trouble est une anxiété aiguë ou subaiguë dont la caractéristique essentielle est la crainte non pas d’un objet, d’une situation ou d’une activité spécifique, mais la crainte de se sentir envahi par un affect dépressif dont certains éléments peuvent du reste surgir par moments, mais ne persistent jamais plus de quelques minutes à quelques heures. Le symptôme le plus souvent ressenti est un sentiment de tension physique et psychique, accompagné de façon variée de troubles neurovégétatifs. Cette menace dépressive survient volontiers chez des adolescents qui, au cours de leur période de latence ou leur prépuberté, parfois même dès l’enfance, ont présenté des traits névrotiques dont l’intensité et les manifestations symptomatiques dépassent le cadre du développement névrotique infantile normal.
Dépression d’infériorité :
Ce type de dépression constitue une forme caractéristique au cours de l’adolescence. La baisse de l’estime de soi et le sentiment d’infériorité qui s’ensuivent sont communs à toute dépression quel que soit l’âge. Mais les aléas de l’estime de soi à l’adolescence rendent les sujets de cet âge particulièrement vulnérables à ce type de dépression. Elle se caractérise par un ensemble de sentiments dits « d’infériorité » liés à un domaine particulier, scolaire ou physique par exemple, ou à l’ensemble de la personnalité. À ce sentiment s’associe le plus souvent le sentiment de ne pas être aimé ou apprécié et un désinvestissement objectal qui se traduit par un désintérêt du monde extérieur ou une recherche dans le monde extérieur orientée vers la preuve de sa valeur. Nous sommes ici dans une problématique essentiellement narcissique, l’unique conflit résidant dans l’impossibilité pour ces sujets de réaliser les exigences idéales qu’ils se donnent. Ces exigences idéales prennent souvent une forme mégalomaniaque, elle-même semblant venir combler une menace de perte d’identité. De la confrontation à ce modèle de perfection que constitue cet idéal du moi auquel le surmoi le compare, le moi de l’adolescent va développer des sentiments d’infériorité caractéristiques de cette dépression.
Dépression d’abandon :
Elle est évoquée d’emblée face à un adolescent dont l’expression symptomatique est dominée par le passage à l’acte hétéroou autoagressif. Si tous les adolescents réagissant essentiellement par des passages à l’acte ne présentent pas ce type de dépression, une attention toute particulière peut être portée chez tout adolescent passant à l’acte lorsque cette conduite est empêchée pour une raison quelconque. En effet à ce moment, chez un certain nombre apparaît une dépression où les sentiments d’abandon, de vide et les souvenirs de séparation traumatique sont évoqués. Ce sont ces mêmes adolescents qui pour J.F.
Masterson ont présenté un syndrome borderline basé sur l’intensification des défenses contre la seconde phase de séparation-individuation, seule ou combinée avec une séparation effective au début de leur adolescence ou même en période prépubertaire. Nous retrouvons ici une explication psychopathologique de certains acting considérés comme équivalents dépressifs (prise de drogues ou de nourriture excessive, relations homo- ou hétérosexuelles désordonnées, relations d’agrippement) qui ont pour fonction de remplir ce vide évoqué.
Dépression psychotique et dépression mélancolique :
En ce qui concerne le trouble bipolaire dans les classifications contemporaines, il faut souligner que chez l’adolescent, ce trouble est beaucoup plus fréquemment rencontré qu’on ne l’imaginait antérieurement et qu’il partage des similarités sémiologiques notables avec le trouble équivalent chez l’adulte.
Qu’elle soit cliniquement unipolaire ou bipolaire, la dépression mélancolique se rencontre dès l’adolescence. Si cette dépression peut être légèrement différente de celle de l’adulte au point de vue symptomatique (relative fréquence chez l’adolescent de manifestations hallucinatoires délirantes ou confusionnelles), elle est en tout point comparable au point de vue psychopathologique, si ce n’est le possible passage d’un type de dépression à un autre ainsi que leur intrication plus fréquemment rencontrée chez l’adolescent que chez l’adulte.
Environnement :
Dans le cas d’adolescents franchement déprimés, l’environnement familial est souvent considéré comme une partie du contexte étiopathogénique. Les problèmes ne se situent pas de la même façon selon le type de dépression présentée.
Dans le cas de la réaction anxiodépressive, l’environnement familial peut jouer un rôle déclenchant lorsque cette réaction est liée à un désaccord conjugal des parents, à un divorce, à l’alcoolisme, à la mort d’un parent, ou à un contrôle excessif des parents entravant le souhait de séparation de l’adolescent qui ne peut exprimer ce souhait que sous la forme de cette réaction brutale. Mais le milieu familial peut jouer également un rôle protecteur lorsque cette réaction est liée à l’échec d’une relation amoureuse, à une rupture sentimentale, à une difficulté scolaire ou professionnelle ou à une relation conflictuelle avec un autre adolescent ou un groupe de pairs.
Dans le cas de la dépression d’infériorité, l’idéal mégalomaniaque de l’adolescent est souvent entretenu par l’un des parents qui a depuis longtemps projeté son propre idéal mégalomaniaque sur son enfant. À travers leurs enfants ces parents se défendent de leur propre dépression.
Dans le cas de la dépression d’abandon, on comprend facilement que les parents peuvent être directement concernés, en particulier la mère. Rappelons que cette dépression d’abandon est comprise psychogénétiquement comme la reviviscence à l’adolescence de sentiments d’abandon survenus entre 1 an et demi et 3 ans. Au moment où l’enfant cherche à s’individuer, il est confronté à la difficulté de la mère à supporter cette séparation ; cette difficulté amène celle-ci à décourager tout geste d’individuation en retirant tout appui à son enfant.
Ainsi naissent les premiers sentiments d’abandon. Rappelons que pour J.F. Masterson, cette mère souffre elle-même d’un syndrome borderline. Au moment de la seconde phase de séparation-individuation que constitue l’adolescence, la séparation de l’environnement, sous la forme d’une séparation physique ou affective concrète, réactive le sentiment d’abandon intrapsychique qui est retourné dans l’inconscient, mais qui a bloqué pour toute l’enfance la démarche évolutive vers une autonomie intrapsychique profonde. Cette situation se rencontre dans les « histoires abandonniques » mais aussi dans les « histoires trop symbiotiques ». Les histoires abandonniques sont celles où l’on retrouve dans le passé de l’adolescent de nombreux placements et une série de séparations ratées successives .
Les histoires trop symbiotiques sont celles où l’on retrouve très fréquemment un adolescent très attaché à sa mère, attachement renforcé ou non par des situations concrètes : fils ou fille unique, mère seule élevant son enfant…
Dans le cas de la dépression mélancolique, il est relativement fréquent de retrouver chez l’un ou l’autre des parents une pathologie identique au point que cette constatation est un élément important du diagnostic. Ici, une hypothèse génétique est souvent évoquée. Personne ne nie aujourd’hui les nombreux arguments en faveur d’une transmission génétique dans le trouble bipolaire. Toutefois, le seul point de vue génétique nous paraît trop restrictif : lorsqu’un adolescent présente une dépression de type mélancolique et que l’un ou l’autre parent a le même type d’affection, les mouvements identificatoires et contre-identificatoires doivent être pris en ligne de compte.
Approche socioculturelle :
La dépression de l’adolescent est en augmentation depuis 30 ans. On ne peut néanmoins pas affirmer qu’il y a une évolution sociétale où les adolescents seraient plus mal que dans les générations précédentes. Il n’y a pas de point de comparaison puisque dans les époques antérieures, on n’était pas aussi attentif à ce trouble.
Avant, les adolescents évoluaient dans un cadre plus rigide mais qui avait un effet de contenance. Actuellement, les adolescents ont une plus grande liberté, sont moins encadrés. Ils sont plus libres mais cette plus grande liberté n’est pas forcément facile à assumer et pourrait contribuer au développement d’affects dépressifs.
D’un point de vue transculturel, l’existence d’un noyau dépressif universel est postulée, qui peut s’exprimer d’une façon différenciée, conduisant à comparer d’une culture à une autre les variations symptomatiques. La comparaison de 2200 adolescents américains, appartenant à quatre groupes ethniques, anglo-, afro-, mexico-, latino-américains, montre, par exemple, la prééminence des plaintes somatiques dans les groupes latinoet mexico-américains.
L’élucidation du sens de la maladie pour la société dans laquelle s’inscrit le sujet est indispensable et permet de définir des moyens thérapeutiques adaptés. En pratique, en dehors d’une consultation d’éthnopsychiatrie, quelques règles simples, résumées par Moro et Baubet, permettent de guider une première approche pratique : être sensibilisé à la dimension culturelle (sinon, le patient n’en parlera pas), permettre à la famille d’exposer le sens que prend pour elle ce qui arrive, permettre si possible l’usage de la langue maternelle, ne pas juger même si on ne comprend pas. Il faut respecter les règles culturelles et se méfier d’une trop grande intrusion.
Vulnérabilité biologique :
L’étude du rôle des facteurs génétiques dans l’étiopathogénie des troubles de l’humeur met en évidence une incontestable susceptibilité génétique, en particulier pour les troubles bipolaires.
Néanmoins, aucun modèle de transmission n’est actuellement démontré et celui-ci est probablement complexe.
Des études montrent des anomalies neurobiologiques chez des adolescents présentant un trouble de l’humeur : des anomalies morphologiques, en particulier des anomalies de volume du complexe amygdalohippocampique mais aussi des anomalies en imagerie fonctionnelle. Mais la rareté des études, leur petit nombre de sujets et les résultats souvent contradictoires ne permettent pas de tirer des conclusions significatives.
Il est difficile de savoir si ces anomalies peuvent être tenues pour cause de la dépression ou si elles doivent être considérées comme la conséquence d’un épisode dépressif et ses éventuels désordres.
Certains auteurs ont évoqué un facteur hormonal pour expliquer la répartition différentielle selon le sexe en faveur des filles : la libération d’oestrogènes chez la fille à la puberté pourrait jouer un rôle facilitateur alors que la libération d’androgènes chez le garçon pourrait jouer un rôle soit protecteur contre la dépression, soit dissimulateur en favorisant des comportements qui masqueraient la dépression.
Évolution et pronostic :
Durée moyenne d’un EDM à l’adolescence :
Chez l’adolescent, l’EDM dure en moyenne 7 à 9 mois, 80 % des adolescents ayant récupéré au bout de 1 an mais 10 % continuent d’être déprimés. La persistance de l’EDM est associée à la gravité et à l’ancienneté de la dépression lors de la première identification, à l’existence de troubles comorbides, à des événements de vie négatifs et à des dysrégulations neuroendocriniennes.
Schématiquement le syndrome dépressif de l’adolescent déprimé évolue différemment selon la forme psychopathologique.
Dans le cas des réactions anxiodépressives, l’évolution est souvent rapide vers une disparition de l’état dépressif et une réapparition plus franche des traits de fond de la personnalité.
Pour la dépression d’infériorité et peut-être encore plus pour la dépression d’abandon, l’évolution va dépendre essentiellement du traitement envisagé, de son application et de son déroulement.
L’évolution vers une pathologie du caractère reste une menace moindre pour l’adaptation du sujet qu’un effondrement psychotique toujours possible chez des adolescents présentant ce type de dépression.
Fréquence des récidives :
Le devenir de l’adolescent déprimé est préoccupant avec pour certains un taux de récidive supérieur à 60 %. Les travaux les plus récents orientent plus qu’on ne le supposait sur un risque élevé de rechute dépressive au cours de la vie adulte d’adolescent ayant présenté un premier EDM à cette époque de leur existence, indépendamment de l’organisation psychopathologique en cause. D’autre part, un épisode dépressif à l’adolescence augmente le risque d’autres troubles psychiatriques et de dysfonctionnement social à l’âge adulte.
Évolution vers un trouble bipolaire :
Environ 20 % des adolescents qui ont présenté un épisode dépressif évolueraient vers un trouble thymique bipolaire.
Seul un suivi régulier pendant 18 à 24 mois peut apporter des éléments de certitude en faveur d’un diagnostic de trouble bipolaire à l’adolescence après un premier épisode dépressif.
Quelques éléments de présomption ont pu être décrits comme le début rapide des symptômes, les antécédents familiaux et l’inversion de l’humeur induite par les antidépresseurs. Il faut souligner la fréquence des signes psychotiques (idées délirantes, hallucinations, troubles du cours de la pensée) et une humeur plus souvent « mixte » dans le trouble bipolaire chez l’adolescent que chez l’adulte. De plus, l’évolution est le plus souvent marquée par des cycles rapides (soit plus de quatre épisodes par an).
Traitement :
Selon les recommandations de l’Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé (AFSSAPS), le traitement de première intention de la dépression chez l’adolescent est la psychothérapie. La prescription d’un traitement antidépresseur pourra être envisagée en deuxième intention en cas d’efficacité insuffisante de la prise en charge psychothérapeutique ou en cas d’aggravation de la symptomatologie. On peut le proposer plus rapidement dans les épisodes dépressifs caractérisés d’intensité sévère. En l’état présent, nous proposons un antidépresseur de la classe des inhibiteurs de la recapture de la sérotonine (IRS).
Il faut noter également à l’adolescence un important taux de réponse au placebo (environ 30 %).
Consultations d’évaluation :
En pratique, la prise en charge d’un adolescent déprimé commence par une évaluation soigneuse de la situation lors de consultations d’évaluation : évaluation de la sémiologie et de la psychopathologie individuelle, évaluation des interactions familiales et sociales. On évalue le risque suicidaire et on recherche des troubles comorbides. Ces entretiens peuvent parfois avoir un effet thérapeutique, en particulier en cas de syndrome subdépressif : le dévoilement, l’énonciation, les clarifications des difficultés et des symptômes ainsi que les entretiens peuvent avoir un effet thérapeutique certain.
Souvent, ces rencontres constituent pour l’adolescent la première occasion qui lui soit donnée de parler de son monde interne, de ses affects, de ses émotions, de ses pensées, rêves ou rêveries, sans être jugé selon les critères moraux ou éthiques, ni être aussitôt pris dans une relation d’autorité type parentenfant.
C’est cette nouvelle relation qui permet parfois une amélioration rapide. Ces entretiens peuvent aussi avoir un effet dans le domaine des interactions familiales. La remémoration de l’histoire familiale permet d’introduire la dimension du temps, relativisant l’intensité actuelle des difficultés, jouant un rôle cathartique en déplaçant les lignes de conflits, en ouvrant des espaces nouveaux de curiosité et d’intérêt.
En l’absence d’effets thérapeutiques rapides, ces entretiens visent l’obtention d’une alliance thérapeutique primordiale quel que soit le traitement envisagé (psychothérapie comme chimiothérapie).
Le plus souvent, il est utile de proposer des prises en charges multifocales. Celles-ci permettent de soulager l’adolescent de mouvements transférentiels trop massifs par le déploiement de ses investissements sur plusieurs personnes distinctes.
Une prise en charge adaptée et individualisée est mise en place avec l’adolescent et sa famille. Ces entretiens permettent d’évaluer les capacités de l’adolescent à s’intéresser à son monde interne et ainsi de choisir une thérapie relationnelle adaptée.
Thérapie relationnelle :
Qu’il s’agisse d’entretiens à la demande, d’une psychothérapie brève ou longue, d’un psychodrame analytique, d’une psychanalyse, ou d’une thérapie cognitive et comportementale, ce type d’approche est de toute façon souhaitable. L. Vaneck insiste sur « la valeur restructurante des rencontres avec leur double sens d’identification et du renforcement narcissique par la prise en considération d’eux-mêmes par le thérapeute ». La psychothérapie vise à dénouer l’impasse narcissico-objectale dans laquelle se trouve l’adolescent, en motivant des désirs vers l’autre dans lesquels l’adolescent puisse se trouver sans se perdre. Les thérapies longues s’avèrent sans doute plus facilement réalisables dans le cas des dépressions d’infériorité et dans les réactions anxiodépressives lorsque l’aspect névrotique de la personnalité apparaît clairement derrière cette réaction.
Cependant, la dépression d’abandon et le syndrome borderline qui y est fréquemment associé intéressent de plus en plus les psychanalystes ; rappelons ici la difficulté à supporter et à comprendre les passages à l’acte, les ruptures momentanées et les transgressions à la règle qui émaillent ce type de psychothérapie.
Corcos démontre l’importance d’un traitement bifocal, qui fait intervenir deux thérapeutes, chacun dans un temps et un lieu différent. L’écoute de l’un (le plus souvent le consultant psychiatre) prend plus particulièrement en compte « la réalité externe » (médicale, scolaire, sociale) du patient sur laquelle il peut s’autoriser à intervenir activement. L’écoute de l’autre intervenant (le psychothérapeute) se prête à celle de la « réalité interne » du patient.
Psychothérapies d’inspiration psychanalytique :
Le plus souvent, il s’agit de psychothérapies d’inspiration psychanalytique en face à face dont la qualité princeps réside dans une démarche sur mesure, souple, et dans la possible confrontation d’un adolescent avec un adulte. Cette méthode limite les risques de régression et est la méthode de choix à l’adolescence. La prise en compte des résistances individuelles mais aussi familiales et institutionnelles est indispensable. Le thérapeute doit laisser de côté silence et neutralité absolue, et accepter un rôle plus actif.
On distingue cependant les psychothérapies dynamiques brèves dont les principes restent très proches des psychothérapies d’inspiration psychanalytique mais dont le cadre est bouleversé par la détermination préalable d’une durée brève.
Basquin rappelle plusieurs pièges contre-transférentiels décrits au cours de psychothérapies psychanalytiques d’adolescents déprimés : le positionnement en rival parental, le mépris pour les données de la réalité quotidienne du sujet, l’absence de disponibilité réelle et de souplesse, l’absence de tolérance aux conduites agies.
Psychodrame psychanalytique individuel :
Les épisodes dépressifs majeurs ne sont pas dans leur phase aiguë une indication de psychodrame, dans la mesure où la pathologie atteint de plein fouet la capacité à jouer de l’adolescent.
En revanche, les troubles dépressifs modérés, ou majeurs hors acmé semblent une bonne indication de psychodrame psychanalytique. Dans le cas où la contrainte d’une relation duelle privilégiée avec un adolescent fait craindre une régression psychique non contrôlable, le psychodrame est une bonne alternative.
Il n’existe néanmoins pas à ce jour d’études systématiques réalisées chez l’adolescent déprimé, authentifiant l’efficacité des psychothérapies psychanalytiques mais de nombreuses vignettes cliniques rapportent une amélioration clinique.
Thérapies à médiation :
Il peut s’agir de thérapies à médiation corporelle (relaxation, activités sportives), de thérapies à médiation imaginaires ou créatrices (expression, écriture) ou autres. Les thérapies à médiation constituent une alternative aux psychothérapies d’inspiration psychanalytique chez les adolescents pour qui le contact duel verbal avec un adulte paraît trop angoissant, ou chez ceux qui ont un investissement de la pensée dans l’évitement, ou au contraire dans le surinvestissement. Les thérapies à médiation ont pour but de relancer l’activité de penser le plus souvent chez les adolescents plus jeunes et d’aboutir dans un deuxième temps à la possibilité d’une psychothérapie analytique.
Thérapies cognitives :
Ces dernières années, des études, le plus souvent américaines, ont montré l’efficacité des thérapies cognitives et comportementales (TCC) dans la dépression à l’adolescence et cela en thérapie de groupe ou en thérapie individuelle. Actuellement, il n’y a pas de consensus entre les différentes études en ce qui concerne l’intérêt d’une association entre la TCC et les IRS.
Thérapie interpersonnelle :
La aussi, une étude américaine montre que la thérapie interpersonnelle aurait de meilleurs résultats que la psychothérapie de soutien.
Thérapies de groupe :
Les thérapies de groupe sont très intéressantes à l’adolescence.
Le groupe aide l’adolescent à se détacher du milieu familial au cours du processus d’individuation et permet une socialisation par les pairs. Toutes les approches psychothérapeutiques peuvent conduire à des applications en groupe. La préparation du groupe est essentielle pour éviter les sorties prématurées.
Chapelier rappelle que la composition d’un groupe thérapeutique d’adolescents doit tenir compte de l’âge des différents sujets, ou mieux encore de leur développement pubertaire.
Place de la famille :
La dépression à l’adolescence étant très souvent liée à des facteurs familiaux, il est naturel d’imaginer l’importance d’une intervention familiale dans cette pathologie. Il est donc fondamental d’associer la famille, en particulier les parents d’un adolescent déprimé, à la prise en charge de ses troubles. Les rencontres avec les parents devront le plus souvent être répétées.
Leur but est de recueillir des informations anamnestiques mais surtout de repérer des éléments sur la qualité des transactions relationnelles existant entre l’adolescent et ses parents. On évalue la souplesse et la cohérence des relations ou au contraire la présence de mécanismes entravant le développement de l’autonomie de l’adolescent. On tente de repérer la capacité des parents à se mobiliser et à aider leur adolescent souffrant. On peut éventuellement mettre en évidence une correspondance entre le moment dépressif dont souffre l’adolescent et une crise parentale. Parfois, la dépression de l’adolescent fait écho à des souvenirs ou des affects parentaux. Les rencontres doivent s’attacher à établir un climat d’acceptation thérapeutique et permettre que chacun se mobilise dans le sens d’une organisation concertée de la prise en charge.
Les prises en charge familiales permettent d’améliorer le pronostic pour l’adolescent et la satisfaction des familles. L’aide apportée au parent sur un temps différencié (entretiens parentaux, groupe de parents) est très importante et devrait être quasi systématique, mais n’est pas toujours réalisable. Rappelons avec Winnicott l’importance de la mère réelle et du père réel.
Les parents doivent survivre. Le thérapeute ne doit pas se situer en meilleur parent face à des parents réels, risque souvent non négligeable.
Traitements médicamenteux :
Suite à la réévaluation chez l’enfant et l’adolescent du risque des médicaments antidépresseurs par l’Agence européenne du médicament (EMEA), les antidépresseurs IRS et apparentés n’ont pas l’autorisation de mise sur le marché (AMM) dans le traitement de la dépression chez les patients de moins de 18 ans. Il est précisé dans le libellé que leur utilisation est « déconseillée » dans cette classe d’âge. Néanmoins, il est parfois nécessaire d’y avoir recours en clinique, mais cela avec certaines précautions.
Le rôle des antidépresseurs n’est pas négligeable quand le ralentissement psychomoteur et l’affect dépressif de base entravent complètement ou partiellement l’abord relationnel.
Toute prescription nécessite plusieurs entretiens préalables et doit s’accompagner d’une surveillance étroite (entretiens réguliers). La prescription doit être soigneusement discutée avec l’adolescent et ses parents et l’obtention d’une alliance thérapeutique de leur part est primordiale. Le patient et sa famille doivent être informés des risques du traitement et en particulier du risque d’apparition d’un comportement hostile ou suicidaire en début de traitement pour pouvoir aider le praticien à le dépister. Ils sont informés également sur ce que l’adolescent peut attendre du traitement et sur sa durée probable. La question de la nécessité d’une hospitalisation de courte durée est systématiquement discutée. Il est recommandé de commencer à une dose faible et d’augmenter progressivement jusqu’à la posologie minimale efficace. L’arrêt du traitement doit se faire également progressivement.
La prescription d’antidépresseurs n’est pas adaptée aux situations d’urgence, qui nécessitent une hospitalisation. Dans tous les cas, la prescription d’antidépresseurs doit s’accompagner d’une prise en charge psychothérapeutique adaptée.
Des études rapportent l’efficacité de la fluoxétine, de la sertraline, du citalopram et de la paroxétine pour la dépression de l’adolescent, même si toutes les études de ce type ne sont pas unanimes. De même, la venlafaxine (inhibiteur de la recapture de la sérotonine et de la noradrénaline) aurait un effet positif.
Soulignons concernant la polémique qui a eu lieu à propos des IRS que pour la totalité des cas observés dans les études, aucun cas de suicide « complété » n’a été enregistré parmi les enfants et les adolescents inclus (il s’agissait d’automutilations et de tentatives de suicides). De plus, la période d’apparition des comportements suicidaires se situait surtout entre les premiers jours et les premières semaines après le début du traitement et nous rappelons que les idées de suicide et les tentatives de suicides sont fréquentes dans la clinique de l’épisode dépressif à l’adolescence. Au-delà de ces périodes, les IRS diminueraient les taux de suicide.
En ce qui concerne les antidépresseurs tricycliques, les dernières méta-analyses n’ont pas permis d’établir que le rapport bénéfice/risque était favorable. Même si une tendance est notée en faveur d’un bénéfice clinique dans le groupe des adolescents comparé à celui des enfants, la fréquence et la gravité des effets indésirables (cardiovasculaires essentiellement) est trop importante.
En ce qui concerne les dépressions psychotiques et les troubles bipolaires à l’adolescence, on utilise un thymorégulateur.
Il apparaît, à partir de l’expérience relatée des uns et des autres, que l’utilisation du lithium peut être beaucoup plus précoce qu’il n’était antérieurement conseillé. Cependant les effets antithyroïdiens du lithium nécessitent des études approfondies en ce qui concerne les risques sur la croissance, et ses effets secondaires font qu’il n’est pas envisagé en première intention. La prescription est la même que chez l’adulte (lithémie entre 0,50 et 1 Meq/l avec contrôle hebdomadaire puis mensuel). Les médicaments anticonvulsivants (acide valproïque, carbamazépine), sont des alternatives dorénavant bien connues chez l’adulte dans ce type de trouble et peuvent également être utilisés à l’adolescence, en particulier dans les troubles bipolaires mixtes. Comme cela peut arriver chez l’adulte, il est nécessaire chez beaucoup d’adolescents ayant des manifestations psychotiques mais présentant un trouble bipolaire d’utiliser de façon complémentaire des antipsychotiques.
Intervention sur l’environnement :
L’intervention sur l’environnement peut modifier nettement l’enlisement qui s’instaure dans un climat dépressif vécu par l’adolescent lui-même mais aussi par ses proches. Cette intervention peut être de nature très diverse : changement de lycée, de section, aménagement d’un lieu de vie différent (internat par exemple), hospitalisation pour que les conflits puissent s’exprimer et être « travaillés » sans être agis répétitivement. Cette intervention doit cependant avoir toujours pour but qu’un processus de séparation-individuation ou qu’un travail de deuil s’élabore.
Hospitalisation :
On hospitalise rarement un adolescent parce qu’il est seulement déprimé. Le contexte familial ou social, les risques de passages à l’acte auto- ou hétéroagressifs, les difficultés prévisibles de l’observance thérapeutique constituent des motifs déterminants. Il est préférable d’hospitaliser les adolescents dans des lieux conçus pour eux et dans lesquels travaillent des équipes habituées à recevoir ces populations particulières.
D’une façon générale, l’hospitalisation en urgence des adolescents se fait trop souvent en catastrophe et répond moins à la gravité réelle d’une situation psychique qu’au constat que les structures qui les accueillaient jusque-là (familiales ou institutionnelles) se trouvent brutalement dépassées par l’angoisse ou la violence qu’ils suscitent. Il est toujours préférable de préparer une hospitalisation quand cela est possible.
Dans tous les cas, il convient de rappeler que l’hospitalisation n’est bien souvent qu’une étape parmi d’autres dans un processus soignant qui a débuté avant elle et se poursuivra après elle.
La durée des hospitalisations est variable mais doit être déterminée assez tôt. Lorsque l’adolescent est hospitalisé lors d’une « crise », l’hospitalisation doit être de courte durée, afin d’éviter la désinsertion sociale, scolaire et relationnelle. Dans les cas de dépressions graves, dans lesquelles l’environnement social et familial est déterminant et facteur de pérennisation des troubles, il faut savoir hospitaliser beaucoup plus longuement ou savoir réhospitaliser fréquemment.
Le rôle des équipes hospitalières est d’être disponible, tolérant mais sans être complaisant. C’est dans ce contexte qu’il est possible de créer un espace contenant et de restaurer les limites que les adolescents distinguent mal. L’institution peut être utilisée comme un lieu de médiation, en aidant à instaurer un espace psychique pour les adolescents trop facilement dans l’agir et la difficulté de mentalisation. Il faut pouvoir favoriser sa restauration narcissique à travers le cadre, les soins, les échanges et les rencontres, tout en évitant à la fois les attitudes excessives de maternage qui favorisent les bénéfices secondaires, et une trop grande exigence alors qu’il n’a pas suffisamment d’autonomie. Un service accueillant des adolescents doit s’efforcer d’être un lieu d’échanges relationnels intenses : échanges avec les soignants mais aussi avec les pairs. La dépression à l’adolescence est particulièrement désocialisante, aussi il faut être très attentif à la scolarité des adolescents. On doit veiller à favoriser la reprise scolaire dès qu’elle est médicalement possible même parfois avant un éventuel retour en milieu familial.
Les rencontres avec les parents doivent être régulières et permettre de conserver ou renouer des liens. La sortie de l’hospitalisation doit elle aussi être préparée. Le suivi ultérieur doit être programmé.
Prévention :
Elle paraît essentielle même si les études à ce sujet sont insuffisantes. Elle se situe aussi bien au niveau de la première enfance, comme le montre la dépression d’abandon, qu’au niveau de l’adolescence. La reconnaissance et le traitement d’une dépression à l’adolescence permettent en outre de réaliser un travail préventif vis-à-vis des éventuels troubles ultérieurs de l’âge adulte.