QUELQUES CHIFFRES :
Le tabagisme est, en France, responsable de plus de 60 000 décès par an. Sur 4 jeunes de 18 ans qui fument (actuellement 50 % des jeunes de 18 ans sont dans ce cas), deux continueront à fumer pendant une grande partie de leur vie, et l’un d’eux décédera des conséquences de son tabagisme. Il est vrai qu’un fumeur sur deux s’arrête de lui-même – « sans aide » – mais au bout de combien de temps ? Les consultations d’aide au sevrage – trop peu nombreuses – ne peuvent prétendre à elles seules répondre à la demande. Le devoir de tous les professionnels de santé est donc d’informer (sans culpabiliser) les fumeurs de ces risques, d’évaluer leur motivation à s’arrêter, de les renseigner sur les possibilités d’aide à l’arrêt.
MÉCANISMES DE LA DÉPENDANCE TABAGIQUE :
Le tabagisme est un comportement entretenu et amplifié par une dépendance pharmacologique (nicotine essentiellement) et/ou psychocomportementale.
L’aide au sevrage doit donc évaluer et prendre en compte les deux aspects de la dépendance : psychocomportementale et pharmacologique.
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L’importance relative de ces deux composantes est très variable d’un fumeur à l’autre et nous ne disposons pas de tests très précis pour les quantifier. S’il est assez facile d’identifier par le test de Fagerström (Fig. 1) les fumeurs très dépendants de la nicotine, chez ceux dont le score est assez faible (< 4), on trouve des sujets suffisamment dépendants pour que le sevrage soit difficile d’autant qu’on n’est pas à priori enclin à leur prescrire des substituts nicotiniques. Le moyen fiable d’évaluer la consommation de nicotine d’un fumeur serait de doser la cotinine urinaire (métabolite de la nicotine), mais ce test n’est pas d’usage courant (problème de coût pour un sevrage de « masse »). Il faut donc se contenter de moyens approximatifs et de recoupements entre les tests (nombre de cigarettes consommées, mesure du CO expiré si possible, difficulté à rester longtemps sans fumer) pour évaluer au mieux le profil de la dépendance de chaque fumeur.DÉMARCHE DE L’AIDE AU SEVRAGE :
Aborder brièvement à chaque consultation le problème du tabac :
Aider le fumeur à envisager de s’arrêter est un travail au long cours qui doit souligner l’importance que le médecin attache à l’obtention de l’arrêt et valoriser les bénéfices du sevrage. Ce travail vise à accélérer le cycle de Prochaska (Fig. 2). Le médecin généraliste est probablement le mieux placé pour entreprendre cette démarche. Une ou deux questions sur la position du fumeur par rapport à son tabagisme permettent de situer le degré de motivation à l’arrêt. On peut éventuellement s’aider du questionnaire de Lagrue et Légeron (Fig. 3). Si la motivation paraît faible, il est inutile d’insister (en particulier en brandissant les méfaits du tabagisme que le fumeur connaît en règle parfaitement). On se limite dans ce cas au conseil minimal : conseil d’arrêt ainsi que fourniture de documents sur les risques du tabagisme et les méthodes d’arrêt. Il faudra réaborder le problème lors d’une prochaine consultation.
Si le fumeur paraît hésitant, envisager avec lui les inconvénients et les avantages qu’il tire du tabac et les bénéfices qu’il attend de l’arrêt. On peut lui proposer une liste d’items mais il est important d’écouter ses choix car c’est à partir d’eux qu’il va bâtir sa détermination à s’arrêter.
Il faut souligner les bénéfices (rapides pour la sphère cardiovasculaire) toujours obtenus même si le tabagisme est ancien. Il faut écouter et prendre en compte ses craintes : baisse de l’efficience intellectuelle, « déprime », irritabilité, prise de poids, etc.
L’expérience d’une précédente tentative est très instructive. Certains écueils majeurs à l’arrêt sont souvent rencontrés, ils font partie du « système de défense » des fumeurs : croyance à l’impossibilité de s’arrêter, on a toujours vécu avec la cigarette, il paraît impossible de vivre sans.
Faire reposer la réussite sur la volonté :
Faire de la réussite du sevrage un challenge reposant uniquement sur la volonté en faisant abstraction des phénomènes de dépendance, d’où la nécessité de replacer la tentative d’arrêt dans la logique d’un travail d’apprentissage : on va apprendre à vivre sans fumer. Ceci permet de dédramatiser a priori un éventuel « échec » : on a réussi à s’arrêter mais pas de façon durable, cependant on a fait l’expérience de l’arrêt au moins quelques jours, on a pu noter les difficultés à surmonter lors de la prochaine tentative pour laquelle on sera mieux armé.
Ne pas assimiler le sevrage à une injonction thérapeutique :
La tentative est laissée au libre arbitre du fumeur qui choisit la date qui lui paraît propice à l’arrêt. Il faut suggérer au fumeur de mettre en place un système de récompense de substitution : notion de liberté retrouvée, réalisation d’un projet grâce aux économies réalisées, bénéfices pour sa santé et celle de son entourage.
Avant le sevrage, il est important de rechercher des antécédents dépressifs ou une humeur dépressive actuelle (questionnaire HAD) et de s’assurer de l’absence d’une problématique personnelle (deuil, séparation, échec professionnel, etc.) qui peut amener à proposer au patient de différer un peu la date du sevrage et/ou à traiter au préalable les troubles de l’humeur.
Le sujet a décidé de s’arrêter : comment l’aider ?
Score de Fagerström égal ou supérieur à 4 :
Les substituts nicotiniques sont indiqués si le sujet en est d’accord.
Plus le score est élevé, plus le dosage de la substitution doit l’être : au moins un patch à 21 mg/j voire d’emblée plus si on a la notion de manque avec ce dosage lors d’un sevrage antérieur (on a toujours la possibilité de demander un avis auprès d’une consultation de tabacologie).
Chez les fumeurs qui veulent être actifs, les gommes à 4 mg ou l’utilisation d’un inhaleur de nicotine à la demande permettent de contrôler la prise de nicotine et d’avoir un substitut buccal et/ou gestuel. Il est possible pour les sujets les plus dépendants d’associer patch et gommes ou inhaleur en petite quantité pour contrôler les pulsions ponctuelles les plus fortes (en demandant au sujet d’essayer si possible de prévoir ces moments de manière à s’administrer le substitut le plus tôt possible).
La substitution nicotinique n’est pas contre-indiquée chez les patients ayant des problèmes cardiovasculaires et peut être administrée rapidement après un accident coronarien. Elle peut également être utilisée chez la femme enceinte à condition de respecter une période de non-administration d’au moins 8 heures par jour. Si le sujet « craque » et fume, il est inutile d’enlever le patch (qui continue d’agir une à deux heures après). Un tel incident, s’il se répète, doit faire réévaluer à la hausse la posologie de la substitution et/ou la motivation du sujet à s’arrêter.
L’administration de nicotine ne résume pas la stratégie du sevrage et il est important d’établir un contact régulier au moins téléphonique qui permet d’évaluer si le niveau de la substitution est correct sans signe de surdosage ou plus souvent de sous-dosage avec persistance de pulsions fortes à fumer, de vérifier l’absence de troubles de l’humeur et/ou du comportement alimentaire. Ces contacts permettent aussi de renforcer la motivation du patient. Les boissons (ni sucrées, ni alcoolisées) doivent être abondantes. La consommation de vitamine C à sucer est également recommandée. Les patchs sont portés 24 heures (ce qui évite le manque le matin au réveil) sauf s’il existe des troubles du sommeil persistants. La substitution est en règle poursuivie un trimestre à doses dégressives chaque mois. L’interruption trop précoce augmente le risque de reprise du tabagisme.
Depuis le début de l’année 2007, un nouveau produit peut être proposé dans le sevrage : la varénicline (Champix®) est un agoniste partiel des récepteurs alpha-4 bêta-2 des récepteurs nicotiniques de l’acétylcholine. Elle s’y fixe avec une affinité supérieure, au niveau du cerveau, que la nicotine. Par son effet agoniste partiel, la varénicline stimule la libération de dopamine et d’une part réduit l’envie de fumer et les symptômes de sevrage, et d’autre part bloque la liaison de la nicotine inhalée et ses effets de renforcement.
Deux études, en double aveugle, ont comparé l’effet du bupropion (Zyban®, 150 mg deux fois par jour, d’un placebo et de la varénicline (1 mg deux fois par jour) administrés pendant 12 semaines, période suivie d’une phase d’arrêt de 40 semaines. Le pourcentage d’arrêt sous varénicline a été 2,5 fois supérieur à celui observé sous placebo (44,4 % versus 17,7 %) et 1,5 fois supérieur à celui observé sous bupropion au terme des 12 semaines. Après un an, 22 % des sujets ayant reçu de la varénicline étaient toujours abstinents. Une troisième étude a évalué le bénéfice d’un traitement de 12 semaines supplémentaires par la varénicline. Les patients qui avaient arrêté de fumer à la semaine 12 ont été randomisés pour recevoir soit 1 mg deux fois par jour de varénicline ou un placebo pendant 12 semaines supplémentaires. Entre la semaine 13 et la semaine 24, 71 % des patients sous varénicline étaient toujours abstinents contre moins de 50 % sous placebo. Les intérêts du produit sont sa possibilité d’être commencé un peu avant l’arrêt complet du tabagisme, de rendre plus facile cet arrêt et de pouvoir être administré pendant un temps plus long que les substituts nicotiniques classiques. Le produit est en règle bien toléré (nausées de faible intensité, rêves intenses, céphalées). Compte tenu de son mode d’action, son association aux substituts nicotiniques ne paraît pas logique.
Score de Fagerström inférieur à 4 :
La dépendance est plutôt de type psychocomportemental.
Une aide de type comportemental et cognitif doit être mise en place :
Le sujet doit identifier les situations « gâchettes » de manière à mettre en place des stratégies de substitution, au besoin associées par la prise au coup par coup de gommes ou par l’utilisation de l’inhaleur. Si la dépendance nicotinique est très faible et/ou si le sujet ne veut pas recourir aux substituts de la nicotine, l’utilisation du bupropion (Zyban®) est possible. Il s’agit d’un médicament antidépresseur qui agit au niveau des centres encéphaliques de la récompense, qui a prouvé son efficacité lors d’une étude contrôlée contre placebo.
Il ne peut être prescrit s’il existe un antécédent ou un risque de convulsion (comitialité, alcoolisme) ou en cas d’altération de la fonction hépatique. Il est souhaitable d’administrer le médicament à doses progressives et de le commencer deux à trois semaines avant la date du début du sevrage. Il ne s’agit pas d’un « produit miracle » (comme ont tendance à le penser certains fumeurs) et sa prescription ne se conçoit qu’en cas de motivation avérée du sujet.
Les recommandations faites au paragraphe précédent concernant le suivi sont de mise, la durée et la qualité de l’accompagnement étant des facteurs de réussite importants comme le soulignent les conclusions du JNC VII (pour améliorer l’adhésion et l’observance du traitement de l’HTA) : « le traitement le plus efficace prescrit par le médecin le plus expérimenté n’atteindra son but que si le patient est motivé. La motivation augmente quand le patient a eu un contact positif avec le médecin et a confiance en lui.
L’empathie est source de confiance et facteur important de motivation. »
Autres méthodes d’aide au sevrage : homéopathie, acupuncture, hypnose :
Aucune de ces méthodes n’a pu faire la preuve de son efficacité à long terme au cours d’études contrôlées. Toutefois si la croyance du patient dans la capacité de ces méthodes à l’aider est forte, rien ne sert de l’en dissuader en lui conseillant toutefois de l’associer à une démarche pour laquelle des preuves scientifiques existent.
Les résultats des thérapies de groupe sont contradictoires, elles semblent donner au début des résultats intéressants malheureusement amoindris par un fort taux d’abandon lors du suivi.
Que penser de la réduction de consommation ?
La diminution du nombre de cigarettes fumées est souvent retenue comme une alternative à l’arrêt complet par certains fumeurs. Une telle démarche peut être tentée – à titre transitoire
– car elle permet au fumeur de faire progressivement le deuil de la cigarette. Il faut toutefois avoir à l’esprit que cette réduction est souvent surestimée par le fumeur.
En cas de dépendance forte, le sujet modifie sa façon de fumer et améliore sans en être conscient le rendement des cigarettes restantes (ceci peut être mis en évidence par le dosage de la cotinine urinaire ou le taux de CO dans l’air expiré). Enfin cette stratégie n’aboutit pas à une rupture avec le tabagisme et laisse la porte ouverte à une réascension de la consommation.
Chez certains sujets très dépendants (malgré des conséquences graves du tabagisme : atteintes respiratoire ou vasculaire), la réduction de la consommation – à condition de se limiter à un très petit nombre de cigarettes – peut constituer une réduction du risque et une façon acceptable de transiger avec le patient.
À l’avenir, de nouvelles molécules interférant avec le fonctionnement des centres de la récompense sont en développement. Le Rimonabant est un inhibiteur sélectif des récepteurs endocannabinoïdes de type 1. Les résultats des premières études de phase III montrent que ce produit est capable pendant la période d’administration d’augmenter le taux de succès du sevrage tabagique sans prise de poids.
L’impact des mesures réglementaires : le décret ministériel (n° 2006- 1 386 du 15 novembre 2006 ; JO du 16 novembre 2006) interdit de fumer dans les lieux affectés à un usage collectif. Par la restriction de l’usage du tabac, la signalétique imposée et les amendes prévues pour les contrevenants, il constitue un signal fort des pouvoirs publiques contre le tabagisme et ses conséquences néfastes. Cette mesure a été généralisée à partir de janvier 2008.
CONCLUSION :
Le tabagisme constitue un problème de santé publique.
L’aide au sevrage n’est qu’un des aspects des moyens de lutte contre ce fléau. Les moyens médicamenteux disponibles pour aider le fumeur dans sa tentative d’arrêt sont pour l’instant limités et aucun ne peut revendiquer l’obtention d’une augmentation spectaculaire et durable du taux de succès. L’intervention systématique et renouvelée des soignants vise à informer les fumeurs sur les risques du tabagisme, à accélérer le cycle qui leur permet d’aboutir à une tentative de sevrage. Cette démarche peut nécessiter un accompagnement chez les fumeurs les plus dépendants ou à problèmes. Une formation minimale permet aux soignants de s’acquitter de cette mission dans la majorité des cas. Les consultations de tabacologie, en raison de leur nombre restreint, doivent être réservées aux cas les plus difficiles.
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