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Anorexie mentale

Anorexie mentale

Anorexie mentale

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L’anorexie mentale reste, malgré sa fréquence, une maladie dérangeante et difficile à maîtriser.

Sa prévalence est importante et stable : 0,1 à 1 % dans les pays occidentaux.

DIAGNOSTIC :

Symptômes et examens :

Reconnaître une anorexie mentale au stade de la cachexie est très facile. L’évoquer un peu plus tôt, voire même dès les premières semaines est plus malaisé.

La symptomatologie classique de la maladie est pourtant simple et très parlante : perte de poids, aménorrhée secondaire, diminution considérable de l’alimentation ne devraient laisser, chez une adolescente, aucune place au doute. Néanmoins, la pathologie est niée par la patiente, et souvent par la famille. C’est dire l’importance du médecin généraliste de famille, qui connaissant dans le temps les différents acteurs de la maladie, est le mieux placé pour penser très vite au diagnostic.

Et il est important de le faire, la précocité de celui-ci et de la prise en charge adaptée qui doit en résulter étant un élément important du pronostic.

Le tableau évolué comporte :

– la maigreur de plus en plus cachectique contrastant avec une activité intellectuelle et physique assez longtemps conservée ;

– une certaine pâleur jaunâtre, comme le développement d’un laguno ;

– l’apparition, plus tard, d ’oedèmes ;

– l’écroulement de l’activité physique ;

– un rapprochement vers la mort. On voit parfois encore malheureusement les patientes arriver dans un tel état.

Biologiquement, l’anorexie mentale est caractérisée par :

– des constantes longtemps respectées, sauf chez celles qui vomissent ou qui prennent laxatifs ou diurétiques, où l’hypokaliémie peut être menaçante ;

– la baisse des taux de LH (hormone lutéinisante), FSH (hormone folliculostimulante) et des hormones sexuelles ;

– la normalité de la glycémie et la diminution de l’albuminémie, dans les formes évoluées (possibles troubles hydroélectrolytiques : attention aux troubles du rythme cardiaque !) ;

– un cortisol préservé ; un léger abaissement de la T3 libre au bénéfice de la rT3 ;

– une hypercarotinémie ;

– une TSH normale ou un peu haute ;

– des bons marqueurs de dénutrition que sont les dosages de préalbumine (ou transthyrétine) et de transferrine (diminués en cas de dénutrition).

Formes cliniques :

La forme restrictive pure est de loin la plus fréquente.

L’alimentation est de plus en plus restreinte, avec parfois initialement des aspects qualitatifs, mais l’exclusion des aliments se fait de plus en plus complète. Il n’y a pas de vomissements, mais l’obsession de la vacuité peut conduire à la prise de laxatifs et parfois de diurétiques.

Les formes avec vomissements représentent autour de 20 % des cas. Ils sont bien entendus cachés, mais on peut en rechercher les stigmates biologiques (alcalose hypochlorokaliémique) mais aussi cliniques (petites ulcérations du dos des premières phalanges ou des métacarpiens).

Ces formes s’accompagnent d’une prise alimentaire prandiale conservée, et parfois même importante ou très importante, les patientes vomissant en dehors des repas. L’association de l’anorexie mentale avec la boulimie vraie est rare, mais quelques patientes peuvent passer de l’une à l’autre pathologie, sur plusieurs années d’évolution.

L’anorexie mentale de la femme adulte n’est pas exceptionnelle. Ce peut être la résurgence d’une forme parfois abortive de l’adolescence. Mais la maladie peut réellement s’installer à l’âge adulte.

Ce sont des formes de plus mauvais pronostic.

L’anorexie mentale masculine est rare (5 % des cas féminins en France). Elle traduit une psychopathologie plus sévère. Les formes restrictives pures y seraient moins fréquentes. La cachexie peut y être tout autant impressionnante.

L’activité sexuelle et la testostérone s’abaissent.

Diagnostic différentiels :

De tels tableaux laissent peu de place au diagnostic différentiel. Il est classique (et nécessaire) d’éliminer les autres causes d’amaigrissement :

– les cancers sont rarement en cause chez un sujet jeune ;

– la tuberculose existe toujours ;

– la maladie coeliaque et surtout la maladie de Crohn (maladies digestives) sont souvent de traduction clinique fruste, la diarrhée pouvant être absente ou très discrète. Le contexte familial des maladies de Crohn est parfois un peu difficile. Ces deux maladies peuvent entraîner une perte de poids notable chez l’adolescent, et il faut savoir y penser, en particulier si le bilan standard montre un syndrome inflammatoire même modéré qui n’a pas lieu d’être dans l’anorexie mentale.

ÉTIOLOGIES :

Rôle de la génétique :

L’implication de la génétique repose sur les observations suivantes :

– existence de cas familiaux ;

– études de jumeaux mono ou hétérozygotes, qui ont conclu à une vulnérabilité à la maladie (héritabilité d’environ 70 %) ; polymorphisme sur le gène 5HT(2A), qui modifierait le phénotype et l’expression de la maladie.

Composante psychosociale :

Il est classique de dire que la pression de la société, vantant depuis la fi n de la seconde guerre mondiale la minceur féminine favorise la survenue de l’anorexie mentale. On peut noter que cette dictature du mince se poursuit alors même que l’obésité vraie se développe dans nos sociétés d’abondance soumises à la « loi du marché ». Un tel environnement joue sans doute un rôle fragilisant chez les individus par ailleurs à risque.

Composante psychofamiliale :

Quelques traits généraux se retrouvent souvent dans les familles d’anorexiques : la cellule familiale apparaît pathogène.

La patiente d’abord est souvent cette « enfantimage », aconflictuelle, dont le souci principal est de correspondre à l’attente de sa mère.

L’anorexique, chassant toute rondeur de sa silhouette se rend stérile : la mère est reproductrice et la fille aidante. Chez ces jeunes filles le « moi » se caractérise par un profond sentiment d’impuissance envers les influences extérieures.

À défaut de pouvoir avoir prise sur la réalité qui les environne, les patientes utilisent toute leur énergie à leur propre contrôle. Il s’agit là de comportements actifs, volontaires, accompagnés d’une fierté de maîtriser l’oralité. Les anorexiques déclenchent leur maladie le plus souvent dans la période pubertaire ou post pubertaire.

L’absence de barrière intergénérationnelle avec les parents, la relation « fusionnelle » avec la mère (malgré le peu d’estime qu’elle ressent), l’absence d’une réelle autorité paternelle sont parmi les éléments constitutifs de ces personnalités.

La crise d’adolescence ne sera là jamais à l’ordre du jour.

Les parents d’anorexiques sont sans doute « responsables mais pas coupables ».

La mère a souvent souffert des relations avec sa propre mère : carence affective gravement ressentie et/ou humiliations. Les mères vont ainsi reporter sur leur fille tout ce dont elles ont manqué.

Mais elles donneront au lieu d’écouter. Les nourrissons, futures anorexiques, sont habitués dès l’origine à des réponses données sans rapport avec les questions posées. L’introduction, dès les premières semaines, de fausses réponses est une cause importante de la distorsion cognitive dont souffrira l’anorexique.

Le père paraît souvent au second plan, mais de façon pathogène. Les pères d’anorexiques ont souffert de carences affectives de la part de leur mère, qu’ils idéalisent. Ils choisissent ensuite une épouse « comme figure maternelle réparatrice », capable de leur assurer le confort affectif, et d’assumer les tâches, y compris éducatives, du foyer. Ce sont ainsi des pères souvent absents ou « présents absents » qui vont contribuer au déséquilibre de leur fille en n’assurant la construction d’aucun « point de capiton » solide, permettant un premier degré d’indépendance.

Problèmes apparentés :

Les personnalités des anorexiques auraient des points communs avec celle des toxicomanes. La difficulté voire l’impossibilité à gérer le manque en est un exemple. On peut bien sûr se demander si l’anorexie favorise la toxicomanie ou si c’est l’inverse. Les deux comportements pourraient être la conséquence d’un même profil psychologique, d’une même fragilité, et pour partie au moins d’un même contexte éducationnel.

L’anorexie mentale surviendrait chez la fille là où la toxicomanie toucherait le garçon.

La fréquence des troubles du comportement alimentaire est plus élevée chez les individus qui pratiquent des sports de haut niveau, notamment les danseuses, les gymnastes et les athlètes pratiquant des sports antigravitationnels et d’endurance.

Le lien entre ces différentes situations peut se situer au niveau des opiacés et de leurs récepteurs.

Les niveaux d’endorphines sont plus élevés chez les anorexiques. Ils le sont également lors de l’exercice physique intensif, particulièrement dans les sports d’endurance ou de grande endurance. Il y a là une recherche d’un certain état intérieur par le sport, l’addiction, le jeûne, capable de suppléer un monde réel décevant, jugé inaccessible ou incompris.

PRISE EN CHARGE DE L’ANOREXIE MENTALE :

Intervention précoce :

Un diagnostic précoce et une prise en charge adaptée rapide constituent des éléments de bon pronostic. Si le médecin de famille est le mieux placé pour diagnostiquer tôt la maladie, il n’est cependant pas dans une position curatrice a priori favorable. Il est en règle nécessaire d’avoir recours à un confrère extérieur connaissant bien la maladie, interniste ou nutritionniste intéressé. C’est lui qui sera le maître d’oeuvre du traitement. L’intervention du psychiatre ne doit pas être systématique d’emblée.

Si l’on a la chance de voir la patiente très vite, il arrive que les choses puissent se régler en ambulatoire, en un certain nombre de consultations, avec bien souvent l’appui secondaire d’un psychologue ou d’un psychiatre. La clé du succès pour le somatitien tient en quatre mots :

autorité car les patientes ont souffert et souffrent d’une absence de repères solides, de barrière intergénérationnelles, qui explique en partie le côté souvent pervers et manipulateur que l’on retrouve chez beaucoup d’anorexiques. Il faut, d’une certaine manière, remplacer l’autorité paternelle défaillante ;

vérité car il faut montrer à ces jeunes filles ce qu’elles sont réellement quand elles ont ou affirment avoir une image corporelle tout à fait pathologique ;

sévérité car il ne faut transiger, négocier sur rien : les objectifs fixés sont et doivent être totalement hors discussion ;

confiance : elle est essentielle, car il faut bien montrer que la relation thérapeutique proposée est une relation entre personnes responsables, que le médecin fait confiance a priori à la patiente, à elle de démontrer par l’évolution du poids que cette confiance peut être renouvelée.

Le poids est en effet le témoin absolu de l’évolution de la maladie, et s’il est possible de tricher ponctuellement avec lui, il est impossible de le maquiller dans la durée. Il n’est pas rare que, dans de telles conditions, l’on ait la satisfaction de voir régresser et disparaître une anorexie débutante.

Un suivi régulier d’au moins 6 mois est cependant prudent et nécessaire.

Traiter la patiente elle-même ne dispense pas de rencontrer la famille. Dans les cas favorables, les parents sont tout disposés, au moins en apparence, à tout faire pour aider leur fille. Ils ont cependant souvent le plus grand mal à admettre qu’ils sont « responsables mais non coupables ».

Il faut donc essayer de les amener à cette prise de conscience, mais ne pas se leurrer sur la possibilité, pour des adultes, à remettre en cause leur personnalité profonde. Cette psychothérapie familiale, menée en principe avec le secours d’un « psy », permettra au moins de limiter les attitudes parentales délétères dans le courant de l’évolution.

Dès cette phase, le recours à une diététicienne est souvent hautement réclamé par la malade et/ou sa famille. Il faut s’en garder : s’il est une chose dont une anorexique n’a absolument pas besoin, c’est d’un régime. Le but est, et doit, rester la reprise d’une alimentation normale.

Cas des formes évoluées : hospitalisation

L’hospitalisation s’impose :

– si la patiente ne consulte que très tardivement : on se trouve souvent devant des situations critiques, avec une grande cachexie et parfois même un risque vital affiché ;

– si la tentative de prise en charge ambulatoire a échoué : si les objectifs de poids fixés à chaque consultation ne sont pas réalisés, et bien sûr si le poids continue de baisser, il faut hospitaliser, même si le poids est encore relativement correct.

L’hospitalisation se fait dans un service où se trouve le médecin spécialisé ayant débuté la prise en charge, ou à qui la patiente à été adressée en catastrophe. Outre le thérapeute, on doit y trouver les compétences en psychiatrie, en diététique cette fois, voire en réanimation. C’est toujours le médecin qui restera seul maître de la conduite thérapeutique. Le principe d’autorité est essentiel pendant toute la durée de l’hospitalisation.

Une fois l’indispensable (mais limité) bilan somatique et hormonal de base effectué, le séjour va reposer sur quelques grands principes :

l’isolement d’avec le milieu familial et amical doit être total : aucune communication directe de la malade avec ses proches (diffi cile à l’époque des téléphones portables) et aucune visite

– un contrat de poids doit être signé par le thérapeute et la patiente : il fixe le poids qui permettra sa sortie. Il doit constituer un acte fort, solennel, traduisant son engagement sur la voie de la guérison. Même quand il est signé sans enthousiasme, voire même avec réticence, le seul fait pour la patiente de signer ce document constitue un pas en avant ;

– la psychothérapie informelle du somatitien doit s’articuler avec l’intervention du psychiatre de l’équipe tout au long du séjour. L’écoute est un point très important, contrepoids essentiel aux obligations contractuelles et base de la confiance.

L’alimentation proposée est normale. La diététicienne aide à composer des apports caloriques que l’on peut fixer entre 2 000 et 3 000 Kcalories (en dehors de la réalimentation des cas extrêmes, qui doit être progressive et assez rapide à la fois).

L’évolution est le plus souvent favorable si la prise en charge de l’ensemble de l’équipe est correcte. Une prise de 1 à 2 kg par semaine permettra de remplir le contrat de poids en 6 à 10 semaines. Il est rare d’avoir besoin de renforcer l’isolement. Il peut être utile d’employer une supplémentation en zinc. Parfois, un traitement antidépresseur est conseillé par le psychiatre. Le pronostic, en dehors des cas d’emblée extrêmes, est bon à court terme, et la sortie contrat rempli est la plus fréquente.

La prise en charge familiale selon diverses modalités est bien entendu nécessaire pendant l’hospitalisation. Le choix entre une thérapie familiale, ou de la famille, ou des entretiens à la demande dépend des pratiques et des préférences des thérapeutes.

Durée du traitement après hospitalisation :

La sortie de la malade ne veut évidemment pas dire guérison. La prise en charge médicale et psychiatrique doit se poursuivre en consultation, au moins mensuelle au début, pendant 6 à 18 mois. La nécessité de prolonger le suivi régulier au-delà de ce terme est d’un pronostic médiocre.

Résultats à long terme :

En excluant les formes rapidement abortives (petites poussées parapubertaires), les résultats des patientes ayant perdu au moins 10 % de leur poids sont grossièrement répartis en tiers :

– 1/3 de bons résultats ;

– 1/3 de résultats médiocres, où persistent des troubles de l’alimentation ou une aménorrhée chronique, témoin d’un poids maintenu en dessous de la normale ;

– 1/3 de mauvais résultats avec des tableaux d’anorexie mentale chronique et/ou d’autres somatisations sévères.

La mort survient dans moins de 10 % des cas.

Le suicide est possible mais peu fréquent. Parmi les facteurs pronostiques, outre la rapidité de la prise en charge, l’importance de la perte de poids initiale, c’est-à-dire la sévérité immédiate de la maladie, est le plus important. L’âge de survenue l’est moins (gravité plus grande à l’âge adulte). Les formes du garçon sont classiquement plus sévères, traduisant plus souvent un véritable trouble psychiatrique sous-jacent et non un « simple » problème de perturbation plus ou moins forte de la construction de la personnalité.

De façon surprenante, la survie générale des anorexiques ne serait pas différente de celle attendue dans une population de référence ; cela reste néanmoins à confirmer.

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