INTRODUCTION :
L’anxiété est un symptôme d’une grande fréquence.
Elle est retrouvée chez un patient sur cinq à la consultation d’un médecin généraliste et chez plus d’un tiers des patients hospitalisés dans des services de médecine. Très fréquente, l’anxiété est également non spécifique. Elle est observée dans de nombreux troubles organiques et dans la plupart des pathologies psychiatriques.
Son intensité est variable et peut aller jusqu’au paroxysme de la crise d’angoisse, décrite sous le nom d’« attaque de panique » dans la classification des troubles mentaux du DSM-IV.
En s’appuyant sur le DSM-IV – qui se limite à une description symptomatique des troubles mentaux, mais permet un repérage utile de critères (symptômes) dans un but de diagnostic et de traitement – l’attaque de panique est décrite tout d’abord en tant qu’entité isolée puis au sein des troubles anxieux, formes d’« anxiétémaladie », dans lesquels elle se manifeste.
DIAGNOSTIC :
Comment distinguer l’anxiété pathologique de l’anxiété normale ?
L’anxiété est une émotion normale en réponse au stress dans la vie quotidienne. Une telle anxiété, adaptée au contexte et qui permet de lui faire face, ne justifie aucun traitement.
L’anxiété devient pathologique quand elle est source de détresse pour l’individu qui ne la contrôle plus. Elle a alors un retentissement sur ses capacités d’adaptation du fait de l’inhibition qu’elle entraîne et empêche de faire face aux situations de la vie courante.
Attaque de panique :
Ce terme correspond à la classique crise d’angoisse, anxiété paroxystique, dont l’étymologie (du latin angustia « étroitesse, lieu resserré ») en souligne la composante physique.
L’attaque de panique consiste en une période bien délimitée d’anxiété ou de malaise très intense, en dehors de tout danger réel, dans laquelle au minimum quatre des symptômes suivants (Encadré 1) sont survenus de façon brutale.
Encadré 1. Symptômes d’une attaque de panique (d’après le DSM-IV)
Symptômes somatiques
Respiratoires
Sensation de « souffl e coupé » ou impression d’étouffement Douleur ou gêne thoracique
Sensation d’étranglement
Cardio-vasculaires
Palpitations, battements de coeur ou accélération du rythme cardiaque
Neurologiques
Sensation de vertige, d’instabilité, de tête vide ou
Impression d’évanouissement
Paresthésies (sensations d’engourdissement ou de picotements)
Neurovégétatifs
– transpiration
– frissons ou bouffées de chaleur
Musculaires
Tremblements ou secousses musculaires
Digestifs
Nausée ou gêne abdominale
Symptômes cognitifs
Peur de perdre le contrôle de soi ou de devenir fou
Peur de mourir
Déréalisation (sentiment d’irréalité) ou dépersonnalisation (être détaché de soi)
Les attaques répondant à la définition ci-dessus et ayant moins de quatre symptômes somatiques ou cognitifs sont considérées selon les critères diagnostiques du DSM-IV comme paucisymptomatiques.
Les symptômes somatiques, incontrôlables, dominent le plus souvent le tableau et peuvent entretenir la crainte d’avoir un accident cardiaque ou respiratoire.
Les symptômes cognitifs témoignent de la peur d’un danger imaginaire (« peur de devenir fou », « peur de mourir »). La présence de symptômes de déréalisation (sentiment d’étrangeté du monde environnant) et plus rarement de dépersonnalisation, de perte des limites corporelles voire de distorsion perceptive (modification de l’intensité des sons, distorsion des formes) majorent l’angoisse du patient.
L’attaque de panique atteint son acmé en 10 minutes ou moins. Elle dure en général 20 à 30 minutes et excède rarement une heure.
Le désir du patient est de mettre un terme à cette expérience douloureuse. On peut observer de violentes réactions de fuite afin de trouver un secours immédiat ou au contraire des attitudes prostrées.
DÉMARCHE DIAGNOSTIQUE FACE À UNE ATTAQUE DE PANIQUE :
Rechercher d’abord une cause organique :
Certaines pathologies organiques peuvent être la cause d’attaques de panique. Un examen somatique est donc nécessaire pour éliminer :
– pathologie cardiovasculaire ( angor, infarctus du myocarde, trouble du rythme, embolie pulmonaire) ;
– pathologie respiratoire ( asthme, pneumonie) ;
– pathologie endocrinienne ( hypoglycémie, hyperthyroïdie, hyperparathyroïdie, phéochromocytome) ;
– pathologie neurologique (épilepsie, accident ischémique transitoire, tumeur).
Aucun examen paraclinique n’est systématique : bilan biologique, ECG, EEG, etc., sont prescrits en fonction de l’examen clinique.
Sont systématiquement recherchés :
– prise de toxiques : cocaïne, amphétamines, ecstasy, cannabis, etc ;
– sevrage : alcool, opiacés, barbituriques, benzodiazépines, etc.
Rechercher un trouble de l’humeur ou un trouble psychotique :
Parmi les troubles psychiatriques présentant une anxiété au premier plan, il est important de rechercher un trouble dépressif ou psychotique pouvant faire porter l’indication d’une hospitalisation :
– trouble de l’humeur : mélancolie anxieuse. En sa faveur, on retrouve la notion d’une rupture par rapport au fonctionnement habituel du sujet, l’âge tardif du début de l’anxiété (> 35 ans), la thématique mélancolique (tristesse à la dépression), la variation du tableau dans la journée (asthénie matinale, amélioration vespérale) et d’éventuels antécédents personnels ou familiaux ;
– trouble psychotique : schizophrénie, trouble psychotique bref (bouffée délirante aiguë). L’angoisse peut être liée au vécu de dépersonnalisation et à la symptomatologie délirante ou hallucinatoire (risque de passage à l’acte hétéro-agressif mais surtout suicidaire). Penser également à un effet indésirable des neuroleptiques, par exemple, crise extrapyramidale, très anxiogène.
Rechercher le contexte de survenue d’une attaque de panique :
Attaques de panique inattendues : trouble panique
Le patient n’associe pas le début de l’attaque de panique à une situation déclenchante particulière, qui survient à l’improviste. Le trouble panique est alors caractérisé par des attaques de panique inattendues, récurrentes, d’intensité et de fréquence très variables. Les patients éprouvent plus ou moins rapidement la crainte d’une récidive, crainte appelée « anxiété anticipatoire » qui peut devenir quasi permanente et être à l’origine d’un comportement d’évitement.
Attaques de panique liées à une situation et se manifestant dans le cadre de troubles anxieux (DSM-IV) :
Agoraphobie :
Le trouble panique est souvent compliqué d’une agoraphobie correspondant à la crainte de se retrouver dans des endroits ou des situations d’où il pourrait être difficile de s’échapper ou d’être secouru en cas de survenue d’une attaque de panique (par exemple, être dans une foule ou au contraire dans de grands espaces ou dans des lieux confinés). En général, de telles situations sont évitées par les patients agoraphobes ou bien nécessitent la présence d’un accompagnant.
Phobie spécifique et phobie sociale (trouble anxiété sociale) :
Une phobie se définit comme la crainte irrationnelle d’un objet ou d’une situation n’ayant pas en soi de caractère objectivement menaçant. En plus de l’agoraphobie, le DSM-IV définit deux types de troubles phobiques :
– phobie spécifique : les plus fréquentes sont les phobies d’animaux, de l’eau, des hauteurs, du sang, des piqûres ou de l’avion ;
– phobie sociale : elle se caractérise par la crainte de se sentir humilié ou embarrassé dans des situations sociales d’exposition à autrui (par exemple, parler, manger, boire en public ou converser avec une tierce personne).
La confrontation à une situation ou à un objet phobogène ou à une situation sociale redoutée provoque de façon quasi systématique une anxiété qui peut prendre la forme d’une attaque de panique.
Trouble obsessionnel compulsif :
Les obsessions sont des pensées obsédantes ressenties comme intrusives ou inappropriées et qui entraînent une anxiété ou une détresse importante (par exemple, crainte de la saleté, de la contamination, de la maladie, doute permanent, crainte d’un acte hétéro-agressif ou blasphématoire).
Les compulsions sont des actes délibérés et stéréotypés dont l’objectif est de neutraliser les pensées obsédantes et d’apaiser l’angoisse (par exemple, rituels de lavage, vérifications).
Une attaque de panique peut survenir au décours d’un trouble obsessionnel compulsif, par exemple, lors de l’exposition à la saleté chez quelqu’un ayant une obsession de la contamination.
État de stress post-traumatique :
Une attaque de panique peut résulter de la confrontation du sujet à une situation, à un objet ou à une personne qui favorise la réminiscence d’une situation de danger extrême auquel il a été confronté auparavant. Par exemple, regarder à la télévision un reportage sur un tsunami pourra déclencher une attaque de panique avec reviviscence de la situation traumatique vécue.
Trouble anxieux généralisé (TAG) :
Les critères du DSM-IV pour le diagnostic du
TAG, en pratique courante, sont les suivants :
– durée de 6 mois au moins ;
– anxiété sévère/soucis excessifs, incontrôlables, chroniques avec impression permanente de nervosité, de tension et symptômes physiques, à l’origine d’une détresse importante ;
– à l’anxiété et aux soucis sont associés certains des symptômes suivants :
– tension motrice : fatigue, tension musculaire, agitation ou surexcitation,
– hypervigilance : difficultés de concentration, troubles du sommeil, irritabilité, signes neurovégétatifs : mains froides et humides, bouche sèche, sueurs, nausées, diarrhée, pollakiurie,
– difficultés à avaler ou sensation de boule dans la gorge, tremblements, contractions, douleurs,
– endolorissement musculaire, syndrome du côlon irritable, céphalées.
La comorbidité du TAG avec des attaques de panique/ trouble panique est fréquente (elle correspond à l’ancienne « névrose d’angoisse »). De ce fait, la distinction est parfois difficile entre les 2 diagnostics.
Le TAG peut être un prodrome du trouble panique.
Les attaques de panique pauci-symptomatiques sont difficiles à distinguer des fluctuations de l’anxiété généralisée.
TRAITEMENT :
Attaque de panique :
Prise en charge psychologique :
En pratique, en même temps que le diagnostic, afin de rassurer le patient et de dédramatiser la situation, il faut :
– éloigner l’entourage dont l’anxiété accroît celle du patient ;
– établir un dialogue et une relation de confiance et mener un entretien d’évaluation afin de préciser les circonstances de survenue de la crise, l’évolution du trouble, le contexte social et environnemental, les antécédents ;
– effectuer un examen somatique soigneux et pratiquer si nécessaire des examens paracliniques afin d’écarter une étiologie organique et de rassurer le patient sur son intégrité physique.
Traitement médicamenteux :
Au-delà de cette réassurance à laquelle nombre de patients sont sensibles, il est le plus souvent nécessaire d’avoir recours à un traitement médicamenteux :
– en première intention, benzodiazépine per os dont la posologie est modulée en fonction de l’intensité de la symptomatologie et de l’âge du patient (par exemple, Xanax® [0,25 à 0,50 mg],
Seresta® [10 à 50 mg]). Si une administration per os est difficile, on opte pour une administration en intramusculaire (par exemple, Tranxene® [50 mg, ½ à 1 ampoule IM]) ;
– dans le cas d’une angoisse sévère avec agitation ou agressivité, on peut avoir recours à un traitement neuroleptique sédatif (par exemple, Loxapac® [25 à 50 mg per os ou IM]).
Le plus souvent, la prise en charge immédiate permet d’obtenir une sédation de la crise.
Hospitalisation :
On est incité à avoir recours à l’hospitalisation en cas d’attaques de panique survenant de façon rapprochée ou lorsque des idées suicidaires sont exprimées. Une hospitalisation brève peut aider à mieux cerner un diagnostic et à orienter vers un suivi psychiatrique. Une hospitalisation s’avère nécessaire en présence d’un trouble dépressif ou délirant sévère. Dans le contexte d’un trouble anxieux, une prise en charge en aigu doit déboucher sur des stratégies de prévention de type médicamenteux ou psychothérapique et une hygiène de vie.
Troubles anxieux :
Mesures générales :
Une intervention psychothérapique d’accompagnement, dès la première consultation, comporte une écoute et des conseils en fonction des situations anxiogènes. Elle inclut l’explication au patient des symptômes somatiques, de leur origine psychologique et des différents traitements.
Cette approche contribue à établir une relation de confiance entre le médecin et le patient, base d’une alliance thérapeutique.
Des mesures hygiéno-diététiques (arrêt/diminution de l’alcool et du tabac, du café, pratique régulière de l’exercice physique) sont recommandées.
Le traitement comporte une psychothérapie en fonction de son accessibilité et du choix du patient et/ou un traitement médicamenteux.
En ce qui concerne les médicaments, le médecin doit informer le patient de leurs avantages et inconvénients : délai d’action, effets secondaires, signes éventuels de sevrage et signe de rebond de l’anxiété.
L’objectif de la prise en charge des troubles anxieux est l’amélioration symptomatique, la réapparition du bien-être et la réduction du handicap social.
Le traitement des troubles anxieux est ambulatoire, une hospitalisation n’étant nécessaire qu’en cas de complication dépressive avec risque suicidaire.
Psychothérapies :
Thérapies cognitivo-comportementales :
Ces thérapies visent à clarifier les circonstances de survenue des troubles, à identifier les pensées irrationnelles afin de les évaluer et de les modifier par la réorganisation des attitudes inadaptées.
Elles associent la relaxation, des expositions répétées à des situations évitées et une restructuration cognitive des interprétations catastrophiques sur les soucis surévalués. Les thérapies cognitivo-comportementales sont aussi efficaces que les traitements médicamenteux et représentent une alternative à ces traitements en particulier aux benzodiazépines. Elles sont cependant encore difficiles d’accès (insuffisance du nombre de thérapeutes formés, parfois aspect financier).
Psychothérapie de type analytique :
Une psychothérapie de type analytique a pour but d’aider les patients qui en font la démarche à identifier les conflits inconscients sous-jacents aux conduites générant l’anxiété et à préciser les traumatismes précoces des premières expériences interpersonnelles. L’anxiété handicapante de certains patients peut être significativement améliorée en particulier lorsqu’il existe des troubles de la personnalité.
Traitements médicamenteux :
Les médicaments antidépresseurs et anxiolytiques ont fait la preuve de leur intérêt dans le traitement des troubles anxieux.
Antidépresseurs :
Les antidépresseurs ayant obtenu l’autorisation de la mise sur le marché (AMM) dans l’indication de troubles anxieux figurent dans le Tableau I, ainsi que leurs posologies :
– clomipramine ( Anafranil®) : elle est l’antidépresseur tricyclique le plus anciennement connu dans la prévention des attaques de panique et dans le traitement des troubles obsessionnels compulsifs. Les effets indésirables les plus fréquents de la clomipramine sont anticholinergiques : sécheresse de la bouche, constipation, troubles de l’accommodation, tachycardie, sueurs, troubles de la miction, etc. Ils sont habituellement bénins et cèdent à la poursuite du traitement ;
– inhibiteurs de la recapture de la sérotonine (IRS) : paroxétine ( Deroxat®), fluvoxamine (Floxyfral®), fluoxétine ( Prozac®), escitalopram (Seroplex®), citalopram ( Seropram®), sertraline (Zoloft®) ;
– inhibiteur de la recapture de la sérotonine et de la noradrénaline (IRSN) : venlafaxine (Effexor®).
IRS et IRSN sont utilisés le plus souvent en première intention pour leurs faibles effets anticholinergiques et leur moindre toxicité en cas de surdosage. Leurs effets indésirables les plus fréquents sont en début de traitement : troubles gastro-intestinaux, insomnie, somnolence et sensations vertigineuses.
Les effets anxiolytiques des antidépresseurs débutent entre la première et la troisième semaine de traitement. Ils doivent être instaurés à faible posologie et augmentés progressivement par intervalles de 1 semaine, en fonction de leur efficacité et de leur tolérance, jusqu’à la posologie usuelle, voire maximale, variable selon les sujets. On préconise une période de 6 à 12 mois asymptomatique avant de réduire très progressivement la posologie.
Benzodiazépines :
Quelle que soit leur demi-vie, les benzodiazépines ont un effet anxiolytique rapide sur les signes somatiques d’anxiété. Elles exposent aux risques de somnolence dès le début du traitement et de dépendance à l’arrêt. Le sevrage progressif des benzodiazépines est recommandé même après un traitement de courte durée. La durée légale maximale de ce traitement est de 12 semaines, sevrage progressif inclus. Les ben zodiazépines sont fréquemment associées en début de traitement aux antidépresseurs en attendant que l’effet thérapeutique maximum des antidépresseurs de référence soit atteint.
Buspirone ( Buspar®) :
La buspirone, qui a une AMM dans le TAG, a un effet anxiolytique inconstant concernant surtout les signes psychiques d’anxiété. Son délai d’action peut atteindre 3 semaines. Les effets indésirables sont les sensations vertigineuses et un effet sédatif. Il n’y a pas à l’arrêt de syndrome de sevrage ou de dépendance.
Traitement d’appoint :
Les formes modérées de l’anxiété peuvent bénéficier d’un traitement d’appoint par :
– hydroxyzine ( Atarax®) qui a des effets anticholinergiques et de sédation mais produit peu d’effets de dépendance et de rebond de l’anxiété ;
– phytothérapie par euphytose ;
– acupuncture.
CONCLUSION :
Il convient de ne pas sous-estimer la comorbidité des troubles anxieux avec la dépression et les addictions (alcool notamment), d’évaluer le risque suicidaire et l’isolement social consécutifs à l’inhibition et aux conduites d’évitement.
Des attaques de panique aux troubles anxieux, le médecin se place dans une stratégie de prévention, réévalue régulièrement le traitement médicamenteux en privilégiant autant que possible les traitements psychothérapiques et les techniques de relaxation qui semblent les plus efficaces au long cours.