DIAGNOSTIC DE L’INSOMNIE :
Longtemps banalisée ou minimisée, au point d’avoir été absente des motifs de consultation et des interrogatoires médicaux, l’insomnie s’avère néanmoins être un trouble grave du fait de ses conséquences sur la qualité de la vie. Les rôles multiples du sommeil entrent pour une grande part dans la santé physique et psychique des individus, notamment sur sa vigilance et ses capacités mnésiques et intellectuelles.
L’insomnie, le plus fréquent des troubles du sommeil, ne peut être uniquement défi nie par des facteurs quantifiables, des éléments mesurables comme la durée du sommeil, son rythme ou sa répartition dans la journée. En effet, le sommeil présente une variabilité physiologique individuelle importante, notamment en fonction de l’âge.
Pour juger du sommeil, le diagnostic doit davantage porter sur la qualité de la récupération, du confort de la journée suivante et du vécu subjectif de la nuit écoulée. L’insomnie peut être définie par un sommeil perçu comme difficile à obtenir, insuffisant ou non récupérateur.
Sa réalité clinique est diverse : difficultés d’endormissement, éveils nocturnes, éveils trop précoces ou baisse de l’efficacité du sommeil, souvent accompagnée de micro-éveils.
Recherche étiologique de l’insomnie :
L’insomnie, souvent évoquée en fin de consultation et parfois même inaperçue par le patient, doit être recherchée à partir de signes tels que des plaintes de fatigue, de baisse de concentration, voire des symptômes évocateurs de la série dépressive.
Si la volonté d’un rétablissement immédiat de la part du patient fait le succès des médications hypnotiques, il est néanmoins important, avant tout traitement, de prendre du temps, éventuellement de revoir le patient, pour établir un diagnostic positif et étiologique d’insomnie.
Le traitement de l’insomnie commence par le repérage de la qualité et de la quantité de sommeil, notamment au moyen de l’agenda du sommeil rempli par le patient, qui permet une relative objectivation du déroulement de la nuit. Il est important d’observer les habitudes de coucher, sans sous-estimer la connaissance que les patients en ont, mais en essayant néanmoins d’être systématique dans l’enquête car, parfois, ils commettent à leur insu des erreurs grossières.
Si nécessaire, ce repérage peut s’effectuer au moyen de la polysomnographie qui, utilisée à bon escient, pointe la distorsion entre une perception du sommeil et sa réalité, repère la fragmentation lors du premier sommeil, expliquant une sensation de difficulté d’endormissement, un problème d’éveils intermittents et enfin montre surtout la composition et l’organisation du sommeil ce qui, dans certains cas, a une importance diagnostique.
Chez le sujet âgé :
Les insomnies généralement repérées à l’âge adulte existent néanmoins aux autres temps de la vie. Elles sont trop souvent méconnues ou banalisée, le sujet âgé présentant très fréquemment de façon physiologique une altération de la continuité du sommeil et une désorganisation progressive du rythme veille-sommeil.
Fréquentes, leurs étiologies sont les mêmes que celles de l’insomnie du sujet adulte.
Les insomnies augmentent avec l’avancée en âge, notamment en raison de facteurs neurologiques, toxiques et médicamenteux. Il faut noter également les facteurs dus au stress ou à des pathologies psychiatriques liées à des moments de perte, de deuil et de renoncement caractéristiques de cette période de l’existence et propices à l’activation de pathologies sous-jacentes.
La vigilance s’impose, l’insomnie, une fois installée, accentue l’altération des capacités mnésiques et intellectuelles.
Chez l’enfant :
Chez l’enfant, les insomnies sont en général le fait du premier âge ou de l’adolescence. Hormis des insomnies consécutives à des pathologies graves, on ne note pas de trouble du sommeil pendant la période de latence. À l’adolescence, peut débuter une pathologie insomniaque intrinsèque, mais la cause en est plus fréquemment un retard de phases plutôt qu’une insomnie.
Chez le nourrisson, les causes environnementales, empêchant une atmosphère suffisamment apaisante pour un bon endormissement et un bon déroulement de la nuit, sont les plus fréquentes : problème de relation parents-enfant, présence d’un parent déprimé, angoissé, phobique. Des causes organiques peuvent être également retrouvées : otites, dermatoses, reflux gastro-oesophagien, épilepsie, encéphalopathies, allergie au lait de vache, malnutrition, coliques.
Diagnostic différentiel :
Un examen somatique et psychologique, parfois une polysomnographie, est nécessaire pour dépister une insomnie, en trouver l’origine et éliminer d’autres pathologies responsables de troubles de l’éveil.
Ces pathologies peuvent être liées directement au sommeil, comme le syndrome des jambes sans repos et les apnées du sommeil ou se présenter sous la forme de troubles de la répartition du sommeil sur le nycthémère, tels que les troubles du rythme circadien. Enfin, elles peuvent prendre la forme de parasomnies, troubles observés pendant le sommeil mais qui ne sont pas à proprement parler une diminution de la quantité ou de la qualité du sommeil.
Cette distinction se révèle importante afin de ne pas diagnostiquer à tort des patients présentant de tels troubles comme insomniaques ou déprimés et les traiter, au détriment de thérapeutiques spécifiques efficaces, par des médicaments qui peuvent aggraver leurs troubles.
CLASSIFICATION DES INSOMNIES :
Il est important de noter une distinction entre les insomnies transitoires et les insomnies chroniques.
Insomnies transitoires :
Les insomnies transitoires, occasionnelles, ou à court terme, s’étendent sur une durée allant de quelques nuits à trois semaines et touchent 30 à 40 % de la population. Elles appartiennent presque toujours au groupe des insomnies dites extrinsèques qui, dans la classifi cation internationale
des troubles du sommeil, sont au nombre de douze.
Elles sont des insomnies réactionnelles dues à une mauvaise hygiène du sommeil (excitations, heures irrégulières de coucher ou de lever, siestes trop nombreuses, décalages horaires, travail posté), à des facteurs environnementaux (bruit, température, lumière, changements de conditions), à l’altitude, à un stress, à un conflit (insomnie d’ajustement), à un stress physique occasionnel ou encore à l’arrêt d’un traitement hypnotique (insomnie de rebond).
Elles présentent le risque de faire le lit de l’insomnie chronique si elles ont été négligées ou mal traitées.
Insomnies chroniques :
Les insomnies dites chroniques durent plus de trois semaines et présentent différentes étiologies.
Étiologie pathologique somatique :
Ces insomnies peuvent être symptomatiques d’une pathologie somatique provoquant des troubles du sommeil qui, en général, ne sont pas spécifiques : augmentation de la latence d’endormissement, élévation du nombre et de la durée des éveils nocturnes, baisse de l’efficacité du sommeil.
Elles peuvent être dues aux pathologies suivantes :
– neurologiques : traumatisme crânien, épilepsie (dans laquelle l’architecture du sommeil peut être perturbée) ;
– neurologiques dégénératives : Parkinson, syndrome de Shy Drager, paralysie supranucléaire progressive, atrophie olivo-ponto-cérébelleuse, chorée de Hungtington, SLA, SEP ;
– vasculaires : de type ischémique ou maladie d’Alzheimer ;
– infectieuses : maladies à prion comme insomnie fatale familiale, maladie de Creutzfeldt-Jacob, chorée fibrillaire de Morvan ou infections VIH ;
– métaboliques : diabète, hyperthyroïdie ;
– cardiaques : hypertension, insuffisance cardiaque ;
– prurigineuses.
Étiologie pathologique psychiatrique :
Les pathologies psychiatriques peuvent apparaître sous les formes suivantes :
– troubles de l’humeur :
– manie : l’insomnie est un des premiers symptômes,
– dépression mélancolique : insomnies en deuxième partie de la nuit,
– dépressions névrotiques : difficultés d’endormissement et éveils nocturnes ;
– schizophrénie : troubles d’organisation du sommeil, décalages constants de l’endormissement donnant un aspect anarchique au sommeil ;
– pathologies névrotiques : difficultés d’endormissement, éveils nocturnes, voire « attaques de panique » nocturnes provoquées par la composante anxieuse de ces pathologies ;
– pathologies post-traumatiques : insomnies et cauchemars répétitifs.
Étiologie médicamenteuse :
Certains traitements peuvent induire aussi une insomnie chronique.
Il faut penser à rechercher si le patient prend des psychostimulants amphétaminiques ou non, certains antidépresseurs désinhibiteurs ou stimulants, des antiparkinsoniens, de la théophylline et des β-2-mimétiques, des corticoïdes à forte dose ou une hormonothérapie thyroïdienne.
Si, pour la prise de psychotropes, une étude du retentissement sur le sommeil et la vigilance a été menée, ce n’est pas toujours le cas pour les autres classes de médicaments, il faut donc y être attentif notamment lors d’associations médicamenteuses et bien évaluer le rapport bénéfice-risque.
Insomnies intrinsèques :
Certaines insomnies chroniques sont des insomnies primaires. Non liées à une affection psychiatrique ou organique, la cause paraît provenir de l’organisme ou de l’organisation fonctionnelle du patient. Elles sont également nommées insomnies intrinsèques.
Elles sont au nombre de trois :
– mauvaise perception du sommeil. Le patient, bien qu’il semble dormir correctement, se plaint de façon quasi hypochondriaque de ne pas dormir suffisamment ;
– insomnie idiopathique. Elle commence dans l’enfance et se poursuit tout au long de l’existence ; sorte de mauvais sommeil constitutionnel ;
– insomnie psychophysiologique. La plus fréquente, elle représente à peu près 25 % de l’ensemble des insomnies et se retrouve davantage chez les femmes que chez les hommes. Elle apparaît en général dans les suites d’un événement chargé d’une composante affective ou stressante.
Le patient se plaint de difficultés d’endormissement, d’éveils nocturnes, de sommeil léger et non-récupérateur, et de leurs retentissements dans la journée : fatigue, sensation d’être mal réveillé, altération des capacités intellectuelles, difficultés de concentration, troubles de mémoire, troubles de l’humeur, irritabilité, susceptibilité, repli, morosité, crise de larmes.
Ces patients présentent davantage de problèmes somatiques que dans une population identique de bons dormeurs, de prise d’alcool et de drogues, souvent au départ dans un but hypnogène.
Bien que les psychologues n’aient pas repéré de profil d’une personnalité insomniaque, certains signes sont fréquemment retrouvés : une grande fréquence de caractères anxieux dépressifs ou hypochondriaques, une vulnérabilité au stress, une tendance à l’intériorisation des conflits.
PRISE EN CHARGE DE L’INSOMNIE :
Dans les cas d’insomnie, et principalement dans les insomnies extrinsèques, il convient de rappeler aux patients les éléments de base de l’hygiène du sommeil.
Une fois un diagnostic étiologique établi, il faudra évidemment préférer un traitement étiologique : traitement des affections somatiques douloureuses ou respiratoires, des affections neurologiques, même si parfois un traitement symptomatique concomitant de l’insomnie est nécessaire.
Traitements non médicamenteux :
Les traitements non médicamenteux doivent être prioritairement utilisés.
Il peut s’agir de traitements comportementaux qui reposent sur des techniques de conditionnement comme les techniques de relaxation, de désensibilisation systématique, de biofeedback, de contrôle de stimulus ou d’intention paradoxale. Ces traitements sont réservés prioritairement aux insomnies psychophysiologiques d’endormissement et utilisés en complément de prise en charge d’autres types d’insomnie.
La psychothérapie analytique et la psychanalyse sont tout à fait indiquées, l’insomnie étant un symptôme dont le traitement passe par une prise en charge globale.
Dans les cas de stress, une prise en charge psychothérapique
sans médication est indiquée.
La phytothérapie peut être également prescrite.
Certaines plantes, valériane, passiflore, fleur d’oranger, mille-pertuis (quand une composante dépressive est repérée), peuvent être utilisées dans les cas d’insomnies transitoires, en début de traitement d’insomnies chroniques, avant médication ou en relais lors de sevrage de médications somnifères.
Traitements médicamenteux :
Les traitements médicamenteux sont fréquemment utilisés dans toutes les formes d’insomnie, néanmoins ils ne sont, par principe, prescrits ni aux enfants ni aux adolescents.
Chez les adultes, ils peuvent être utilisés dans certains cas d’insomnies occasionnelles, dans des insomnies chroniques, transitoirement, pour soulager le patient en parallèle à une prise en charge comportementale ou psychanalytique, enfin, à plus long terme, en association avec des traitements étiologiques dans des cas de pathologies somatiques.
Dans les pathologies psychiatriques, l’insomnie étant liée à l’affection causale, celle-ci sera donc traitée par des neuroleptiques dans la schizophrénie, certains antidépresseurs chez les déprimés, des benzodiazépines chez les anxieux.
Certes, ces médications sont efficaces, pour un temps en tout cas, mais pas sans inconvénient.
Les plus utilisés sont les benzodiazépines : les demi-vies courtes pour les insomnies d’endormissement, les demi-vies moyennes ou longues dans les insomnies de maintien.
Les risques de l’utilisation chronique des benzodiazépines sont maintenant bien connus, ils sont toutefois moindres si la dose est faible, et une utilisation en discontinu peut éviter la dépendance. Dans les insomnies sévères ou organiques, un traitement continu peut être néanmoins envisagé, il faut alors peser le bénéfice/risque et utiliser la dose minimum efficace. La prescription est d’une demi-dose chez le sujet âgé.
Les ligands non benzodiazépiniques à récepteurs benzodiazépiniques sont utilisés surtout dans les insomnies d’endormissement, quelle que soit leur cause, avec des règles similaires bien que les risques soient moins importants.
Les antidépresseurs ne sont pas seulement utilisés pour les déprimés, certains d’entre eux pouvant avantageusement remplacer les benzodiazépines notamment chez des patients toxicophiles ou aider au sevrage en benzodiazépine.
Prévention :
La prévention de l’insomnie passe par un apprentissage du sommeil. Le sommeil, conduite instinctuelle, fonctionne avec des données innées communes à l’espèce, mais dépend également de la manière dont les parents tissent les liens de l’enfant au sommeil durant la période du sevrage, caractérisée par le changement de la répartition du sommeil dans le nycthémère.
Cet apprentissage est directement lié à la qualité de la relation parent-enfant, mais aussi à la structure psychologique de l’adulte et à sa propre relation au sommeil. L’adulte doit, sans crainte, en exorcisant la peur de la séparation, la haine, les désirs de mort, accepter de laisser l’enfant s’endormir, constituer autour de l’endormissement un halo de plaisir, lui transmettant ainsi la possibilité de trouver lui-même le sommeil et sa quiétude.
Il faut apprendre à trouver le repos en soi-même pour accepter de se laisser aller au sommeil.
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