La malnutrition aiguë sévère est due à un déséquilibre important entre l’apport alimentaire et les besoins de l’individu. Il s’agit le plus souvent d’un déficit à la fois quantitatif (nombre de kilocalories/jour) et qualitatif (vitamines, sels minéraux, etc.).
Chez l’enfant de plus de 6 mois :
Les deux grandes formes cliniques de la malnutrition sévère sont :
– Le marasme : fonte musculaire et graisseuse importante, aspect « squelettique »
– Le kwashiorkor : oedèmes bilatéraux des membres inférieurs/oedème de la face, souvent associés à des signes cutanés (peau luisante ou craquelée, lésions ayant l’aspect de brûlure ; cheveux décolorés et cassants).
Les deux formes peuvent être associés (marasme-kwashiorkor).
En plus de ces signes caractéristiques, la malnutrition aiguë sévère s’accompagne de perturbations physiopathologiques graves (troubles du métabolisme, anémie, dépression de l’immunité favorisant le développement d’infections souvent difficiles à diagnostiquer, etc.).
Les complications sont nombreuses et peuvent mettre en jeu le pronostic vital.
La mortalité peut être élevée en l’absence de prise en charge adaptée.
Les critères d’admission/sortie d’un programme de traitement de la malnutrition sévère sont à la fois anthropométriques et cliniques :
• Le périmètre brachial (PB) est la mesure de la circonférence du bras, effectuée au milieu du bras gauche relâché, chez l’enfant de 6 à 59 mois (ou mesurant 65 à 110 cm).
Le PB mesure l’importance de la fonte musculaire. Un PB < 110 mm indique une malnutrition sévère et un risque important de décès.
• L’indice poids/taille (P/T) mesure l’importance du déficit pondéral en comparant le poids de l’enfant malnutri au poids médian d’enfants non malnutris de la même taille.
La malnutrition sévère est définie par un indice P/T < – 3 Z selon les nouvelles normes OMS de croissance de l’enfant (Certains programmes nationaux utilisent la référence NCHS pour déterminer les critères anthropométriques d’admission et sortie, selon des seuils exprimés en % de la médiane.).
• La présence d’oedèmes bilatéraux des membres inférieurs correspond toujours à une malnutrition aiguë sévère quelque soit l’indice P/T et le PB (éliminer toutefois une autre cause d’oedème).
Les critères d’admission sont habituellement : PB < 110 mm (chez l’enfant de plus de 59 mois ou de plus de 110 cm, le PB n’est plus utilisé comme critère d’admission) ou P/T < – 3 Z2 ou présence d’oedèmes bilatéraux des membres inférieurs.
Les critères de sortie (guérison) sont habituellement : P/T > – 2 Z2 et absence d’oedèmes bilatéraux (deux mesures consécutives à une semaine d’intervalle) et absence de pathologie aiguë non contrôlée. Le PB n’est pas utilisé comme critère de sortie.
Les modalités de prise en charge (hospitalisation ou traitement en ambulatoire) dépendent de la présence ou non de complications graves associées :
• Les enfants souffrant d’anorexie ou de complications médicales majeures, p. ex. anémie sévère, déshydratation sévère ou infection sévère (malnutrition aiguë compliquée) doivent être hospitalisés « En règle, un enfant malnutri qui présente des complications médicales graves doit être initialement hospitalisé, même s’il souffre de malnutrition modérée (p. ex. P/T > – 3 Z) ».
• Les enfants sans complications médicales majeures (malnutrition aiguë non compliquée) peuvent suivre leur traitement en ambulatoire avec un contrôle médical hebdomadaire.
Traitement :
1) Traitement diététique :
La réalimentation repose sur l’utilisation d’aliments thérapeutiques enrichis en vitamines et minéraux :
– Laits thérapeutiques (uniquement pour les patients hospitalisés) :
• Le lait thérapeutique F-75, pauvre en protéines, en sodium et en calories (0,9 g de protéines et 75 kcal pour 100 ml) est utilisé dans la phase initiale du traitement chez les patients souffrant de malnutrition aiguë compliquée. Il est administré pour couvrir les besoins de base pendant que les complications sont prises en charge au plan médical. La quantité journalière est administrée en 8 repas.
• Le lait thérapeutique F-100, dont la densité en protéines et en calories est plus élevée (2,9 g de protéines et 100 kcal pour 100 ml), le remplace après quelques jours, une fois que le patient est stabilisé (reprise de l’appétit, amélioration clinique ; fonte des oedèmes au moins amorcée). L’objectif est de faire prendre rapidement du poids à l’enfant. Il peut être donner en association avec, ou remplacé par, des RUTF.
– Les RUTF (ready-to-use therapeutic food) sous forme d’aliments prêts à la consommation (p. ex. pâte d’arachide lactée, type Plumpy’nut®), sont utilisés chez les enfants traités en ambulatoire et chez les enfants hospitalisés. Les caractéristiques nutritionnelles des RUTF sont proches de celles du lait F-100, mais leur teneur en fer est nettement supérieure. Ils sont conçus pour faire prendre rapidement du poids (environ 500 kcal pour 100 g). Ce sont les seuls aliments thérapeutiques utilisés en ambulatoire.
Par ailleurs, il est important de donner de l’eau, en dehors des repas, surtout si la température extérieure est élevée ou si l’enfant a de la fièvre.
Pour les enfants en âge d’être allaités, maintenir l’allaitement maternel.
2) Traitement médical systématique :
En dehors de toute complication particulière, il est recommandé d’effectuer systématiquement les traitements suivants (en traitement ambulatoire ou hospitalier) :
– Pour les infections :
• Vaccination contre la rougeole, dès l’admission.
• Antibiothérapie à large spectre à partir de J1 (amoxicilline PO : 70 à 100 mg/kg/jour à diviser en 2 prises pendant 5 jours) « En cas de signes d’infection spécifique, adapter antibiothérapie et durée du traitement ».
• En zone d’endémie palustre : test rapide à J1 et traitement en fonction des résultats.
En l’absence de test, traitement antipaludique systématique (page 131).
• Traitement antihelminthique à J1 ou J8 :
albendazole PO
Enfant > 6 mois et adulte : 400 mg dose unique (200 mg chez l’enfant > 6 mois mais < 10 kg)
– Pour les carences en micronutriments :
L’utilisation d’aliments thérapeutiques permet de corriger la plupart d’entre elles.
Certains compléments sont cependant nécessaires :
• Une dose de vitamine A est donnée systématiquement à l’admission, rétinol
(vitamine A) « Seuls les patients présentant des lésions oculaires cliniquement décelables reçoivent un traitement curatif complet par la vitamine A » :
Enfant de 6 mois à 1 an : 100 000 UI dose unique
Enfant de plus de 1 an : 200 000 UI dose unique
• Une dose de 5 mg d’acide folique PO est donnée systématiquement à l’admission.
3) Prise en charge des complications fréquentes :
– Diarrhée et déshydratation
La diarrhée est souvent associée à la malnutrition. Les aliments thérapeutiques permettent de reconstruire la muqueuse digestive et de relancer la production de l’acide gastrique, d’enzymes digestives et de suc biliaire. L’amoxicilline en traitement systématique diminue la charge bactérienne efficacement. La plupart des diarrhées s’arrêtent sans autre traitement. Une diarrhée aqueuse peut toutefois être liée à la présence d’une autre pathologie (otite, pneumonie, paludisme, etc.), qu’il faut rechercher.
L’enfant reçoit de l’eau simple et non des sels de réhydratation orale après chaque selle liquide. Les sels de réhydratation orale ne sont administrés qu’en cas de déshydratation établie.
Si un traitement étiologique est nécessaire, voir page 83.
La déshydratation est plus difficile à évaluer que chez l’enfant sain, p. ex. en cas de marasme, les signes « pli cutané » ou « yeux enfoncés » sont présents même si l’enfant n’est pas déshydraté.
Le diagnostic repose sur une histoire de diarrhée aqueuse d’apparition récente accompagnée d’une perte de poids correspondant aux pertes hydriques depuis l’apparition de la diarrhée. Les diarrhées chroniques et persistantes ne nécessitent pas une réhydratation rapide.
Le protocole de réhydratation est différent du protocole standard :
• En l’absence de choc hypovolémique, la réhydratation se fait par voie orale (éventuellement par sonde nasogastrique) en utilisant des sels de réhydratation orale spécifiques « Sauf en cas de choléra, dans ce cas utiliser des sels de réhydratation standards » (ReSoMal), contenant moins de sodium et davantage de potassium que les sels de réhydratation standards.
Le ReSoMal doit être administré sous surveillance médicale étroite (évaluation clinique et pesée toutes les heures). La posologie est de 10 ml/kg/heure pendant les 2 premières heures puis 5 ml/kg/heure, jusqu’à ce que la perte de poids
– connue ou estimée – soit corrigée.
En pratique, il est utile de déterminer le poids-cible avant de commencer la réhydratation. Le poids-cible correspond au poids antérieur à l’apparition de la diarrhée. Chez un enfant qui s’améliore cliniquement et ne présente pas de signes de surcharge hydrique, la réhydratation est poursuivie jusqu’au retour au poids antérieur.
Lorsque la perte de poids ne peut être mesurée (enfant nouvellement admis p. ex.), celle-ci est estimée à 2 à 5% du poids actuel. Le poids-cible ne doit pas dépasser de plus de 5% le poids actuel (p. ex. si l’enfant pèse 5 kg avant de commencer la réhydratation, son poids-cible ne doit pas excéder 5,250 kg).
Quel que soit le poids-cible, l’apparition de signes de surcharge hydrique exige l’arrêt de la réhydratation.
• La voie intraveineuse comporte un risque important de surcharge hydrique et de défaillance cardiaque. Elle n’est utilisée qu’en cas de choc hypovolémique (pouls radial faible ou absent, extrémités froides, altération de la conscience, associés à une perte de poids récente, si connue) :
Ringer lactate : 15 à 20 ml/kg à passer en 30 minutes à une heure, sous stricte surveillance médicale. Réévaluer toutes les 15 minutes et surveiller l’aparition de signes de surcharge hydrique.
– Si l’état clinique s’est amélioré après 30 minutes (reprise de la conscience, pouls frappé), poursuivre la perfusion au rythme de 15 à 20 ml/kg pendant une heure puis passer à la voie orale avec ReSoMal : 10 ml/heure pendant 2 heures.
– Si l’état clinique ne s’est pas amélioré ou s’est aggravé (signes de surcharge) après la première heure de traitement, ralentir la perfusion (garde veine) et traiter une septicémie.
– Infections bactériennes
Les infections respiratoires basses, otites, infections cutanées et urinaires sont fréquentes mais parfois difficiles à diagnostiquer (absence de fièvre, de symptômes spécifiques). La présence d’une infection doit être suspectée chez un enfant apathique ou somnolent.
La présence d’une hypothermie ou une hypoglycémie fait suspectée une infection sévère. Le siège de l’infection étant difficile à déterminer, une antibiothérapie à large spectre, associant deux antibiotiques, est recommandée.
– Hypothermie et hypoglycémie
L’hypothermie (température rectale < 35,5°C ou axillaire < 35°C) est une cause fréquente de décès lors des premiers jours d’hospitalisation.
Pour la prévenir, garder l’enfant contre le corps de la mère (méthode kangourou), donner des couvertures. En cas d’hypothermie, réchauffer l’enfant comme ci-dessus, surveiller la température, traiter une hypoglycémie et une infection sous-jacente.
En cas d’hypoglycémie suspectée ou confirmée (bandelette réactive), administrer du glucose PO si l’enfant est conscient (50 ml d’eau sucrée [50 ml d’eau + une cuillère à café de sucre] ou 50 ml de lait); si l’enfant est inconscient, 1 ml/kg de glucose à 50% en IV. Traiter une infection sous-jacente.
– Candidoses buccales
A rechercher systématiquement car elle gêne l’alimentation, voir traitement page 92.
– Lésions cutanées du kwashiorkor
• Sur les zones sèches : pommade à l’oxyde de zinc 2 fois/jour.
• En cas de lésion suintante ou étendue : violet de gentiane, 2 applications/jour (à éviter sur le visage).
• En cas de surinfection : traiter comme un impétigo (page 105).
Si à l’issue d’un traitement médical et nutritionnel bien conduit l’enfant ne récupère pas, penser à une autre pathologie : tuberculose, infection par le HIV, etc.
Chez l’adolescent et l’adulte :
L’examen clinique (amaigrissement brutal, mobilité réduite du fait de la fonte musculaire, cachexie, présence d’oedèmes des membres inférieurs à l’exclusion des autres causes d’oedèmes) est indispensable au diagnostic et à une prise en charge médicale, nutritionnelle, et parfois sociale, adaptée.
Les critères d’admission et de sortie sont (à titre indicatif) :
– Critères d’admission :
Chez l’adolescent : les mêmes que chez l’enfant (mais le PB n’est pas utilisé).
Chez l’adulte : PB < 160 mm ou oedèmes bilatéraux des membres inférieurs (grade 3 ou plus, après avoir exclus d’autres causes d’oedèmes) ou PB < 185 mm chez un patient en mauvais état général (incapacité à se tenir debout, déshydratation apparente, p. ex.).
Comme chez l’enfant, tout patient malnutri présentant des complications médicales graves est initialement hospitalisé, indépendamment des critères anthromopétriques ci-dessus.
– Critères de sortie :
Chez l’adolescent : les mêmes que chez l’enfant.
Chez l’adulte : gain de poids > 10 à 15% et oedèmes bilatéraux des membres inférieurs < grade 2 et bon état général.
Le traitement diététique suit les mêmes principes que pour l’enfant, mais l’apport calorique est moins important.
Les traitements systématiques sont semblables à ceux de l’enfant mais :
• Le vaccin contre la rougeole n’est administré que chez l’adolescent (jusqu’à l’âge de 15 ans).
• Pas d’antibiothérapie systématique, rechercher et traiter une infection si présente.
Pour plus d’informations sur la prise en charge de la malnutrition chez nourrisson, de l’enfant et de l’adulte, consulter le guide Nutrition, MSF.