Contrairement au genou et à la hanche, les pathologies de l’épaule sont largement dominées en fréquence (80 % des cas) par une atteinte des structures périarticulaires : tendons des muscles constituant la coiffe des rotateurs (sus- et sous-épineux, petit-rond et sous-scapulaire), tendon de la longue portion du biceps (qui est intra-articulaire sur une partie de son trajet), capsule articulaire et bourse séreuse sous-acromiodeltoïdienne. L’atteinte d’une ou plusieurs de ces structures est à l’origine d’une périarthrite scapulohumérale (PASH), démembrée en plusieurs entités de pronostic très différent.
La fréquence des PASH ne doit pas faire oublier qu’une douleur de l’épaule peut être liée à d’autres causes :
– arthropathie scapulohumérale, mécanique ou inflammatoire ;
– pathologie neurologique ;
– pathologie ostéoarticulaire de voisinage.
DIAGNOSTIC :
Examen clinique :
Interrogatoire :
Il précise :
– le mode d’installation de la douleur : brutal ou progressif, post-traumatique ou spontané ;
– la topographie de la douleur : souvent antérieure ou externe (V deltoïdien), plus rarement postérieure ou globale ;
– les irradiations éventuelles : descendantes (bras, coude, avant-bras et parfois poignet et main) ou ascendantes (trapèze, région cervicale) ;
– l’horaire de la douleur : mécanique ou inflammatoire. Il faut noter d’emblée qu’une pathologie mécanique de l’épaule est volontiers insomniante en décubitus latéral du côté pathologique.
– l’intensité de la douleur, son profil évolutif et sa sensibilité aux traitements usuels (antalgiques et anti-inflammatoires non stéroïdiens [AINS]) ;
– le retentissement fonctionnel (coiffage, rasage, agrafage du soutien-gorge, etc.) et professionnel ;
– les antécédents, les signes généraux, les symptômes à distance, etc.
Examen clinique :
Il est toujours bilatéral et comparatif, sur un patient torse nu, assis et debout. À l’inspection, on recherche :
– une amyotrophie (deltoïde, fosse susépineuse) ;
– un oedème, une tuméfaction, une ecchymose ;
– une déformation des reliefs osseux, surtout en cas de traumatisme.
La palpation permet de rechercher un épanchement, surtout perceptible à la face antérieure de l’articulation, ainsi qu’un point douloureux à la pression d’une insertion tendineuse.
L’étude de la mobilité de l’épaule doit porter sur la mobilité active, passive et active contre résistance. Les amplitudes actives et passives normales sont : 180° en antépulsion et 60° en rétropulsion, 180° en abduction et 40° en adduction, 90° en rotation interne et 60° en rotation externe, le coude étant fléchi à 90° et collé au corps. L’existence d’un arc douloureux dans le mouvement d’abduction active du bras doit être recherchée.
Examens d’imagerie :
Radiologie standard :
Les radiographies d’épaule, comparatives ou non, associent au mieux :
– les incidences de face en position neutre, en rotation interne et en rotation externe ;
– les incidences de profil (axillaire, glénoïdien ou de coiffe), moins intéressantes en pratique.
Le principal intérêt des radiographies standard de l’épaule est la mise en évidence de calcifications tendineuses, dont la signification diagnostique doit toujours être discutée.
À noter l’intérêt, dans le bilan étiologique d’une épaule bloquée (capsulite rétractile), de la radiographie de thorax de face.
Autres examens d’imagerie :
Ils se justifient dans deux situations :
– en cas de PASH rebelle aux traitements, afin, principalement, de préciser l’état de la coiffe des rotateurs ;
– en cas de suspicion d’arthropathie à un stade encore infraradiologique.
De nombreux examens peuvent être réalisés :
– scintigraphie osseuse : suspicion d’ostéonécrose aseptique de la tête humérale ou d’algodystrophie ; arthrographie, souvent complétée d’un scanner (arthroscanner), intéressante en cas de suspicion de rupture de coiffe, de capsulite rétractile, de lésions du bourrelet glénoïdien ou de pathologie de la synoviale ;
– IRM ;
– échographie, de plus en plus utilisée pour le diagnostic des lésions de la coiffe des rotateurs ;
– arthroscopie, pour le traitement de certaines lésions tendineuses et cartilagineuses.
Autres examens complémentaires :
La recherche d’un syndrome inflammatoire biologique peut permettre de différencier une arthropathie inflammatoire d’une épaule aiguë hyperalgique.
La ponction d’un épanchement synovial, décelé à l’examen clinique ou en imagerie (échographie, IRM), est toujours justifiée.
D’autres examens peuvent être préconisés en fonction de l’orientation étiologique.
Diagnostic différentiel :
Avant d’incriminer, à l’origine d’une douleur d’épaule, l’articulation elle-même ou les structures capsulotendineuses qui l’entourent, il convient d’éliminer, par un examen clinique soigneux, certaines pathologies locorégionales (Encadré 1).
Encadré 1. Diagnostic différentiel des douleurs de l’épaule
Pathologies neurologiques
Névralgie cervicobrachiale, surtout C5 tronquée.
Syndrome de Parsonage-Turner : douleur majeure de l’épaule, puis déficit moteur pur et amyotrophie du moignon de l’épaule, habituellement réversibles.
Atteinte du nerf sus-scapulaire.
Atteinte du nerf du grand dentelé (décollement de l’omoplate en antépulsion).
Pathologies osseuses
Concernant l’omoplate, la clavicule ou l’humérus : ostéite infectieuse ou aseptique (syndrome SAPHO), tumeur bénigne, tumeur maligne (métastases fréquentes), localisation pagétique, fissure ostéomalacique de Looser-Milkman, etc.
Le syndrome de Pancoast-Tobias doit toujours être évoqué en cas de douleur régionale avec signes neurologiques déficitaires.
Pathologies articulaires
En particulier les arthropathies acromioclaviculaires, post-traumatiques, dégénératives ou inflammatoires : irradiation douloureuse fréquente à la face antérieure du thorax et douleur réveillée par la pression locale. Des clichés centrés sur cette articulation peuvent être demandés. Pathologies viscérales
Avec douleurs projetées d’origine vésiculaire, pancréatique, pleurale ou cardiaque.
ÉTIOLOGIE ET TRAITEMENT :
Pathologie d’allure mécanique :
Périarthrite scapulohumérale :
L’existence d’une pathologie concernant les structures périarticulaires doit être évoquée en priorité, par argument de fréquence et jusqu’à preuve du contraire. Plusieurs tableaux cliniques peuvent être individualisés, correspondant à des mécanismes lésionnels distincts.
Épaule douloureuse simple :
* Diagnostic :
C’est la forme de PASH de loin la plus fréquente, précédant éventuellement, en l’absence ou malgré le traitement, les autres formes cliniques.
Elle correspond à l’atteinte d’un ou plusieurs tendons constituant la coiffe des rotateurs ( tendinite subaiguë ou chronique).
L’épaule douloureuse simple concerne habituellement des sujets de 30 à 60 ans, survenant parfois après un mouvement déclenchant, professionnel ou sportif, mais souvent de façon quasi spontanée. La douleur, de topographie variable selon la structure tendineuse concernée, irradie volontiers au bras, voire à l’avant-bras. Elle est déclenchée par certains mouvements électifs et peut être insomniante en décubitus latéral du côté de l’épaule atteinte.
L’examen clinique permet souvent de préciser la structure tendineuse concernée, avec, dans tous les cas, une mobilité passive normale, une mobilité active subnormale mais douloureuse, une douleur à la pression de l’insertion tendineuse et une douleur à la mise en tension contrariée :
– tendinite du sus-épineux, de loin la plus fréquente : douleur à la pression sous-acromiale externe, arc douloureux entre 60° et 120° d’abduction active et douleur à l’abduction contrariée ;
– tendinite du sous-épineux : douleur à la pression sous-acromiale postéro-externe et en rotation externe contrariée ;
– tendinite du long biceps : douleur à la pression de la gouttière intertubérositaire antérieure et au palm-up test.
Les paramètres biologiques de l’inflammation sont normaux et les radiographies standard peuvent être normales ou révéler des calcifications tendineuses (hydroxyapatite) ou une érosion avec densification du trochiter.
* Traitement :
L’évolution sous traitement (antalgiques, AINS, voire une à deux infiltrations d’un dérivé corticoïde, rééducation) est en général favorable, mais des récidives sont possibles. En cas de résistance aux traitements, une solution chirurgicale peut être préconisée (acromioplastie à ciel ouvert ou per-arthroscopique).
Épaule aiguë hyperalgique :
* Diagnostic :
Elle correspond à une bursite aiguë microcristalline, provoquée par le détachement d’une calcification tendineuse puis sa migration et sa désintégration dans la bourse séreuse sous acromiodeltoïdienne. Le tableau peut s’intégrer dans un contexte d’épaule douloureuse simple connue ou révéler la pathologie périarticulaire.
Parfois, l’épaule aiguë hyperalgique s’intègre elle-même dans le cadre d’une maladie des calcifications tendineuses multiples (ou rhumatisme à hydroxyapatite). La douleur, particulièrement brutale et intense, est permanente et insomniante, pouvant faire évoquer à tort une pathologie inflammatoire, d’autant plus qu’un décalage thermique est possible (mais la vitesse de sédimentation et la protéine C-réactive sont normales ou modestement élevées). Elle est à l’origine d’une impotence fonctionnelle le plus souvent totale.
À l’examen, la mobilisation active et passive est impossible.
Les radiographies peuvent révéler la fragmentation d’une calcification, voire sa migration latérohumérale, dans la bourse séreuse sous-deltoïdienne, puis sa disparition.
* Traitement :
L’évolution est favorable en quelques jours sous traitement par antalgiques, AINS, voire corticothérapie orale. La réalisation d’une infiltration est souvent difficile du fait de la douleur. Après disparition des douleurs, l’indication d’une ponction-trituration radioguidée peut être discutée lorsque persistent une ou plusieurs calcifications de volume important.
Épaule pseudoparalytique :
* Diagnostic :
Elle témoigne de la rupture de la coiffe des rotateurs, qui s’observe schématiquement dans deux contextes très différents :
– soit rupture franche, aiguë, succédant à un traumatisme direct, en général sportif, chez un sujet jeune, avec douleur intense, mobilité active quasi nulle et ecchymose ;
– soit perforation trophique progressive sur coiffe dégénérative, survenant spontanément ou après traumatisme mineur chez un sujet âgé, avec douleur modérée et mobilité active réduite mais non nulle.
Dans les deux cas, la mobilité passive est conservée et l’examen neurologique ne retrouve pas de défi cit. La biologie est normale. La radiologie standard révèle une ascension de la tête humérale et une rupture du cintre omohuméral. La solution de continuité au sein de la coiffe peut être objectivée par échographie, arthrographie ou IRM.
* Traitement :
Le traitement varie selon le contexte de survenue.
La rupture franche du sujet jeune justifie une suture chirurgicale (parfois per-arthroscopique).
La perforation trophique du sujet âgé doit être traitée médicalement, avec une large place aux techniques de rééducation, qui permettent le plus souvent une bonne récupération fonctionnelle. La chirurgie n’est pas indiquée dans cette forme.
Épaule gelée (ou épaule bloquée, ou capsulite rétractile) :
* Diagnostic :
Elle peut compliquer l’évolution d’une autre forme de PASH, en particulier une épaule douloureuse simple négligée, ou s’intégrer dans un contexte d’algodystrophie du membre supérieur (ou syndrome épaule-main), dont les étiologies sont multiples (Encadré 2).
Après une période de douleur, d’intensité et de durée variables, survient un enraidissement progressif de l’épaule avec, à l’examen clinique, une réduction de la mobilité active et passive.
La biologie est normale. La radiologie standard l’est également ou peut révéler des anomalies liées à l’algodystrophie : déminéralisation, éventuellement microgéodique, de la tête humérale.
L’arthrographie révèle une disparition des récessus capsulaires avec réduction de la capacité articulaire, mais l’IRM est peu contributive.
* Traitement :
L’évolution est habituellement favorable, avec récupération progressive de la mobilité au prix d’une prise en charge kinésithérapique souvent prolongée (plusieurs mois à deux ans).
Épaule sénile hémorragique :
* Diagnostic :
Elle correspond à la survenue brutale d’une hémarthrose dans un contexte de rupture ancienne de la coiffe des rotateurs chez un sujet âgé : la douleur est brutale, avec impotence fonctionnelle totale, gonflement palpable de l’articulation et ecchymose du moignon de l’épaule.
La radiologie standard révèle souvent des lésions d’arthrose glénohumérale (omarthrose).
* Traitement :
La ponction confirme l’hémarthrose, élimine un sepsis et permet de soulager rapidement la douleur.
_ Arthropathie mécanique de l’épaule
Arthrose scapulohumérale (ou omarthrose) :
L’omarthrose n’est jamais primitive, mais succède toujours à une autre pathologie : le plus souvent une rupture ancienne de la coiffe des rotateurs, parfois une ostéonécrose de la tête humérale, des séquelles de traumatisme (luxation récidivante) ou de sepsis, une chondrocalcinose articulaire.
Elle se manifeste par une limitation douloureuse de la mobilité active et passive, avec craquements.
Les anomalies radiologiques associent un pincement glénohuméral (avec, en cas de rupture de coiffe, une ascension de la tête humérale et néoarthrose acromiohumérale), une ostéophytose, principalement sous-capitale et sous-acromiale, et une ostéocondensation des berges articulaires.
Algodystrophie de l’épaule :
Elle évolue classiquement en deux phases :
– une phase pseudo-inflammatoire douloureuse ;
– puis une phase d’enraidissement peu ou pas douloureux (capsulite rétractile), réversible en plusieurs mois.
Encadré 2 indique les principales causes d’algodystrophie du membre supérieur.
Encadré 2. Étiologies des algodystrophies du membre supérieur (syndrome épaule-main)
– Pathologie neurologique : hémiplégie, maladie de Parkinson, zona, traumatisme du plexus brachial
– Pathologie thoracique : tumeur broncho-pulmonaire, insuffisance coronarienne, infarctus du myocarde
– Ingestion prolongée de barbituriques (rhumatisme gardénalique)
– Traitements anti-tuberculeux (en particulier isoniazide)
– Circonstances favorisantes : diabète
Ostéonécrose aseptique de la tête humérale :
Elle est volontiers bilatérale lorsqu’elle répond aux étiologies classiques d’ostéonécrose (cf. ostéonécrose de la hanche), ou unilatérale quand elle succède à un traumatisme local.
Les lésions radiologiques sont superposables à celles constatées à la hanche. Là encore, la scintigraphie et surtout l’IRM sont les examens les plus sensibles. L’ostéonécrose évoluée de la tête humérale constitue actuellement l’une des meilleures indications de la prothèse d’épaule.
Arthropathies mécaniques rares :
L’arthropathie de la syringomyélie doit être évoquée devant une atteinte destructrice peu douloureuse de l’articulation.
Les pathologies de la synoviale (chondromatose primitive, synovite villonodulaire, etc.) sont suspectées en cas de phénomènes de blocage ;
L’arthropathie pagétique complique une localisation de la maladie à la tête humérale.
Pathologie d’allure inflammatoire :
La douleur est insomniante, avec signes généraux et syndrome inflammatoire biologique. Il faut alors évoquer :
– une arthrite infectieuse, à pyogènes ou tuberculeuse.
Intérêt de la ponction synoviale avec mise en culture systématique du liquide, des autres prélèvements bactériologiques (hémocultures, porte d’entrée, etc.) et, en cas de suspicion de tuberculose, de la biopsie synoviale avec culture et étude histologique ; une arthrite rhumatismale (polyarthrite rhumatoïde, spondylarthropathie, rhumatisme psoriasique), l’arthrite d’épaule survenant habituellement dans l’évolution d’une pathologie déjà identifiée ;
– une pseudopolyarthrite rhizomélique, avec une atteinte bilatérale, volontiers associée à des cervicalgies inflammatoires, voire à une atteinte de la ceinture pelvienne, chez un sujet âgé. Le syndrome inflammatoire biologique est important et il convient de rechercher systématiquement des signes évocateurs de maladie de Horton ; une arthrite microcristalline : chondrocalcinose ou rhumatisme à hydroxyapatite, l’arthrite goutteuse de l’épaule étant exceptionnelle.