Cette douleur est très généralement musculaire et son mécanisme peut être ischémique, inflammatoire, ou métabolique. Pour la compréhension de ces douleurs d’origine musculaire, on peut également se reporter au chapitre Myalgies et crampes.
Mais parfois la douleur est d’origine osseuse, voire articulaire.
Trois situations sont possibles :
– la douleur est aiguë et brutale, et il s’agit souvent d’une urgence médicale ;
– la douleur est intermittente, le plus souvent déclenchée par l’effort ;
– la douleur est chronique, et c’est surtout dans ce cas qu’il faut se méfier des douleurs non musculaires.
DOULEURS AIGUËS :
Ischémie musculaire aiguë par occlusion artérielle :
Ce doit être la hantise du médecin appelé en urgence pour une douleur brutale du mollet survenue au repos, car chaque minute compte. Les critères cliniques de l’ischémie aiguë d’origine artérielle sont les 5 P des auteurs anglo-saxons : pain, paleness, paresia, paresthesia, pulseness.
En pratique, le mollet et le pied douloureux sont pâles et froids, et les pouls distaux sont abolis ; la jambe douloureuse est plus ou moins paralysée et le siège de paresthésies. On cherche alors à déterminer si l’occlusion artérielle est d’origine embolique : notion de cardiopathie et surtout d’arythmie complète par fibrillation auriculaire ; lésion aortique (athéromateuse ou parfois d’origine traumatique) ; exceptionnellement embolie paradoxale à partir d’une phlébite, le thrombus passant par un foramen ovale perméable en raison d’une hyperpression dans les cavités droites, transitoire. Il faut sans délai instituer un traitement par l’héparine, héparine de bas poids moléculaire à dose curative, ou héparine non fractionnée (à la seringue si l’on est en milieu hospitalier). Il faut ensuite confier le patient au radiologue qui va opacifier le lit artériel (le scanner avec injection a supplanté l’artériographie) et au chirurgien vasculaire qui va enlever le thrombus à l’aide d’une sonde de Fogarty.
Si on a éliminé une embolie artérielle, il s’agit d’une thrombose in situ, le plus souvent sur artères pathologiques (athérothrombose) mais parfois sur artères saines ( syndrome des antiphospholipides, syndrome de Trousseau paranéoplasique).
Chez le sujet jeune et fumeur, on pense à l’artérite juvénile de Buerger. Dans ces situations, il est habituellement impossible de reperméabiliser chirurgicalement la ou les artères occluses. Le traitement est essentiellement médical et fait appel à l’héparine, ou à des perfusions de prostacycline ou d’un analogue (Ilomédine® ou Iloprost®). Dans le cas de l’artérite diabétique ou du Buerger, ces ischémies aiguës conduisent assez souvent à une amputation plus ou moins limitée.
Phlébite :
La douleur est beaucoup moins intense, la marche est possible mais réveille la douleur. La coloration du mollet et du pied est normale (sauf les exceptionnelles phlegmatia coerulea où la jambe est violacée). Le mollet est plutôt chaud et les pouls sont perçus. Il n’y a aucun signe clinique fiable de phlébite surale et le moins mauvais signe est l’augmentation de volume du mollet, surtout si elle s’accompagne d’une augmentation de volume de la cuisse. Le fameux signe de Homans peut être oublié car il n’a aucune valeur sémiologique.
Il est indispensable de confirmer la suspicion clinique par une échographie doppler veineuse, car la sanction est un traitement anti-coagulant pour au moins trois mois. On commence, après contrôle de l’hémogramme, par une héparine de bas poids moléculaire (HBPM) : Lovenox®, Fraxiparine® ou bien Fraxodi® ou Inohep® si on veut se contenter d’une seule injection par jour.
Chez le sujet âgé (plus de 75 ans) et/ou insuffisant rénal, il est prudent de préférer la calciparine à une HBPM. Le relais est pris dès le premier jour par les anti-vitamine K (Coumadine® ou Préviscan® en une prise vespérale, Sintrom® en deux prises) de façon à pouvoir interrompre l’HBPM vers le 5e jour (il n’y a pratiquement pas de thrombopénie à l’héparine avant 5 jours de traitement).
Pendant qu’on institue le traitement, on cherche une cause à cette phlébite. Certaines circonstances déclenchantes sont évidentes : grossesse, contraception, chirurgie orthopédique ou plâtre, alitement prolongé). Dans les autres cas il faut vérifier la liste des médicaments, éliminer chez le patient jeune un lupus, un syndrome des anti-phospholipides ou une maladie de Behcet, et chercher chez le patient plus âgé un cancer.
L’enquête biologique comporte systématiquement, outre la NFS + plaquettes, la fibrine et la CRP, l’électrophorèse des protides, le dosage de protéine C et protéine S, (avant le début des AVK), la mesure de la résistance à la protéine C activée, le dosage du facteur VIII et de l’homocystéinémie, la recherche d’anticorps anticardiolipine ou d’un d’anticoagulant circulant lupique (allongement du TCA non corrigé par l’adjonction de plasma témoin).
L’échographie doppler veineuse est indispensable avant le début des anticoagulants car il y a de nombreux diagnostics différentiels. En particulier, il faut penser en cas de pathologie connue du genou (polyarthrite rhumatoïde, arthrose du genou,…) à la rupture d’un kyste poplité de Baker. Il existe généralement une augmentation du volume du mollet et dans 30 % des cas, un hématome sus-malléolaire interne « en croissant » qui est très caractéristique. Si la douleur du mollet survient brutalement après un effort, même très modéré, il faut penser à un claquage musculaire. Dans ces deux cas, le traitement anti-coagulant risque d’aggraver les symptômes. Le syndrome des loges survient souvent après un exercice prolongé et impose l’arrêt de l’effort. La douleur est habituellement limitée à un compartiment musculaire bilatéral mais c’est lorsqu’elle est unilatérale que le diagnostic différentiel avec la phlébite se pose. La douleur s’explique par l’augmentation de volume du mollet dans une loge ostéo-aponévrotique inextensible.
La mesure de la pression intra-musculaire, souvent supérieure à 30 mmHg confirme le diagnostic. Une aponévrotomie de décharge est parfois nécessaire.
Douleur musculaire primitive dont le mécanisme n’est pas univoque :
Myosites infectieuses :
Les myosites infectieuses, souvent staphylococciques, sont extrêmement douloureuses. Le diagnostic est fait par la découverte d’autres foyers septiques, la constatation d’un syndrome inflammatoire, les hémocultures. Il est urgent d’instituer un traitement antibiotique adapté à l’antibiogramme. En cas de crépitation neigeuse du mollet, on recherche un germe anaérobie, responsable de gangrène gazeuse ou cellulites nécrosantes.
Myosites ischémiques :
La myosite peut être ischémique par atteinte des artérioles, au cours d’une périartérite noueuse ou d’une maladie de Wegener. L’existence d’un oedème segmentaire, d’une multinévrite ou de manifestations systémiques est évocatrice. C’est la corticothérapie (bolus de Solumédrol®) qui va soulager le patient.
Myosites inflammatoires :
Les myosites inflammatoires comportent la polymyosite, la dermato-myosite, le syndrome des antisynthétases et la myosite à inclusions. C’est l’augmentation de la créatine phospho-kinase (CPK) et/ou l’électromyogramme de type myogène qui conduit à la biopsie musculaire et c’est elle qui permet de distinguer ces différentes variétés de myosites inflammatoires. Dans le cas particulier du syndrome des anti-synthétases, il existe habituellement des anomalies des mains (main dite de camionneur) et une fibrose pulmonaire.
L’existence d’anticorps dirigés contre des antigènes nucléaires solubles et plus précisément de type anti-Jo 1 confirme le diagnostic.
Il est important de recherche une néoplasie associée, surtout s’il s’agit d’une dermatomyosite (près de 25 % d’entre elles sont paranéoplasiques).
Le traitement repose en première intention sur la Prednisone® (1 mg/kg/j) à laquelle il faut le plus souvent associer des immunoglobulines intraveineuses (2 g/kg en 48 heures en cures mensuelles) et/ou des immunosuppresseurs (Methotrexate®, Cellcept®, anticorps anti-CD20 ou Mabthera®,…). Les myosites à inclusions sont particulièrement rebelles au traitement.
Parfois la biopsie musculaire met en évidence une myosite granulomateuse et dans ce cas il faut éliminer une trichinose (hyperéosinophilie, sérodiagnostic) puis rechercher essentiellement une sarcoïdose (scanner thoracique, biopsie labiale) ou une maladie de Behcet (aphtose bipolaire, pseudo folliculites, atteinte oculaire).
DOULEURS INTERMITTENTES :
Douleurs liées à l’effort :
Il s’agit habituellement d’une claudication intermittente et on précise le périmètre de marche possible avant la survenue de la douleur. La claudication peut être d’origine artérielle, neurologique ou musculaire.
Claudication d’origine artérielle :
La plus caractéristique est la claudication du mollet liée à l’athérothrombose des artères des membres inférieurs. Le premier examen consiste à comparer la pression artérielle systolique mesurée au bras et à la cheville (à l’aide d’un appareil automatique de type Dinamap® ou mieux d’une sonde doppler). L’index de pression systolique (IPS), qui est le rapport entre la pression systolique à la cheville sur la pression systolique au bras, est physiologiquement compris entre 1,3 et 0,9. Un IPS < 0,9 signe l’artérite oblitérante des membres inférieurs (AOMI) et l’échographie doppler artérielle puis le scanner avec injection ou l’angio-IRM permettront de préciser le niveau du ou des obstacles. La lésion la plus classique est l’occlusion de l’artère fémorale superficielle dans le canal de Hunter. Un IPS < 0,5 est un élément de mauvais pronostic. Il est important de préciser les facteurs de risque vasculaire (au premier rang desquels le tabagisme) et de chercher les autres localisations de la maladie athéromateuse (échographie doppler des troncs supra-aortiques et des artères rénales, ECG et si besoin scintigraphie myocardique).
Le traitement repose sur l’arrêt du tabac, la correction des autres facteurs de risque et la marche (au moins 30 min matin et soir). Les antiagrégants plaquettaires (Aspirine®, Plavix®), accessoirement les vasodilatateurs (pentoxyphilline ou Torental®). On peut espérer faire régresser l’athérome si on ramène le cholestérol total audessous de 1,80 g/L, d’où la prescription fréquente de statine. En cas de claudication intermittente sévère non améliorée par le traitement médical, on peut être amené à réaliser une angioplastie, le plus souvent avec pose d’un stent, ou une intervention ( pontage aorto-fémoral, pontage fémoro-fémoral, prothèse aorto-bifémorale,…).
Exceptionnellement la claudication du mollet n’est pas liée à une AOMI mais à une lésion anatomique rare (artère poplitée piégée, kyste adventitiel poplité) ou à une endofibrose artérielle iliaque. Celle-ci survient chez les cyclistes qui font plus de 8 000 km par an, en vélo. Elle est liée à une élongation progressive de l’artère iliaque qui devient tortueuse et fibreuse. Le traitement est chirurgical.
Claudication d’origine neurologique (en principe bilatérale) :
La cause éventuelle est le canal lombaire rétréci qui est dû à la conjonction d’un canal médullaire génétiquement étroit et d’une arthrose lombaire touchant en particulier les articulaires postérieures, éventuellement associée à une protrusion ou à une véritable hernie discale.
Les scanner et l’IRM lombaire permettent de mesurer les dimensions du canal lombaire, en sachant que ces examens faits en décubitus sous-estiment l’importance du rétrécissement canalaire.
On peut réaliser quelques infiltrations péridurales d’Hydrocortancyl® mais si la claudication est sévère, il faudra recourir à la chirurgie. Il paraît plus prudent de se contenter d’un geste simple de laminectomie sur un à trois étages, sans mis en place de matériel. L’amélioration post-opératoire est progressive, sur trois à six mois.
Claudication d’origine musculaire (en principe bilatérale) :
Le syndrome des loges peut réaliser une douleur intermittente des mollets, mais la claudication cède lentement à l’arrêt de l’effort. Les rhabdomyolyses des myopathies métaboliques sont habituellement retardées par rapport à l’effort et cèdent en plusieurs heures ou jours après l’arrêt de l’effort. Elles peuvent s’accompagner de l’émission d’urines très foncées, par myoglobinurie.
Les CPK sont très élevées (plus de 5 fois la valeur normale). Les deux principales myopathies métaboliques responsables des rhabdomyolyses sont la glycogénose de Mac Ardle et les cytopathies mitochondriales. Dans le premier cas, les lactates veineux n’augmentent pas à l’effort ; dans le second cas, ils s’élèvent considérablement, dépassant communément 5 mmol/L après effort.
L’IRM métabolique avec spectrométrie permet pratiquement de faire le diagnostic mais cet examen est difficile à obtenir. C’est donc la biopsie musculaire avec coloration spéciale qui montrera le déficit enzymatique musculaire. En cas de cytopathie mitochondriale, on observe généralement un aspect de fibres rouges déchiquetées (ragged red fibers) ; l’anomalie métabolique peut toucher une des différentes étapes de la chaîne respiratoire mitochondriale ; le traitement peut comporter de l’ubiquinone (s’il existe un exceptionnel défi cit en coenzyme Q) et de la carnitine. Mais plus communément les douleurs musculaires retardées après effort correspondent à de simples courbatures sans gravité (delayed onset muscle soreness ou DOMS).
Douleurs musculaires non liées à l’effort :
Ce sont les crampes musculaires, habituellement nocturnes et bilatérales. Le plus souvent banales, elles peuvent être améliorées par la prise d’Hexaquine® (2 à 6 cp/j) ou de Vitamine B2 (beflavine). Si elles sont intenses et rebelles, elles doivent faire rechercher une anomalie métabolique (faire un ionogramme sanguin, un dosage de la magnésémie et de la phosphorémie).
Les paralysies dyskaliémiques , le plus souvent génétiques mais parfois liées à une hyperthyroïdie, peuvent être douloureuses.
DOULEURS CHRONIQUES DU MOLLET :
Douleur articulaire, tendineuse, ou osseuse irradiant dans le mollet :
Un piège diagnostique est de méconnaître une douleur articulaire, tendineuse, ou osseuse irradiant dans le mollet. Il faut en particulier se méfier de l’irradiation douloureuse d’un kyste synovial poplité, d’une tendinite de la patte d’oie, ou d’une lésion osseuse (ostéonécrose tibiale, voire ostéosarcome du genou). La scintigraphie osseuse, et si besoin l’IRM du genou permettront de confirmer le diagnostic.
Douleur musculaire :
Mais le plus souvent la douleur est musculaire.
Douleur post-traumatique :
La douleur peut être post-traumatique. Il est facile d’évoquer cette hypothèse lorsqu’on a la notion d’un coup direct, survenu souvent au cours d’une activité sportive, mais il peut aussi s’agir d’une lésion musculaire intrinsèque (ecchymose, hématome enkysté, myosite ossifiante). Une échographie musculaire de bonne qualité technique permet de visualiser ces lésions.
En l’absence de traumatisme :
Il faut d’abord penser aux causes médicamenteuses et tout d’abord aux statines. Les CPK sont habituellement augmentées, mais pas toujours.
Certaines connectivites peuvent se compliquer de lésions musculaires ou sous-cutanées chroniques : myosite ossifiante consécutive à une dermatomyosite, principalement chez l’adolescent ; calcinose sous-cutanée de la sclérodermie.
Exceptionnellement il existe une tumeur musculaire, localisée par l’IRM et confirmée par la biopsie (rhabdomyosarcome, histiocytofibrome malin, tumeur à cellules claires des tendons et des gaines, hémangiopéricytome).
Si l’interrogatoire, l’examen et l’imagerie ne sont pas contributifs, on pourra évoquer une polymyosite chronique ou une myofasciite à macrophages. On incrimine les vaccins contenant de l’aluminium (en particulier les vaccins anti-hépatite B) et la biopsie se fait habituellement dans le deltoïde et si possible du côté où le patient a été vacciné.
D’une façon générale la biopsie musculaire n’est guère rentable si les CPK et l’électromyogramme sont normaux.
Quand on n’a rien retrouvé et que les douleurs sont plus diffuses, intéressant les zones d’insertion tendineuse on évoquera la fi bromyalgie (cf. Douleurs diffuses chroniques).
Attention : il peut exister deux pathologies musculaires intriquées et l’exemple type est l’intolérance musculaire aux statines venant révéler une cytopathie mitochondriale. On peut également observer l’association d’une polymyosite et d’une myofasciite à macrophages. Seule la biopsie musculaire, faite dans un laboratoire spécialisé, permettra d’établir ces diagnostics difficiles.